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Europe économique contre Europe patrimoniale ? le Pont des Trous de Tournai menacé

tournai_blason_ecu_armoiries_belgique-medievale_pont-des-trousSujet : patrimoine médiéval, histoire, culture, monument classé, Belgique médiévale, Europe économique, Europe médiévale, polémique, pont militaire fortifié.
Période : Moyen-âge central, XIIIe, siècle.
Lieu : Pont des Trous, Tournai, Belgique

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis quelques jours, un séisme secoue le monde des passionnés de patrimoine médiéval, de la Belgique à la France et même jusque Navarre. Sous la houlette de Bruxelles et pour des raisons d’aménagement fluvial, la municipalité wallonne de Tournai vient, en effet, d’entériner la décision de détruire un des fleurons de son patrimoine médiéval : le Pont des Trous. Programmée pour le courant de cette année 2019, la disparition de l’ouvrage pourrait entraîner, dit-on, le risque de déclassement de Tournai au patrimoine mondial de l’UNESCO et toute l’affaire a pris des proportions telles que la presse française s’en est émue à son tour.

Construit originellement entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, ce remarquable ouvrage avait été presque entièrement détruit pendant la seconde guerre mondiale; Reconstruit quelques années plus tard et durant l’après-guerre, son classement a été rendu officiel par décret ministériel en 1991.  A ce jour, lpont_a_trous_vu_dessuse Pont des Trous est considéré comme un des plus prestigieux monuments de la cité et même, au delà, de la Belgique médiévale. Cette porte d’eau fortifiée est aussi d’une grande rareté puisqu’elle compte  parmi les trois seuls ponts militaires fluviaux, datant du Moyen-âge, encore préservés, au niveau mondial.

Pot de fer contre pot de terre ?

Évalué à la bagatelle de 7 milliards d’Euros d’investissement (2013 – source wikipédia), le projet européen d’un puissant axe fluvial Seine-Escaut est dans les cartons de Bruxelles depuis près de 15 ans déjà : il avait, du reste, connu des précédents, au milieu des années 70. Aujourd’hui, ce gigantesque chantier est financé par les Etats, par l’Europe (soit encore les Etats) et par une part privée. Largement sous-évalué au départ en terme d’investissement, le projet a failli être abandonné, après 2008. Depuis, les budgets titanesques engagés ont même été réduits à la baisse, obligeant ses instigateurs à faire quelques concessions sur leurs ambitions de départ. Ces grignotages sont-ils étrangers à la polémique du jour ? Ont-ils pu gréver les moyens alloués à la préservation des ouvrages d’art que ce projet pouvait emporter dans sa marche ? Difficile de l’affirmer. Jusque là, il n’y a guère eu de bras de fer entre Europe projet_transport_fluviale_europe_tournai_pont-a-trous_séconomique et Europe culturelle,  puisque la première en sort, la plupart du temps, victorieuse quand l’autre se trouve, par quelque hasard, à la table. A travers la polémique autour de la destruction du Pont des Trous, c’est peut-être, d’ailleurs, cette question de fond qui est, en partie, soulevée.

Les enjeux économiques :
interconnexion et mondialisation

Pour prendre la mesure économique du projet Seine-Escaut, l’enjeu en terme de Fret de marchandises se chiffrerait à plus de 13 millions de tonnes annuelles dès les premières années de mise en service. Cette nouvelle voie permettrait ainsi aux grosses compagnies (céréales, matériaux déconstruction, métaux ferreux, etc…) de réduire considérablement leurs frais de transport sur cette partie de l’Europe. Du point de vue des coûts, le transport fluvial par gabarits standards à moyens (péniches) soutient, en effet, largement la comparaison avec le transport routier ou même ferroviaire puisqu’il est de deux à trois fois moins cher. Quant aux plus grands gabarits  dont il est question ici, ils permettent encore de gagner quelques sérieux points de marge par tonne transportée. Si son unique inconvénient demeure sa lenteur, le transport fluvial est aussi statistiquement plus sûr et il nécessite aussi moins de main d’oeuvre que le transport routier. D’un point de vue purement entrepreneurial  et économique, c’est donc un Win winner.  Au titre des autres arguments soulevés en faveur de ce projet, on compte encore sur le désengorgement de certains axes routiers et sur un impact écologique favorable en terme de bilan carbone.

Les gabarits

Concernant l’incidence de ce chantier sur Tournai, il impose d’y élargir le lit du fleuve en plusieurs endroits, pour favoriser, comme sur l’ensemble de cette voie fluviale, le passage de péniches de classe Va. Avec des largeurs de 11,40 mètres minimum, ce type de transport fait partie de la plus grosse catégorie d’embarcations fluviales. Ils s’agit, en un mot, de véritables mastodontes du fret. Pour en donner une idée, les péniches qui naviguent sans trop de difficultés, depuis des décennies, sur la plupart des fleuves aménagés d’Europe, y compris l’Escaut, font des longueurs de 38 à 55 mètres pour des tonnages de 250 à 750 T et des largeurs de 5 à 7 mètres. Les classes A sont, quant à elles, capable d’affréter de 1500 à 3500 tonnes pour des longueurs allant de 115 à 140 mètres.

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La largeur maximale de l’arche principale du Pont des Trous n’étant que de 11,30 mètres, le calcul a été vite fait et ce qui, pour certains, pouvait constituer un fleuron d’architecture médiévale s’est ainsi trouvé réduit à n’être plus qu’un « goulot d’étranglement » du point de vue des porteurs du projet. Toutes les possibilités de contournement mises à l’étude ayant, par ailleurs, été rejetées, comme non viables car trop coûteuses, il ne restait plus pour Tournai qu’à refuser le projet en bloc ou l’entériner, et c’est ce dernier choix qui a été retenu.

Communication politique & urbanisme :
du global au local

Pour se conformer aux attentes européennes, la municipalité s’est ainsi engagée sur un réaménagement des berges de l’Escaut à grande échelle, en essayant d’en positiver, dans le même temps, les aspects urbanistiques. De fait, du côté européen, comme de cette dernière, on n’a pas ménagé les efforts en direction des habitants du lieu pour accompagner l’opération. Un site web a notamment été mis en place, ayant pour slogan « Tournai is Scaldis », ie « Tournai c’est l’Escaut ».  Les habitants de la cité sont ainsi invités à se tourner vers leur fleuve, même s’ils n’ont sans doute pas attendu jusque là pour le faire : ce dernier serpente, en effet, à travers tout le centre-ville de la cité et contribue à son charme depuis de siècles.

En décryptant les communiqués officiels en faveur de ce qui est présenté comme « un projet-pilote en Wallonie« , les arguments jouent prioritairement sur la fibre « éco-responsable » (bilan carbone global du projet) mais on y parle aussi de « renouveau urbanistique ». pont_a_trous_tournai_architecture_patrimoine_medieval_moyen-ageL’élargissement du lit du fleuve et le chantier se trouvent présentés comme « une opportunité inespérée » pour que la ville, ses habitants, mais aussi les touristes se « réapproprient le fleuve sur tout son tracé tournaisien« . Dans le même esprit, on parle encore de « redonner aux abords du fleuve le cachet qu’ils méritent » mais, au fond, lequel et celui de qui ? La question est posée. A l’évidence pas celui des amoureux d’histoire et de Culture. Si l’on a de doutes que quelques nouvelles aires d’agrément pourraient voir le jour, dans un cité qui se pose comme témoin du patrimoine historique médiéval wallon et belge, le « c’est neuf donc c’est mieux » semble tout de même un peu léger pour justifier de la destruction pure et simple d’un ouvrage du XIIIe siècle et de la partie des quais eux, aussi classés, qui s’y trouve attachée.

Au delà des intentions politiques sous-jacentes, l’exercice de communication politique demeurait, il faut bien le dire, bien périlleux face à la décision. Pour transposer, on imaginerait assez mal un projet de construction de multiples voies ferroviaires marchandes  passant au milieu du château de Versailles, en rognant, au passage, certains de ses édifices, avec des responsables qui viendraient expliquer qu’il s’agit là d’une « opportunité inespérée pour les touristes de redécouvrir l’histoire de France et se l’approprient« . Le magazine Le Point du 12 février ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en titrant laconiquement Tournai : un pont médiéval sacrifié pour le transport de marchandises ? (voir article ici)

Ajoutons que, si l’incidence défavorable du projet sur le tourisme patrimonial et culturel local demeure un risque manifeste, son impact positif en terme économique sur la ville ou ses habitants, s’il existe, n’est mentionné nul part, suggérant que la grande majorité de ce fret ne fera qu’y passer.

Le nouveau monument prévu

Si la destruction de Pont des Trous suit son cours, un nouvel ouvrage moderne devrait bientôt le remplacer (voir photo). Chacun jugera si le design prévu est vraiment à la hauteur de l’ancien. Il semble, en tout cas, avoir été voté par la grande majorité du conseil municipal de Tournai en 2016.

L’engagement a, semble-t-il, été pris d’utiliser la pierre et de maintenir les deux tours. Pourtant, cette mince arche triple, tendue vers le ciel et qui se présente plus comme un « clin d’oeil » symbolique à l’ouvrage historique original, que comme une tentative de le conserver au plus près, divise les habitants du lieu. On murmure même que certains  d’entre eux l’auraient déjà surnommés, l’arche « Mc Donald’s » (voir article du point)

Alors Europe économique contre Europe culturelle ou encore pot de fer contre pot de terre ? On l’a bien compris, ce dont il est question ici, ce ne sont pas tant les velléités d’aménager le transport fluvial que le peu de traitement qui est fait, dans la balance, entre perspectives macro-économiques d’un côté, et respect de la culture, de l’histoire et du patrimoine, de l’autre.

Au vue des investissements engagés pour faire place aux convois géants désirées par l’Europe, on s’explique mal que n’ait été prévu, dès les départ, dans les budgets, une solution pour partir de la réalité locale, culturelle et historique du terrain, afin de la préserver : éviter la destruction du pont, privilégier une alternative sérieuse pour le sauvegarder, ou même pourquoi pas le modifier ou le déplacer avec l’appui de spécialistes de la construction médiévale. Bref, y consacrer des moyens à la mesure de ce projet d’envergure pharaonique. De fait, face à l’émoi et aux contestations des amoureux d’histoire, de patrimoine et d’Histoire médiévale, une pétition a été ouverte pour la sauvegarde de l’ouvrage. Obligera-t-elle les instances européennes et la municipalité à revoir leur copie ? On ne peut que l’espérer. Stephane Bern, notre nouveau « Monsieur Patrimoine national », l’a, en tout cas, déjà signé.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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les Ribauds de Rutebeuf : du Paris du XIIIe siècle au Québec du XXe, avec Benoit Leblanc

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet : chanson, poésie médiévale, auteur médiéval francophonie, Quebec,
Auteur : Rutebeuf (1230-1285?)
Période: Moyen-âge central, XIIIe
Interprète, compositeur : Benoît LeBlanc
Album :  Le pain le pays la paix (2017)

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuand, à un peu moins de 800 ans de ses écrits, ce bon vieux Rutebeuf traverse l’océan pour gagner les rivages du Quebec, il en revient tout rafraîchi de nouvelles notes, sous la plume du chanteur-auteur-compositeur Benoît LeBlanc.

Rutebeuf_benoit-leblanc_chanson_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe-siecleHomme de poésie et de chansons, doté aussi d’une belle carrière en tant dans le monde de la radio et de la presse, cet artiste Montréalais s’est passionné, de tout temps, de musique ancienne, autant que de musiques traditionnelles américaines de langue française ; de l’Acadie, à la Louisiane, en passant par les mondes créoles. A la source de ses inspirations, on trouve encore les plus grands chanteurs québécois ou français, contemporains du XXe siècle : les Leclerc, les Vigneault, les Charlebois, les Brassens, Brel et Ferré, …

Ribauds de Benoît leBlanc, vidéo réalisée par Douglas Capron)

Le pain le pays la paix

Dans un album sorti en 2017, ayant pour titre Le pain le pays la paix, Benoît LeBlanc nous gratifiait  d’une mise en musique et en chanson du verbe de Rutebeuf.

benoit-leblanc_album_poesie_chanson_rutebeuf_dits-de-pouille_ribauds-de-greveEn dehors de cette pièce, on retrouve dans cette production, pas moins de dix-huit chansons et trois poésies, pour une belle balade musicale qui passe par des styles très variés : du folk, au rock et au blues, jusqu’à  même quelques accents Slam. Du point de la tessiture vocale, on notera aussi, par instant, une parenté certaine avec le chanteur Yves Duteil. Sans doute l’artiste québécois ne renierait-il pas cette référence à l’auteur de la langue de chez nous et de nombreux autres titres.

Visiter le site de Benoit LeBlanc – Ecouter l’album et l’acquérir ici 

Ribauds de Benoît LeBlanc

Pour revenir à cette chanson, elle est inspirée de deux poésies de Rutebeuf adaptées en français moderne, tout d’abord et principalement, le dit des Ribauds de grève : de son verbe aiguisé, l’auteur médiéval nous y contait les déboires de ces ribauds qui traînaient leur misère, au gré des saisons, dans le Paris du XIIIe siècle et en place de Grève (voir  anthologie poétique, le diz des ribaux de Grève) . On retrouvera encore dans cette pièce musicale quelques vers issus du dit de Pouille que nous ne résistons pas à citer ici dans le texte:

Or preneiz a ce garde, li groz et li menu,
Que, puis que nos sons nei et au siecle venu,
S’avons nos pou a vivre, s’ai je bien retenu.
Bien avons mains a vivre quant nos sommes chenu.
Rutebeuf – Le dit de Pouille (extrait)

« Prenez-y garde, grands et petits:
une fois que nous sommes nés et venus au monde,
nous avons peu à vivre, je l’ai bien retenu;
et encore bien moins quand nous avons blanchi. »
Traduction Michel Zink – Œuvres complètes de Rutebeuf 1980

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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Kaamelott au cinéma : début de tournage imminent pour le premier volet de la trilogie

kaamelott_integrale_dvd_serie_televisee_coffret_humour_legendes_arthuriennes_GraalSujet : Kaamelott, humour, série télévisée,  trilogie, cinéma, tournage, légendes arthuriennes,  quête du Graal, Heroic Fantasy, médiéval-fantastique, comédie.
Période : haut moyen-âge à  moyen-âge central,
Auteur : Alexandre Astier

Bonjour à tous,

O_lettrine_moyen_age_passionn sentait bien, depuis quelque temps, que le tournage du premier opus très attendu de Kaamelott au cinéma se précisait.  A l’occasion de divers programmes et d’interviews récents,  Alexandre Astier l’auteur de la célèbre série télévisée avait, en effet, laissé échapper quelques allusions confirmant que le projet  allait s’engager bientôt.

« Début de tournage dans quelques jours »

Comme il aime souvent à le faire, c’est par l’intermédiaire des réseaux sociaux qu’il vient donc d’annoncer, hier, la bonne nouvelle aux fans des Légendes Arthuriennes à la française. A en juger par les nombreux commentaires, retweets et partages qui ont suivi, sur Facebook et Twitter, tous s’en montrent déjà ravis.

Avec près de 10 ans d’attente, les difficultés juridiques des origines, suivies par quelques faux départs de communication, finissaient par donner, un  peu, au projet des allures de légende. Force est de constater pourtant que si quelques « mécréants » finissaient par se décourager, la fan base, dans son ensemble,  continuait de tenir bon, en répondant présente à chaque appel de l’auteur. On se souvient notamment des longues files d’attente devant la Fnac de Lyon, à l’occasion d’une séance de dédicace qu’Alexandre Astier avait donné en décembre dernier, pour la sortie du coffret de l’Intégrale de la série ou même encore de son passage très remarqué au Festival d’Angoulême, début 2018, pour le lancement du Tome 8 de la BD Kaamelott : « L’Antre du Basilic« . La presse avait même parlé, à cette occasion, de « Marée humaine » !

Bref, pour y revenir, la nouvelle de ce départ de tournage est de taille et risque de valoir à l’auteur de Kaamelott une nouvelle avalanche de questions de la part de toute la presse. Y répondra-t-il ?  Rien n’est moins sûr. Connaissant son goût de la surprise et cette salutaire tendance qu’il cultive à n’être jamais là où on l’attend, il pourrait bien être enclin à n’en dire guère plus jusqu’à nouvel ordre, et choisir de se réfugier, à nouveau, dans le silence.

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Si le démarrage du tournage est donc bien confirmé pour ce début 2019, à en juger par les « Htags » utilisés, la sortie du film semble, pour l’instant, prévue pour 2020. Au vue de la mer de dunes postée par l’auteur avec l’annonce, les grands espaces seront au rendez-vous. Va-t-il tirer quelques passages de cette nouvelle aventure Kaamelottesque du côté des références moyen-orientales ? Mystère. On ne sait pas non plus s’il a retouché les scenarii qu’il a déclaré avoir écrits depuis quelques années déjà, ni si le ton qu’il adoptera sera plus proche des premiers opus non-sensiques de la série, ou plutôt voisin des derniers livrets qui n’étaient pas exempts d’une certaine gravité. Quoiqu’il en soit, sachons nous contenter de cette heureuse nouvelle et souhaitons-lui bonne chance pour ce nouveau défi de réalisation !

Asterix au box office

Rappelons également qu’en 2018, Alexandre Astier s’est vu confier la réalisation d’un nouvel Asterix, au scénario cette-fois totalement original et écrit de sa plume :  « Le Secret de la potion Magique ». Le film d’animation faisait suite à « Asterix et le domaine des Dieux » sorti en 2014 et qui avait connu un franc succès. Très bien accueilli par le public, ce deuxième film, réalisé une nouvelle fois, avec la complicité de Louis Clichy a déjà dépassé depuis sa sortie, début décembre,  les 13 millions d’entrées au box office et il est toujours à l’affiche.

Retrouvez tous nos articles sur la série Kaamelott au lien suivant.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Ab l’alen tir vas me l’aire » : l’ode à la Provence, mâtinée d’amour courtois, d’un troubadour en exil

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : Ab l’alen tir vas me l’aire
Interprète : Camerata Mediterranea, Joel Cohen.
Album : Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300 (1990)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte (ou la redécouverte) d’une chanson médiévale du troubadour toulousain Peire Vidal. En plus de sa traduction, cette pièce nous fournira l’occasion de parler d’un ensemble de renom : le Boston Camerata.  Né outre atlantique dans les années 60-70, cette formation a trouvé également des prolongements sur les terres européennes, sous l’impulsion de son directeur Joel Cohen et à travers la Camerata Mediterranea.

« Ab l’alen tir vas me l’aire », Peire Vidal par la Camerata Mediterranea

Joel Cohen : de la Boston Camerata
à la Camerata Mediterranea

Ensemble dédié aux musiques anciennes, le Boston Camerata a vu le jour au milieu des années 50. Attaché dans un premier temps au Musée des Arts de la ville, il prit son indépendance 20 ans plus tard, joel-cohen_boston-camerata_passion_musiques-anciennes_troubadoursdans le courant de l’année 74. Sous la direction du luthiste passionné de « Early Music » Joel Cohen, assisté bientôt de la chanteuse soprano française Anne Azéma (son épouse), la formation a produit dès lors un nombre considérable d’albums et de programmes. Son répertoire de prédilection s’étend du moyen-âge à la période baroque, mais va même jusqu’à des musiques classiques, populaires ou folkloriques du XIXe siècle. Le Boston Camerata est, à ce jour, toujours actif et Anne Azéma en a repris l’entière direction depuis 2008. A côté de cela, cette dernière a également créé,  dans le courant des années 2000, l’Ensemble Aziman.

anne-azema_boston-camerata_passion_musiques-anciennes_troubadoursDans le courant de l’année 1990, Joel Cohen fut également à l’initiative de la création de la Camerata Mediterranea,  organisme à but non lucratif visant à promouvoir la recherche, les échanges et la communication entre artistes issus particulièrement du berceau méditerranéen et des trois religions monothéistes, autour du répertoire des musiques  traditionnelles et anciennes, C’est sous l’égide de cette organisme que s’inscrivait l’album Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300, enregistré en France et dont est issue la chanson de Peire Vidal que nous vous présentons ici.

Pour plus d’informations sur les productions et les activités du Boston Camerarata, vous pouvez consulter le leur site web au lien suivant

Lo Gai Saber : un album de choix
autour des troubadours du moyen-âge central

Fort de vingt-une pièces, ce bel album tout entier dévoué à l’art des troubadours du sud de France médiévale, s’étendra même jusqu’à l’Espagne et au galaïco-portugais puisque ce sont les « Ondas de Mar » de Martim Codax qui en feront l’ouverture, Elles seront suivies de près par deux compositions de Peire Vidal, mais encore des chansons des plus célèbres représentants de la langue d’oc du moyen-âge central : Gaucelm Faidit, Bertrand de Born, Raimbault de Vaqueiras, Guillaume IX de Poitiers, Marcabru, Bernard de Ventadorn et bien d’autres encore.

troubadour_trouvere_peire_vidal_musique_chanson_medievale_boston-camerata_moyen-age_XIIeDès sa sortie, l’album fut encensé par la presse spécialisée. Entourés de grands noms de la scène des musiques anciennes, Joel Cohen et Anne Azema y prêtent leur voix et leur talent. A leur côtés, on retrouve Cheryl Ann Fulton  à la harpe, Shira Kammen à la vielle et au rebec, mais aussi Jean-Luc Madier et François Harismendy à la voix. On peut encore trouver cette production à la vente au format CD ou même au format MP3 dématérialisé. A toutes fins utiles, voici un lien utile pour vous le procurer : Joel Cohen: Lo Gai Saber – Troubadours and Minstrels 1100-1300.

« Ab l’alen tir vas me l’aire » :  la Provence médiévale de Peire Vidal

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour revenir à la pièce du jour, Joel Cohen se livrait ici à l’exercice (au demeurant très médiéval) du contrefactum, puisqu’il plaquait sur les vers et la poésie de Peire Vidal, une mélodie datant du XIIIe siècle, par ailleurs attachée à une chanson du trouvère Conon de Bethune  : « Chanson legiere a entendre ».

« Ab l’alen tir vas me l’aire qu’eu sen venir de Proensa« , « avec l’haleine, je tire vers moi l’air que je sens venir de Provence »,  ce texte est sans doute l’un des plus célèbres du troubadour du moyen-âge central. Voyageur par goût, mais, on le suppute aussi, un peu contraint par la force des événements, l’auteur médiéval faisait ici tribut à sa Provence natale et aimée. Dans un élan de lyrique courtoise, il y évoquait aussi immanquablement la dame qu’il avait dû laisser derrière lui mais qui continuait d’occuper toutes ses pensées. S’agit-il de l’épouse de son protecteur, Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, dit Barral de Marseille ? Une légende court sur un baiser volé et on avance quelquefois que les transports du poète  à  l’égard de la noble dame lui aurait peut-être valu de se faire bannir de la ville. Le mystère demeure et il peut encore s’agir de cette dame autour de Carcassonne auquel le poète fait allusion dans d’autres poésies.

Pour la traduction, nous nous basons sur celle de Joseph Anglade, dans son ouvrage consacré aux Poésies de Peire Vidal en 1913, tout en les revisitant un peu sur la base de recherches personnelles .


Les paroles de la chanson de Peire Vidal
avec leur traduction en français moderne

I
Ab l’alen tir vas me l’aire
Qu’eu sen venir de Proensa :
Tôt quant es de lai m’agensa,
Si que, quan n’aug ben retraire,
Eu m’o escout en rizen
E – n deman per un mot cen :
Tan m’es bel quan n’aug ben dire.

Avec mon haleine j’inspire l’air
que je sens venir de Provence;
tout ce qui vient de là me plaît ;
De sorte que quand j’en entends bien rapporter,
moi,  j’écoute en souriant
et 
 j’en demande pour un mot, cent.
Tant il m’est agréable d’en entendre dire du bien.

II
Qu’om no sap tan dous repaire
Com de Rozer tro qu’a Vensa,
Si com clau mars e Durensa,
Ni on tan fis jois s’esclaire.
Per qu’entre la franca gen
Ai laissât mon cor jauzen
Ab leis que fa*ls iratz rire.

Car on ne connaît pas de si doux pays
que celui qui va du Rhône à Vence
et qui est enclos entre mer et Durance ;
et il n’en est pas qui procure tant  de joie ;
c’est pourquoi chez ces nobles gens 
j’ai laissé mon cœur  joyeux,
auprès de celle qui rend la joie aux affligés.

III
Qu’om no pot lo jorn mal traire
Qu’aja de leis sovinensa,
Qu’en leis nais jois e comensa.
E qui qu’en sia lauzaire,
De ben qu’en diga no’i men ;
Quel melher es ses conten
E-l genser qu’el mon se mire.

Car on ne peut être malheureux le jour
Quand on a d’elle souvenance;
car en elle naît et commence la joie ;
quel que soit celui qui fait son éloge
et quelque bien qu’il en dise, il ne ment pas ;
car elle est la meilleure sans conteste
et la plus gracieuse et aimable qu’on puisse trouver en ce monde.

IV
E s’eu sai ren dir ni faire,
Ilh n’aja*l grat, que sciensa
M’a donat e conoissensa,
Per qu’eu sui gais e chantaire.
E tôt quan fauc davinen
Ai del seu bel cors plazen,
Neis quan de bon cor consire.

Et je ne sais rien dire, ni faire
dont le mérite ne lui revienne, car science
elle m’a donné et talent (connaissance? )
Grâce auxquels je suis gai et chantant.
Et tout ce que je fais de beau
m’est inspiré par 
son beau corps plaisant,
même quand cela vient du plus profond de mon coeur.
(1)

(1) Joseph Anglade traduit ce dernier vers comme  « même quand je rêve de bon cœur (?) » ce qui n’a pas tellement de sens. Nous penchons plus en faveur d’une traduction dans laquelle il fait de la dame de son cœur, la source d’inspiration de ses plus beaux vers, même quand ils viennent du plus profond de son être.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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