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Amors, tençon et bataille, une chanson lyrique médiévale de Chrétien de Troyes

chretien_de_troyes_chanson_medievale_amor_tenson_batailleSujet  : trouvère, langue d’oïl, vieux français, poésie, chanson médiévale,  lyrique courtoise
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur  :  Chrétien de Troyes  (1135-1185)
Titre  :  « Amors, tençon et bataille»
Interprète :  Ensemble Tre Fontane
Album
Musiques  à la Cour d’Aliénor d’Aquitaine
 (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons aujourd’hui au XIIe siècle vers les premières trouvères de la France médiévale et même vers l’un des plus célèbres d’entre eux bien qu’il doive sa renommée à d’autres talents qu’ à ses chansons lyriques. Eclipsé par le caractère « monumental » de ses romans arthuriens, on en oublierait presque, en effet, que Chrétien de Troyes  compte aussi parmi des premiers à avoir transposé les codes de la lyrique courtoise d’Oc dans cette langue d’Oïl qui allait donner naissance, à travers le temps, au français moderne (voir conférence de Richard Trachsler  pour mieux cerner cette notion de célébrité).

Il faut dire aussi que l’auteur du célèbre Conte de Graal, du Chevalier au Lion ou encore du Lancelot, chevalier de la charrette pour ne citer que ceux-là,  ne nous a pas laissé quantité de chansons et il demeure encore plus vrai que les quelques unes qu’on pensait devoir lui attribuer ont été longtemps sujettes à caution. Si on l’avait, en effet, crédité d’une demi dizaine de pièces, du côté des médiévistes et experts de ces questions, il semble qu’on soit enclin à ne désormais à n’en retenir que deux pour certaines.

On doit cette clarification aux analyses de la philologue et romaniste Marie-Claire Zai dans son ouvrage Les chansons courtoises de Chrétien de Troyes,  daté de 1974. Jusqu’à nouvel ordre et selon son expertise, il nous reste donc deux chansons lyriques de Chrétien de Troyes à nous mettre sous la dent: D’Amors, qui m’a tolu a moi, pièce sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus tard dans le temps, et celle du jour Amors, tençon et bataille.

Amors, tençon et bataille
dans les manuscrits anciens

On ne retrouve pas cette chanson de Chrétien dans quantité de manuscrits mais seulement dans deux d’entre eux.

L’un est conservé à la BnF. Il s’agit du MS Français 20050 (photo ci-dessous). Connu encore sous le nom de Chansonnier français de Saint-Germain des Prés, ce manuscrit, écrit à plusieurs mains, comprend 173 feuillets et on peut y trouver des chansons, romances et pastourelles du moyen-âge central. Il est daté du XIIIe siècle.

chrétien_de_troyes_poesie_medievale_amor_tenson_bataille_manuscrit_fr_20050_chansonnier_saint-germain-des-pres_moyen-age_480
Amors, tençon et bataille, de Chrétien de Troyes, MS Français 20050; Bnf, departement des Manuscrits.

Le second ouvrage est conservé en Suisse à la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne (Burgerbibliothek). Nomenclaturé Manuscrit  de Berne 389 (Cod 389) ou encore   Chansonnier Français C ou trouvère C.  Il est également daté du XIIIe siècle mais est largement plus étoffé que le précédent puisqu’il contient 249 feuillets. On y trouve des chansons de trouvères (anonymes ou attribuées) et il présente. en tout, la bagatelle de 524 pièces médiévales dont un grand nombre n’existe que dans cette source, c’est dire s’il est précieux. Vous pourrez chretien_de_troyes_poesie_lyrique_medievale_amour_tenson_bataille_manuscrit_ancien_bern_389_moyne-age_480trouver plus d’articles à son sujet ici.

La chanson médiévale de Chrétien de Troyes « Amors, tençon et bataille » dans le Manuscrit de Berne 389 ou chansonnier Français C

Par les miracles de la technologie moderne et surtout grâce à la conscience des grands conservateurs de ce monde, en l’occurrence ceux de notre chère  BnF et ceux de la bibliothèque de Bern, on peut trouver ces deux ouvrages en ligne aux liens suivants : le Manuscrit Français 20050 sur le site de la BnF  – le Chansonnier trouvère C sur le site e-codices.

 Amors,tençon et bataille, Chrétien de Troyes par l’Ensemble Tre fortuna

L’Ensemble Tre Fontane
A l’exploration de l’Art de « trobar »

Fondé en 1985 par trois musiciens français originaires d’Aquitaine, l’Ensemble médiéval Tre Fontane s’est donné pour objectif, dès sa création, d’explorer le répertoire des troubadours et trouveurs du Moyen-âge central. Chants sacrés, chansons profanes, depuis plus de 30 ans, la formation a continué sur sa lancée en proposant concerts, spectacles, animations mais aussi stages et ateliers.

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Au titre de sa longue carrière, Tre Fontane a produit près d’une douzaine d’albums sous différents labels :  contes du moyen-âge, art des jongleurs, chants de troubadours, …  Pour l’instant, on peut retrouver facilement en ligne quatre d’entre eux parmi les plus récents. L’un est dédié au troubadour Jaufre Rudel  (2011), un autre propose la découverte des chants de l’Andalousie et de l’Occitanie médiévales en collaboration avec le célèbre musicien espagnol Eduardo Paniaga et son ensemble (1998), un troisième celle du Codex cistercien de las Huelgas, monastère célèbre du Moyen-âge, sur la route de Compostelle (1997) et enfin un quatrième dont est tiré la pièce du jour.

Musiques  à la Cour d’Aliénor D’Aquitaine 

En 2007, l’Ensemble nous gratifiait donc d’un album très inspiré, ayant pour titre Musiques à la Cour D’Aliénor D’Aquitaine. On pouvait y retrouver 12 pièces représentatives de ce bouillonnement et de ce carrefour culturel qui tint place à la cour de cette grande dame du Moyen-âge. Et ce n’est sans doute pas par hasard que celle qui fut Reine de France et d’Angleterre. mais aussi la petite fille de Guillaume IX d’Aquitaine, le premier des troubadours, favorisa les rencontres entre les cultures de la France du Sud en Oc,  du Nord en Oïl mais encore avec celle de l’Angleterre médiévale. Cette dynamique se prolongera jusqu’à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor, dont Chrétien de Troyes fut contemporain et même encore deux générations plus tard, à travers le petit fils de cette dernière, Thibaut de Champagne.

chanson_medievale_trouvere_cour_aquitaine_moyen_age_ensemble_tre_FontaneAinsi, dans cet album, c’est un peu de ces trois influences culturelles que l’on retrouve : de Guillaume le troubadour à son arrière petit-fils Richard Coeur  de Lyon et sa célèbre complainte, en passante par Thibaut de champagne, l’incontournable Bernard de Ventadorn et encore d’autres noms célèbres, aux côtés de pièces non signées de ces XIIe et XIIIe siècles.  Cette production étant toujours édité, comme nous le disions plus haut, voici un lien utile pour en écouter des extraits ou l’acquérir au format CD ou MP3 :  Album Musiques a la cour d’Aliénor d’Aquitaine [Explicit]

Pour le reste, vous pouvez retrouver l’Ensemble Tre Fontane sur FB  ou sur  Myspace.


Amors, Tençon et Bataille
de Chrétien de Troyes

I.
Amors tençon et bataille
Vers son champion a prise,
Qui por li tant se travaille
Q’a desrainier sa franchise
A tote s’entente mise.
S’est droiz q’a merci li vaille,
Mais ele tant ne lo prise
Que de s’aïe li chaille.

II.
Qui qe por Amor m’asaille,
Senz loier et sanz faintise
Prez sui q’a l’estor m’en aille,
Qe bien ai la peine aprise.
Mais je criem q’en mon servise
Guerre et [aïne] li faille:
Ne quier estre en nule guise
Si frans q’en moi n’ait sa taille.

III.
Fols cuers legiers ne volages
Ne puet  d’amors rien aprendre.
Tels n’est pas li miens corages,
Qui sert senz merci atendre.
Ainz que m’i cudasse prendre,
Fu vers li durs et salvages;
Or me plaist, senz raison rendre,
K’en son prou soit mes damages.

IV.
Nuns, s’il n’est cortois et sages,
Ne puet d’Amors riens aprendre;
Mais tels en est li usages,
Dont nus ne se seit deffendre,
Q’ele vuet l’entree vandre.
Et quels en est li passages?
Raison li covient despandre
Et mettre mesure en gages.

V.
Molt m’a chier Amors vendue
S’anor et sa seignorie,
K’a l’entreie ai despendue
Mesure et raison guerpie.
Lor consalz ne lor aïe
Ne me soit jamais rendue!
Je lor fail de compaignie:
N’i aient nule atendue.

VI.
D’Amors ne sai nule issue,
Ne ja nus ne la me die!
Muër puet en ceste mue
Ma plume tote ma vie,
Mes cuers n’i muerat mie;
S’ai g’en celi m’atendue
Qe je dout qi ne m’ocie,
Ne por ceu cuers ne remue.

VII.
Se merciz ne m’en aïe
Et pitiez, qi est perdue,
Tart iert la guerre fenie
Que j’ai lonc tens maintenue!


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes

Littérature médiévale et amour courtois au Moyen-âge, une citation de Michel Zink

Sujet : citations, moyen-âge, littérature médiévale, Michel Zink, amour courtois, Delectatio morosa

Bonjour à tous,A_lettrine_moyen_age_passion

ujourd’hui, nous vous proposons une citation du médiéviste, philologue et académicien Michel Zink, qui, si elle déborde sans doute de son cadre médiéval, vient apporter de l’eau au moulin de la Delectatio Morosa et au fonctionnement du désir dans la lyrique courtoise  du Moyen-âge.

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« Le désir, par définition, est désir d’être assouvi, mais il sait aussi que l’assouvissement consacrera sa disparition comme désir. C’est pourquoi l’amour tend vers son assouvissement et en même temps le redoute, comme la mort du désir. Et c’est ainsi qu’il y a perpétuellement dans l’amour un conflit insoluble entre le désir et le désir du désir, entre l’amour et l’amour de l’amour. »

Littérature française du Moyen Âge, Michel Zink (PUF, 2014)

Pour retrouver tous nos articles sur l’Amour courtois au moyen-âge, suivez le lien.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Thibaut le Chansonnier, l’amour courtois d’un comte et roi-poète à la cour de Champagne, avec Jean Dufournet

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet : chansons, poésie médiévale, amour courtois, poésie lyrique, trouvère, vieux français, fine amor, lyrique courtoise.
Période : moyen-âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre
Programme : »Une vie, une Oeuvre, la chanson du Mal aimé » 
Intervenants : Jean Dufournet, Claude Mettra, France Culture (1989)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1989, Claude Mettra recevait sur France Culture, le médiéviste et romaniste Jean Dufournet dans le cadre de l’émission « Une vie, une oeuvre » dédiée tout entière à Thibaut IV de Champagne, roi de Navarre et grand poète courtois du XIIIe siècle.

thibaut_champagne_roi_de_navarre_poete_trouvere_amour_courtois_moyen-age_central« De touz maus n’est nus plesanz
Fors seulement cil d’amer,
Mès cil est douz et poignanz
Et deliteus a penser
Et tant set biau conforter,
Et de granz biens i a tanz
Que nus ne s’en doit oster. »
Thibaut de Champagne, Chanson

Nous avons déjà souligné, à plusieurs reprises, l’importance de la cour de Champagne, de son rayonnement culturel dans le courant du Moyen-âge central, en particulier des XIIe, XIIIe siècles. Son influence s’étendra au nord jusqu’à la Flandre et même l’Allemagne. Dans les pérégrinations des intervenants du jour, on croisera, au nombre des personnages ayant compté dans ces échanges culturels entre différentes provinces de la France médiévale, Aliénor d’Aquitaine, mais aussi plus près de la Champagne, l’incontournable  Gace Brûlé, aîné de Thibaut d’une génération et qui l’aura, à coup sûr, influencé, même s’il est difficile d’établir qu’ils se soient physiquement croisés.

Dans la lignée de ses pairs, le comte et roi-poète poursuivra ainsi, à son tour, la promotion et l’élévation de la fine amor et de ses codes  courtois en langue d’Oïl, pour la situer dans une quête d’absolu, qualifiée même de « religion » par Jean Dufournet.

Une invitation au décryptage de la fine amor
en compagnie d’un grand médiéviste

On fera ici, un large et salutaire détour pour  aborder, avec l’historien, les arcanes de l’amour courtois, ses principes, ses ressorts mais aussi  le  positionnement social  presque « subversif » de ses valeurs au sein du moyen-âge chrétien féodal.

jean_dufournet_medieviste_hitorien_romaniste_moyen-age_chanson_roland« Ce qui est paradoxal c’est que d’une part, la courtoisie développe la sociabilité, les rapports entre les gens, mais d’autre part, l’amour courtois tend à s’opposer, et au christianisme puisqu’il ne s’agit pas d’amour conjugal et au système féodal puisque, souvent, le poète ou le vassal est amoureux, ou prétend être amoureux, de la dame de son seigneur. Dans la mesure où la femme tend à vivre dans un univers particulier, éloignée de l’humanité quotidienne, les choses s’atténuent, mais il reste que les gens du moyen-âge ont bien senti cette difficulté et qu’en 1277, parmi les condamnations de l’évêque de Paris, Tempier, (Etienne Tempier 1210 -1279) il y avait la condamnation de la courtoisie et de l’art d’aimer d’André le Chapelain qui avait mis en forme tous les principes de cette courtoisie. »
Jean Dufournet. Extrait d’un entretien avec Claude Mettra.
Une vie, une oeuvre, Thibaut de Champagne. France Culture (1989).

A la lumière de la poésie et des chansons de Thibaut, on reviendra encore sur cette union des contraires, cette tension auquel nous invite constamment la lyrique courtoise, dont nous avons déjà parlé à diverses occasions (voir notamment A l’entrant d’esté de Blondel de Nesle, ou encore amour courtois et fine amor, le point avec trois experts)

deco_medievale_enluminures_trouvere_« La joie et la douleur, la folie et la sagesse, la crainte et l’espérance sont étroitement liées. Il n’est pas de douleur, sans joie, ni de joie sans douleur. c’est à dire qu’il faut passer par la douleur de la séparation, de l’absence, des épreuves pour atteindre à cette joie supérieure. Il y a tout un long apprentissage, une sorte d’ascèse à la fois poétique et religieuse pour parvenir à cet état et il faut abandonner les chemins réguliers de la raison, de la connaissance rationnelle, tomber dans une sorte de folie.  La pire folie pour les gens du moyen-âge c’est de ne pas aimer, et l’attitude la plus raisonnable c’est d’aimer à la folie. »
Jean Dufournet. (op cité, France Culture, 1989).

Un peu plus loin, le médiéviste rapprochera la quête du fine amant, de celles des aventures chevaleresques et des croisades ou même encore des pèlerinages pour en faire une quête qui garde en commun avec toutes les autres, la recherche constante d’une perfection, d’un dépouillement, d’une purification, vouée peut-être à ne jamais véritablement aboutir. Ainsi et selon lui, le Roman de la Rose ou  le Perceval et l’oeuvre de Chrétien de Troyes, entre autres exemples, ne seraient peut-être pas demeurées inachevés par hasard.

Enfin, dans ce tour d’horizon de la lyrique courtoise et de son influence, on évoquera, au passage,  le culte marial venu se greffer sur ses codes pour faire de la Vierge Marie, à la fois la dame idéale et la médiatrice privilégiée et miséricordieuse, passeuse d’âmes vers le monde d’après.

Claude Mettra, Jean Dufournet, France Culture (1989)

Pour conclure, on trouvera  dans cette rediffusion un lot de beaux extraits et d’heureuses lectures dans le vieux-français original du Comte de Champagne et Roi poète de Navarre et il faut rendre hommage à la grande qualité des questions de Claude Mettra, autant qu’aux comédiens qui l’entourent pour avoir su faire de ce programme un véritable moment d’exception.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« Retrowange Novelle » une chanson imprégnée de dévotion mariale et de lyrique courtoise par Jacques de Cambrai

moyen-age_culte_marial_lyrique_courtoise_trouveres_jacques_de_cambrai_rotrouenge_nouvelle_XIIIe_siecleSujet : trouvère, chanson médiévale, poésie médiévale, retrouange, culte marial, rotrouenge, lyrique courtoise, amour courtois, vieux français, langue d’oil
Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Jacques de Cambrai (1260-1290)
Titre : Retrowange Novelle
Interprètes : Ensemble Oliphant
Album :    Chansons pieusesJoie Fine  Medieval Pious Trouvère Songs (2006)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn continuant d’explorer la poésie et les chansons médiévales du côté du nord de la France, notre route croise aujourd’hui celle d’un trouvère du moyen-âge central du nom de Jacques de Cambrai  (orthographié encore Jaque, Jaikes ou Jacquemes). Il a laissé derrière lui douze pièces en tout et pour tout : sept chansons religieuses, vouées au culte marial, dont celle du jour, une pastourelle et encore quatre autres chansons d’amour courtois.

Eléments de biographie

Ils demeurent à peu près inexistants. D’après ses œuvres, on a pu déduire que le trouvère avait vécu vers la fin du XIIIe siècle et qu’il était en activité quelque part entre les années 1260 et 1290.

Etait-il jongleur ? Avait-il fait de l’art de trouver son métier ou n’était-ce qu’un clerc qui s’adonnait à cet exercice en dehors d’autres activités ? On ne le sait pas. Les plus pieuses de ses chansons font en tout cas état d’une véritable dévotion et de certaines connaissances théologiques sur ces sujets, même si la religion était loin de demeurer à cette période, l’apanage unique des clercs ou du personnel ecclésiastique ou épiscopal.

Manuscrit principal et mélodies

Du côté des manuscrits, on trouve la majeure partie de son oeuvre dans le Manuscrit de Berne MS 389, connu encore sous le nom de Chansonnier français C que nous avons déjà cité par le passé. Vous trouverez ci-dessous  la reproduction du feuillet sur lequel on peut trouver la chanson du jour (l’ouvrage est également consultable en ligne ici).

Jaque_de_cambrai_trouvere_chanson_poesie_medieval_lyrique_courtoise_trouvere_culte_marial_moyen-age_centralDu point de vue musical, Jacques de Cambrai a fait de nombreux  emprunts mélodiques à des trouvères l’ayant précédé ou qui lui étaient contemporains pour y greffer ses propres textes. C’est entre autre une des manières qui a permis de le situer un peu plus précisément dans le temps.

La chanson du jour fait partie de celles dont l’emprunt mélodique n’est pas sourcé ni certain, même il est difficile de se fier à l’absence de mentions explicites des manuscrits pour en déduire que notre trouvère en fut l’auteur. Six autres de ses chansons mariales ont, en effet, pris des mélodies existantes et identifiées pour modèle (entre autres chez Thibaut de Champagne, Gauthier d’Espinal, Raoul de Soissons, Gace Brûlé, etc…). De fait concernant cette « rotrouenge », certaines hypothèses penchent favorablement sur un emprunt de la part de Jacques de Cambrai à une autre chanson dont l’auteur est demeuré également anonyme et qui a pour titre « quand voi la flour novele » (Voir Songs of the Troubadours and Trouveres : An Anthology of Poems and Melodies, publié par Samuel N. Rosenberg, Margaret Switten, Gerard le Vot, Garland Publishing, 1998).

La « Rotrowange Novelle » de Jacques de Cambrai par l’Ensemble Oliphant


L’Ensemble Oliphant et les chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central

En 2006, les artistes d’origine finlandaise de l’Ensemble Oliphant sortaient un album sur le thème de la « joie fine » et des chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central.

On pouvait y retrouver 15 pièces :  Guillaume de Bethune, Adam de la Halle, Thibaut de Champagne et Aubertin d’Araines, s’y trouvaient aux côtés de cette rotrouenge « nouvelle » signée de Jacques de Cambrai. Le reste des compositions et chansons se partageaient entre neuf pièces musique_chanson_medievale_ensemble_oliphant_joie_fine_chanson_pieuse_jacques_de_cambrai_trouvere_Moyen-ageanonymes de cette même période.

Cet album d’intérêt est encore distribué. Il a entre autre mérite de proposer une sélection originale de chansons médiévales dont certaines sont assez peu connues et, en tout cas, peu fréquemment reprises. A toutes fins utiles, voici un lien sur lequel vous pourrez le découvrir ou l’acquérir au format MP3 ou au format CD : Ensemble Oliphant – Joie Fine – Chanson pieuses – Trouvère songs

La Retrowange novelle  de Jacques de Cambrai

Comme nous l’avons déjà mentionné ici,  à propos du culte marial au moyen-âge central, à un certain point, les thèmes de la lyrique courtoise, ses codes et les formes du sentiment amoureux que cette dernière mettait en exergue, ont été en quelque sorte repris et calqués par des clercs ou mêmes des ecclésiastiques pour les appliquer à la dévotion pour la Sainte (voir aussi article suivant). On retrouve à nouveau ce procédé chez Jacques de Cambrai et on lui reconnait même semble-t-il, d’avoir été l’un des derniers à l’utiliser sous cette forme chantée. (voir ici reprise de sources wikipédia par la Bnf sur cette question).

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Retrowange novelle
Dirai et bone et belle
De la virge pucelle,
Ke meire est et ancelle *(servante)
Celui ki de sa chair belle
Nos ait raicheteit.
Et ki trestous* (tous) nos apelle
A sa grant clairteit.

Je chanterai une chanson nouvelle
Bonne et belle
Sur la vierge pucelle
Qui est mère et servante
Celle qui avec sa belle chair
Nous a racheté
Et qui tous nous appelle
A sa grande clarté.

Ce nos dist Isaïe
En une profesie:
D’une verge delgie* (tige délicate),
De Jessé espanie,* (épanouie, ouverte) (1)
Istroit* (de issir, eissir : sortir, jaillir) flors per signorie
De tres grant biauteit.
Or est bien la profesie
Torneie a verteit.

C’est ce  que nous dit Esaïe
Dans sa prophétie :
D’une tige délicate
De Jessé épanouie,
Jaillirait une fleur noble 
D’une très grande beauté
Et cette prophétie 
s’est bien réalisée.

Celle verge delgie
Est la Virge Marie
La flor nos senefie
De ceu ne douteis mie,
Jhesucrist, ki la haichie* (2)
En la croix souffri;
Fut por rendre ceaus en vie
Ki ierent peri.

Cette tige délicate 
C’est la vierge Marie
Quant à la fleur, il s’agit,
De cela ne doutez pas,
De Jésus-Christ, qui les pires tourments (la  mort?) 
endura sur la croix,
Afin de faire revenir à la vie
ceux qui avaient péri.


(1) Livre d’Isaïe, chap XI, Is 11.1 « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine »

(2)  On ne trouve le mot « Haichie » dans le Dictionnaire Saint-Hilaire Vandaele où il est défini comme suit : « haichie (?), Sf, mort ». C’est une piste. En réalité, orthographié tel quel, de nombreux autres dictionnaires ne mentionnent pas ce mot. En revanche, on trouve à « Hachier » ou à « Haschier » beaucoup plus de définitions : tourments, tortures, supplices etc, qui pourraient parfaitement correspondre au contexte de la chanson de Jacques de Cambrai. Le Godefroy long pourrait même soutenir cette hypothèse puisqu’il nous indique (vol 4. page 441) que  « Haschies » au pluriel fait référence à la Passion du Christ. Le manuscrit référencé plus haut semble pourtant bien mentionner en toutes lettres gothiques : « Haichie ». Il peut s’agir d’une variante linguistique ou d’une erreur de copiste mais dans le contexte, cette définition pourrait faire autant sens, sinon plus que celle que le Saint-Hilaire est un des seuls à nous donner. 

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En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes