Archives par mot-clé : manuscrits médiévaux

Fable médiévale : Du renard piègé par un reflet de lune

Enluminure de Marie de France

Sujet  : fable médiévale, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale
Période : XIIe s, Moyen Âge central.
Titre : De vulpe et umbra lunae ou Dou Leu qi cuida de la Lune ce fust un fourmaige
Auteur Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  : Die Fabeln De Marie de France, Karl Warnke (1898)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons à la fin du XIIe siècle, avec l’étude des fables de Marie de France. Nous y suivrons les mésaventures tragiques d’un renard, ou même d’un loup dans certains manuscrits. Dans les deux cas, le récit et la morale ne changeront pas et la poétesse nous contera comment un reflet de lune piègera cruellement l’animal.

Comme on le verra, il ne sera pas question, ici, du reflet dans l’eau qui avait trompé le Narcisse de la mythologie, pas d’avantage que celui de la fable très connue du cerf se mirant dans l’eau. Le thème du jour est plutôt celui de la convoitise et de l’obstination à vouloir posséder plus que ce qu’on l’on doit, au risque de devenir « zinzin » (oui, c’est trivial, je l’admets), voire même de connaître le pire des sorts.

"Le renard et le reflet de la lune" Une fable de Marie de France avec enluminure

De vulpe et umbra lunae,
dans l’anglo-normand de Marie de France

D’un gupil dit ki une nuit
esteit alez en sun deduit.
Sur une mare trespassa.
Quant dedenz l’ewe reguarda,
l’umbre de la lune a veü ;
mes ne sot mie que ceo fu.
Puis a pense en sun curage
qu’il ot veü un grant furmage.
L’ewe comenga a laper ;
tres-bien quida en sun penser,
se l’ewe en la mare fust mendre,
que le furmage peüst bien prendre.

Tant en a beu que il creva,
lluec chaï, puis n’en leva.


Meint humme espeire, utre dreit
e utre ceo qu’il ne devereit,
a aver tutes ses volentez,
dunt puis est morz e afolez.

Du renard piégé par un reflet de lune
adapté en français actuel

D’un renard, on dit, qu’une nuit
Alors qu’il était de sortie
Il passa tout près d’une mare
.
En jetant, dans l’eau, un regard,
La lune ronde s’y reflétait
Mais il ne sut ce que c’était.
Puis, il pensa devant l’image
Qu’il s’agissait d’un grand fromage
.
Et lors, commença à laper
Etant certain en sa pensée
Qu’une fois l’eau en la mare basse
Sur la tomme, il ferait main basse.
Or, en boit tant et tant qu’il crève
Tombé raide, point ne s’en relève
.

Beaucoup espèrent plus de droits,
Et de choses que ne leur échoient
Voulant tous leurs désirs comblés
Les voilà morts et mortifiés
.


Esope aux origines de cette fable médiévale

Comme mentionné plus haut, suivant les manuscrits, on trouve un renard ou bien un loup comme triste héros de cette fable de Marie de France. Dans les deux cas, l’issue est identique. L’animal se trouve piégé par sa gloutonnerie et quand bien même il s’agit d’un goupil, sa ruse ne le sauve pas d’avantage qu’un loup. L’obstination à posséder rend aveugle. Elle peut même être meurtrière, nous dit la morale de cette fable.

Les deux chiens qui crèvent à force de boire
& le chien et le fromage

Bien avant la poétesse anglo-normande du Moyen Âge central, on retrouve les traces de cette fable chez Esope (reprise plus tard par le fabuliste Phèdre). Chez le grec du sixième siècle avant notre ère, la fable des deux chiens qui crèvent à force de boire et celle du chien et du fromage sont sans doute, celles qui ont inspiré Marie de France. Dans la première, deux chiens voient une peau, au fond de l’eau d’un fleuve (ou encore un morceau de chair). Pour atteindre le précieux butin, ils décident de faire descendre le niveau d’un point d’eau et boivent jusqu’à plus soif, au point de finir par y laisser la leur (de peau).

L’autre fable, similaire du point de vue de la thématique — reflet, illusion, et convoitise — est celle du chien et du fromage qu’on trouve chez Esope mais qui sera également, reprise par Marie de France sous le titre « Dou chien et dou formage« . Elle raconte l’histoire d’un chien passant sur un pont, avec un fromage dans sa gueule. Voyant le reflet de ce dernier dans l’eau, l’animal se fourvoie et pense pouvoir obtenir, là, un deuxième fromage. Hélas, il lâchera la proie pour l’ombre et son avidité lui fera perdre son fromage bien réel et le reflet de celui-ci, au fond des eaux. Le chien, le loup et le renard se trouvent donc tous logés à la même enseigne.

NB : sur le thème du reflet dans l’eau mais, cette fois, avec un angle plus narcissique, on trouvera encore chez Marie de France, la fable du cerf se mirant dans l’eau et tombant en pamoison devant la beauté de ses bois.

Chez Jean de La fontaine

En faisant un bond en avant dans le temps, on retrouvera deux fables du célèbre Jean de La Fontaine sur les thèmes précédemment évoqués : les deux chiens et l’âne mort et encore Le loup et le renard.

Les deux chiens et l’âne mort

Dans la première, les deux chiens et l’âne mort, deux mâtins voyant le cadavre d’un âne flottant dans l’onde, décident de boire toute l’eau de la rivière, pour le récupérer :
« Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine. »

Et la morale de déclamer, dans le style toujours très enlevé du fabuliste du XVIIe siècle :
Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudrait quatre corps ; encor loin d’y suffire
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu’un seul désire.

Le loup et le renard

La deuxième fable de Lafontaine sur le thème du reflet de la lune dans l’eau est « le loup et le renard« . Elle emprunte à la fois au chien et au fromage d’Esope mais aussi à une autre fable de l’écrivain grec : le renard et le bouc dans laquelle un renard et un bouc assoiffés se retrouvent pris au piège au fond d’un puits. Le goupil sollicitera l’appui du bouc pour l’aider à sortir, et une fois dehors, laissera le mammifère caprin à son triste sort.

Dans le récit de La Fontaine du loup et du renard, le goupil sera sauvé, cette fois-ci, par sa malice. Ayant succombé à l’illusion du reflet de lune au fond d’un puits et l’ayant pris pour un fromage, il y descendra dans un premier temps :

Voici pourtant un cas où tout l’honneur échut
A l’hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d’un puits : l’orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :
Notre renard, pressé par une faim canine,
S’accommode en celui qu’au haut de la machine
L’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine

S’apercevant bientôt de son illusion, il finira par pigeonner un loup de passage. Utilisant le même reflet de lune au dépens de ce dernier pour lui vendre un fromage, le goupil pourra se sortir de ce mauvais-pas par la ruse, en y plongeant son confrère prédateur. La morale restera une leçon sur notre propre capacité à nous illusionner sur nos propres désirs en les prenant, quelquefois, pour des réalités.

… »Descendez dans un seau que j’ai là mis exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il pût il ajustât l’histoire,
Le loup fut un sot de le croire ;
Il descend, et son poids emportant l’autre part,
Reguinde en haut maître renard.
Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu’il craint et ce qu’il désire.


Une enluminure créée de toutes pièces
pour l’occasion de cette fable médiévale

Enluminure d'un Renard - Bestiaire médiéval MS 3401, Bibliothèque Sainte Geneviève.


Notez que l’image ayant servi à l’en-tête de cet article, ainsi qu’à l’illustration (plus haut) est une création de toutes pièces à partir d’enluminures provenant de divers manuscrits. En voici le détail :

Le fond, l’eau et le paysage proviennent du Lancelot en Prose de Robert Boron, soit le MS Français 113 (XVe siècle) de la BnF, mais aussi de la « compilation arthurienne de Micheau Gonnot, référencé MS Français 112.3 (XVe siècle). Le renard, du deuxième plan, est tiré du manuscrit médiéval Français 616. Conservé lui aussi à la BnF, ce superbe ouvrage ancien contient Le Livre de Chasse de Gaston Phébus ainsi que Les Déduits de la chasse de Gace de La Buigne. Il est, quant à lui, daté du XIVe siècle. Enfin, le renard au premier plan (enluminure également ci-contre) est issu d’un ouvrage plus récent. Il s’agit d’un superbe bestiaire référencé Ms 3401 et actuellement conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. C’est l’enluminure la plus tardive de toute notre illustration. Elle provient du XVIe siècle (voir ce manuscrit en ligne). Tous les autres manuscrits sont consultables sur gallica.bnf.fr. Quant à la provenance de la lune et de son reflet, nous en garderons le secret pour lui préserver ses mystères.

En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Expo-conférence : Des femmes et des sorcières au kbr Museum

Actualité du KBR

Sujet : conférences, exposition, manuscrits médiévaux, ducs de Bourgogne, enluminures, Belgique médiévale, représentations médiévales, sorcières.
Période : Moyen Âge central à tardif
Expo-conférence : Sorcières avant la lettre
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles, Belgique
Dates : du 26 octobre au 24 avril 2022

Bonjour à tous,

ous vous avons déjà parlé, ici, du KBR Museum de Bruxelles et de sa belle collection de manuscrits médiévaux de la Bibliothèque des Ducs de Bourgogne (voir article sur le Brussels Renaissance Festival).
Depuis un mois et jusqu’au 24 avril 2022, la prestigieuse institution belge (connue, par le passé, sous le nom de Bibliothèque Royale), a décidé de présenter au public une nouvelle série d’ouvrages de cette collection, le tout enrichie de conférences.

Des sorcières au Moyen Âge ?

Avec pour titre « Sorcières avant la lettre » le thème choisi est de ceux qui fascinent. Il interpelle particulièrement quand on sait que la période ciblée, pour cette exposition, est celle des manuscrits, soit le XVe siècle et le Moyen Âge tardif. Or, nous le savons bien aujourd’hui, l’idée de sorcières et de bûchers à perte de vue, durant les temps médiévaux, est tout simplement fausse même si ce préjugé a la vie dure. S’il perdure même encore dans l’esprit du grand public, la réalité est tout autre. Historiquement, la chasse aux sorcières et la plupart des faits et légendes autour de ce personnage féminin emblématique sont plus tardifs ; les terribles procès et exécutions ont, notamment, connu leur acmé au XVIe et même au XVIIe siècle.

Si le thème de la sorcière tel qu’on se le représente le plus souvent n’est pas médiéval, le cycle expo-conférence du KBR Museum entend, comme son nom l’indique, interroger sa présence à l’aube de sa cristallisation. Il sera donc question de remettre les pendules à l’heure, tout en cherchant à amener une idée plus objective de la femme et son statut dans la Belgique et la Bourgogne du Moyen Âge tardif. Des réalités quotidiennes aux représentations les plus imaginaires, les 30 manuscrits sélectionnés et leurs enluminures permettront d’approcher cet ensemble de représentations complexes. Au passage, le public découvrira d’étonnantes incarnations, fantastiques et surnaturelles, que la femme a pu endosser à la fin du Moyen Âge. Sur les aspects religieux, on ne pourra, non plus, éviter l’image de la Vierge et l’importance du culte marial.

Enluminure médiévale sur l'image de la femme
Enluminure du ms 9228 – Legenda aurea (VF), J. de Voragine. trad J. de Vignay, KBR Museum

Programme des conférences

Dans la continuité de l’exposition, les conférences permettront d’approfondir le thème en interrogeant elles-aussi le (ou les) statut(s) de la femme et de la sorcière au Moyen Âge tardif.

Conférences en langue française

Samedi 27 nov. 11h00 – KBR auditorium
Féminismes & sorcières : histoire d’une idylle et d’une exposition, Valérie Piette et Nathalie Lévy (commissaires de l’exposition « Witches! »)

Samedi 11 déc. 11h00 – KBR auditorium
La construction de l’image de la sorcière au Moyen Âge,
Maxime Gelly-Perbellini (EHESS et ULB)

Samedi 18 déc. 11h00 – KBR auditorium
La « chasse aux sorcières » à l’écran : entre discours féministes et antiféministes, François Dubuisson (ULB)

Samedi 15 jan. 11h00 – KBR auditorium
Christine & the Bitches… La querelle des femmes au XVe s, Tania Van Hemelryck (UCLouvain)

Conférences en langue flamande

Samedi 4 déc. 11h00 – KBR auditorium
Heksen, horror en hoeren? Over de werkelijkheid achter de verhalen van vrouwen in de « donkere middeleeuwen » Jelle Haemers (KU Leuven)

Samedi 29 jan. 11h00 – KBR auditorium
Vrije/Vrijende vrouwen in de Zuidelijke Nederlanden, Jonas Roelens (UGent)

Pour toute information et réservations sur l’expo ou les conférences, consulter la page de l’exposition sur le site du KBR Museum.

Enluminure médiévale sur des femmes sirènes, ms 9242
L’Enluminure de Bavon de Phrygie, dans le ms 9242 – Volume 1 des Chroniques de Hainaut

« Witches » : les sorcières à travers les âges

Ce cycle qui aborde le statut de la sorcière au Moyen Âge tardif, entre représentations et réalités, est réalisé en partenariat entre le KBR Museum et l’ ULB Culture. Il est avantageusement complété par une grande exposition intitulée « Witches » et proposée à l’Espace Vanderborght de Bruxelles (50, Rue de l’Ecuyer).

Sabbat, Albert Joseph Penot. 1910 (détail)

Du 27 octobre 2021 au 16 janvier 2022, cette exposition unique se propose de vous faire découvrir les sorcières à travers les âges, au moyen de 400 documents de toute nature. On y trouvera une large sélection qui va d’œuvres d’art à des documents d’archives, en allant jusqu’à des objets ethnographiques et extraits de films. Amateurs de Moyen Âge et de sorcières à tous les étages, la chose est claire : entre conférences, beaux manuscrits et grande exposition, vous avez désormais trois excellentes raisons de vous rendre à Bruxelles dans les mois qui viennent.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Sur les bûchers au Moyen Âge voir La Légende noire de l’Inquisition.
Sur une femme surnaturelle, voir Odes à Mélusine, fée Bâtisseuse.

NB : l’enluminure en tête d’article est tiré du ms 9242 conservé au KBR Museum et daté du XVe siècle. Ce somptueux manuscrit médiéval de la Bibliothèque des Ducs de Bourgogne (à consulter en ligne ici) est le tome 1 des Chroniques de Hainaut. Ecrites en latin par Jacques de Guise et traduites en langue d’oïl par Jean Wauquelin, ces dernières content sur 3 volumes l’histoire du Comté de Hainaut jusqu’à la fin du XIVᵉ siècle. Les enluminures de ces trois manuscrits anciens sont réalisées par Roger de Le Pasture. Celle du jour représente les déboires de Bavon de Phrygie, fondateur du royaume des Belges, qui ayant pris la mer avec les rescapés pour échapper à la déroute de Troyes, voit son embarcation assaillie par deux monstrueuses sirènes.

Lancement du Brussels Renaissance Festival au KBR Museum de Bruxelles

Sujet : festival médiéval, conférences, ateliers, exposition, manuscrits anciens, ducs de Bourgogne, enluminures, miniatures, Belgique médiévale
Période : Moyen Âge central à tardif
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles. Belgique
Dates : du 19 juin au 11 juillet 2021

Bonjour à tous,

ur un agenda brûlant d’actualité, le KBR Museum de Bruxelles a réglé son horloge temporelle sur le moyen âge tardif et la renaissance et se propose de vous entraîner à la découverte de la Librairie des Ducs de Bourgogne et de la Belgique médiévale.

A partir du XIVe siècle, la belle capitale belge était, en effet, à la main de la très puissante maison bourguignonne. La bibliothèque nationale a ainsi hérité d’un riche patrimoine d’époque et de manuscrits anciens qu’elle se propose d’exposer aux yeux du public pendant près d’un mois. Avant de parler du riche programme de ce Festival, disons un mot du KBR Museum pour ceux qui ne le connaîtrait pas.

Le KBR Museum de Bruxelles

On connaissait auparavant, cette belle et digne dame, amoureuse d’Histoire et de culture, sous le nom de Bibliothèque Royale de Belgique. Fondée officiellement dans la première partie du XIXe siècle, en 1837, sa prédécesseure avait hérité, dès le XVe siècle, d’un fonds impressionnant de 900 manuscrits en provenance des Ducs de Bourgogne, fonds lui-même cédé à la capitale Belge en 1803.

restauration de manuscrits anciens au KBR Museum

Loin de l’archive bourguignonne des origines, le KBR Museum compte, de nos jours, pas moins de 7 millions de documents : cette archive monumentale est en évolution constante. Elle est conservée précieusement par des férus d’histoire et de patrimoine, de grands passionnés qui ont décidé de faire de la conservation, mais aussi de la transmission, leur métier.

Aujourd’hui, le KBR Muséum est donc un peu l’équivalent belge de notre BnF : une institution ayant pour mission de conserver, restaurer et proposer à la consultation, un patrimoine documentaire, culturel, scientifique, historique et pluridisciplinaire d’une valeur inestimable. Quant à son appellation, ce n’est qu’en 2019 que la Bibliothèque Royale de Belgique fut rebaptisée ainsi. La notion de Museum ouvre un peu plus sur sa vocation de conversation et d’exposition. Quant au sigle KBR, il est la marque de la double appartenance flamande et wallonne de la Belgique puisque c’est le résultat de la contraction de Koninklijke Bibliotheek (Bibliothèque royale en flamand) et Bibliothèque Royale (en Français donc) : K (Koninklijke) et R (Royale) avec un seul B central pour signifier le mot Bibliothèque/Bibliotheek. En somme, une modernisation de son nom qui s’inscrit dans la continuité historique.

Brussels Renaissance Festival, le programme

Anciennement nommé le Festival Carolus V, l’événement a lui aussi été rebaptisé. Désormais, il porte l’appellation de Brussels Renaissance Festival. Son nom s’anglicanise aussi à l’occasion de cette nouvelle édition 2021, sans doute pour mieux consacrer l’ouverture sur le monde de la capitale européenne. C’est d’ailleurs visit.brussels qui l’organise en partenariat avec le musée. Cette grande agence du tourisme et de la culture de la Région de Bruxelles a pour vocation de promouvoir la capitale intra muros mais aussi, bien au delà, auprès de l’ensemble des populations européennes.

Exposition de manuscrits médiévaux des Ducs de Bourgogne

Exposition de la Librairie des Ducs de Bourgogne

Du 19 juin au 11 juillet 2021, l’événement vous propose de découvrir de vos propres yeux, ce véritable joyau historique qu’est la librairie des Ducs de Bourgogne. Cette collection unique, engagée au milieu du XIVe siècle par Philippe le Hardi et scellée à la fin du XVe par la mort de Charles le Téméraire, contenait alors 900 manuscrits. La Bibliothèque Royale en conserve, de nos jours, un tiers. Ce fonds médiéval qui n’avait rien à envier, en son temps, avec ceux des plus belles bibliothèques d’Europe, touche toutes les thématiques et on y trouve aussi des trésors d’illustrations par les plus grands enlumineurs du Moyen Âge tardif.

Conférences & ateliers : dans les pas des peintres et des enlumineurs flamands

Brussels Renaissance Festival, affiche du festival

Pour compléter la découverte de ces manuscrits médiévaux, le KBR vous propose une véritable initiation aux arts de l’enluminure et des miniatures au Moyen Âge tardif, à travers conférences et ateliers.

Ainsi le 11 juillet, Véronique Bücken, chef de section aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, vous proposera de mettre en miroir art des enlumineurs et peintures dans les Pays-Bas bourguignons des XVe, XVIe siècles. Ce sera aussi l’occasion de partir à la découverte de l’univers des fabuleux peintres flamands de la fin du Moyen Âge et des débuts de la Renaissance. Le 27 juin, Les flamandophones pourront, quant à eux, assister à une conférence de Till-Holger Borchert sur la peinture sur parchemin, de Jan van Eyck à Simon Bening.

Pour découvrir plus en profondeur cette période et son art autour des manuscrits, rien de tel que mettre la main à la pâte. Deux ateliers du festival vous y inviteront. Le premier aura lieu le 29 juin. Il consistera en une initiation à la calligraphie, plume à la main. Ce sera le moment d’éprouver vos talents et de savoir quel copiste vous auriez pu être aux temps médiévaux. Le second atelier, en date du 1er juillet, vous invitera à la peinture aux pigments. Après la calligraphie, ce sera donc le temps de la mise en couleur. Vous y apprendrez à manipuler, mélanger et fixer vos pigments, avant de les appliquer sur des modèles de miniatures ou d’enluminures.

Initiation à la gastronomie médiévale

gastronomie médiévale, manuscrit ancien le Mesnagier de Paris
Le Mesnagier de Paris, ms. 10310-11 KBR Museum Bruxelles

Du côté de la mise en pratique, le festival complétera son offre, en conviant ceux qui le souhaitent, à un détour gastronomique par le nouveau restaurant du musée. En fait de participation active, il s’agira là de mettre les pieds sous la table et de se laisser choyer par le chef de la Maison Albert, Filip Fransen et sa brigade. Ils vous proposeront, pour l’occasion, une carte aux accents médiévaux directement inspirée du « Mesnagier de Paris », célèbre traité ménager de la fin du XIVe siècle qui contient, entre autre chose, des recettes de cuisine. Que les frileux, s’il en est, tentés de bouder cette offre gastronomique venue du passé, soient ici rassurés : la carte moderne habituelle coexistera avec cette offre médiévale « spécial festival ».

Pour clore ce vaste programme, gageons qu’on ne se déplacera, certainement pas au musée sans visiter l’ensemble de l’institution. Le cas échéant, de nombreuses formules de visites thématiques y sont proposées. Pour plus d’informations et tous détails utiles, vous pouvez retrouver le programme détaillé du Festival sur le site du musée.


Découvrir le KBR Museum autrement

Buste Duc de Bourgogne, KBR Museum

Pour ceux qui n’auraient pas la chance de se déplacer physiquement à Bruxelles, à l’occasion de cet événement, nous vous recommandons tout de même de prendre un instant pour consulter le site officiel du KBR Museum. Vous y trouverez une bibliothéque numérique riche de nombreux documents et manuscrits anciens, entre lesquels une partie de la librairie de Ducs de Bourgogne, des croquis incroyables de Pieter Bruegel et, pour nos amis mélomanes, des partitions de musique ancienne et classique datées du XIXe siècle. Cette liste est loin de résumer l’intérêt du site. Entre autre contenu, l’institution vous invitera également à flâner dans ses couloirs et ses expositions à travers une sympathique visite virtuelle.

Pour clore cet article, si vous hésitiez encore à faire un saut en Belgique à la faveur de ce bel événement culturel et médiéval, considérez encore le charme incomparable d’un séjour à Bruxelles. Entre sa gastronomie, ses animations, ses pubs, ses atouts historiques, mais encore l’esprit pétillant de ses habitants et leur sens de l’accueil, la capitale Belge saura vous fournir le cadre de moments uniques, en journée comme en soirée, au sortir du Musée.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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les misères du monde, au temps de Jean Meschinot

Sujet  : poésie médiévale, ballade, auteur médiéval, poésie satirique, moyen-français.
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur Jean Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit ancien  : Manuscrit MS Fr 24314 BnF, œuvres de Jehan Meschinot, Arsenal Reserve 8-BL-11038 (Ed 1522).
Ouvrage  : Jean Meschinot, sa vie et ses œuvres, ses satires contre Louis XI, Arthur Lemoyne de La Borderie (1895), Bibliothèque de l’école des Chartes, T56.

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous n’étions revenu à la poésie de Jean Meschinot. Ce noble auteur breton du Moyen Âge tardif ne s’est pas signalé que par sa grande maîtrise rhétorique et stylistique, il a aussi brillé par ses poésies satiriques et critiques à l’égard des princes.

On se souvient qu’il a même égratigné Louis XI au moyen de ballades particulièrement vitriolées, en usant, pour leur envoi, d’emprunts à la poésie du flamand et grand favori de la cour de Bourgogne, Georges Chastelain (1415-1475). Aujourd’hui, nous retrouvons notre poète et écuyer du duché de Bretagne dans un exercice plus général sur les maux de son temps.

Poésie de Jehan Meschinot illustrée avec Enluminure

Une ballade contre les misères du siècle

Faut-il voir, dans cette poésie de Meschinot, un retour de l’éternel « C’était mieux avant » qui ne cesse de traverser les temps et qu’on retrouve, au Moyen Âge, sous la plume de nombreux auteurs ? Peut-être. Valeurs en perdition, espoir en jachère, notre auteur médiéval s’y montre, en tout cas, au désespoir. Point ne voit luire de lumière alentour, pas d’avantage que ne trouve de semblables en lesquels fonder quelque espérance. En évitant l’écueil des rapprochements simplistes, chacun pourra s’amuser (ou pas) à tracer des ponts entre les temps passés et présents.

Eléments de contexte

D’un point de vue plus historique, pour le chartiste et historien breton Arthur Lemoyne de La Borderie (1827-1901) (op cité), cette ballade, probablement tardive dans la carrière de Meschinot, aurait pu être écrite autour de 1485. Selon lui, elle pourrait même évoquer la chute de Pierre Landais et les divisions qui s’ensuivirent en Bretagne. Rien ne nous permettant de confirmer cette hypothèse, elle sera laissée à l’appréciation du lecteur.

Contexte historique précis à l’origine de cette poésie ou non, elle reste, bien sûr, sous le signe de valeurs morales et médiévales ouvertement chrétiennes et c’est, en grande partie, à la déliquescence de ces dernières que le gentilhomme breton adresse sa complainte. A près de deux siècles de L’Estat du Monde de Rutebeuf, on pourrait y trouver quelques résonnances même si, sur l’ensemble de l’exercice, le propos est un peu plus ciblé et délayé chez le trouvère parisien qu’il ne l’est, ici, chez Meschinot.

« Por ce que li mondes se change
Plus sovent que denier à change,
Rimer vueil du monde divers :

Toz fu estés, or est yvers ;
Bon fu, or est d’autre maniere,
Quar nule gent n’est més maniere
De l’autrui porfit porchacier,
Se son preu n’i cuide chacier. »
Rutebeuf – L’Estat du Monde

Aux sources manuscrites de cette poésie

On peut retrouver cette ballade médiévale dans un certain nombre d’éditions anciennes des œuvres de Meschinot datées du XVe siècle ou des siècles ultérieurs. On citera, notamment, le très beau et coloré manuscrit MS Français 24314 de la BnF dont nous avons extrait l’illustration de l’image en tête d’article. Ci-dessous, vous trouverez cette poésie dans une édition plus sobre de Nicole Vostre (datée de 1522) ayant pour titre : Les lunettes des princes avec auscunes balades & additions nouvellement composees par noble homme Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la Royne de France (à consulter en ligne ici).

"Les misères du monde" de Meschinot dans le Manuscrit médiéval MS Français 24314

Du point de vue de la langue, le moyen-français de Jehan ne fait guère de difficultés aussi quelques clefs de vocabulaire seront suffisantes pour l’éclairer.


C’est grant pitié des misères du monde
Une ballade de Jehan Meschinot

Foy aujourd’hui est trop petit prisée,
Espérance a nom de presumption,
Charité, las ! par envie est brisée.
Prudence fait grant lamentation,
Justice n’a plus domination,
Force se plaint du temps qui present court,
Temperance s’eslongne de la court.
Vertus s’enfuient, péché partout abonde :
C’est grant pitié des misères du monde !

Humilité est toute desguisée (feinte,trompeuse),
Amour languit en extrême unction,
Largesse dit qu’elle est moult desprisée,
Patience a grant desolation.
Sobriété voit sa destruction,
Chasteté croit que tout mal lui accourt;
Diligence n’a plus qui la secourt,
Entendement vit en douleur profonde :
C’est grant pitié des misères du monde !

Sapience (sagesse) est en tous lieux refusée,
Crainte de Dieu n’a plus de mansion
(domicile, demeure),
Conseil est mal en place divisée ;
Science dort, il n’en est mention ;
Pitié n’a lieu en ceste nation.
Baptesme dit qu’heresie se sourt
(se répandre),
Honneur se voit habillé comme lourd,
Mariage est souillé et tout immonde :
C’est grant pitié des misères du monde !

Prince puissant, pour le vous faire court,
Perdus sommes se Dieu ne nous ressourt
(tire d’affaire) .
Homme ne voy en qui bonté se fonde :
C’est grant pitié des misères du monde !


Une excellente journée

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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