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Heureux l’habitant d’un pays où règne justice et raison : un rondeau d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature,  auteur médiéval,  moyen-français, poésie , rondeau,  justice, raison, poésie courte
Période : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle
Auteur :   Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Eureux est homs de bon pais»
Ouvrage  :   Œuvres    complètes d’Eustache Deschamps, Tome  IX,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1893)

Bonjour à tous,

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ous revenons, aujourd’hui, au Moyen Âge tardif et à la fin du XIVe siècle, avec une poésie d’Eustache Deschamps. Cette fois-ci, pour changer un peu des nombreuses ballades que nous a léguée cet auteur médiéval, nous vous présentons un de ses rondeaux.

Dans l’édition du Marquis de  Queux de Saint-Hilaire (op cité),  le titre   « Heureux les habitants d’un pays où règne la justice » a été donné à cette courte pièce. C’est assez explicite ; il fait bon vivre dans un pays où règne justice et raison. Pour peu qu’il possède de quoi se nourrir, un toit ou même un lopin de terre, l’homme de bien n’aura plus qu’à y couler des jours heureux, en toute tranquillité.

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Faut-il ranger ce rondeau d’Eustache dans ses poésies sur le thème de l’éloge du contentement (voir Aurea Mediocritas) ? En vérité, on serait plutôt tenté d’y lire le constat ou l’appel de celui qui a connu les affres de la guerre de cent ans tout au long de sa vie. Dans de nombreuses ballades, il s’est aussi beaucoup plaint des exactions, abus et pillages menés à l’encontre des pauvres gens (ou même encore, occasionnellement, de ses propres terres). Nul doute qu’Eustache connait la grande valeur de la justice et de la raison pour la paix sociale et pour la félicité des habitants d’un pays ou d’un royaume. De ce rondeau jusqu’à l’actualité récente, l’expérience a d’ailleurs prouvé que ce minimum exigible n’est pas si facile à réunir.


Eureux est homs de bon pais
Ou il court justice et raison,
S’il a vivre, terre ou maison.

Mais qu’il ne soit de nul haït
Et face bien toute saison
Eureux est homs de bon pais !

De nul en sera envahis,
Se ce n’estoit par traison;
Car, puis qu’il ne fait desraison,
Eureux est homs de bon pais
Ou il court justice et raison,
S’il a vivre, terre ou maison.


NB : pour ce qui est de l’enluminure utilisée dans notre illustration, elle est tirée d’un livre d’heures italien daté de la fin du XVe siècle : le manuscrit médiéval  MS G14 actuellement conservé à la  Morgan Library de New York.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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« Triste plaisir et douloureuse joye », un rondeau médiéval du Manuscrit de Bayeux

manuscrit-de-bayeux-chansons-medievales-poesie-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet :  rondeau, chanson, musique, médiévale, poésie médiévale,  manuscrit de Bayeux
Période  : Moyen Âge tardif (XVe)
Auteur :  anonyme, Alain Chartier ?
Titre :   Triste plaisir et douloureuse joye
Interprète  : Ensemble La Maurache
Album :  Ambroise Paré et la Musique (2012)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons au Moyen Âge tardif, à la découverte d’un rondeau tiré du Manuscrit de Bayeux. Au XVe siècle, cette chanson a connu d’autres versions que celle présentée ici et, jusqu’à  nos jours, une variation de Gilles Binchois  a même eu tendance à l’éclipser. Il faut donc rendre grâce à l’ensemble  médiéval La Maurache pour s’être attaché à nous faire redécouvrir la pièce tirée du Ms de Bayeux.

Source  médiévale : le Manuscrit de Bayeux

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Nous avons déjà eu l’occasion de  vous présenter quelques chansons du Manuscrit de Bayeux. Cet ouvrage  du XVIe siècle,  très coloré et plutôt  bien conservé, est aussi connu sous la référence Ms   Français 9346 à la BnF où il est précieusement gardé.  Il contient  un peu plus de 100 compositions d’époque avec leur notation musicale (version d’époque consultable ici). Pour la version en graphie moderne du rondeau du jour,  nous nous appuyons, quant à nous, sur les travaux de Thédore Gérold, daté de 1921 :  Le manuscrit de bayeux, texte et musique d’un recueil de Chansons du XVe. Pour les musiciens, cet ouvrage (qu’on trouve encore réédité) a l’avantage de fournir, en plus des textes du manuscrit médiéval, leurs   partitions modernes. 

La version de Gilles  Binchois  & Alain Chartier

Comme indiqué en introduction, il existe une version médiévale sensiblement différente de ce rondeau du Manuscrit de Bayeux.   Composée par Gilles Binchois, sa mélodie diffère même de la pièce du jour. Si elle  contient également le même refrain, « Triste plaisir et douloureuse joye, … »,  son texte varie aussi de nombreux points.

On peut retrouver cette version de Gilles de Binche dans le manuscrit médiéval MS Misc Canonici 213 de la librairie Bodléienne d’Oxford. Ce dernier est d’une datation antérieure à celui de chanson-medievale-triste-plaisir-ms-canonici-213-gilles-binchois-alain-chartier-moyen-age_sBayeux. Les vers sur lesquels s’est appuyé Gilles Binchois sont attribués à Alain Chartier (1385-1430). Cette chanson de Chartier, datée du XVe, connut même une popularité assez tardive puisqu’on la retrouve, jusque dans le courant du XVIe siècle, avec une mention dans le Pantagruel de  Rabelais.  Notons que dans la version du Manuscrit de Bayeux, l’auteur n’est pas mentionné et demeure anonyme.

Registre courtois pour une poésie absconse

Dans les deux cas,  ce rondeau semble faire référence au registre courtois, même si le rapprochement peut paraître, de prime abord, un peu abstrait, du moins par rapport à d’autres poésies du genre :    la dame n’y est pas citée, ni même complimentée, le texte s’étale sur des états émotifs sans en donner vraiment  les causes, …  Pourtant,  si le poète ne fait pas l’effort d’être très clair, au point de basculer (assez tardivement pour son temps) dans  un jeu poétique qui pourrait évoquer  les  trobar clus des XIIe/XIIIe siècles,   les sentiments contradictoires qu’il exprime pourraient aisément être rattachés  au registre de la fine amor : souffrance et joye, présence « d’envieux » ou de médisants qui veulent lui nuire.  On sait  que la courtoisie fait son nid dans les émotions contradictoires :  plaisir et douleur, tension et relâchement, désir et frustration, distance et proximité. Cette référence tout de même un peu brouillée, à la courtoisie,  est plus clair dans la version de Chartier.

Figures de style et oxymorons

Quoiqu’il en soit, les tensions émotionnelles donneront lieu ici à de très beaux  oxymorons (ou oxymores) : « triste plaisir », « douloureuse joye », « Ris en plorant », « souvenir oublieux ». C’est aussi d’époque. Ces énoncés  qui jouent sur les contradictions et les oppositions,  sont un procédé assez prisé  dans la poésie du XVe siècle. On les retrouve chez Charles d’Orléans (sous l’influence, sans doute, de Chartier) mais  également chez François Villon qui en sera, lui aussi très friand (voir la ballade des contre-vérités, par exemple). D’autres poètes médiévaux suivront également et, même jusqu’à nous, un nombre important d’illustres auteurs modernes (Molière, La Fontaine, Corneille, Victor Hugo, Balzac, Baudelaire, Rimbaut, sans oublier  le  silence assourdissant de la Chute chez Albert Camus).

« Triste plaisir et douloureuse joye »,   Ensemble Médiéval La Maurache 

L’Ensemble La Maurache :   de l’art des trouvères du XIIe aux airs de cour du XVIIe siècle

l’Ensemble La Maurache a été fondé en  1978 par  le compositeur,  chanteur et musicien Julien Skowron.  Ce multi-instrumentiste n’en était pas à son galop d’essai puisque on lui devait,  depuis le début des années 60, la participation à un certain nombre d’autres formations de musiques médiévales et renaissantes. On se souvient notamment des Ménestriers qui avaient reçu, en leur temps, une belle reconnaissance   de la presse et de    la scène musicale.

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Pendant plus d’une vingtaine d’années, La Maurache s’est concentrée sur un répertoire qui partait du Moyen Âge central et du XIIe siècle  pour aller jusqu’à la musique du XVIIe siècle, sur des terrains à la fois religieux et profanes. Sous la houlette de son directeur  qui  a fêté, cette année, ses quatre-vingt printemps (et que nous saluons au passage), la formation a été très active jusqu’à l’année 2005.  Depuis lors,   elle ne semble plus s’être produire.

Album : Ambroise Paré et la Musique 

Originellement, on trouvait l’interprétation de la pièce du jour par la Maurache dans un double album daté de 2005. L’opus était dédié très à propos aux musiques du temps de François Villon« Le Paris de François Villon : Ballades au XVe siècle sous la direction de  Julien Skowron. Nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir  dans un futur article.

la-maurache-album-musique-medievale-renaissance-ambroise-pare-XVIe-XVe-pleiadePour revenir à l’album du jour, qui propose à nouveau ce rondeau du Manuscrit de Bayeux, il a pour titre   Ambroise Paré et la Musique. Daté de 2012, comme son titre l’indique, c’est une compilation de pièces contemporaines de  la vie de Ambroise Paré (1510-1590). On y découvre donc plutôt des musiques et chansons du XVIe siècle, plus « post-pléiades » que médiéval tardives. Sur les 17 pièces proposées, trois sont interprétées par l’ensemble la Maurache. A sa suite, on retrouve un bon nombre d’interprètes et formations : l’Ensemble Madrigal, l’Ensemble Bourscheid, Jean-Paul Lécot, Bernard Soustrot, François-Henri Houbart, … L’album est toujours disponible à  la distribution au format  MP3 ou Cd   : Ambroise Paré et la Musique (Ambroise Paré Music Favorites)


Triste plaisir et douloureuse joye,

La version du manuscrit de Bayeux

Triste plaisir et douloureuse joye
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’accompaignent, combien que seul je soye.

Se j’ay soulas* (joie, plaisir), d’aultre part je lermoye ;
J’ay bon support, maiz danger d’envyeux.
Triste plaisir et douloureuse joye,
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.

Je suis hermé (entouré, cerné?) de mensonge et de soye.
L’ung me trahit ; l’aultre m’est cauteleux* (fourbe, rusé).
D’estranges tours l’on joue en plusieurs lieux.
Pompeux* (glorieux) je suis, mais l’on deffend la soye.

La rondeau de Alain Chartier
(version de Gilles Binchois)

Triste plaisir et douloureuse joye,
Aspre doulceur, desconfort ennuieux,
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’acompaignent, combien que seul je soye.

Embuchié sont, affin qu’on ne les voye
Dedans mon cueur, en l’ombre de mes yeux.
Triste plaisir et amoureuse joye !

C’est mon trésor, ma part et ma monoyé ;
De quoy Dangier est sur moy envieux
Bien le sera s’il me voit avoir mieulx
Quant il a deuil de ce qu’Amour m’envoye.
Triste plaisir et douloureuse joye.


Découvrir d’autres chansons du ms de Bayeux :     le roy  engloys  –  La belle se sied

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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« Qui d’amours se plaint » au XIIIe siècle, fine amor et motet du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Qui d’amours se plaint,  Lux magna
Auteur :   
 Anonyme
Interprète :  Anonymous 4
Album :   
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century    (1993-94)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionelui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?

Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué,  peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet.  Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante   de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il  n’en serait pas digne et son  cœur ne serait pas assez grand.

La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales

Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde  médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.

deco_medievale_enluminures_trouvere_On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute :  le chevalier amoureux de la reine,  le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu,  le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec  la belle de son suzerain ou  qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.

A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le  sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial  cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur  vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs  ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.

 Aujourd’hui,  c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin.  Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles  de   Gaston Raynaud  (1881).

La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier

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Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier  H196    chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes  et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne).  La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise.  On verra que le poète  y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites,  il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.

« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4

Love’s Illusion ou le chansonnier    de Montpellier  par le quatuor féminin Anonymous 4

chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-ageNous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production  faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces  toutes issues   du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute,   Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles  a été réédité en   2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours   disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.

Membres de la formation Anonymous 4  :   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose


« Qui d’amours se plaint »  ,  paroles en vieux français et clés de vocabulaire

NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .   

Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama  (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra  (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra,  (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira   (se séparer,   s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Loyauté vueil tous jours maintenir » la courtoisie de Guillaume de Machaut à la façon de René Zosso

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson médiévale, virelai, maître de musique, chanson, amour courtois.
Titre  : Loyauté vueil tous jours maintenir
Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprète  : René Zosso
Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la Pléiade  (2005)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons, aujourd’hui, du côté des « trouvères »   ou même plutôt d’un maître de musique et compositeur   du  XIVe siècle.   Tribut sera fait au talent musical de Guillaume de Machaut et à sa maîtrise parfaite de la lyrique courtoise.

Loyauté vueil tous jours maintenir :
une chanson baladée courtoise

Cette  pièce se classe comme une chanson baladée monodique. Le poète y confirme sa loyauté et son amour envers sa dame. Las ! Rien n’est jamais simple en courtoisie. Elle se dérobe à lui, et privé de la voir, le poète   souffre et  se languit. Qu’importe. Dut-il en pâtir ou en mourir, il lui demeurera fidèle et patient, en se pliant  ainsi, rigoureusement, à l’exercice de la fin’amor et ses codes.  On n’en attendait pas moins de lui.

rene-zosso-musique-medievale-chanson-moyen-ageCôte interprétation, c’est René Zosso  qui nous la donnera a cappella. Loin des  versions  lyriques habituelles autour du répertoire médiéval, la voix enlevée et rugueuse du grand vielliste et chanteur suisse revisitera cette pièce avec une force et une énergie unique. C’est une de ses  signatures, celle qui a fait son succès et qui nous le fait autant apprécier.

Sources modernes  &    manuscrits anciens

Vous pourrez retrouver cette pièce retranscrite dans un grand nombre d’éditions des œuvres de Machaut. Depuis le XIXe  siècle, les  médiévistes et les  spécialistes de littérature du Moyen Âge, comme certains musicologues en ont produit des quantités. Pour l’occasion, nous avons opté pour  celle de Vladimir  Chichmaref  Guillaume de Machaut Poésies Lyriques – Edition complète en deux parties avec Introduction, Glossaire et Fac-similés  ( 1909).

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L’oeuvre de Guillaume de Machaut dans le manuscrit Français 1586 de la BnF

Du point de vue des sources anciennes, on trouvera cette pièce annotée musicalement dans l’ouvrage Français 1586 (photo ci-dessus), actuellement conservé au département  des manuscrits de la BnF (à consulter ici sur gallica). Daté du milieu du XIVe,  ce manuscrit médiéval qui contient l’œuvre de Guillaume de Machaut, est, à ce jour, un des plus ancien manuscrit illustré, connu, de l’auteur. On  suppose même que  le compositeur médiéval a pu participer ou suivre de près sa réalisation. C’est dire toute la valeur historique de ce  document.

Loyauté   vueil tous jours maintenir interprétée    par René Zosso


Anthologie de la chanson française :  naissance de la chanson française

Dans le courant du XXe siècle, on doit à  la maison EPM de s’être attaquée au vaste sujet de la chanson française avec l’idée d’en produire une anthologie.  Au sortir, la période couverte  part du Moyen Âge pour aller jusqu’aux années 80, pour une anthologie qui  se décline en un nombre important d’albums. Rangés par période, ces derniers peuvent même, à l’occasion, être catégorisés par thème :  chansons de métiers, chansons sur la condition féminine, etc…

L’objet déborde donc largement de notre strict propos (médiéval) et nous laisserons le soin aux éventuels intéressés par les divers coffrets d’effectuer des recherches adéquates. Nous nous arrêterons, quant à nous, à l’album du jour qui porte sur la naissance de la chanson française et qui a pour titre :  Anthologie de la chanson française :  des trouvères à la Pléiade. 

« Des trouvères à la Pléiade »,    l’album

musique-medievale-album-trouveres-chansons-francaises-anthologie-moyen-ageEn accord avec son titre, cet album prend l’histoire de la chanson  à partir des trouvères. Il   se  situe même plus vers le Moyen Âge tardif et la renaissance qu’au Moyen Âge central.

Du point de vue contenu, il est assez généreux avec   24  chansons présentées pour plus d’une heure dix d’écoute.   En plus de  certaines pièces anonymes du XIIIe siècle, on y trouvera quelques compositions de Thibaut de Champagne,   et côté XIVe siècle, la pièce de Machaut du jour.  Pour le reste, le XVe siècle et le XVIe y trouvent une place de choix avec du Clément Marot, du Ronsard,  ou encore un nombre important de chansons issues du  Manuscrit de Bayeux. Du point de vue de l’interprétation,  René Zosso  y est clairement à l’honneur avec pas moins de  5 pièces. On y  croise aussi,  avec plaisir, de nombreux autres chanteurs talentueux dont  Gabriel   YacoubMélane Favennec et même, de manière plus inattendue,  Pierre Perret.

Enregistré dans le courant de l’année 1996,  cet album a fait l’objet d’une réédition (repackaging)  courant 2005.   A ce  titre, on le trouve toujours disponible à la distribution en ligne au format CD ou même dématérialisé  : Anthologie de la chanson française – des trouvères à la Pléiade.


« Loyauté vueil tous jours maintenir »
Chanson baladée de Guillaume de Machaut

Loyauté vueil tous jours maintenir (1)
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire (douce, bonne, aimable).

Mon cuer y vueil et mon desir
Mettre sans retraire  (renoncer, reculer, faire retraite)
Ne ja ne m’en quier departir (veux séparer),
Ains vueil toudis faire
Son tres dous voloir sans repentir
Et li obeir
Comme amis, sans meffaire.
Loyauté.

Mais Amour fait mon cuer languir
Et si m’est contraire (contrarier, incommoder)
N’elle ne me daingne garir,
Ne je ne puis plaire
A la bele que j’aim et desir,
Qui à son plaisir
Me puet faire et deffaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir.

Las! si ne sçay que devenir
Ne quelle part traire, (ni de quel côté   tirer, aller)
Quant aler ne puis ne venir
Au tres dous repaire,
Où celle maint qui me fait morir,
Quant veoir n’oïr
Ne puis son dous viaire.
Loyauté vueil tous jours maintenir
Et de cuer servir
Ma dame debonnaire.

(1)  Pour faire le parallèle entre valeurs chevaleresque et courtoisie, il est intéressant de noter qu’une devise portant « C’est pour loiauté maintenir »  fut remarquée par Machaut à l’occasion d’un de ses voyages en Orient.  Selon ses vers, il la trouva utilisée  par une corporation de chevaliers chrétiens stationnés  en Nicosie (Chypre) : l’Ordre de l’épée. Peut-être l’a-t-il en partie reprise ici au compte de la fin’amor et en référence à cela.  

De toutes couleurs  espuré,
Et s’avoit en lettres d’or entour, 
Qui estoient faites à tour,
Disans, bien m’en doit souvenir : 
« C’est pour loiauté maintenir »
Car je l’ay mille fois veu
Sur les chevaliers et leu. »


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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