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Sur les pas de François Villon: le moyenageux de Georges Brassens

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet :    monde médiéval, chanson, hommage à François Villon. poésie satirique
Titre : le moyenageux
Auteur : Georges Brassens
Période : contemporaine Année : 1966
AlbumSupplique pour être enterré à la plage de Sète

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est sans doute un des plus bel hommage de Georges Brassens à Maistre François Villon que cette poésie et chanson : le moyenâgeux. C’est un texte qui fera écho chez tous les amateurs de Villon, autant que les familiers du site puisque nous n’en sommes pas à notre première publication concernant le grand poète du moyen-âge tardif.  Brassens a truffé son texte de référence à la vie et aux amitiés de Villon  et lui emprunte même directement Francois Villon hommage Georges Brassens moyenageux_monde medievalquelques vers par endroits, notamment tirés du testament de Villon et de « ses hontes bues ».

(ci-contre partition de la chanson le moyenâgeux de Brassens, cliquez  sur l’image pour ouvrir)

En l’an trentiesme de mon eage,
Que toutes mes hontes j’eu beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage.
Nonobstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ay toutes receues
Soubz la main Thibault d’Aussigny.
S’evesque il est, seignant les rues,
Qu’il soit le mien je le regny!

François Villon (1431-1463?), le testament (extrait)

Brassens sur les pas de  François Villon

Sur les traces de Villon et de ses facéties, autant que de ses amitiés délictueuses, entre quelques clins d’oeil au « Prince » de l’envoi des ballades du Maistre, Brassens fait encore allusion au « trou de la pomme de pin », taverne fameuse de l’époque que le poète médiéval fréquentait et qu’il a mentionné, à plusieurs reprises, dans ses poésies et ses ballades. On retrouve aussi dans cet hommage,  l’inévitable spectre du gibet de Montfaucon qui hantait brassens_ballade_de_villon_poesie_medievale_satirique_dames_du_temps_jadisles nuits d’un Villon, emprisonné et qui se pensait alors condamné à la corde. A coup sûr, le mauvais garçon et illustre maître de poésie médiévale n’aurait pas renié le grand Brassens comme brillant disciple, pour son anticonformiste profond comme pour son amour de la poésie et de la langue,

Francois Villon Monde medieval gibet Montfaucon
Le gibet de Montfaucon, Gravure de Charles d’Aubigny, 1844, ouvrage :Notre Dame de Paris

Le Moyenâgeux de Georges Brassens,
hommage à  François Villon

Le seul reproche, au demeurant,
Qu’aient pu mériter mes parents,
C’est d’avoir pas joué plus tôt
Le jeu de la bête à deux dos.
Je suis né, même pas bâtard,
Avec cinq siècles de retard.
Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.

Ah! que n’ai-je vécu, bon sang!
Entre quatorze et quinze cent.
J’aurais retrouvé mes copains
Au Trou de la Pomme de Pin,
Tous les beaux parleurs de jargon,
Tous les promis de Montfaucon,
Les plus illustres seigneuries
Du royaum’ de truanderie.

Après une franche repue,
J’eusse aimé, toute honte bue,
Aller courir le cotillon
Sur les pas de François Villon,
Troussant la gueuse et la forçant
Au cimetièr’ des Innocents,
Mes amours de ce siècle-ci
N’en aient aucune jalousie…

J’eusse aimé le corps féminin
Des nonnettes et des nonnains
Qui, dans ces jolis temps bénis,
Ne disaient pas toujours  » nenni « ,
Qui faisaient le mur du couvent,
Qui, Dieu leur pardonne ! souvent,
Comptaient les baisers, s’il vous plaît,
Avec des grains de chapelet.

Ces p’tit´s sœurs, trouvant qu’à leur goût
Quatre Evangiles c’est pas beaucoup,
Sacrifiaient à un de plus :
L’évangile selon Vénus.
Témoin : l’abbesse de Pourras,
Qui fut, qui reste et restera
La plus glorieuse putain
De moine du quartier Latin.

A la fin, les anges du guet
M’auraient conduit sur le gibet.
Je serais mort, jambes en l’air,
Sur la veuve patibulaire,
En arrosant la mandragore,
L’herbe aux pendus qui revigore,
En bénissant avec les pieds
Les ribaudes apitoyées.

Hélas ! tout ça, c’est des chansons.
Il faut se faire une raison.
Les choux-fleurs poussent à présent
Sur le charnier des Innocents.
Le trou de la Pomme de Pin
N’est plus qu’un bar américain.
Y’ a quelque chose de pourri
Au royaum’ de truanderi’.

Je mourrai pas à Montfaucon,
Mais dans un lit, comme un vrai con
Je mourrai, pas même pendard,
Avec cinq siècles de retard.
Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François,
Et que j’emporte entre les dents
Un flocon des neiges d’antan…

Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François…

Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.


Près de cinquante ans tout juste après que cette chanson fut révélée au grand public, elle n’a pas pris une ride. Au delà du tribut à Villon, il y a même des fois où l’on se sentirait presque, avec Brassens,  foutrement moyenâgeux.

Une excellente journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
historiques, contemporaines ou imaginaires.

Lecture Audio : Eustache Deschamps, Mieux Vaut Honneur que Honteuse Richesse

Sujet : poésie médiévale, poésie satirique, ballade
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur ; Eustache Deschamps, Eustache Morel
Titre : Mieux vaut honneur que honteuse Richesse
Média : vidéo, lecture audio en vieux français

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous publions, aujourd’hui, une lecture audio autour de Eustache Deschamps, poète médiéval du XIVe siècle et officier d’armes à la cour sous Charles V et Charles VI. Nous en profitons pour dresser un court portrait de l’auteur et aussi pour faire lecture de la poésie « Mieux Vaut honneur que Honteuse richesse », toute chose dont nous avions parlé dans l’article que nous lui avions déjà consacré mais  cette fois-ci en y ajoutant la dimension du son.

Pour plus de lectures audio, voici un petit récapitulatif de ce que nous avons déjà publié:

La pauvreté Rutebeuf en Vieux français

Le Testament de l’âne, Ruteubeuf : fabliau

La housse partie du Trouvère Bernier : fabliau

Une belle journée à tous!

Frederic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Le temps qui passe et l’impermanence des choses, un rondeau de Jean Froissart

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, rondeau
Période : moyen-âge central,  XIVe siècle
Auteur
: Jean Froissart
Titre : On doit le temps ainsi prendre qu’il vient.

poesie_monde_medieval_rondeau_jean_froissard_chroniqueur_historien_poete

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous faisons ici un petit contrepied pour rendre un peu justice  à la poésie de Jean Froissart. On s’est en effet souvent accordé à voir en cet auteur médiéval bien plus un excellent chroniqueur, voir historien, qu’un poète, Après la marguerite, voici donc un petit rondeau de lui sur le temps qui passe.


Version originale
en vieux français (très intelligible)

On doit le temps ensi prendre qu’il vient,
Toutdis ne poet durer une fortune.
Un temps se piert et puis l’autre revient.
On doit le temps ensi prendre qu’il vient.

Je me conforte a che qu’il me souvient
Que tous les mois avons nouvelle lune.
On doit le temps ensi prendre qu’il vient,
Toutdis ne poet durer une fortune.

Version adaptée
en français moderne

On doit le temps ainsi prendre qu’il vient,
Toujours ne peut durer une fortune.
Un temps se part, et puis l’autre revient.
On doit le temps ainsi prendre qu’il vient.

Je me conforte à ce qu’il me souvient
Que tous les mois avons nouvelle lune.
On doit le temps ainsi prendre qu’il vient,
Toujours ne peut durer une fortune.


Une excellente journée à tous!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

François Villon : Ballade et Oraison pour l’âme du bon maistre Jehan Cotard

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, et réaliste, tradition « gollardique »,
Auteur : François Villon
Titre : Ballade et « Oraison », l’âme du bon maistre Jehan Cotard
Période : moyen-âge tardif, début renaissance

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici encore une ballade de François Villon qui nous poursuit de sa belle poésie. Cette fois, nous le retrouvons  dans un texte plus « léger » où il ne nous conte pas ses propres souffrances mais nous parle avec humour d’un « supposé » feu maistre Jehan Cotard et de son goût pour la boisson.

La sortie de l'Arche de Noé et l'ivresse du patriarche, 1430 Manuscrit du maître de Bedford, 1430,
La sortie de l’Arche de Noé et l’ivresse du patriarche, 1430 Manuscrit du maître de Bedford, 1430,

Qui était  le bon maistre  Jehan Cotard ?

Sur la question de qui était ce bon maistre Jehan Cotard, on trouve les traces de deux homonymes portant ce nom là, à Paris, dans une période contemporaine de celle de Villon. Le premier est un procureur en cour d’église mais si c’est bien lui l’homme était encore vivant au moment où Villon lui dédiait ses vers. Etonnant non? Au vue de l’humour de Villon, il se peut très bien qu’il ait rédigé la ballade du vivant de son camarade de beuverie à la manière d’une farce entre amis. L’autre Jean Cotard était, quant à lui, un marchand orfèvre et bourgeois.

En réalité, il demeure difficile en réalité de savoir si ballade_villon_poesie_taverne_medieval_detail_enluminure_manuscrit_valere_maximel’homme auquel François Villon fait référence ici était l’un des deux homonymes que l’on a retrouvé grâce aux registres de la municipalité de Paris ou un autre que l’Histoire n’a pas retenu, faute de documents existants. *

(Ci-contre, détail d’une scène de Taverne, (à l’évidence arrosée jusqu’au parquet)  Manuscrit Valère Maxime, 1470)

Comme Villon semble s’être fait de nombreux amis, à l’occasion de ses études, dont une partie d’entre eux devint plus tard « de grands seigneurs et maîtres », aucune hypothèse ne peut vraiment être écartée sur l’identité de ce maître buveur. On a également avancé, en d’autres endroits, la possibilité d’un troisième Jean Cothard mais avec un H cette fois-ci, qui était inscrit comme doyen de la confrérie Saint Jacques de Paris en 1462 et 1463.  Pour être honnête, je ne sais à quel point il faut aller chercher une coquille d’orthographe dans le texte de Villon sur le nom de l’homme. Sauf erreur d’imprimerie, la rigueur de son écriture la rendrait en tout cas surprenante et de fait, à une lettre près, les recherches sur le dit Jehan Cotard pourraient sans doute nous amener assez loin.

Laissons donc le bon maître dont il est question dans cette ballade à son mystère; il reste que Villon nous le décrit comme un boit-sans-soif invétéré ce qui pourrait permettre d’inscrire cette poésie dans la tradition des chansons à boire ou même de la poésie goliardique des XIIe, XIIIe siècles qui encensait, entre autre chose, les plaisirs de la boisson et de la chair, à ceci près que la ballade du bon maistre Jehan Cotard par maistre François Villon n’est pas en latin mais en bon français du XVe siècle.

*Sources : Romaniarevue trimestrielle consacrée à l’étude des langues et des   littératures romanes (Volume 2, 1873).

Illustration d'une taverne, enluminure du manuscrit "Valerius maximus, Des faits et dits mémorables" 1470
Illustration d’une taverne, enluminure du manuscrit « Valerius maximus, Des faits et dits mémorables » 1470

Ballade et Oraison de François Villon
L’âme du bon maistre Jehan Cotard

Pere Noe, qui plantastes la vigne;
Vous aussi, Loth, qui bustes au rocher,
Par tel party qu’Amour, qui gens engigne,
De vos filles si vous feit approcher,
Pas ne le dy pour le vous reprocher,
Architriclin*, qui bien sceustes cest art,
Tous trois vous pry qu’o vous veuillez percher
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

* Loth : s’enivra dans une caverne et ses filles abusèrent de lui pour concevoir
* Architriclin :  Personne responsable de l’ordonnance du festin. allusion à l’Architriclin de l’évangile qui commanda qu’on fit servir le vin en premier aux noces de Cana.

Jadis extraict il fut de vostre ligne,
Luy qui beuvoit du meilleur et plus cher;
Et ne deust-il avoir vaillant ung pigne,*
Certes, sur tous, c’estoit un bon archer;
On ne luy sceut pot des mains arracher,
Car de bien boire oncques ne fut faitard.
Nobles seigneurs, ne souffrez empescher
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

* Pigne : traduit par peigne dans un ouvrage de 1835. ainsi que dans le glossaire de la langue d’Oil de Alphonse Bos. Pour le sens général de ces deux vers, nous proposons quelque chose comme :
« Et même s’il ne possédait pas grand chose
D’entre tous, il n’était pas du genre à lâcher sa prise. »

Comme um viellart qui chancelle et trepign
L’ay veu souvent, quand il s’alloit coucher;
Et une foys il se feit une bigne,*
Bien m’en souvient, a l’estal d’ung boucher.
Brief, on n’eust sceu en ce monde chercher
Meilleur pion, pour boire tost et tard.
Faictes entrer quand vous orrez hucher*
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard.

* Bigne: Bosse
*orrez hucher : entendrez frapper à la porte)

ENVOI.

Prince, il n’eust sceu jusqu’a terre cracher;
Tousjours crioyt: Haro, la gorge m’ard!
Et si ne sceut oncq sa soif estancher,
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard.


Aparté Georges Brassens et François Villon

En lisant encore les références à Villon entre les lignes de Brassens, voici un texte assez peu connu du chanteur contemporain du XXe siècle ayant pour titre « la légion d’Honneur ». Il est notoire que Georges Brassens refusa cette légion d’honneur quand on la lui proposa, mais il ne chanta pas cette chanson pourtant de son vivant. On doit à Maxime le Forestier de l’avoir fait connaître, à titre posthume puisque Georges Brassens ne l’enregistra  jamais de son vivant. On y trouve quelque vers en référence à ce Jehan Cotard dont Villon nous parle, que je vous livre ici:

« L’âme du bon feu maistre Jehan Cotard
Se réincarnait chez ce vieux fêtard.
Tenter de l’empêcher de boire un pot
C’était ni plus ni moins risquer sa peau.
Un soir d’intempérance, à son insu,
Il éteignit en pissotant dessus
Un simple commencement d’incendie.
On lui flanqua le mérite, pardi !
Depuis que n’est plus vierge son revers,
Il s’interdit de marcher de travers.
Car ça la fout mal d’ se rendre dans les vignes,
Dites du Seigneur, faire des faux pas
Quand on est marqué du fatal insigne.
La Légion d’honneur ça pardonne pas. »
Georges Brassens. La légion d’Honneur

Voici l’interprétation de la Légion d’Honneur
de Georges Brassens par Maxime le Forestier

Une très belle journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes »