Sujet : rondeau, chanson, musique, médiévale, poésie médiévale, manuscrit de Bayeux Période : Moyen Âge tardif (XVe) Auteur : anonyme, Alain Chartier ? Titre : Triste plaisir et douloureuse joye Interprète : Ensemble La Maurache Album : Ambroise Paré et la Musique (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons au Moyen Âge tardif, à la découverte d’un rondeau tiré du Manuscrit de Bayeux. Au XVe siècle, cette chanson a connu d’autres versions que celle présentée ici et, jusqu’à nos jours, une variation de Gilles Binchois a même eu tendance à l’éclipser. Il faut donc rendre grâce à l’ensemble médiéval La Maurache pour s’être attaché à nous faire redécouvrir la pièce tirée du Ms de Bayeux.
Source médiévale : le Manuscrit de Bayeux
Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter quelques chansons du Manuscrit de Bayeux. Cet ouvrage du XVIe siècle, très coloré et plutôt bien conservé, est aussi connu sous la référence MsFrançais 9346 à la BnF où il est précieusement gardé. Il contient un peu plus de 100 compositions d’époque avec leur notation musicale (version d’époque consultable ici). Pour la version en graphie moderne du rondeau du jour, nous nous appuyons, quant à nous, sur les travaux de Thédore Gérold, daté de 1921 : Le manuscrit de bayeux, texte et musique d’un recueil de Chansons du XVe. Pour les musiciens, cetouvrage (qu’on trouve encore réédité) a l’avantage de fournir, en plus des textes du manuscrit médiéval, leurs partitions modernes.
La version de Gilles Binchois & Alain Chartier
Comme indiqué en introduction, il existe une version médiévale sensiblement différente de ce rondeau du Manuscrit de Bayeux. Composée par Gilles Binchois, sa mélodie diffère même de la pièce du jour. Si elle contient également le même refrain, « Triste plaisir et douloureuse joye, … », son texte varie aussi de nombreux points.
On peut retrouver cette version de Gilles de Binche dans le manuscrit médiéval MS Misc Canonici 213 de la librairie Bodléienne d’Oxford. Ce dernier est d’une datation antérieure à celui de Bayeux. Les vers sur lesquels s’est appuyé Gilles Binchois sont attribués à Alain Chartier (1385-1430). Cette chanson de Chartier, datée du XVe, connut même une popularité assez tardive puisqu’on la retrouve, jusque dans le courant du XVIe siècle, avec une mention dans le Pantagruel de Rabelais. Notons que dans la version du Manuscrit de Bayeux, l’auteur n’est pas mentionné et demeure anonyme.
Registre courtois pour une poésie absconse
Dans les deux cas, ce rondeau semble faire référence au registre courtois, même si le rapprochement peut paraître, de prime abord, un peu abstrait, du moins par rapport à d’autres poésies du genre : la dame n’y est pas citée, ni même complimentée, le texte s’étale sur des états émotifs sans en donner vraiment les causes, … Pourtant, si le poète ne fait pas l’effort d’être très clair, au point de basculer (assez tardivement pour son temps) dans un jeu poétique qui pourrait évoquer les trobar clus des XIIe/XIIIe siècles, les sentiments contradictoires qu’il exprime pourraient aisément être rattachés au registre de la fine amor : souffrance et joye, présence « d’envieux » ou de médisants qui veulent lui nuire. On sait que la courtoisie fait son nid dans les émotions contradictoires : plaisir et douleur, tension et relâchement, désir et frustration, distance et proximité. Cette référence tout de même un peu brouillée, à la courtoisie, est plus clair dans la version de Chartier.
Figures de style et oxymorons
Quoiqu’il en soit, les tensions émotionnelles donneront lieu ici à de très beaux oxymorons (ou oxymores) : « triste plaisir », « douloureuse joye », « Ris en plorant », « souvenir oublieux ». C’est aussi d’époque. Ces énoncés qui jouent sur les contradictions et les oppositions, sont un procédé assez prisé dans la poésie du XVe siècle. On les retrouve chez Charles d’Orléans (sous l’influence, sans doute, de Chartier) mais également chez François Villon qui en sera, lui aussi très friand (voir la ballade des contre-vérités, par exemple). D’autres poètes médiévaux suivront également et, même jusqu’à nous, un nombre important d’illustres auteurs modernes (Molière, La Fontaine, Corneille, Victor Hugo, Balzac, Baudelaire, Rimbaut, sans oublier le silence assourdissant de la Chute chez Albert Camus).
« Triste plaisir et douloureuse joye », Ensemble Médiéval La Maurache
L’Ensemble La Maurache : de l’art des trouvères du XIIe aux airs de cour du XVIIe siècle
l’Ensemble La Maurache a été fondé en 1978 par le compositeur, chanteur et musicien Julien Skowron. Ce multi-instrumentiste n’en était pas à son galop d’essai puisque on lui devait, depuis le début des années 60, la participation à un certain nombre d’autres formations de musiques médiévales et renaissantes. On se souvient notamment des Ménestriers qui avaient reçu, en leur temps, une belle reconnaissance de la presse et de la scène musicale.
Pendant plus d’une vingtaine d’années, La Maurache s’est concentrée sur un répertoire qui partait du Moyen Âge central et du XIIe siècle pour aller jusqu’à la musique du XVIIe siècle, sur des terrains à la fois religieux et profanes. Sous la houlette de son directeur qui a fêté, cette année, ses quatre-vingt printemps (et que nous saluons au passage), la formation a été très active jusqu’à l’année 2005. Depuis lors, elle ne semble plus s’être produire.
Album : Ambroise Paré et la Musique
Originellement, on trouvait l’interprétation de la pièce du jour par la Maurache dans un double album daté de 2005. L’opus était dédié très à propos aux musiques du temps de François Villon : « Le Paris de François Villon : Ballades au XVe siècle sous la direction de Julien Skowron. Nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir dans un futur article.
Pour revenir à l’album du jour, qui propose à nouveau ce rondeau du Manuscrit de Bayeux, il a pour titre Ambroise Paré et la Musique. Daté de 2012, comme son titre l’indique, c’est une compilation de pièces contemporaines de la vie de Ambroise Paré (1510-1590). On y découvre donc plutôt des musiques et chansons du XVIe siècle, plus « post-pléiades » que médiéval tardives. Sur les 17 pièces proposées, trois sont interprétées par l’ensemble la Maurache. A sa suite, on retrouve un bon nombre d’interprètes et formations : l’Ensemble Madrigal, l’Ensemble Bourscheid, Jean-Paul Lécot, Bernard Soustrot, François-Henri Houbart, … L’album est toujours disponible à la distribution au format MP3 ou Cd : Ambroise Paré et la Musique (Ambroise Paré Music Favorites)
Triste plaisir et douloureuse joye,
La version du manuscrit de Bayeux
Triste plaisir et douloureuse joye
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux. Ris en plorant, souvenir oublieux M’accompaignent, combien que seul je soye.
Se j’ay soulas* (joie, plaisir), d’aultre part je lermoye ; J’ay bon support, maiz danger d’envyeux. Triste plaisir et douloureuse joye, Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.
Je suis hermé (entouré, cerné?) de mensonge et de soye. L’ung me trahit ; l’aultre m’est cauteleux* (fourbe, rusé). D’estranges tours l’on joue en plusieurs lieux. Pompeux* (glorieux) je suis, mais l’on deffend la soye.
La rondeau de Alain Chartier
(version de Gilles Binchois)
Triste plaisir et douloureuse joye, Aspre doulceur, desconfort ennuieux, Ris en plorant, souvenir oublieux M’acompaignent, combien que seul je soye.
Embuchié sont, affin qu’on ne les voye Dedans mon cueur, en l’ombre de mes yeux. Triste plaisir et amoureuse joye !
C’est mon trésor, ma part et ma monoyé ; De quoy Dangier est sur moy envieux Bien le sera s’il me voit avoir mieulx Quant il a deuil de ce qu’Amour m’envoye. Triste plaisir et douloureuse joye.
Sujet : vaux de vire, chansons à boire, poésies satiriques, humour, vaudevire, Vire, Normandie. Période : Moyen Âge tardif, Renaissance Auteur : Jean le Houx (1550-1616), Ollivier Basselin (vers 1400-1450 ?) Sources : Vaux-de-Vire d’Olivier Basselin et Jean Le Houx, PL Jacob (1858). Les Vaudevires Olivier Basselin, Jean le Houx… et Vire, Yvon Davy, Association La Loure – Musiques et Traditions Orales de Normandie, 2017 (consulter en ligne – Lien alternatif téléchargement).
Bonjour à tous,
ans le courant du XVe siècle, en Normandie et plus précisément dans le Calvados, aurait vécu, en la cité de Vire, un poète du nom d’Olivier Basselin. Peu soucieux de chanter l’amour, l’homme aurait laissé, derrière lui, un legs fait d’odes à Bacchus et de chansons à boire, au point même d’avoir donné naissance et des lettres de noblesse à un genre local : le Vaux de Vire ou Vaudevire. Bien sûr, la Normandie ne l’avait pas attendu pour entonner ses premières chansons à boire même si certains auteurs du passé, en plus d’avoir fait de Basselin le créateur des premiers vaudevires, ont, quelquefois généralisé en cherchant à en faire le père des chansons à boire normandes.
Faits ou légendes
A partir de ce là, le médiéviste rigoureux, comme l’amateur d’histoire médiévale, s’efforceront de tout mettre au conditionnel. Dans les manuscrits du XVe siècle, contemporains de Basselin, on ne connait, en effet, aucune sources écrites de ses chansons. Ces dernières ne nous sont « parvenues » que par l’intermédiaire de Jean le Houx. Cet auteur, poète et avocat de Vire les fit éditer, près d’un siècle après la disparition supposée de Basselin. supposément après les avoir transcrites depuis la tradition orale. C’est, en tout cas, ce que l’on a pris pour argent comptant jusqu’au XVIIIe siècle et même un peu plus tard encore.
On en est revenu depuis pour plusieurs raisons que nous exposerons. L’une des premières tombe sous le sens. Plus de 65 chansons ayant traversé le temps, durant un siècle, pour survivre dans la tradition orale ? Même si l’on a admis d’emblée que Jean le Houx avait pu les arranger à sa sauce et les moderniser en terme langagier, cela parait tout de même beaucoup. Sur un tel corpus, il demeure tout de même étonnant qu’aucune pièce n’ait pu être retrouvées dans des manuscrits plus contemporains du XVe. Le Moyen Âge tardif n’est pas le XIIe siècle et un nombre conséquent de manuscrits de ce siècle nous sont parvenus. En dehors de cette absence d’écrits, d’autres raisons viennent encore s’ajouter. Nous les aborderons un peu plus loin mais intéressons-nous d’abord aux sources sur l’auteur lui-même, à défaut d’en trouver sur son oeuvre.
Sur l’existence factuelle d’un Ollivier Basselin ?
Une chanson dédiée à Olivier Basselin dans le Manuscrit de Bayeux ( Français 9346 ) BnF, département des manuscrits
D’un point de vue factuel, il semble tout à plausible qu’un dénommé Ollivier Basselin, originaire de Vire, ait existé dans le courant du XVe siècle. La mort d’une personnage portant son nom est même évoquée dans une chanson du Manuscrit de Bayeux (fr 9346) daté de la fin de ce même siècle (consulter sur Gallica), ainsi que dans d’autres sources de la même période. Cette chanson du Ms fr 9346 apporte du crédit au fait qu’un homme du nom d’Ollivier Basselin aurait été un joyeux buveur, doté d’une certaine notoriété locale. D’après ce texte toujours l’infortuné serait tombé de la main des anglais.
Hellas Ollivier Basselin N’orron point de vos nouvelles Vous ont les Engloys mys à fin.
Vous soulliés gayement chanter Et demener joyeuse vye Et les bons compaignons hanter Par le pays de Normendye.
Jusqu’à Sainct Lo, en Cotentin, En une compaignye moult belle Oncques ne vy tel pellerin.
Les Engloys ont faict desraison Aux compaignons du Vau de Vire, Vous n’orrez plus dire chanson A ceulx qui les soulloient bien dire.
Nous priron Dieu de bon cueur fin, Et la doulce Vierge Marie, Qu’il doint aux Engloys malle fin. Dieu le Père fi les mauldye
Quelques autres sources viendront renforcer cette réputation de joyeux drille de Basselin et son goût pour la boisson. Le personnage semble même s’être taillé une telle réputation dans la tradition qu’il en est devenu un « personnage » haut en couleurs et l’archétype local du buveur. C’est en tout cas ainsi qu’on le retrouve cité dans d’autres chansons de la fin du XVe et du XVIe siècle.
Pour le reste, quelques sources supplémentaires sérieuses mentionnent un Ollivier Basselin en 1405 taxé d’une amende et encore un autre, à 55 ans de là, en 1459. Au vue des dates, ce dernier qui était Maître des œuvres du Roi n’était certainement pas le même que le premier. Quant à d’autres sources sur ce patronyme, il a effectivement existé un Moulin Basselin ou Beusselin à Vire, même si son existence n’est attestée, dans les sources, qu’au milieu du XVIe siècle.
Pour d’autres auteurs plus tardifs, Basselin aurait aussi incarné une forme de résistance normande contre les anglais, dans la période troublée de la guerre de cent ans. Selon cette hypothèse, la compagnie entourant le personnage n’aurait donc pas été qu’une compagnie de buveurs. Alors, boit- sans-soef ou héros résistant ? L’histoire locale hésitera. Pourtant, là encore, si la chanson ci-dessus clame que les anglais ont mis fin à la vie de Basselin, ce qui pourrait peut-être établir une forme d’action résistante, il n’y a pas matière, dans ces quelques vers, sauf à verser dans le lyrisme, à en faire un chef de file et un meneur. Entre flou et certitude, voilà, en tout cas, le peu d’éléments que les faits nous apportent.
Un étrange « air de famille »
Plus d’un siècle après la vie supposée de Basselin, un autre auteur et poète du nom de Jean le Houx (1551-1616) éditait donc des « vaux de vire » du légendaire buveur. Il aurait consigné par écrit de larges restes de tradition orale qui auraient permis de faire parvenir jusqu’à lui les pièces de Basselin. Encore une fois, aucune trace écrite ne subsiste au XVe de chansons ou de poésies attribuées à Basselin ; quand Le Houx édite son ouvrage, nous sommes autour de 1576. Pour comble, l’histoire joue de malchance puisque les traces de son édition originale seront égarés dans un premier temps. Il faudra même attendre près d’un siècle de plus (1660-1670), pour qu’un nouvel éditeur de vire Jean de Cesne ne republie, à son tour, les vaudevires de Jean le Houx, accompagnés de ceux prêtés à Basselin.
Comme de nombreux auteurs du Moyen Âge, c’est dans le courant du XIXe siècle que le nom de Basselin resurgira pour donner lieu à de multiples publications. Auguste Asselin, politique et homme de lettres local, sera parmi les premiers à redonner aux vaux de vire et à l’auteur, de nouvelles lettres de noblesse en publiant en 1811, un grand recueil sur le sujet. Reprenant l’ouvrage de Jean de Cesne, il prendra acte, sans véritablement avoir le moyen de l’établir, ni de le vérifier, du fait que le Houx était bien l’éditeur de l’oeuvre de Basselin. Dans un XIXe siècle, qui s’enflamme pour l’histoire de ses régions, autant que pour leurs racines médiévales, de nombreux auteurs voudront croire en cette origine ancienne du Vaudevire, et en l’authenticité des pièces attribuées à Basselin.
Pourtant, dans ce même siècle friand de débats autant que de méthodologie, certains médiévistes viendront bientôt contester la paternité réelle de ces textes. Faits maigres, sources inexistantes, on fait aussi remarquer de troublantes similitudes de style entre les vaux de vire attribués à Basselin et ceux attribués à Jean Le Houx. Dans ces contradicteurs, on retrouvera notamment Eugène de Beaurepaire, historien chartiste et normand du XIXe siècle (voir Mémoire de la société des antiquaires de Normandie), ainsi que Armand Gasté, historien et homme de lettres, originaire de Vire (1875). A partir du Manuscrit de Caen Ms 0207(photo ci-dessus et ci-contre), les deux auteurs s’évertueront à démontrer que l’ouvrage est, en réalité, le manuscrit original de Jean le Houx. Pour eux, certaines ratures ne trompent pas, il s’agit bien de l’oeuvre tâtonnante d’un auteur qui cherche son style et non point d’un copiste qui retranscrit.
Jean le Houx n’a-t-il fait que moderniser les chansons à boire de Basselin comme on l’admettait déjà depuis plusieurs siècles ? A l’évidence, son langage est proche du français moderne et n’est déjà plus le moyen français du Moyen Âge tardif. A-t-il pu les créer ex nihilo, inspiré, peut-être, par un faisceau de tradition ou une rumeur plutôt que par de véritables sources orales ? Il les a, en tout cas, modelé à ce point à sa main qu’il y a même introduit des éléments autobiographiques.
Face à tant de brouillard et malgré le peu de sources d’époque venues plaider en faveur de l’authenticité des pièces, il fallut bien pourtant que les avis demeurent partagés. La polémique continua même, jusque dans le courant du XXe siècle, selon que l’on désirait vouloir insuffler la vie à cet auteur médiéval dans l’ouvrage de Jean le Houx ou lui ôter. Entre tradition orale, sources présentes mais imprécises, bon vivant et « héros » supposé d’une résistance locale contre l’angloys, la légende, était, il faut le dire, séduisante pour qui se cherchait un passé grandiloquent ou truculent. Sous l’égide d’une histoire partiellement éprise de ses traditions locales, on pourrait presque retrouver là, un peu de l’attachement de la Provence aux grandes envolées littéraires des vitas de ces troubadours. Les faits pourtant ou leur absence ne pardonnent guerre en histoire, et dans les vides qu’ils laissent, les plus sceptiques l’emportent souvent sur les rêveurs . Croire ou ne pas croire, la question se pose quelquefois, même en Histoire. On notera du reste que, dans des sources comme wikipédia ou même pour certains éditeurs, la vie d’Olivier Basselin et son oeuvre continuent d’être présentés comme des faits actés.
De Basselin à Le Houx, dans une complicité mêlée de cousinage local qui s’est nouée d’un siècle à l’autre, on verra sans doute plus l’hommage rendu que le fait littéraire historique authentique. Il en demeure, en tout cas, un genre, qu’on nomme le Vaudevire et qui s’épanche du côté de la satire légère, de l’humour de taverne et de la chanson à boire (à consommer, pour la substance, avec modération). Il en demeure quelques pièces drôles, plus renaissantes que médiévales dans leur langage et que nous partagerons ici, de temps à autre. En voici une première , dont on notera, au passage qu’elle sonne bien plus comme un chant antimilitariste que comme un chant résistant.
La guerre et le vin
Hardy comme un Cesar, je suis à ceste guerre Où l’on combat armé d’un grand pot et d’un verre. Plus tost un coup de vin me perce et m’entre au corps, Qu’un boulet qui cruel rend les gens si tost morts.
Le cliquetis que j’aime est celui des bouteilles, Les pipes, les bereaux (broc, tonneaux ?), pleins de liqueurs vermeilles, Ce sont mes gros canons qui battent sans failler La soif, qui est le fort que je veux assaillir.
Je trouve, quant à moy, que les gens sont bien bestes Qui ne se font plus tost au vin rompre les testes, Qu’aux coups de coutelas en cherchant du renom : Que leur chaut (de chaloir), estant morts, si l’on en parle ou non ?
De trop boire frappée, une teste en reschappe ; Sent bien un peu de mal, lorsque le vent la happe, Mais, quand on a dormy, le mal s’en va soudain A ces grands coups de Mars (Dieu de la guerre), tout remède y est vain.
Il vaut bien mieux cacher son nez dans un grand verre ; Il est mieux asseuré qu’en un casque de guerre. Pour cornette ou guidon, suivre plus tost on doit, Les branches d’hiere ou d’if qui monstrent où l’on boit (1).
Il vaut mieux, près beau feu, boire la muscadelle (cidre), Qu’aller sur un rempart faire la sentinelle. J’aime mieux n’estre point en taverne en defaut Que suivre un capitaine à la bresche, à l’assaut.
Neanmoins, tout excez je n’aime et ne procure ; Je suis beuveur de nom et non pas de nature. Bon vin qui nous fais rire et hanter nos amis, Je te tiendray tousjours ce que je t’ay promis.
(1) Selon PL Jacob cela pourrait être en allusion au Buis (burus, bouchon) qui aurait désigné les tavernes ou cabarets de village
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, rondeau, chants polyphoniques. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474) Titre : bon jour, bon mois. Interprète : Ensemble Unicorn Album : DUFAY, chansons (1995)
Bonjour à tous,
n cette fin de semaine de reprise, alors que les agapes du réveillon et leurs bulles semblent déjà bien loin, nous profitons d’être encore dans le temps des voeux pour publier une chanson médiévale d’un des musiciens et compositeurs les plus prisés du XVe siècle: Guillaume Dufay.
C’est donc un rondeau, une chanson de voeux pour célébrer la nouvelle année. Elle est tirée du manuscrit ancien référencé MS Canonici 213, précieux témoin de la musique de l’école franco-flamande et de l’école bourguignonne de la première moitié du XVe siècle, qui se trouve conservé à la Bodleian Library de Oxford.
Cinquante compositions du Moyen Âge retranscrites depuis le MS Canonici 213
S’il n’existe pas de version consultable en ligne de l’original du codex MS Canonici 213, les plus curieux d’entre vous mais aussi les musiciens qui nous suivent, désireux d’approcher dans le détail quelques partitions de Guillaume Dufay, seront heureux d’apprendre qu’une version du XIXe est tout de même disponible en ligne. Elle comprend une cinquantaine de partitions retranscrites depuis le manuscrit de la Bodleian Library. En voici le lien : Dufay and his contemporaries _ fifty compositions, Fac similé du Canonici 213 par Sir John Stainer et John Frederick Randall Stainer, 1898.
Bon jour, bon an, l’interprétation de l’ensemble Unicorn
Les chansons de Guillaume Dufay par l’ensemble Unicorn
La version que nous vous proposons aujourd’hui de cette pièce du Moyen Âge tardif est tirée d’un album de l’Ensemble Unicorn sorti en 1995 et dédié entièrement aux chansons de Guillaume Dufay. Nous l’avions déjà évoqué ici, on y trouve 17 pièces prises dans le registre « profane » de l’oeuvre du compositeur. Elles vont de l’amour courtois à des pièces plus festives, en passant par quelques pièces plus graves. L’album est toujours disponible à la vente en ligne au format CD ou même au format MP3 dématérialisé, sous le lien suivant : Dufay – Chansons – The Unicorn Ensemble.
(vous pouvez également cliquer sur la pochette ci-contre pour accéder au lien).
Bon jour, bon mois : les paroles
dans le verbe de Guillaume Dufay
Cette pièce en moyen-français soulève peu de difficultés de compréhension, mais nous vous fournissons tout de même quelques clés, à toutes fins utiles. Ajoutons que si « l’estraine » désignait un cadeau effectué au jour de l’an, et dont la tradition remontait aux romains, l’expression bonne estraine voulait aussi dire « bonne chance ». (petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire Van Daele). Au vue du contexte, c’est sans doute plutôt au cadeau que Guillaume Dufay faisait ici référence.
Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine Vous doinst* (donne) celuy qui tout tient en demaine (1) Richesse, honnour, sainté, joye sans fin, Bonne fame* (renommée), belle dame, bon vin, Pour maintenir la creature saine.
Apres vous doint qu’en joye on vous demaine* (conduise, tienne) Et lyesse* (joie) tantost* (aussitôt, sans attendre) on vous ameine; Ainsi pourrez avoir, soir et matin, Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine; Vous doinst celuy qui tout tient en demaine, Richesse, honnour, sainté, joye sans fin.
Et puis vous doint esperance certaine Sans tristesse, sans pensee villaine; Tous voz desirs acomplir de cueur fin. Sans contredit soyez en la parfin* (à la toute fin) Lassus* (là-haut) logee en gloire souveraine.
Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine Vous doinst celuy qui tout tient en demaine, Richesse, honnour, sainté, joye sans fin, Bonne fame, belle dame, bon vin, Pour maintenir la creature saine.
(1) demaine : de domaine, possession seigneuriale, en l’occurrence, il fait référence ici à Dieu. « Celui qui tient tout en ses possessions. »
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, motet, rondeau, chants polyphoniques. Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474) Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Interprète : ensemble Obsidienne. Album : le jardin des délices (2004)
Bonjour à tous,
oici, pour aujourd’hui, une nouvelle pièce du maître de musique du moyen-âge tardif (d’aucuns diront des débuts de la renaissance), Guillaume Dufay, Elle est interprétée par l’Ensemble Obsidienne, sous la direction d’Emmanuel Bonnardot.
Le Jardin des Délices, Obsidienne et le Manuscrit de Bayeux
Sorti en 2004, l’album le Jardin des Délices qui empruntait son titre au célèbre tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch, était dédié à des pièces tirées du manuscrit de Bayeux (lui-même daté des débuts du XVIe), ainsi qu’à des chansons et musiques de Guillaume Dufay et du compositeur franco-flamand Josqui Desprez. L’ensemble Obsidienne nous proposait donc ici de revisiter et de mettre à l’honneur le XVe siècle et on trouve dans ce Jardin des Délices un beau florilège de vingt-deux pièces, en provenance de cette période charnière entre le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance. Pour en faire le détail, cinq pièces sont de Guillaume Dufay, quatre de Josquin Desprez, le reste sont des compositions, anonymes pour la plupart, issues du Manuscrit de Bayeux.
En 2016, l’album a fait l’objet d’une réédition, au sein d’un double album ayant pour titre « Chansons de la Renaissance » et comprenant également le CD l’Amour de Moy proposant des pièces de la même période, dont un grand nombre encore issue du manuscrit ancien susnommé.
A propos de ce précieux héritage de la musique et des chansons normandes du XVe siècle qu’est le Manuscrit de Bayeux, (ou le MS Fr 9346) nous lui avions dédié un exposé détaillé dans un article précédent, aussi nous vous y renvoyons si vous souhaitez plus de détails : les richesses du manuscrit de Bayeux. Vous pouvez également le consulter directement en ligne sur le site de la BnF.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Les paroles du chant de Guillaume Dufay
C’est un poète et compositeur bien désespéré que nous présente cette pièce du jour et ce rondeau puisque nous le retrouvons, en effet, face à quelque revers de fortune et de fâcheuses inimitiés dont il se plaint ouvertement.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent* de liesse et de joye. (*exempt) Un seul confort ou prendre ne scayroye*,(*saurais) Ne scay comment me puisse maintenir.
Raison me nuist et me veut relenquir* (abandonner), Espoir me fault, en quel lieu que je soye: Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent de liesse et de joye.
Dechassiés* suy, ne me scay ou tenir, (pourchassé) Par Fortune*, qui si fort me gueroye; (le sort) Anemis sont ceus qu’amis je cuidoye*, (croyais) Et ce porter me convient et souffrir.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent de liesse et de joye. Un seul confort ou prendre ne scayroye, Ne scay comment me puisse maintenir.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.