Archives par mot-clé : poésie médiévale

En mai, une chanson courtoise du Manuscrit de Bayeux

Sujet :  chanson, musique, manuscrit de Bayeux, poésie courtoise, renouveau, moyen français, chant polyphonique.
Période  : Moyen Âge tardif (XVe), Renaissance.
Auteur :  Antoine de Févin  (1470-1511?)
Titre : Il faut bien aimer l’oiselet, on doit bien aymer l’oysellet
Interprète  :  The Newberry Consort
Album : De Villon à Rabelais (2006).

Bonjour à tous,

lors que mai, le mois annonciateur des beaux jours, s’enfuit déjà, nous essayons de le retenir encore un peu avec une chanson polyphonique de la toute fin du XVe siècle. Tirée du manuscrit de Bayeux, cette jolie pièce de l’hiver du Moyen Âge renoue avec la tradition lyrique courtoise initiée par les troubadours d’oc, bientôt suivis par les trouvères du nord de France.

Dans la poésie médiévale et dans l’art du Trobar, mai est le mois par excellence du renouveau printanier. Arbres qui reverdissent, fleurs nouvelles, oiselets gazouillant dans les bosquets, pour les poètes et les amants courtois, c’est aussi le temps le plus propice pour rêver d’amour et de nouvelles amourettes.

L’invitation d’un rossignol à chanter l’amour

Si cette chanson nous transporte à la fin du XVe siècle, comme dans de nombreuses chansons et pièces médiévales courtoises, c’est encore l’oiseau et son chant qui égayera, ici, le poète. « Il faut l’aimer » nous dit-il car il inspire les amants courtois par son chant amoureux.

Point de douleur ni de souffrance pour le loyal amant dans cette chansonnette renaissante. Le ton reste léger même si l’auteur nous rappelle que les médisants sont toujours à l’affut pour gâcher le plaisir des amants et leurs possibles idylles 1. Pas de courtoisie sans éternels jaloux : en amour médiéval, tout, même la nouveauté, semble décidemment se poser comme un éternel recommencement (voir La notion de nouveauté au Moyen Âge avec Michel Zink).

Au sources manuscrites de cette chanson

Pour les sources manuscrites, on pourra retrouver cette chanson dans le Manuscrit de Bayeux. Parfaitement conservé à la BnF sous la référence Français 9346, cet ouvrage du XVIe siècle joliment enluminé présente un peu plus de cent chansons annotées, sur des thèmes variés.

Au titre d’autres manuscrits d’intérêt, « il fait bon aimer l’oiselet » est aussi présent dans le Chansonnier de Françoise de Foix de la British Library. Sous la référence Ms. Harley 5242, cet ouvrage du XVIe siècle présente des œuvres de divers compositeurs de la fin du XVe siècle au début du XVIe : Jean-Marie Poirier, Pierre de La Rue, Alexander Agricola et Antoine de Févin auquel est attribuée la chanson du jour.

"On doit bien aimer l'Oiselet" , sa partition et ses enluminures, dans le ms Français 9346 ou manuscrit de Bayeux;
« On doit bien aimer l’Oiselet » Français 9346 ou Manuscrit de Bayeux (voir sur Gallica);

Le compositeur Antoine de Févin

Concernant cette chanson polyphonique à trois voix, elle est communément attribuée à Antoine de Févin. Tantôt, il en est considéré comme le compositeur, tantôt l’harmonisateur.

Au début du XVIe siècle, ce compositeur natif d’Arras officiait à la cour de Louis XII comme chanteur et comme prieur. On a souvent comparé sa musique à celle de Josquin des Prés dont il a pu être le disciple. Comme ce dernier, Antoine de Févin est rattaché à l’Ecole musicale franco-flamande et développe un goût marqué pour la polyphonie. Il laisse une œuvre riche de nombreuses messes, motets et pièces liturgiques en latin, mais également quelques dix-sept chansons polyphoniques en moyen français2 .

Pour la version en musique de notre chanson du jour, nous traversons l’Atlantique à la rencontre du Newberry Consort.

Le Newberry Consort
Musique du Moyen-Âge au XVIIe siècle

Le Newberry Consort a été formé en 1986 à Chicago, sous l’impulsion du musicologue Howard Mayer Brown et de la multi-instrumentiste passionnée de musiques anciennes Mary Springfels.

Mary Springfels, passion musiques anciennes

Durant ses 40 ans de carrière, la formation a exploré un répertoire musical qui va du Moyen Âge central jusqu’au XVIIe siècle, en incluant la période renaissante et baroque (voir plus d’informations ici). Très orienté sur l’ethnomusicologie et la volonté de partage des musiques anciennes, le Newberry Consort est également attaché à un certain nombre d’universités de la région de Chicago dans lesquelles il se produit régulièrement. L’ensemble propose également ses concerts et ses programmes aux Etats-Unis, au Canada ou au Mexique.

La Discographie du Newberry Consort

La discographie du Newberry Consort peut parâitre un peu chiche pour un ensemble qui affiche plus de 40 ans de carrière mais la formation semble se concentrer particulièrement sur ses concerts et performances scéniques. Sur son site officiel , on pourra trouver un peu plus d’une dizaine d’albums pris dans des répertoires assez éclectiques. La sélection déborde largement le Moyen Âge pour inclure la renaissance, l’ère baroque et le XVIIe siècle, ce qui en fait aussi toute la richesse.

A travers ces productions, le Newberry Consort convie son auditoire à un voyage dans l’espace comme dans le temps. Musiques italiennes du Moyen Âge tardif et musiques de fêtes médiévales y côtoient les Cantigas d’amigo de Martin Codax, ou encore des musiques espagnoles du XVIIe siècle.

Pour citer quelques autres références pêle-mêle, on ajoutera des chansons irlandaises et anglaises de l’ère élisabéthaine ou la Missa de la mapa mundi de Johannes Cornago. Les musiques latino-américaines du XVIIe siècle trouvent également une belle place dans ce répertoire avec des musiques festives mexicaines du XVIIe siècle, ou les compositions baroques de Juan de Lienas.

De Villon à Rabelais, l’album

Villon to Rabelais, l'album de Newberry Consort (pochette)

A la charnière du Moyen Âge tardif et de la Renaissance, l’album « Villon to Rabelais, 16th Century Music of the Streets, Theatres, and Courts » (De Villon à Rabelais : musique de cours, de rue et de théâtre du XVIe siècle), propose 27 chansons pour 72 minutes d’écoute. On y trouvera des pièces anonymes mais aussi des compositions et chansons issues des répertoires de Johannes de Stokem, Clément Marot, Willaert, Adrian Busnois, ou encore Antoine de Févin, notre compositeur du jour.

Cet album est sorti originellement chez Harmonia Mundi, en 2006. En chinant un peu, vous pourrez sans doute le trouver sous forme CD chez votre meilleur disquaire. A défaut, il est disponible au format dématérialisé sur certaines plateformes de streaming légal. Voici un lien utile à cet effet : Villon to Rabelais au format MP3.

Membres du Newberry Consort sur cet Album

Mary Springfels (vielle, rebec, viole, direction), David Douglass (vielle, rebec), William Hite (tenor), Drew Minter (countretenor, harpe), Tom Zajac (bariton, harpe, instruments à vent, flûtes, cornemuse, percussions).


On doit bien aymer l’oiselet
dans le moyen français du XVe s

On doit bien aymer l’oiselet
Qui chante par nature
Ce mois de May sur le muguet
Tant comme la nuit dure.

Il faict bon escouter son chant
Plus que nul aultre en bonne foy
Car il resjouit mainct amant,
Je le sçay bien quand est à moy.

Il s’appelle roussignolet
Et mect tout sa cure
(soin)
A bien chanter et de bon het
(avec entrain),
Aussy c’est sa nature.

On doit bien aymer l’oiselet …

Le roussignol est sur le houlx
Que ne pence qu’à ses esbats
Le faulx jaloux s’y est dessoubz
Pour luy tirer un matteras
(trait)

La belle a qui il desplaisoit
3
Luy a dict par injure :
« Hellas, que t’avoit-il meffaict,
Meschante creature ? »

On doit bien aymer l’oiselet ….


Sur le thème courtois du renouveau et du printemps, voir aussi :

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes


NOTES

  1. Voir par exemple L’amour courtois contre les médisants, chanson Gace Brûlé ↩︎
  2. Détail de l’œuvre d’Antoine de Févin sur Musicologie.org ↩︎
  3. Variante : La belle qui faisoit le guet ↩︎

Trois ballades pour la paix de Charles d’Orléans

Sujet  : poésie médiévale, paix, ballade médiévale, prince poète, Azincourt, guerre de cent ans.
Période   : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Charles d’Orléans (1394-1465)
Manuscrit ancien  : MS français 25458
Ouvrage  : Poésies de Charles d’Orléans, d’après les manuscrits des bibliothèques du Roi et de l’Arsenal, J. Marie Guichard (1842)

Bonjour à tous,

actualité nous fournit, aujourd’hui, l’occasion de faire tribut à un prince poète talentueux du Moyen Âge tardif dont nous avons jusque là peu parlé : Charles D’Orléans. Né d’une branche royale fort instruite, élevé dans le goût des lettres, il peut nous paraître un peu paradoxal que sa vocation poétique et littéraire ait pu être sublimée par le sort, un sort qu’il provoqua, d’une certaine manière, par sa désobéissance et son courage.

Un jeune prince guerrier et impétueux

Contre la volonté du roi de France et malgré son jeune âge, le jeune Duc d’Orléans voulut, en effet, aller en découdre contre les armées anglaises, dans le nord de France et plus précisément à Azincourt. Au moment de cette bataille, il n’a que 21 ans mais il a déjà largement aiguisé ses talents de meneur d’hommes. Depuis ses quatorze ans, de nombreuses tensions l’ont, en effet, opposé aux Bourguignons et à Jean Ier de Bourgogne, dit Jean Sans Peur, assassin de son père Louis d’Orléans (le frère du roi). Ce sont même les tensions entre les deux maisons qui inclinèrent le roi de France à ordonner à Charles d’Orleans, comme à son rival bourguignon de ne pas partir, en personne, à la poursuite des armées d’un Henri V bien décidé à revendiquer le trône de France.

Hélas ! à Azincourt et malgré toute sa confiance, Charles d’Orléans se retrouva bien vite au cœur de la déroute : des milliers d’hommes restèrent sur le carreau, arrêtés par les traits des archers longs anglais. Embourbés, la chevalerie et l’ost français furent ensuite massacrés et achevés tels des bestiaux, dans une boucherie entrée en lettres de sang dans les livres d’Histoire médiévale.

On captura donc le prince qu’on découvrit blessé au milieu d’un amas de cadavres et il fut amené en Angleterre pour y rester prisonnier, durant de longues décennies. Vingt-cinq ans d’enfermement dans une prison plus dorée que celle qu’avait connu François Villon, mais vingt-cinq ans tout de même. Autant dire une vie ou presque à laquelle venait s’ajouter rien moins qu’un drame historique : le fleuron de l’Aristocratie française décimé, des dommages sans précédent sur le destin de la France et un tournant critique dans la guerre de cent ans. Le prix fut donc lourd à payer et l’impétuosité du jeune prince s’en trouva fortement refroidie.

Une œuvre entrée dans la postérité

Au sortir, ces vingt-cinq ans de captivité et d’exil permirent à Charles d’Orléans d’affuter ses talents de plume et de laisser une œuvre abondante : de nombreuses ballades, plus de cent, quelques cent-trente chansons, des complaintes et encore près de quatre cent rondeaux. Traversée par la mélancolie et l’éloignement, on trouve dans la riche poésie de Charles d’Orléans, de nombreux vers courtois, des pièces plus contemplatives, des réflexions sur le temps et les âges de la vie, mais aussi des vues sur des sujets plus politiques ou encore des appels à la paix. Ce sont ces derniers qui retiendront, aujourd’hui, notre attention.

"En regardant vers le pays de France", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

De longues années après Azincourt et de retour à Blois, , Charles d’Orléans continua de s’entourer de fins lettrés et de gens de plume. Il organisa même des concours de poésies qui sont, eux-aussi, restés célèbres. Ainsi, le destin de ce prince propulsé, très jeune, dans la politique et l’exercice de pouvoir après le meurtre de son père, finit par s’infléchir, de manière étonnante, pour le convertir en grand homme de lettres et poète médiéval, entré largement dans la postérité.

La guerre avec les enfants des autres

Au programme de notre sélection du jour donc, trois ballades dans lesquelles Charles d’Orléans exhortait ses contemporains à la paix. A l’heure où certaines bourgeoisies de Province, de Paris ou d’Europe (politiques, technocratiques, comme journalistiques) se rêvent en nouvelle aristocratie, comme dans la fable de la grenouille et du bœuf, on semble pourtant à des lieues des réalités guerrières médiévales.

Ceux-là même qui briguent le pouvoir et les mandats et qu’on entend caqueter à longueur de journée, face caméra ou en plateau, n’ont plus guère le courage, ni le panache de ceux qu’ils prétendent singer. S’ils brillent par leur occupation du champ médiatique, sur les champs de bataille, n’en cherchez point, vous n’en verrez pas la queue d’un. La République des carriéristes et des va-t-en-guerre ne guerroie plus que par proxy, à travers ses fils ou, mieux encore, ceux des autres. Loin de la chevalerie médiévale, cette classe là envoie les enfants du peuple en découdre à sa place, et encore pour des raisons de moins en moins intelligibles.

"Du bon heur et loyal vouloir", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

Les plaidoyers de Charles pour la paix

En ces temps troublés, il nous a donc semblé bon de nous souvenir de ce prince guerrier exalté qui siégea au cœur de la plus cuisante défaite de la guerre de cent ans et qui y contribua, peut-être même en partie, par son inexpérience et son excès de confiance 1.

S’il serait injuste autant qu’inexact de vouloir seul l’en accabler ̶ les conditions autant que l’avance de l’archerie longue anglaise surprit la chevalerie française et l’ensemble de son commandement ̶ souvenons-nous surtout que, dans ses années de maturité, Charles d’Orléans ajouta aux anthologies de la poésie du Moyen Âge tardif, ses plus beaux appels à la paix : une paix pour lui, autant que pour les autres, un paix des hommes, une paix de Dieu.

Avait-il revécu maintes fois en pensée le terrible massacre que fut Azincourt ? Avait-il ressenti, a nouveau, le souffle glacé de la vanité sur son échine et le regret de ne pas avoir laissé l’armée anglaise retournée vers Calais ? L’option s’était présentée mais, confiants de leur nombre et pressés d’en découdre, les commandants de l’armée française ne l’ont pas choisi. Quant au choc de la défaite sur le prince, les chroniqueurs racontent que la sombre tragédie d’Azincourt le fit jeuner et se tenir coi au lendemain de la bataille alors qu’Henri V ramenait sa prise royale vers ses fiefs 2. A défaut de grands exploits guerriers, il nous reste sa poésie et ses leçons de paix. Retenons-les. Elles sont plus que jamais d’actualité.

La poésie de Charles d'Orléans dans le MS 254458
deux ballades médiévales pour la paix de Charles d’Orléans dans le Ms Français 25458 de la BnF

Trois Ballades pour la Paix d’un prince en exil

Par Bon eur et Loyal vouloir

L’autre jour tenoit son conseil,
En la chambre de ma pensée,
Mon cueur, qui faisoit appareil
De deffence contre l’armée
De Fortune mal advisée,
Qui guerrier vouloit Espoir;
Se sagement n’est reboutée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

Il n’est chose soubz le souleil,
Qui tant doit estre désirée
Que paix; c’est le don non pareil
Dont Grace fait toujours livrée
A sa gent qu’a recommandée;
Fol est, qui ne la veult avoir,
Quant elle est offerte et donnée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

Pour Dieu, laissons dormir traveil,
Ce monde n’a gueres durée,
Et paine, tant qu’elle a sommeil,
Souffrons que prengne reposée:
Qui une foiz l’a esprouvée,
La doit fuyr, de son povoir,
Par tout doit estre deboutée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.

L’ENVOY.

Dieu nous doint bonne destinée,
Et chascun face son devoir,
Ainsi ne sera redoubtée
Par Bon eur et Loyal vouloir.


De veoir France que mon cueur amer doit.

En regardant vers le pays de France,
Ung jour m’avint, à Dovre sur la mer,
Qu’il me souvint de la doulce plaisance
Que souloie ou dit pays trouver;
Si commencay de cueur à souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit,
De veoir France que mon cueur amer doit.

Je m’avisay que c’estoit nonsavance,
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner;
Pour ce, tournay en confort mon penser,
Mais non pourtant, mon cueur ne se lassoit
De veoir France que mon cueur amer doit.

Alors chargay, en la nef d’esperance,
Tous mes souhays en leur priant d’aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et à France de me recommander;
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder,
Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit,
De veoir France que mon cueur amer doit.

L’ENVOY.

Paix est tresor qu’on ne peut trop loer,
Je hé guerre, point ne la doit prisier,
Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit,
De veoir France que mon cueur amer doit.


"Priez pour paix, le vray tresor de Joye", une ballade de Charles d'Orleans pour la Paix avec enluminure médiévale

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, et du monde maistresse,
Faictes prier, par vostre courtoisie,
Saints et sainctes, et prenez vostre adresse
Vers vostre fils, requerrant sa haultesse
Qu’il lui plaise son peuple regarder,
Que de son sang a voulu rachater,
En deboutant guerre qui tout desvoye;
De prieres ne vous vueilliez lasser,
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, prelaz, et gens de saincte vie.
Religieux, ne dormez en peresse,
Priez, maistres, et tous suivans clergie,
Car par guerre fault que l’estude cesse;
Moustiers destruiz sont sans qu’on les redresse,
Le service de Dieu vous fault laisser,
Quant ne povez en repos demourer;
Priez si fort que briefment Dieu vous oye,
L’Eglise voult à ce vous ordonner;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, princes qui avez seigneurie,
Roys, ducs, contes, barons plains de noblesse,
Gentils hommes avec chevalerie,
Car meschans gens surmontent gentillesse;
En leurs mains ont toute vostre richesse,
Debatz les font en hault estat monter,
Vous le povez chascun jour veoir au cler,
Et sont riches de voz biens et monnoye,
Dont vous deussiez le peuple supporter;
Prier pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, peuple qui souffrez tirannie,
Car voz seigneurs sont en telle foiblesse,
Qu’ilz ne pevent vous garder par maistrie,
Ne vous aider en vostre grant destresse;
Loyaux marchans, la selle si vous blesse,
Fort sur le doz chascun vous vient presser,
Et ne povez marchandise mener,
Car vous n’avez seur passage, ne voye,
Et maint peril vous convient il passer:
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, galans joyeulx en compaignie,
Qui despendre desirez à largesse,
Guerre vous tient la bourse degarnie;
Priez, amans, qui voulez en liesse
Servir amours, car guerre, par rudesse,
Vous destourbe de voz dames hanter,
Qui mainteffoiz fait leurs voloirs torner,
Et quant tenez le bout de la courroye,
Ung estrangier si le vous vient oster;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.

L’ENVOY.

Dieu tout puissant nous vueille conforter
Toutes choses en terre, ciel et mer,
Priez vers lui que brief en tout pourvoye,
En lui seul est de tous maulx amender;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.


En vous souhaitant une belle journée
Frédéric Effe
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


NOTES

NB : l’enluminure de l’image d’en-tête et de la première illustration est tirée du manuscrit médiéval MS Royal 16 F de la British Library. Outre qu’elle représente Charles captif, elle est aussi l’une des premières représentations connue de Londres (voir article sur le blog de la British Library). La seconde enluminure où l’on voit le prince en habits or et rouge provient du manuscrit  MS 187 « Statutes, Ordonnances and armorial of the Order of the Golden Fleece« . Daté de la fin du XVe siècle, ce manuscrit originaire de Hollande est actuellement conservé au Musée Fitzwilliam de Cambridge.

  1. « Dans la crainte d’une querelle intestine sur le champ de bataille, Charles VI avait demandé aux deux princes rivaux, Jean Ier de Bourgogne et Charles d’Orléans, de dépêcher un contingent d’hommes d’armes tout en leur interdisant d’être tous deux présents. Le jeune et fougueux duc d’Orléans, tout juste âgé de vingt et un an, entendait bien tenir sa place, et désobéit aux instructions royales. Et c’est en la qualité de commandant en chef qu’il se retrouva à l’avant-garde de l’ost royal à Azincourt ». La poésie d’exil de Charles d’Orléans et le désir de paix en temps de guerre, Le désir de paix dans la littérature médiévale Carole Bauguion (2023). ↩︎
  2. Vie de Charles d’Orléans (1394-1465), Pierre Champion, Paris, (1911) ↩︎

Princes Déchus & Siècle Perdu dans la Bible de Guiot de Provins

Sujet : poésie médiévale, poésie satirique,  trouvère, bible, moine, moyen-âge chrétien, poésie politique, nostalgie médiévale, langue d’Oïl
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Guiot de Provins (Provens) (1150 – 12..)
Manuscrit ancien : MS français 25405 BnF
Ouvrage : La Bible, les Oeuvres de Guiot de Provins, poète lyrique et satirique, John Orr (1915)

Bonjour à tous

ous vous proposons, aujourd’hui, d’avancer sur la poésie satirique médiévale à travers un nouvel extrait de la Bible du trouvère Guiot de Provins. Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, cet ouvrage sans concession ouvre sur un siècle (autrement dit des temps) décrit, par son auteur, comme « puant et horrible ».

D’après ses propres écrits, Guiot a beaucoup voyagé de cour en cour en tant que trouvère dans la France médiévale et au delà même, jusqu’aux croisades. Dans cette première partie de sa vie, il aurait côtoyé de nombreux seigneurs avant de se faire moine. Les conditions et le faste des cours avaient alors changé, peut-être d’ailleurs, sous la pression des croisades successives et de leur impact sur la noblesse. Quoi qu’il en soit, dans sa bible satirique, au long de quelques 2700 vers, Guiot de Provins n’épargna guère ses contemporains, religieux ou civils. Dans les extraits du jour, nous nous intéressons notamment à sa critique des princes et des puissants.

Extrait de la bible de Guiot de Provins sur les Princes avec enluminure tirée de la Chanson de Roland (Manuscrit de Saint Gall, Staatsbibliothek XIIIe siècle)

Princes tyrans et puissants dévoyés
dans la poésie satirique médiévale

Le Moyen Âge a beaucoup chanté ses princes et ses rois. Dans les cours, on les loue et on les flatte. On leur rédige même quelquefois des chroniques historiques sur mesure. Sur le plan politique, on écrit aussi à leur intention des guides de bonne conduite et des « Miroirs des princes ». On trouvera de tels ouvrages au Moyen-Orient chez des auteurs comme Saadi (voir le Gulistan ou le Boustan) mais ils se répandent aussi en Occident et deviennent très appréciés comme le Livre des Secrets du Pseudo Aristote.

Pendant de cette tendance, les mauvais princes reçoivent aussi leur lot de critiques et la poésie satirique médiévale n’hésitera pas à les égratigner. On pense au Prince de Châtelain, à certaines ballades d’Eustache Deschamps ou encore à des diatribes de Jean Meschinot, entre ses ballades contre Louis IX et ses lunettes des Princes. On pourrait encore ajouter à cette liste, le tyran et sa misérable vie de Pierre d’Ailly et un nombre incomptable d’écrits d’autres auteurs médiévaux.

Dans la veine de ses satires et précédant même certaines d’entre elles, la Bible de Guiot de Provins contient de nombreux vers à l’adresse des mauvais princes. Nous en avions déjà cité quelques-uns dans un article précédent sur sa bible. En voici quelques autres :

Que sont les princes devenus ?
extraits de la bible de Guiot de Provins

NB : la langue d’oïl de Guiot de Provins n’est pas toujours simple à déchiffrer. A l’habitude, nous vous fournissons des clefs de vocabulaire pour mieux la transposer en français actuel.


(V 156) Trop est nostre loz au desoz (Trop est notre gloire abaissée):
Qui bien nos vorroit jugier toz,
Si con
(comme) je sais et con je croi,
Ja
(jamais) n’en eschapperoient troi
Que ne fussent dampnei
(damner)sens fin,
Ou sont li saige, ou sont li prou
(les preux) ?
S’ils estoient tuit
(tous) en un fou (feu),
Ja des princes, si con je cuit
(cuidier : croire, penser);
Mais se li fellon i estoient,
Sil qui Dieu voirement ne croient
(ceux qui ne croient vraiment en Dieu),
Et li villain et li eschars
(les avares),
molt i aroit des princes ars
(de ardoir : brulés);
Onques si loaus fous ne fui
Qu’il valdroient muez
(mieux) cuit que crui (cru de croire, jeu de mot « cru »).

A grant tort les appelle on princes :
Des estapes
(pièges) et des crevices (écrevisse)
Font mais empereors et rois.
Les Alemans et les Inglois
Voi bien des princes esgareiz
(égarés),
Si voi je les autres aisseiz :
Tuit sont esbahi per lou mont
(le monceau, la quantité)
Des mavais princes qui il ont.

Et chevalier sont esperdu
(éperdus, déconcertés) :
Sil ont auques
(quelque peu) lor tens perdu ;
A
(r)belestrier, et meneour (mineurs)
Et perrier
(artilleurs de perrières), et engeneor
Seront de or avant plus chier
(plus estimés, plus précieux).
Encuseor
(délateurs) et losangier (beaux parleurs, faux),
Sil ont passei
(survécu). Et que feront
Sil qui lou siecle vëu ont
Si vallant con il a estei ?
(1)
Deus ! con estoient honorei
Li saige, li boin vavassour !
(les bons vassaux)
Sil furent li consoilloour
Qui savoient qu’estoit raison ;
Sil consilloient les barons,
Sil faisoient les dons doneir
Et les riches cors assembler.


(…) Que sont li prince devenu ?
Deus ! Que vi je et que voi gié !
(Qu’ai-je vu et que vois-je (à présent))
Mout mallament
(lamentablement) some changié :
Li siecles fu ja
(jadis) biaus et grans
Or est de garçons et d’enfans.
Li siècles, sachiez voirement
(vraiment),
Fadrait per amenuisement ;
Per amenuisement faudra
Et tant per apeticera
(rapetisser, diminuer),
Qu’uit
(huit) homes batront en un for (four)
A flaels lou bleif toute jor,
(2)
Et dui home, voire bien quatre,
Se poront en un pout
(pot) combatre.
Iteils li siecles devenra
(tels les temps deviendront),
Sachier de voir ceu avenra :
As princes le poez veoir,
Et k’on ne doit prisier avoir
Don l’on ne fait honor ne bien.

Tout est mais perdeu, ne vaut rien :
Trop est li sicles vis et oirs
(trop sont les temps vils et ignobles).
Certes, je voldroie estre mors
Quant me membre
(me souviens) des boins barons,
Et de lors fais et de lor nons,
Et des haus princes honoreiz
Qui tuit sont mort. Or esgardez
Quels eschainges nos en avons
(ce qui nous avons en retour),
Que argens est devenus plons !
Trop belle oevre fait on d’argent ;
Aï ! Bieu sire Deus, coment
Seme prodon
(homme honorable honnête) mavais grainne ? –
Molt est l’aventure vilainne
(triste, affligeante).

(1) Et que feront Sil qui lou siecle vëu ont Si vallant con il a estei : et qu »adviendra-t-il de ceux qui ont été témoin des temps de grande valeur du passé.
(2) Qu’uit homes batront en un for a flaels lou bleif toute jor : qu’il faudra à huit hommes en un four toute une journée pour battre le blé au fléau.


Aux Sources manuscrites de la Bible de Guiot de Provins

On peut trouver la bible de Guiot de Provins dans un certain nombre de manuscrit médiévaux dont le MS Français 25405 de la BnF (voir sur Gallica). Ce manuscrit, daté du XIIIe siècle, contient le texte satirique du trouvère dans son entier. De nombreux autres manuscrits du Moyen Âge n’en propose qu’un partie. C’est notamment le cas du manuscrit médiéval enluminé Ms-5201 de la bibliothèque de l’Arsenal (image ci-dessous).

La Bible de Guiot de Provins enluminée dans le Manuscrit Français 5201 de la Bibliothèque de l'Arsenal

Nostalgie médiévale et héros du passé

Avec quelques réserves sur les définitions, une forme de nostalgie traverse la littérature médiévale, sous la plume de ses esprits les plus lettrés. Le Moyen Âge a bien eu ses héros antiques ou plus contemporains, mais à peine reconnus et salués, il semble à peu près tous lui avoir filé entre les doigts pour ne laisser place qu’à un grand vide : Alexandre le Grand, Charlemagne et Roland ou encore Arthur de Bretagne et, avec lui, les glorieuses heures de la chevalerie de Chrétien de Troyes font partie des figures souvent évoquées. Tous ces noms ont largement inspiré les plus grands auteurs et poètes des Moyen Âge central à tardif, mais souvent comme les spectres regrettés d’un temps à jamais enfui et dont on déplorait la perte.

Les célèbres Neiges d’Antan de Villon sont un autre signe de cette nostalgie, comme sa ballade un peu moins connue sur les seigneurs du temps jadis : « Mais où est le preux Charlemagne? ». Toutefois, François de Montcorbier est loin d’être le seul à avoir évoqué les illustres personnages du passé et cette idée d’une grandeur révolue. Les poésies lyriques et satiriques médiévales sont pétries de références de cette sorte.

Bien sûr, le Moyen Âge a su aussi rendre hommage et louer ses héros en leur temps, les Duguesclin, les Bayard ou les Jeanne d’Arc. Pourtant, cette nostalgie des grands disparus chantée par tant d’auteurs et, avec elle, le constat de valeurs en perdition, ne peut que frapper celui qui s’aventure dans les méandres de la littérature médiévale, et notamment celle des XIIIe au XVe siècles.

Idéal de perfection morale et valeurs en sursis

Pour être des siècles reconnus généralement comme ceux de l’épanouissement du Moyen Âge chrétien et du catholicisme, il demeure étonnant de voir combien l’actualisation des valeurs morales chrétiennes fait justement problème pour de nombreux auteurs moraux ou satiriques médiévaux. On pourrait d’ailleurs y ajouter les fabliaux et leur moquerie de la gente religieuse.

Dans ce constat d’un temps glorieux révolu, les petits hommes et leur mesquinerie ont supplanté les « preudons », même chez les puissants. Convoitise, avidité, soif de pouvoir et de possession ont gâté les valeurs d’antan et la morale chrétienne des origines. On invoque alors souvent la mémoire des grands du passé pour mieux souligner les bassesses des hommes du présent et leur peu de hauteur morale. Chez Guiot de Provins, les temps rapetissent et les hommes deviennent des enfants.

Nostalgie des valeurs en fuite, constat de princes qui n’en sont plus tout à fait et de valeurs chevaleresques à jamais enfuies. Tout se passe comme si un certain Moyen Âge n’aura cessé de courir après son ombre dans une quête nostalgique de perfection (chevaleresque, chrétienne et peut-être même christique) condamnée à n’être plus jamais atteinte. Bien sûr, c’est sûrement parce que ces valeurs là (et leur idéal) étaient si actuelles dans les mentalités médiévales qu’elles ont servi d’étalon pour juger d’un présent qui, sous la plume des auteurs satiriques ou les poètes, se montre assez rarement à la hauteur des exigences philosophiques et morales de la société d’alors. Mais le constat est là, le Moyen Âge porte déjà en lui et à travers ses auteurs, une forme de nostalgie de ses propres origines.

Pour conclure, précisons que dans le cas de Guiot de Provins, les références ne sont pas toujours si lointaines et abstraites. Le trouvère parle, en effet, de mémoire et sa bible étale aussi de longue litanie de nobles et princes médiévaux dont certains qu’il a pu côtoyer. Il est d’ailleurs d’autant déçu par ses contemporains qu’il dit avoir connu ou entendu parler de tels grands hommes :

Les rois et les empereors
Et ceaus dont j’ai oï parler
Ne vuel je pas tous ci nomer ;
Mais ces princes ai je vëus,
Por ceu sui je si esperdus
Et abahis, ce n’est pas gais.

(…) La mort nos coite et esperonne ;
Trop m’ait tolut de mes amis.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Amour courtois : une chanson du Trouvère Jehan de Lescurel

Sujet : musique médiévale, amour courtois, chanson, Ars Nova, trouvère, compositeur médiéval, manuscrit français 146.
Période : Moyen Âge, fin XIIIe, début XIVe s
Titre : « Comment que, pour l’éloignance« 
Auteur : 
Jehannot  de Lescurel ou Jehan) de Lescurel
Ensemble : Syntagma et Alexandre Danilevsky
Album :
Lescurel : Songé .i. songe (2015)

Bonjour à tous,

otre voyage médiéval du jour nous conduit à la fin du Moyen Âge central, pour y découvrir une nouvelle chanson du trouvère Jehan de Lescurel ou Jehannot de Lescurel.

La vie de ce poète et compositeur de la fin du XIIIe et des débuts du XIVe siècle nous est assez peu connue mais il nous a légué une belle œuvre musicale et poétique, trempée d’amour courtois. Elle se compose d’un peu plus de trente pièces annotées musicalement. On les trouve notamment regroupées dans le manuscrit médiéval Français 146 de la BnF, aux côtés d’autres œuvres datées de la fin du XIIIe et de cette période.

L’amour de Loin de Jehan de Lescurel

La chanson médiévale que nous vous proposons de découvrir est dans la lignée du répertoire de Jehan de Lescurel. Elle appartient donc, pleinement, au registre de la lyrique courtoise.

Jehan de Lescurel nous conte sa douleur de l’éloignement mais plus encore l’amour entier et les beaux sentiments que lui inspire sa belle. Bien que physiquement loin d’elle, sa seule évocation suffit à le conforter et à confirmer son amour.

Si la peine est évoquée dans cette jolie pièce courtoise, l’ensemble reste léger et le compositeur médiéval y mêle adroitement tristesse et joie.

Sources manuscrites médiévales

Comme mentionné plus haut, l’œuvre de Jehannot de Lescurel peut être retrouvée dans le manuscrit médiéval Français 146. Cet ouvrage enluminé contient également le Roman de Fauvel de Gervais du Bus, ainsi que la Chronique métrique de Geoffroy de Paris. Ce manuscrit, daté des débuts du XIVe siècle, se trouve actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF. Il peut également être consulté en ligne sur gallica.fr.

Pour la transcription de la chanson du jour en graphie moderne, nous avons repris celle de l’ouvrage « Chansons ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel » (Librairie P. Jannet, Paris, 1855), du chartiste et historien de l’art Anatole de Montaiglon.

L’Ensemble Syntagma & Jehan de Lescurel

Les chansons de Jehan de Lescurel ont été reprises par plusieurs formations de la scène musicale médiévale. Pour la version du jour, nous avons choisi de revenir à la version de l’Ensemble Syntagma. Elle est extraite du livre album « Lescurel : Songé .i. songe – Chansons & Dit enté, Gracieux temps » dont nous vous avons déjà touché un mot (voir article).

Une belle version en musique signée de l’Ensemble Syntagma

Lescurel : Songé .i. songe, le livre album

En plus de l’interprétation talentueuse de Syntagma sous la direction d’Alexandre Danilevsky, ce bel enregistrement de 64 minutes propose un livret très complet pour accompagner le CD. On trouvera aussi sur cette production le Dit Enté de Jehan de Lescurel. C’est assez rare et exclusif pour être souligné.

Pour débusquer cet album, tentez votre chance chez votre disquaire préféré. En ligne, il semble, pour l’instant, épuiser et en attente de réédition. On peut également retrouver certaines pièces de cette production sur la chaîne Youtube de l’ensemble Syntagma.

« Lescurel : Songé .I. Songe », le livre album de Syntagma sous la direction de Alexandre Danilevski

Musiciens ayant participé à cet album

Agnieszka Kowalczyk-Lombardi (voix), Mami Irisawa (voix) Akiro Tachikawa (voix), Thais Ohara (vielle, rebec), Agileu Motta (luth, guiterne), Bernhard Stilz (instruments à vent), Anna Danilevski (flutes, vielle, trompette marine), Jean-Pierre Pinet (flute), Benoît Stasiaczyk (percussions), Alexandre Danilevski (luth, viole de gambe, vielle, cistre)


Comment que, pour l’éloignance
de Jehan de Lescurel en langue d’Oïl


Comment que, pour l’éloignance,
Du très dous pays, où maint
Celle qu’aim sanz decevance,
Ai souffert meschief maint,
L’espoir qu’ai, qu’encore m’aint
La doucette simple et coie,
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Par ramembrer sa semblance
Me sens d’amer si ataint
Que mon cuer d’autre plaisance
N’a, ne de grief se plaint.
Le desir que me remaint,
— Dex, si qu’à lesir la voie —
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Souvent sens grief et pesance
Que mon cuer que liés soit faint,
Par ce c’on ait connoissance
De quel mal le vis ai taint,
Ne qui la belle est, qui craint,
Pour qui Amours, où que soie,
Fait que mon cuer li remaint
Et que mon cors vit en joie.

Traduction en français actuel

Bien que par l’éloignement
Du très doux pays où se trouve
Celle que j’aime sans détour (tromperie)
J’ai souffert maints déboires (infortune)
L’espoir que j’ai qu’elle m’aime encore,
La douce simple et tranquille,
Fait que mon cœur lui est acquis
Et que mon corps vit en joie.

En me souvenant de son visage,
Je me sens si profondément amoureux
Que mon cœur ne cherche d’autres plaisirs,
Et ne se plaint de rien.
Le désir que j’en conserve (qu’il m’en reste)
— Dieu, de sorte que s’il m’est permis de la voir —
Fait que mon cœur lui demeure
Et que mon corps vit en joie.

Je ressens souvent peine et accablement
Quand mon cœur feint d’être en joie
Car personne ne sait vraiment
Quel est ce mal qui assombrit (teint) mon visage
Ni qui est la belle qui m’inspire tant de crainte,
Et pour qui, Amours, où que je me trouve
Fait que mon cœur lui demeure
Et que mon corps vit en joie.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.