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Les Vaux de Vire d’Olivier Basselin : joyeux poète normand entre mythe et réalité

chansons-a-boire-normande-humour-moyen-age-renaissanceSujet : vaux de vire, chansons à boire, poésies satiriques,  humour, vaudevire, Vire, Normandie.
Période : Moyen Âge tardif, Renaissance
Auteur : Jean le Houx (1550-1616), Ollivier Basselin (vers   1400-1450 ?)
Sources    : Vaux-de-Vire d’Olivier Basselin et Jean Le Houx, PL Jacob  (1858). Les Vaudevires Olivier Basselin, Jean le Houx… et Vire,   Yvon Davy,    Association La Loure – Musiques et Traditions Orales de Normandie,  2017 (consulter en ligne  – Lien alternatif téléchargement).

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans le courant du XVe siècle, en Normandie et plus précisément dans le Calvados, aurait vécu, en la cité de Vire, un poète du nom d’Olivier Basselin. Peu soucieux de chanter l’amour, l’homme aurait laissé, derrière lui, un legs fait d’odes à Bacchus et de chansons à boire, au point même d’avoir donné naissance et  des  lettres de noblesse à un genre local   : le Vaux de Vire ou Vaudevire. Bien sûr, la Normandie ne l’avait pas attendu pour entonner ses premières chansons à boire même si certains auteurs du passé, en plus d’avoir fait de Basselin le créateur des premiers vaudevires, ont, quelquefois généralisé en cherchant à en faire le père des chansons à boire normandes.

Faits  ou légendes

deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissanceA  partir de ce là, le médiéviste rigoureux, comme l’amateur d’histoire médiévale, s’efforceront de tout mettre au conditionnel. Dans les manuscrits du XVe siècle, contemporains de Basselin, on ne connait,  en effet, aucune sources écrites de ses chansons. Ces dernières ne nous sont « parvenues » que par l’intermédiaire de  Jean le Houx. Cet auteur,  poète et avocat de Vire les fit éditer, près d’un siècle après  la disparition supposée de Basselin. supposément après les avoir transcrites depuis la tradition orale. C’est, en tout cas, ce que l’on a pris pour argent comptant jusqu’au XVIIIe siècle et même un peu plus tard encore.

On en est revenu depuis pour plusieurs raisons que nous exposerons. L’une des premières tombe sous le sens. Plus de 65 chansons ayant traversé le temps, durant un siècle, pour survivre dans la tradition orale ?  Même si l’on a admis d’emblée que Jean le Houx avait pu les arranger à sa sauce et les moderniser en terme langagier, cela parait  tout de même beaucoup.  Sur un tel corpus, il demeure tout de même étonnant qu’aucune pièce n’ait pu être retrouvées dans des manuscrits plus contemporains du XVe.  Le Moyen Âge tardif n’est pas le XIIe siècle  et un nombre conséquent de manuscrits de ce siècle nous sont parvenus.  En dehors de cette absence d’écrits, d’autres raisons viennent encore s’ajouter. Nous les aborderons un peu plus loin mais intéressons-nous d’abord aux sources sur l’auteur lui-même, à défaut d’en trouver sur son oeuvre.

Sur l’existence factuelle d’un Ollivier Basselin ?

manuscrit-bayeux-olivier-basselin-poesie-medievale-chansons-a-boire-normandes-s
Une chanson dédiée à Olivier Basselin dans le Manuscrit de Bayeux ( Français 9346 ) BnF, département des manuscrits

D’un point de vue factuel, il semble tout à plausible qu’un dénommé Ollivier Basselin, originaire de Vire, ait existé dans le courant du XVe siècle. La mort d’une personnage portant son nom est même évoquée dans une chanson du Manuscrit de Bayeux (fr 9346) daté de la fin de ce même siècle (consulter sur Gallica), ainsi que dans d’autres sources de la même période. Cette chanson du Ms fr 9346 apporte du crédit au fait qu’un homme du nom d’Ollivier Basselin aurait été un joyeux buveur, doté   d’une certaine notoriété locale.  D’après ce texte toujours l’infortuné serait tombé de la  main des anglais.

Hellas Ollivier Basselin
N’orron point de vos nouvelles
Vous ont les Engloys mys à fin.

Vous soulliés gayement chanter
Et demener joyeuse vye
Et les bons compaignons hanter
Par le pays de Normendye.

Jusqu’à Sainct Lo, en Cotentin,
En une compaignye moult belle
Oncques ne vy tel pellerin.

Les Engloys ont faict desraison
Aux compaignons du Vau de Vire,
Vous n’orrez plus dire chanson
A ceulx qui les soulloient bien dire.

Nous priron Dieu de bon cueur fin,
Et la doulce Vierge Marie,
Qu’il doint aux Engloys malle fin.
Dieu le Père fi les mauldye

Quelques autres sources viendront renforcer cette réputation de joyeux drille de Basselin et son goût pour la boisson. Le personnage semble même s’être taillé une telle réputation dans la tradition qu’il en est devenu  un « personnage » haut en couleurs et l’archétype local du buveur. C’est en tout cas ainsi qu’on le retrouve cité  dans d’autres chansons de la fin du XVe et du XVIe siècle.

deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissancePour le reste, quelques sources supplémentaires sérieuses mentionnent un Ollivier Basselin en 1405 taxé d’une amende et encore un autre, à 55 ans de là, en 1459. Au vue des dates, ce dernier qui était Maître des œuvres du Roi n’était certainement pas le même que le premier. Quant à d’autres sources sur ce patronyme, il a effectivement existé un Moulin Basselin ou Beusselin à Vire, même si son existence n’est attestée, dans les sources, qu’au milieu du XVIe siècle.

Pour d’autres auteurs plus tardifs, Basselin aurait aussi incarné une forme de résistance normande contre les anglais, dans la période troublée de la guerre de cent ans. Selon cette hypothèse, la compagnie entourant le personnage n’aurait donc pas été  qu’une compagnie de buveurs.   Alors, boit- sans-soef ou héros résistant  ?   L’histoire locale hésitera. Pourtant, là encore, si  la chanson ci-dessus clame que les anglais ont mis fin à la vie de Basselin, ce qui pourrait peut-être établir une forme d’action résistante, il n’y a pas matière, dans ces quelques vers, sauf à verser dans le lyrisme, à en faire un chef de file et un meneur. Entre flou et certitude,   voilà, en tout cas, le peu d’éléments   que les faits  nous apportent.

Un étrange « air de famille »

vaux-de-vire-chansons-a-boire-normande-jean-le-houx-renaissance-XVIe-sieclePlus d’un siècle après la vie supposée de Basselin, un autre auteur et poète du nom de Jean le Houx (1551-1616) éditait donc des « vaux de vire » du légendaire buveur. Il aurait consigné par écrit de larges restes de tradition orale qui auraient permis de faire parvenir jusqu’à lui les pièces de Basselin. Encore une fois, aucune trace écrite ne subsiste au XVe de chansons ou de poésies attribuées à Basselin ;  quand Le Houx édite son ouvrage,  nous sommes autour de 1576. Pour comble, l’histoire joue de malchance puisque les traces de son édition originale seront égarés dans un premier temps. Il faudra même attendre  près d’un siècle de plus (1660-1670), pour qu’un nouvel éditeur de vire  Jean de Cesne  ne republie, à son tour, les vaudevires de Jean le Houx, accompagnés de ceux prêtés à Basselin.

Comme de nombreux auteurs du Moyen Âge, c’est dans le courant du XIXe siècle que le nom de Basselin resurgira pour donner lieu à de multiples publications. Auguste Asselin, politique et homme de lettres local,  sera parmi les premiers à redonner aux vaux de vire et à l’auteur, de nouvelles lettres de noblesse en publiant  en 1811,  un grand recueil sur le sujet. Reprenant l’ouvrage de Jean de Cesne, il  prendra acte, sans véritablement avoir le moyen de l’établir, ni de le vérifier, du fait que le Houx était bien l’éditeur de l’oeuvre de Basselin. Dans manuscrit-de-caen-vaudevire-jean-le-houxun XIXe siècle, qui s’enflamme pour l’histoire de ses régions, autant que pour leurs racines médiévales, de nombreux auteurs voudront croire en cette origine ancienne du Vaudevire, et en l’authenticité des pièces attribuées à Basselin.

Pourtant, dans ce même siècle friand de débats autant que de méthodologie, certains médiévistes viendront bientôt contester la paternité réelle de ces textes. Faits maigres, sources inexistantes, on fait aussi remarquer de troublantes similitudes de style entre les vaux de vire attribués à Basselin et ceux attribués à Jean Le Houx. Dans ces contradicteurs, on retrouvera notamment Eugène de Beaurepaire, historien chartiste et normand du XIXe siècle (voir Mémoire de la société des antiquaires de Normandie), ainsi vaux-de-vire-jean-le-houx-manuscrit-ancien-renaissanceque Armand Gasté,   historien et homme de lettres, originaire de Vire (1875).  A partir du Manuscrit de Caen Ms 0207  (photo ci-dessus et ci-contre), les deux auteurs s’évertueront à démontrer que l’ouvrage est, en réalité, le manuscrit original de Jean le Houx. Pour eux, certaines ratures ne trompent pas, il s’agit bien  de l’oeuvre tâtonnante d’un auteur qui cherche son style et non point d’un copiste qui retranscrit.

Jean le Houx n’a-t-il fait que moderniser les chansons à boire de Basselin comme on l’admettait déjà depuis plusieurs siècles ? A l’évidence, son langage  est proche du français moderne et n’est déjà plus le moyen français du Moyen Âge tardif. A-t-il pu les créer ex nihilo, inspiré, peut-être, par un faisceau de tradition ou une rumeur plutôt que par de véritables sources orales ?  Il les a, en tout cas, modelé à ce point à sa main qu’il y a même introduit des éléments autobiographiques.


chansons-a-boire-normande-vaux-de-vire-Olivier-Basselin-poesie-medievale-humour-XVe-renaissanceOn trouve encore édité ces vaux-de-vire d’Olivier Basselin et Jean le Houx chez Forgotten Books : Vaux-De-Vire d’Olivier Basselin Et de Jean Le Houx: Suivis d’Un Choix d’Anciens Vaux-De-Vire Et Chansons Normandes tirés Des Manuscrits. On notera que l’éditeur a choisi de maintenir  Olivier Basselin comme auteur de l’ouvrage.


Face à tant de brouillard  et malgré  le   peu de sources d’époque venues plaider en faveur de l’authenticité des pièces,   il fallut bien pourtant que les avis demeurent partagés. La polémique continua même, jusque dans le courant du XXe siècle, selon que l’on désirait vouloir insuffler la vie à cet auteur médiéval dans l’ouvrage de Jean le Houx ou lui ôter.   Entre tradition orale, sources présentes mais  imprécises, bon vivant et « héros » supposé d’une résistance locale contre l’angloys,  la légende, était, il faut le dire, séduisante pour qui se cherchait un passé grandiloquent ou truculent. Sous l’égide d’une histoire partiellement éprise de ses traditions locales, on pourrait presque retrouver là, un peu de l’attachement de la Provence aux grandes envolées littéraires des vitas de ces troubadours. Les faits deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissancepourtant ou leur absence ne pardonnent guerre en histoire, et dans les vides qu’ils laissent, les plus sceptiques l’emportent souvent sur les rêveurs .   Croire ou ne pas croire, la question se pose quelquefois, même en Histoire.  On notera du reste que, dans des sources comme wikipédia  ou même pour certains éditeurs, la vie d’Olivier Basselin et son oeuvre continuent d’être présentés comme des faits actés.

De  Basselin à Le Houx, dans  une complicité mêlée de cousinage local qui s’est nouée d’un siècle à l’autre, on verra sans doute plus l’hommage rendu que le fait littéraire historique authentique. Il en demeure, en tout cas, un genre, qu’on nomme  le Vaudevire et qui s’épanche du côté de la satire   légère, de l’humour de taverne et de la chanson à boire (à consommer, pour la substance, avec modération). Il en demeure quelques pièces drôles, plus renaissantes que médiévales dans leur langage  et que nous partagerons ici, de temps à autre. En voici une première  , dont on notera, au passage qu’elle sonne bien  plus comme un chant antimilitariste que comme un chant résistant.


La guerre et le vin

Hardy comme un Cesar, je suis à ceste guerre
Où l’on combat armé d’un grand pot et d’un verre.
Plus tost un coup de vin me perce et m’entre au corps,
Qu’un boulet qui cruel rend les gens si tost morts.

Le cliquetis que j’aime est celui des bouteilles,
Les pipes, les bereaux (broc, tonneaux ?), pleins de liqueurs vermeilles,
Ce sont mes gros canons qui battent sans failler
La soif, qui est le fort que je veux assaillir.

Je trouve, quant à moy, que les gens sont bien bestes
Qui ne se font plus tost au vin rompre les testes,
Qu’aux coups de coutelas en cherchant du renom :
Que leur chaut (de chaloir), estant morts, si l’on en parle ou non ?

De trop boire frappée, une teste en reschappe ;
Sent bien un peu de mal, lorsque le vent la happe,
Mais, quand  on a dormy, le mal s’en va soudain
A ces grands coups de Mars (Dieu de la guerre), tout remède y est vain.

Il vaut bien mieux cacher  son nez dans un grand verre ;
Il est mieux asseuré qu’en un casque de guerre.
Pour cornette ou guidon, suivre plus tost on doit,
Les branches d’hiere ou d’if qui monstrent où l’on boit (1).

Il vaut mieux, près beau feu, boire la muscadelle (cidre),
Qu’aller sur un rempart faire la sentinelle.
J’aime mieux n’estre point en taverne en defaut
Que suivre un capitaine à la bresche, à l’assaut.

Neanmoins, tout excez je n’aime et ne procure   ;
Je suis beuveur de nom et non pas de nature.
Bon vin qui nous fais rire et hanter nos amis,
Je te tiendray tousjours ce que je t’ay promis.

(1) Selon PL Jacob cela pourrait être   en allusion au Buis   (burus, bouchon) qui aurait désigné les   tavernes ou cabarets de village


En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Guillaume Dufay, rondeau sur les revers de fortune par l’ensemble Obsidienne

musique_medievale_ancienne_guillaume_dufay_XV_moyen-age_tardifSujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, motet, rondeau, chants polyphoniques.
Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprète : ensemble Obsidienne.
Album :  le jardin des délices (2004)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici, pour aujourd’hui, une nouvelle pièce du maître de musique du moyen-âge tardif (d’aucuns diront des débuts de la renaissance), Guillaume Dufay, Elle est interprétée par l’Ensemble Obsidienne, sous la direction d’Emmanuel Bonnardot. 

Le Jardin des Délices, Obsidienne et le Manuscrit de Bayeux

Sorti en 2004, l’album le Jardin des Délices qui empruntait son titre au célèbre tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch, était dédié à des pièces tirées du manuscrit de Bayeux (lui-même daté des débuts du XVIe), ainsi qu’à des chansons et musiques de Guillaume Dufay et du compositeur franco-flamand Josqui Desprez. L’ensemble Obsidienne nous proposait donc ici de revisiter et de mettre à l’honneur le XVe siècle et on trouve dans ce Jardin des Délices un beau florilège de vingt-deux pièces, en provenance de cette période charnière entre le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance. Pour en faire le détail, cinq pièces sont de Guillaume Dufay, quatre de  Josquin Desprez, le reste sont des compositions, anonymes pour la plupart, issues du Manuscrit de Bayeux.

troubadours_modernes_musique_medievale_renaissanceEn 2016, l’album a fait l’objet d’une réédition, au sein d’un double album ayant pour titre « Chansons de la Renaissance » et comprenant également le CD  l’Amour de Moy  proposant des pièces de la même période, dont un grand nombre  encore issue du manuscrit ancien susnommé.

A propos de ce précieux héritage de la musique et des chansons normandes du XVe siècle qu’est le Manuscrit de Bayeux, (ou le MS Fr 9346) nous lui avions dédié un exposé détaillé dans un article précédent, aussi nous vous y renvoyons si vous souhaitez plus de détails : les richesses du manuscrit de Bayeux. Vous pouvez également le consulter directement en ligne sur le site de la BnF.

Concernant les œuvres de Guillaume Dufay et notamment la pièce que nous vous proposons aujourd’hui, on peut la trouver dans le manuscrit Canon. misc. 213 ou le Canonici 213 de la Bodleian Library d’Oxford dont nous avons également déjà parlé ici.

Par droit je puis bien complaindre et gemir, Les paroles du chant de Guillaume Dufay

C’est un  poète et compositeur bien désespéré que nous présente cette pièce du jour et ce rondeau puisque nous  le retrouvons, en effet, face à quelque revers de fortune et de fâcheuses inimitiés dont il se plaint ouvertement.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent* de liesse et de joye. (*exempt)
Un seul confort ou prendre ne scayroye*,(*saurais)
Ne scay comment me puisse maintenir.

Raison me nuist et me veut relenquir* (abandonner),
Espoir me fault, en quel lieu que je soye:
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.

Dechassiés* suy, ne me scay ou tenir, (pourchassé)
Par Fortune*, qui si fort me gueroye; (le sort) 
Anemis sont ceus qu’amis je cuidoye*, (croyais)
Et ce porter me convient et souffrir.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Un seul confort ou prendre ne scayroye,
Ne scay comment me puisse maintenir.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

chanson courtoise médiévale : « La belle se sied au pied de la tour » de Guillaume Dufay

toubadour_trouvere_musique_poesie_monde_medievale_moyen-ageSujet: chant, chanson, musique, poésie médiévale, amour courtois, complainte, manuscrit de Bayeux.
Période : Moyen Âge tardif (XVe siècle)
Auteur : Guillaume Dufay (1400-1474)
Interprète ; Jose Lemos et l’ensemble Pegasus Early Music     –    2015 (concert)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous présentons, aujourd’hui, une chanson médiévale du XVe siècle. C’est un chant d’amour et une complainte, celle d’une belle pour son amant prisonnier. Présente dans le Manuscrit de Bayeux (le ms Français 9346 de la BnF),  on la retrouve aussi chez Guillaume Dufay, auteur-compositeur considéré comme un des plus grands musiciens de son temps et dont il faut dire un mot ici.

Guillaume Dufay : éléments de biographie

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Originaire de la région de Cambray, qui l’a vu naître autour de 1400, il y suivra l’enseignement des plus grands maîtres de musique du Duc de Bourgogne. La ville est alors dotée d’un centre de musique religieuse qui fournit des musiciens à la papauté romaine et, très jeune, Guillaume Dufay sera aussi choriste à la  cathédrale de Cambrai.

Quelques vingt ans plus tard, on le retrouvera en Italie et à Rimini, au service de la famille Malatesta. Après un court épisode en France, il retournera autour de 1430, en Italie où il se tiendra rien moins qu’à la cour pontificale, devenant ainsi le musicien des papes. Il léguera d’ailleurs des messes qui feront longtemps référence auprès des musiciens des siècles suivants. Il y restera plus de six années avant de servir à la cour du prestigieux musique_medievale_guillaume_dufay_gilles_de_binchois_moyen-age_tardifduc de Bourgogne, mais aussi à celle du duc  Louis Ier de Savoie.

(Guillaume Dufay et Gilles Binchois, enluminure tirée du manuscrit Le Champion des dames, de Martin XVe siècle). 

Durant cette longue carrière au service de la haute noblesse et des papes, l’auteur-compositeur, musicien et chanteur fusionnera le style français avec le style Italien, en les enrichissant encore d’apports anglais pour donner naissance à ce que l’on a appelé l’école franco-flamande, une école qui brillera pendant près de deux cents ans, et sera reconnu, notamment, pour son art polyphonique. Guillaume Dufay léguera, à la postérité, de nombreuses compositions liturgiques dont des messes et des motets (compositions à plusieurs voix et à capela, apparues dans le courant du XIIe siècle), mais également des compositions profanes, comme celle que nous vous proposons ici, et plus de quatre-vingt chansons qu’on peut lui attribuer avec certitude et qui on été toutes composées avant que ne débute sa carrière à la cour pontificale.

Manuscrit ancien : le codex Canonici 213

L’ouvrage dont est tirée la chanson et composition du jour est un manuscrit ancien, connu sous le nom  codex Canonici 213 et plus précisément : Manuscrit. Ms. Canonici misc. 213. Conservé à la bibliothèque Bodleian d’Oxford, il contient, essentiellement, des chants polyphoniques, religieux ou profanes provenant de la première partie du XVe siècle.

musique_medievale_chants_chansons_ancienne_guillaume_dufay_gilles_binchois_ecole_flamande_bourguignone

On y retrouve les compositions de 55 auteurs, principalement  de l’école bourguignonne et de l’école franco-flamande, tels que Gilles guillaume_dufay_musique_medievale_chansons_poesie_gilles_binchois_ecole_flamande_moyen-age_tardifBinchois (Gilles de Binche), Guillaume Dufay, mais aussi Arnold de Lantins et Hugo de Lantins.

On doit au musicologue et au critique John Stainer (1840-1901), d’avoir fait connaître ce manuscrit, à la fin du XIXe siècle en présentant et éditant plus de 50 de ces pièces. Sauf erreur de notre part et pour l’instant au moins, le manuscrit original, ne semble pas être consultable en ligne.

Les interprètes du jour : quand le monde médiéval conquiert New-York

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Fondé en 2005, Pegasus Early Music est un groupe événementiel spécialisé qui organise des concerts et fédère des artistes et des passionnés autour d’un répertoire musical, allant du moyen-âge à la période romantique.

Avec des visées de distribution autant que de sensibilisation, la fondation produit, depuis près de douze ans, plus de 400 concerts par an. Elle organise également divers événements et concours pour faire connaître et appuyer de jeunes talents dans le domaine des musiques anciennes. Pour vous donner un aperçu de leur philosophie et de leur vocation, voici ce qu’ils en disent eux-mêmes:

« Pour les musiciens qui se produisent dans nos concerts, la musique ancienne est une forme d’art vivant, avec sa tradition dynamique d’improvisation et d’innovation; Son esprit de collaboration intense; Son incroyable capacité à communiquer des instincts et des émotions humaines sophistiqués; Et l’intimité directe de son style musique de chambre. Nous sommes passionnément convaincus que la musique ancienne peut être pleine de sens dans le contexte de la société contemporaine, et nous voulons partager cela avec notre public. »     –   Pegasus Early Music

chanson_musique_medievale_moyen-age_tardif_guillaume_dufay_jose_lemos_contretenorLa majorité des concerts ayant lieu dans la région de New-York, sauf à être français (ou francophones) expatriés, le meilleur moyen de découvrir leur travail reste leur chaîne youtube sur laquelle ils partagent sans compter, avec de très belles prises de son, là encore, ou même leur site web que vous pourrez trouver ici : Pegasus Early Music.

Il faut souligner ici la prestation du célèbre Jose Lemos (portrait ci-contre), contre-ténor brésilien formé au Conservatoire de Musique de Nouvelle-Angleterre et à ce jour, mondialement reconnu et primé pour ses prestations dans des registres aussi divers que l’opéra et les musiques anciennes.


Les paroles de la chanson médiévale
de Guillaume Dufay

La belle se sied au pied de la tour,
Qui pleure et soupire et mène grand dolour.
Son père lui demande: fille qu’avez-vous
Volez-vous mari ou volez-vous seignour?

Je ne veuille mari, je ne veuille seignour,
Je veuille le mien ami qui pourrit en la tour.
Par Dieu ma belle fille alors ne l’aurez-vous
Car il sera pendu demain au point du jour.

Père si on le pend enfouyés moi dessous,
Ainsi diront les gens ce sont loyales amours.


En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Le Roy Engloys ou le roé anglais

troubadours_modernes_musique_medievale_renaissanceSujet : musique et chanson médiévales, Manuscrit ancien, manuscrit de Bayeux.
Titre de la chanson; le Roy Engloys
Période : Moyen Âge tardif, fin du XVe siècle.
Interprète : ensemble Obsidienne.
Album : « le jardin des délices »

Les richesses du manuscrit de Bayeux

D_lettrine_moyen_age_passionécidément, quand il est question d’histoire médiévale, la ville de Bayeux nous régale de bien des choses et pas seulement de la mythique tapisserie de soixante-dix mètres de long que  la reine Mathilde broda aux XIe siècle et qui conte l’histoire de la conquête de l’Angleterre par le Duc de Normandie, Guillaume le conquérant. Aujourd’hui, nous nous intéressons à un chanson_musique_medievale_manuscrit_bayeux_le_roi_anglaisrecueil de chansons datant du XVIe siècle et qui nous vient justement et encore de la ville de Bayeux qui l’a conservé un temps. De cela, nous pouvons déduire que Bayeux est une ville qui conserve, Gloire à elle et à ses habitants! Mais ne nous dispersons pas.

Sous la référence Français 9346, le manuscrit de Bayeux est un ouvrage de cent trois chansons datant donc du début de la renaissance mais compilant des chants et des musiques normandes et d’île de France, réputées écrites dans les cinquante à cent ans précédent leur recompilation par Charles de Bourbon (fin du XVe, début du XVIe siècle).

Entre amour courtois et d’autres chants plus belliqueux ou évocateurs, ou même chansons à boér « Bevons, ma commère », le manuscrit de Bayeux porte aussi la marque indélébile de la guerre de cent ans. Près d’un siècle après les faits, et même si nous sommes presque déjà à l’aube de la renaissance, ce manuscrit ancien peut donc être clairement rattaché au moyen-âge tardif. Avec la chanson « le roy Engloys » (le roi anglais), guerre_de_cent_ans_henri_V_le_roy_engloys_chanson_medievale_bayeuxque nous vous proposons, aujourd’hui, il est question de chanter la mort d’Henri V d’Angleterre  (portrait ci-contre datant  du XVIe siècle), tête couronnée portée aux nues par les anglais et par Shakespeare, mais honni alors du côté français, la sanglante bataille d’Azincourt n’y étant certainement pas étrangère. De fait, les contemporains du manuscrit de Bayeux n’avaient visiblement oublié ni les faits, ni les prétentions sur le trône du souverain anglais. Hormis quelques incohérences historiques dans le texte, qui semblent s’expliquer par le fait que cette chanson a été écrite longtemps après le trépas d’Henri V, il s’agit bien sûr ici de célébrer la victoire sur les anglais « boutés » hors de France. Ah! Les couez (couards), Mauldite en soit la trestoute lignyé ! Je plaisante, calmons-nous ! N’enfilez pas tout de suite vos cottes de maille, les amis, ces temps sont loin!

L’ensemble Obsidienne

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L’interprétation que nous vous proposons aujourd’hui  de cette chanson est tirée de l’album « Le Jardin des Délices » de l’ensemble Obsidienne. N’y cherchez pas par contre la voix de Patrick Bruel « Yalil Yalil Ya bibi Halil ». D’abord c’est un café des délices, lui, et pas un jardin donc il ne s’agit pas du tout de la même chose. En plus cela ne se passe, mais alors pas du tout au moyen-âge et d’ailleurs pas en France non plus, donc bon, pardonnez-moi mais il me semble que vous nagez un petit peu en pleine confusion quand même.

Pour revenir à des considérations plus sérieuses, Obsidienne est  un ensemble vocal et instrumental formé en 2009 et dont l’ambition affichée est de « faire vivre le répertoire du Moyen-âge et de la troubadours_modernes_musique_chanson_medievale_le_roi_anglais_manuscrit_bayeuxrenaissance;  simplement, avec naturel, en réconciliant l’art de l’interprétation avec celui de l’improvisation ». (sic).

Dirigé par le baryton, contre-ténor, musicien et instrumentiste, Emmanuel Bonnardot, l’ensemble ne se ferme aucune porte quand il s’agit de faire vivre son art, mêlant à sa musique, poésie, théâtre ou danse, et dit même faire appel aux oeuvres picturales des grands peintres du moyen-âge pour parfaire son travail de restitution historique, musical et artistique. Autre originalité de ces artistes et troubadours modernes qui ont mis leurs multiples talents au service de la recherche et l’interprétation des musiques anciennes, l’ensemble, qui comporte au complet plus de seize personnes, peut également se produire en formation plus réduite pour des représentations ou des concerts plus intimistes ou plus spécialisés. Pour plus d’informations sur leur actualité et leur discographie, n’hésitez pas à consulter leur site web ici.

Les paroles de la chanson « le Roi anglais »

Roy angloys chanson Manuscrit de Bayeux musique d'un Recueil de  Théodore Gérold 1921
Partition tirée de l’ouvrage « Le Manuscrit de Bayeux, Texte et musique d’un Recueil de Chansons du XVe siècle », Théodore Gérold, 1921.


Le Roy Engloys se faisoit appeler
Le Roy de France par sappellation.
Il a voulu hors du païs mener
Les bons François hors de leur nation.

Or il est mort à Sainct-Fiacre en Brye,
Du pays de France ils sont tous déboutez.
Il n’est plus mot de ces Engloys couez.
Mauldite en soit trestoute la lignye !

Ils ont chargé lartillerie sur mer,
Force biscuit et chascun ung bidon,
Et par la mer jusquen Bisquaye aller
Pour couronner leur petit roy Godon.

Mais leur effort n’est rien que moquerie :
Cappitaine Prégent lez a si bien frottez
Qu’ils ont esté terre et mer enfondrez.
Mauldite en soit trestoute la lignye !


Une excellente journée à tous!

Fred
pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval d’hier et d’aujourd’hui »