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Contre le Moyen Âge, l’éternel retour du moyenâgeux

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste , livres, préjugés, idées reçues, pouvoir politique
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil (1977)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous sommes heureux de partager un extrait de « Pour en Finir avec le Moyen Âge« , un des plus célèbres ouvrages de Régine Pernoud. Elle le rédigea plus de 30 ans après son premier ouvrage « Lumière du Moyen Âge » daté de 1946. De l’un à l’autre, le combat restait pourtant le même : lever le voile sur le Moyen Âge historique et le remettre à sa place, au milieu d’un océan de préjugés et de vents contraires.


« C’est assez dire que le Français moyen, aujourd’hui, n’accepte plus qu’on qualifie de « gauches et maladroites » les sculptures d’un portail roman, ou de « criardes » les couleurs des vitraux de Chartres. Son sens artistique est suffisamment éveillé pour que des jugements qu’on n’aurait même pas discutés il y a trente ans, lui paraissent, à lui, définitivement périmés. Cependant il reste un certain décalage, qui, peut-être, vient surtout d’habitudes d’esprit ou de vocabulaire, entre le Moyen Age qu’il admire toutes les fois qu’il en a l’occasion, et ce que recouvre pour lui ce terme de Moyen Age. (…) Moyen Age signifie toujours : époque d’ignorance, d’abrutissement, de sous-développement généralisé, même si ce fut la seule époque de sous-développement pendant laquelle on ait bâti des cathédrales ! Cela parce que les recherches d’érudition faites depuis cent cinquante ans et davantage n’ont pas encore, dans l’ensemble, atteint le grand public. »

Régine PERNOUD – Pour en Finir avec le Moyen Âge (1977)

Une citation de Régine Pernoud sur le Moyen Âge en Image

L’actualité du combat de Régine Pernoud
pour le Moyen Âge

Dans la citation du jour, la médiéviste faisait remonter à 150 ans avant elle, et au début du XIXe siècle, les premières déconstructions sérieuses du Moyen Âge à l’égard des visions caricaturales qui les avaient précédées. Et pourtant… Aujourd’hui, de nombreux spécialistes de cette période historique continueraient sans doute de s’accorder avec elle quand elle écrivait, dans ce même livre de 1977 : « …Or le médiéviste, s’il s’est mis en tête de composer un sottisier sur le sujet, se trouve comblé par la vie quotidienne. Pas de jour où il n’entende quelque réflexion dans le genre : « Nous ne sommes plus au Moyen Age », ou « C’est un retour au Moyen Age », ou « C’est une mentalité médiévale ».

Pour en finir avec le Moyen Âge, essai de Régine Pernoud

Force est de constater, en effet, que l’actualité des petites phrases ou d’articles vus ici ou là, comme certaines énormités issues de productions cinématographiques récentes, ne cessent de lui donner raison. A presque 200 ans de son point de référence, certains préjugés perdurent à l’encontre des temps médiévaux et c’est au point qu’on a du mal à croire qu’il puisse s’agir d’un simple phénomène passif ou d’ignorance communément partagée. Même si le chemin peut, quelquefois, être long du savoir académique et des laboratoires au grand public, le fait que les relais se soient aussi peu effectués en deux siècles semble aller un peu au-delà d’un simple défaut circonstanciel du système éducatif ou d’une « négligence » des programmes. Il faut bien qu’il y ait, tout de même, quelques volontés à l’œuvre pour expliquer tout cela (voir Moyen Âge, idées reçues et Révolution des machines). Et si, on peut, tout de même, espérer que les choses se soient un peu améliorées grâce à l’œuvre de la médiéviste du XXème siècle et de quelques autres vulgarisateurs après elle, un phénomène complexe de cristallisation semble être à l’œuvre ici qui condamne le public à ne jamais pouvoir entrer, tout à fait, en contact avec le Moyen Âge historique, comme certaines de ses valeurs et richesses. Pour en dire un mot, ce phénomène nous semble à la fois historique, langagier et idéologique. Si vous voulez vous frottez à quelques réflexions le concernant, nous vous invitons à télécharger cet article « Contre le Moyen Âge, l’éternel retour du Moyenâgeux« .

Hors de l’historiquement correct

Si Régine Pernoud a été souvent décriée par certains de ses confrères — en partie pour ses convictions et sa marginalité académique, mais peut-être aussi pour ses efforts de vulgarisation couronnés de succès auprès du public — on peut constater que ses détracteurs n’ont pas toujours réussi à remettre à l’heure les pendules du Moyen Âge, pas d’avantage qu’à soulever les mêmes montagnes qu’elle (1). De fait, en 1977, l’historienne constatait déjà les prémices d’un regain d’intérêt pour la période médiévale et ses monuments, soutenus entre autre par la télévision et ses programmes éducatifs (où sont-ils ? ). Pourtant, elle n’a pas fait qu’observer ce mouvement. Par son œuvre impressionnante — pas moins de 60 ouvrages d’une grande accessibilité — elle y aura aussi contribué. En touchant un très large public, les ouvrages de Régine Pernoud ont participé de cet engouement pour le Moyen Âge que n’ont pu que constater (comme elle ou après elle) des Jacques le Goff (qui parlait de « mode du Moyen Âge ») et d’autres médiévistes. Cet intérêt pour le monde médiéval perdure encore, même s’il a pris entre-temps d’autres formes et que sont venues s’y greffer d’autres influences exogènes et d’autres représentations.

Quoi qu’il en soit, même si elle ne s’est guère préoccupée de verser dans « l’historiquement correct » et n’en déplaise à ces opposants, on lit encore Régine Pernoud aujourd’hui, et on l’apprécie toujours plus de 20 ans après sa disparition. Jugez-en simplement par les commentaires élogieux sur ses ouvrages qui constellent le web. Et si on peut admettre que les années ont un peu passé sur certains d’entre eux, leurs vérités ont loin d’avoir été emportées par le flot du temps. Les sujets traités sont riches, son œuvre exhaustive. Durant sa longue carrière, Régine Pernoud n’a pas fait que réconcilier le Moyen Âge avec les femmes et le pouvoir féminin même si elle y a grandement contribué. Elle a éclairé toute cette période de sa sagacité, avec une volonté sincère de la faire partager au plus grand nombre et de transmettre. Avec un sens véritable de la pédagogie, nul ne pourrait dire, aujourd’hui, qu’elle n’y est pas parvenu.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes

(1) Au sujet des détracteurs de Régine Pernoud, tout autant que de son legs, lire le riche article « Défendre le Moyen Âge, les combats de Régine Pernoud » de Jean-Louis Benoît, issu de l’ouvrage collectif Le Savant dans les lettres, paru en 2014, aux Presses universitaires de Rennes.

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la photo de Régine Pernoud, l’enluminure et ses bâtisseurs de cathédrales sont tirés du manuscrit de la BnF Latin 4915 : le Mare historiarum ou la Chronique universelle de la Création à 1250 du Frère dominicain et chroniqueur italien Giovanni Colonna.

Pouvoir central au moyen âge selon Régine Pernoud

Sujet  :   citations, Moyen Âge,  historien, médiéviste, valeurs médiévales, valeurs actuelles, savoir, livres, préjugés, arbitraire, pouvoir politique
Auteur : Régine Pernoud (1909-1998)
Ouvrage : Lumière du Moyen Age (1946)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle citation de la médiéviste Régine Pernoud sur la réalité du pouvoir central et les freins à son arbitraire au Moyen Âge. On reconnaîtra bien, dans cette réflexion, la façon qu’avait l’historienne de penser à rebrousse-poil, en faisant la chasse aux idées reçues. Cet extrait est tiré de son premier ouvrage, sorti en 1946 et ayant pour titre Lumière du Moyen Âge (à ce sujet, voir aussi l’appétit de savoir au Moyen Âge).

Citation illustrée de Régine Pernoud, historienne, médiéviste

« Loin d’être les deux seules forces en présence, l’Etat et l’individu ne correspondent que par une foule d’intermédiaires. L’homme au Moyen Age n’est jamais un isolé ; il fait nécessairement partie d’un groupe : domaine, association ou « université » quelconque, qui assure sa défense tout en le maintenant dans la voie droite. L’artisan, le commerçant sont à la fois surveillés et défendus par les maîtres de leur métier, qu’ils ont eux-mêmes choisis. Le paysan est soumis à un seigneur, lequel est vassal d’un autre, celui-ci d’un autre, et ainsi de suite jusqu’au roi. Une série de contacts personnels jouent ainsi le rôle de « tampons » entre le pouvoir central et le « Français moyen », qui de ce fait ne peut jamais être atteint par des mesures générales arbitrairement appliquées, et n’a pas affaire non plus à des puissances irresponsables ou anonymes, comme le serait par exemple celle d’une loi, d’un trust ou d’un parti. »

Régine PernoudCitation extraite de Lumière du Moyen Âge (1946)


Ni autoritarisme, ni monarchie absolue

« Il est évident qu’il n’y avait place, au Moyen Age, ni pour un régime autoritaire ni pour une monarchie absolue. Les caractères de la royauté médiévale en prennent d’autant plus d’intérêt, chacun d’eux apportant la solution d’un problème sur la question toujours épineuse des rapports de l’individu et du pouvoir central. » Nous dit encore la médiéviste avant d’enchaîner sur cette citation dans laquelle elle remet en question les notions d’arbitraire et de coercition fréquemment projetées sur le monde médiéval et son pouvoir monarchique. Le pouvoir, tel qu’elle nous le présente y est plus dilué ; son visage y est plus humain. Dans le même élan, elle renvoie cette réalité historique à celle des pouvoirs modernes et leur centralisme sous leurs triples formes politiques, légales, économiques, susceptibles d’atteindre, très directement et à tout moment, un individu bien plus livré à lui-même.

On l’a bien compris, il ne s’agit pas de dépeindre le Moyen Âge comme une période idyllique où n’aurait régné aucun arbitraire. En revanche, cette mise en valeur d’un pouvoir composite et « étagé » entre individu et pouvoir central permet de mesurer les grandes différences entre cette période et la nôtre, tout en nuançant largement certains préjugés à l’égard des temps médiévaux. Dans le contexte actuel, cette citation nous semble également résonner de façon assez particulière, en regard de certains aspects de nos démocraties modernes, de la réelle présence de contrepouvoirs ou même d’une réelle représentativité citoyenne. D’ailleurs, ces quatre dernières années en France, de nombreux mouvements politiques et sociaux ont clairement montré que nous n’étions pas les seuls à nous poser ce genre de questions.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous  toutes ses formes

NB : en arrière plan de la médiéviste Régine Pernoud, sur l’image d’en-tête, vous trouverez une enluminure tirée de l’ouvrage ms Français 12559 : Thomas de Saluces , Le Chevalier errant . Ce manuscrit médiéval richement enluminé est daté des tout début du XVe siècle. Il est actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF et consultable en ligne sur Gallica.

La terre n’était pas plate au moyen âge mais elle est en train de le redevenir

podcast médiéval

Sujet : terre plate, terre ronde, science, histoire médiévale, idées reçues, préjugés, actualité.
Période : Moyen Âge.
Média  : podcast décembre 2021
Titre : La terre était-elle plate au Moyen âge ?
Intervenants : Christophe Dickès, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony.

Bonjour à tous,

ous avions été contacté, il y a quelques années, par un auteur illustrateur. Assez sympathique, il nous avait dit faire des petits cahiers ludiques pour les enfants et pour une petite maison d’édition. L’un deux, déjà paru, portait sur le Moyen Âge. Il espérait que nous soyons intéressés et puissions en parler dans nos pages. Très honnêtement, l’idée nous a ravi. Hélas, en consultant le document, assez bien illustré, nous avons trouvé de nombreuses idées fausses sur le monde médiéval entre lesquelles la suivante, énoncée laconiquement : « Au Moyen Âge, l’Eglise et les gens pensaient que la terre était plate « . La messe était dite…

Actualité de la terre plate

Aujourd’hui encore, ce préjugé est, sans doute, celui qui résume le mieux les idées reçues sur le monde médiéval et ses mentalités. Il fait encore sourire, voir pouffer, d’un air entendu. « La Terre était considérée comme plate au Moyen Âge« . Si les médiévistes ne pouffent pas, de nouveaux publics se joignent, désormais, à eux pour des raisons différentes. À l’heure d’internet, tout devient possible et depuis quelque temps, les affirmations autour de la terre plate reviennent, en effet, au goût du jour. Cela fait lever les yeux au ciel à tous les astronomes, scientifiques, physiciens, astronomes amateurs, de la terre entière et même quelques milliards d’autres personnes. Pourtant, en janvier 2018, un sondage de l’IFOP établissait que près de 9% des français pensaient cette théorie possible : 2% en étaient totalement convaincus, 7% la jugeaient probables. C’est un peu plus qu’une sorte de « pourquoi pas ? » face à l’idée. Beaucoup de regards se sont alors tournés vers l’éducation et certains ont pu avoir une pensée émue pour la crédibilité accordée aux enseignements scolaires, autant que pour l’éducation scientifique.

À date, une brève requête faite sur google en langue française vous fera apparaître près de 46 200 000 résultats sur « terre plate ». Si vous la tentez en anglais (« flat earth »), le nombre vertigineux de 1 230 000 000 résultats s’affichera. Sur youtube, les vidéos sur le sujet sont également innombrables même si (rappelons-le) pour y poster, il ne faut pas nécessairement un doctorat en physique, ni même des études poussées en Astronomie ; une webcam et un soft de montage vidéo suffisent. En dehors de quelques pédagogues qui s’escriment à réhabiliter le bon vieux globe terrestre, si le courage vous en dit (personnellement, j’ai un peu passé mon tour), vous assisterez aux échafaudages les plus hardis visant à démontrer la platitude de notre bonne vieille « Plan-ète » .

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est deco-terre-plate-.jpg.

La plupart ne tiendrait sans doute pas 5 minutes face à un Hubert Reeves. Ils n’auraient pas, non plus, été approuvés par un regretté Haroun Tazieff ni un Albert Einstein et même votre prof de physique de collège pourrait les démonter, mais qui sont tous ces prétendus experts après tout ? Quelle légitimité réelle pourraient-ils bien avoir face à des millions d’opinions et de bouches grandes ouvertes en ligne ? Deux ou trois voix de plus dans l’arène, d’où qu’elles viennent, ne font pas une vérité, pas vrai ? Je plaisante à demi. La nouvelle barbarie dont Alessandro Baricco nous avait dit un mot est dans la place. À chacun sa vérité et sa panoplie d’experts. Le plus étonnant reste, sans doute, le niveau d’élaboration de certains de ces contenus et les efforts qui peuvent y être portés. Au final, tout ça viendra allégrement alimenter la définition de la complosphère et jeter le discrédit sur tout ce qu’on peut trouver en ligne. Les vrais lanceurs d’alerte noyés dans une mer où surnagent toutes les vérités et leur exact contraire. Pas terrible…

Points de vue et motivations

Illustration d'une théorie de la terre plate

Pour revenir à la terre plate, nous aurait-on menti ? Vivons-nous, sans le savoir sur un plan, un monde plus plat que la Belgique de la chanson de Brel ? Une sorte de théâtre à la Trueman show ? Certains se posent la question, d’autres s’en laissent convaincre. Nous n’allons pas passer en revue ici toutes les théories qui mettent du baume au cœur des « platistes », ni même nous aventurer à juger ces derniers. Pourtant, il est permis de se demander comment des allégations venues contredire des siècles, et même des millénaires de cosmologie, peuvent parvenir à se propager au XXIe siècle ? (même si cela reste très relativement, n’exagérons rien). À l’heure des stations spatiales, des satellites, de Hubble, des exoplanètes, de l’exploration martienne, comment le niveau de connaissances que nous avons atteint sur l’univers peut-il laisser la place à de telles affirmations ?

S’il y a de quoi se frotter les mains pour ceux qui voient un complotiste derrière chaque arbre, on se demande sur quel terrain ces croyances peuvent bien faire leur nid. Au delà des certitudes qu’a pu nous laisser (ou non, la preuve !) l’éducation scientifique, faut-il simplement y voir un besoin de poésie, d’excitation, de rêve ? Le philosophe physicien Etienne Klein bondirait peut-être sur sa chaise en lisant ces lignes, lui qui prêche « le goût du vrai » et ne cache pas ses inquiétudes sur le peu de place fait à la science dans l’information. Si vous avez eu l’occasion de voir certaines de ses conférences sur youtube (justement), notamment celle sur la définition d’ultracrépidarianisme, vous savez déjà qu’il plaide pour un retour des véritables experts scientifiques dans le champ médiatique. Quant au goût du rêve, les amoureux de science ne sont pas souvent pas obtus, ni même scientistes. Certains d’entre eux vous affirmeront que l’univers et le cosmos tels que la science actuelle conservent, même ainsi, leur charge de mystère et de poésie.

Croire, ne pas croire ? Débattre ou non ? Dans un autre registre, interrogé, il y a quelques années, sur un complot possible au sujet de l’alunissage des américains en 1969, Alexandre Astier auteur du spectacle l’Exoconférence (2014) répondait simplement : « je n’ai pas besoin de ça« . En un mot, s’il faisait le constat que ce type de choses parlait à certains et pouvait même, peut-être, correspondre à un certain besoin pour eux, il n’entrait simplement pas dans le débat. « Je n’ai pas besoin de ça ». Pas de jugement, juste un constat pour lui-même. C’est sans doute la meilleure attitude. On ne peut pas être en croisade sur tous les sujets et laisser justement cela aux experts et enseignants des domaines concernés. Connaissant la goût de l’auteur de Kaamelott pour l’astronomie, il serait, toutefois, intéressant de connaître sa position au sujet de cette théorie de la terre plate qui demeure, quand de même, d’un autre niveau que l’alunissage américain.

Tout cela étant dit, la question des causes et des motivations reste ouverte. Nous n’avons pas, ici, la prétention de la trancher. Au moment de ces lignes et en regardant de près ce résultat google, une chose demeure troublante, pourtant. Certains défenseurs de cette théorie de la terre plate sont en train d’acheter de la publicité sur le moteur de recherche pour la propager. La publicité redirige sur un site qui parle uniquement de ce sujet. On y plaide même la renaissance d’une certaine foi « contre les mensonges de la laïcité ». Plutôt étonnant comme croisade. On se demande franchement à qui elle profite et qui peut investir ses deniers pour la mener.

L’homme médiéval face à la terre plate

Ces quelques réflexions posées sur cette étrange théorie de la terre plate au XXIe siècle, revenons sur la croyance supposée que cette idée était commune et admise durant le Moyen Âge. Précisons que nous avions déjà abordé ce sujet, il y a quelques années, avec le support d’une conférence de Jean-Marc Mandosio, enseignant à l’École pratique des hautes études (EPHE). Ce dernier établissait clairement que ce préjugé de terre plane aux temps médiévaux avait été faussement colporté durant des siècles.

un podcast de Storia Voce

Livre : La terre plate par une scientifique et une médiéviste

Preuve que ce thème est encore d’actualité, tout récemment encore, deux éminentes chercheuses et enseignantes universitaires, l’une historienne, Violaine Giacomotto-Charra, l’autre physicienne Sylvie Nony se sont penchées, elles-aussi, sur le sujet. Leur collaboration a donné lieu à l’ouvrage « La terre plate, généalogie d’une idée fausse » paru aux Belles Lettres en 2021.

À cette occasion, les deux auteurs ont été également les invitées d’un podcast de StoriaVoce. Cela va nous fournir enfin l’opportunité de vous dire un mot de cette excellente radio web. Très orientée sur l’histoire et son enseignement, ce média est présenté et animé par l’historien et journaliste Christophe Dickès. Depuis sa création en 2016, il y passe en revue de nombreux sujets historiques entourés de nombreux et prestigieux invités. Les programmes de Storia Voce couvrent toutes les périodes et sont d’un niveau soutenu. Ils sont aussi très variés avec une fréquence de 6 à 8 podcasts mensuels depuis 5 ans,

Comme on le verra dans ce très complet programme audio, non seulement le Moyen Âge ne croyait pas en la terre plate mais la science et les grecs avaient affirmé, bien longtemps avant lui, que la terre était ronde. On la pensait immobile et statique, au centre de l’univers, mais elle était déjà considérée comme un globe. On y découvrira encore qu’après Voltaire, elle a même continué d’être propagée dans certains manuels scolaires jusqu’après le milieu du XXe siècle ! C’est dire toute la considération des éditeurs de manuel d’histoire pour le Moyen Âge et toute la rigueur de certains rédacteurs d’alors.

En vous souhaitant une bonne écoute et une très belle journée.
Fred F
Pour moyenagepassion.com
À la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, il s’agit d’une gravure publiée en 1888 par Camille Flammarion. Cette illustration du XIXe siècle représente un homme regardant par delà le bord du ciel ou l’atmosphère pour essayer d’y découvrir l’espace profond. Ouvrage de référence : L’atmosphère: météorologie populaire.

Idées reçues : des sorcières au Moyen Âge avec Martin Blais

Martin Blais, médiéviste et philosophe

Sujet : citations, Moyen Âge, idées reçues, barbarie, modernité, révolution, technologie, Moyen Âge, préjugés, sorcellerie, sorcières, livres.
Période : renaissance, XVIIe siècle, XVIIIe
Auteur : Martin Blais
Ouvrage : Sacré Moyen Âge (1997)

Bonjour à tous,

omme nous l’avons mentionné à l’occasion de l’actuelle exposition sur les sorcières du KBR Museum, s’il existe un préjugé qui a la vie dure au sujet du Moyen Âge, c’est bien cette vision de centaines, quand ce n’est de milliers, de femmes exécutées par l’Eglise, sous l’accusation abusive de sorcellerie. Bûchers à perte de vue et leurs feux meurtriers, justice ecclésiastique arbitraire, en réalité, tous ceux qui s’intéressent de plus près au monde médiéval savent que tout est faux dans ce type d’affirmation. La période n’est pas la bonne, l’exécuteur non plus, comme nous allons le voir dans l’extrait du jour.

Sorcières, bûchers et bras séculier

Une fois de plus, c’est à Martin Blais (1924-2018) et son ouvrage Sacré Moyen Âge que nous emprunterons ce passage. Cet écrivain, philosophe et enseignant canadien très prolifique, est loin d’être le seul à avoir écrit sur les idées reçues à l’encontre du Moyen Âge. De nombreux médiévistes s’y sont attelés, mais son ouvrage a l’avantage d’être digeste et accessible. Si ces questions vous interpellent mais que vous n’avez pas envie de lire une encyclopédie, ce petit bouquin pourrait donc être un bon point de départ.

Avant de partager cet extrait et pour ceux qui penseraient que si le Moyen Âge n’a pas brûlé de sorcières, il a, tout de même, connu une inquisition massivement meurtrière, à l’encontre des hérétiques ou contradicteurs de toutes sortes. Ajoutons qu’il s’agit, là encore, d’une affirmation à nuancer. Contre toute attente, le film Le Nom de la Rose n’est pas vraiment représentatif des temps médiévaux et, jusqu’à très récemment, des historiens très sérieux se sont même évertués à déconstruire l’inquisition médiévale et sa légende noire.

Citation illustrée de Martin Blais sur les préjugés sur le Moyen Âge

« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est de 1580 à 1640 que la chasse aux sorcières connut sa plus forte intensité : 1580, c’est le XVI e siècle, c’est la Renaissance ; 1640, c’est le XVII e siècle. On reste songeur. Eût-il été plus juste que mon encyclopédie note : « À la Renaissance et au XVII e siècle, on brûlait les sorcières » ? Quel choc ! Toutes les horreurs du passé ne doivent-elles pas s’entasser dans la grande poubelle de l’histoire, le Moyen Âge ? Stupéfiant, mais le prestigieux XVII e siècle appartient à l’époque qui s’est le plus tristement signalée par sa lutte barbare contre les sorciers et les sorcières. Même le XVIII e en a été entaché.

Enluminure sorcière manuscrit médiéval
 » Des Vaudoises » enluminure du XVe (1)

Une autre surprise nous attend. Les pays qui se livrèrent avec le plus de sévérité à la chasse aux sorcières furent tout d’abord l’Allemagne, puis la Suisse et l’Écosse. Pour une population de quatre millions d’habitants, l’Angleterre a allumé mille bûchers ; la France n’en a pas allumé davantage pour une population cinq fois supérieure. Pour une population comparable à celle de l’Angleterre, la Scandinavie a allumé deux mille bûchers. La persécution a été à peu près inexistante en Italie, en Espagne et au Portugal.

À partir de la Renaissance, c’est le « bras séculier » qui poursuit les sorciers et les sorcières. Le « bras séculier », c’est-à-dire l’autorité civile et non pas l’Église et son Inquisition, tristement célèbre. Quelques exemples. En Lorraine sévit un redoutable chasseur de sorcières, Nicolas Rémy, grand juge et procureur général de 1576 à 1591. Cet homme abominable a envoyé au bûcher environ trois mille sorciers et sorcières. En 15 ans, trois fois plus de victimes, à lui seul, que pendant tout le millénaire du Moyen Âge. »

Martin BlaisSacré Moyen Âge (1997)

(1) Cette enluminure est tirée de l’ouvrage, « Le Champion des dames », de Martin Le Franc, Prévost de l’église de Lausanne. Ce manuscrit médiéval, daté du milieu du XVe siècle, est conservé à la BnF sous la référence MS Français 12476 . En marge du Feuillet 105v, cette femme volant sur son balais a pour légende « Des Vaudoises », autrement dit « des sorcières », « des adoratrice de Satan ». On utilisait cette appellation en référence à l’hérésie vaudoise. Sur le feuillet, cette illustration est accompagnée d’un autre du même type.


Voilà donc une idée reçue de plus sur le Moyen Âge à évacuer ! Pour compléter voici quelques articles utiles :

couverture livre Fréderic Effe - Roman d'aventure médiévale

Si la sorcellerie et le monde médiéval vous intéressent, vous pouvez aussi découvrir notre roman d’aventure. Il a pour cadre le XIIIe siècle et raconte l’histoire d’un médecin alchimiste en prise à d’étranges phénomènes. Pour les fêtes de fin d’année, le format ebook reste encore en promotion à moins de 2.99€ . Si vous appréciez notre site et nos contenus, c’est un excellent moyen de nous montrer votre soutien, tout en plongeant dans une histoire inédite.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’impressionnante enluminure utilisée pour l’image d’en-tête est tirée du manuscrit médiéval Les Grandes Chroniques de France. Cet ouvrage, daté du milieu du XIVe siècle, est actuellement conservé à la bibliothèque du British Museum sous la référence Royal MS 16 G V (voir en ligne). L’illustration raconte l’histoire de la reine mérovingienne Frédégonde (545-597) et quelques-unes de ses « frasques ». Cette souveraine ambitieuse et impitoyable du haut Moyen Âge n’eut guère de chance avec ses héritiers mais elle réussit tout de même à mettre Clotaire II sur le trône après bien des stratagèmes et des assassinats.

D’après les grandes Chroniques de France, Frédégonde fit condamner le préfet Mummol (Mammolus) en utilisant un stratagème assez semblable à celui qu’elle aurait utilisé pour faire condamner Clovis : l’accusation de magie ou de sorcellerie. Pour Mummol, elle aurait même choisi un groupe de femmes vraisemblablement innocentes, qu’elle força à avouer leur méfait. Les malheureuses furent brûlées, torturées et décapitées. Mammolus fut exécuté lui aussi. L’enluminure représente ces infortunées victimes et sorcières de circonstance » ainsi que la pendaison de Mammolus sous le regard de la reine. Dans sa troisième partie, on voit Frédégonde faire fondre tout l’or et tout l’argent de son défunt fils Théodoric afin qu’il ne resta nulle trace de ses possessions qui put attiser l’immense douleur de sa perte. L’histoire conte qu’elle avait fait de même pour la garde-robe de ce dernier et pour les mêmes raisons.