Le château de flint : témoin de la conquête du pays de Galles dans l’Angleterre médiévale du XIIIe siècle

mondes_3D_virtuels_rue_médiévale_unity_3D_jeux_videosSujet : château-fort, reconstitution 3D, vidéo, architecture médiévale, angleterre médiévale, Pays de Galles monument historique, patrimoine anglais.
Période : Moyen-âge central, XIIIIe siècle
Lieu : Château de Flint ( Flintshire, pays de Galles, frontières anglaises)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis la conquête de l’Angleterre par les normands, dans la deuxième partie du XIe siècle, de nombreuses provinces et villes du Pays de Galles étaient tombées aux mains de ces derniers. Guillaume le conquérant en avaient fait des « marches » à la main d’hommes de confiance et ces fiefs, bien que soumis en dernier ressort à la couronne anglaise, étaient pratiquement indépendants.

Dès la fin de ce même siècle, les provinces demeurées galloises ne tardèrent toutefois pas à se soulever pour partir à la reconquête de leurs territoires perdus. Les échauffourées durèrent ainsi pendant près d’un siècle et demi, sans que les rois anglais en fassent véritablement une priorité.

Le château-fort de Flint premier pont de conquête du Pays de Galles par Edouard 1er dans l'Angleterre médiévale du XIIIe siècle
Le château-fort de Flint  pont de conquête du Pays de Galles par Edouard 1er dans l’Angleterre médiévale du XIIIe siècle

De Llywelyn le dernier à Edouard 1er
La conquète du pays de Galles

A_lettrine_moyen_age_passionu milieu du XIIIe siècle, en 1258, Llywelyn ap Gruffydd, (Llywelyn le Dernier), noble gallois conquérant se fit couronner Prince de galles. Souverain sur l’ensemble des provinces galloises y compris celles reprises aux anglais, il obtint même la reconnaissance de son titre par le roi Henri III, sous réserve de se plier à quelques conditions et d’accepter aussi de se déclarer le vassal de la couronne anglaise.

chateau-fort_flint_architecture_medievale_reconstitution_3D_angleterre_conquete_pays_galles__moyen_age_XIIIeUn traité fut signé en 1267 à Montgomery mais les ambitions politiques et conquérantes du Gallois ne s’arrêtèrent pas là. Il conclut, en effet, bientôt  des alliances et même un mariage avec  la famille de Simon de Montfort.  Ennemi juré des anglais, ce dernier avait mené la révolte des barons,  quelques années auparavant, et avait même,  à cette occasion, fait capturer le jeune prince Edouard. Pour la couronne d’Angleterre, la coupe était pleine et le fils d’Henri III, devenu roi depuis, décida  de soumettre, une fois pour toutes, les gallois. (ci-dessus, statue de Llywelyn ap Gruffydd, Conwy, Pays de Galles)

« L’anneau de fer » d’Edouard 1er

E_lettrine_moyen_age_passionn 1277, Edouard 1er d’Angleterre partit donc en campagne. Comme la prise et la défense de provinces au moyen d’un maillage de forteresses restait une stratégie militaire prisée dans le courant du XIIIe siècle, le souverain décida de faire édifier des châteaux forts sur le territoire du Pays de Galles et notamment au nord, région où la main mise des gallois était la plus forte. Il renforça également un certain nombre d’édifices déjà construits par son père Henri III.

chateu-fort_flint_pays_galles_histoire_medievale_edouard_1er_conquete_moyen-age_centralSi, ainsi qu’on l’a nommé, cet « anneau  de fer » d’Edouard 1er semble bien être un des plus grands projets de construction de l’Europe médiévale du XIIIe, sur un territoire aussi petit, il avait, en réalité, pour objectif de minimiser le coût exorbitant représenté par des campagnes militaires mobiles. Flint prit donc sa place dans ce schéma stratégique et militaire de conquête et fut l’un des premiers château-fort nouvellement construit par le souverain. Quelques années plus tard, en 1282, toujours dans l’optique d’asseoir les positions de la couronne anglaise en terres galloises, Edouard 1er vint y adjoindre d’autres places fortes : les châteaux de Beaumaris,  Conwy, Caernarfon  et Harlech, Les villes de   Caernarfon  et Conwy furent également fortifiées.

La guerre de conquête dura de 1277 à 1283 et vit tomber le pays de galles aux mains des anglais. Edouard 1er  hérita ainsi, par la force, du titre de Prince de Galles. La majorité des fiefs passa à la main royale, d’autres furent concédés à des vassaux de la couronne. Pour que la fin de l’indépendance du Pays de Galles soit effective sur le portrait_edouard_1er_angleterre_conquete_XIIIe_pays_de_galle_moyen-agepapier il fallut toutefois attendre encore trois siècles et les « Laws in Wales Acts » qui, en 1536 et 1543, entérinèrent son intégration à l’Angleterre.

(Ci-contre portrait d’Edouard 1er, abbaye de Westminster, datant du règne de ce dernier  (1272- 1307).

Après la conquête du pays de Galles, Edouard 1er se tourna vers l’Ecosse. Il eut, cette fois, un peu moins de réussite puisque le conflit s’éternisa jusqu’à la fin de son règne. On se souvient  d’ailleurs du rôle joué par William Wallace, (le Braveheart de Mel Gibson) dans la résistance opposée par les écossais à la couronne anglaise.

Reconstitution 3D de la chaîne youtube DEXTRAVISUAL

Le château de Flint, premier témoin
de la guerre de Galles d’Edouard 1er

L_lettrine_moyen_age_passiona construction du château de Flint dura près de 8 ans. Pour l’édifier, il fallut faire intervenir près de 3000 hommes dont 1845 en charge de creuser les digues et fondations, 320 maçons, et encore 790 charpentiers et ouvriers de toutes sortes pour travailler les bois de construction (The medieval castle in England and Wales : A political and social History, Norman JG Pounds).

Bordé de tours aux quatre coins, dont l’une était un grand donjon, le château de Flint est un modèle typique de l’architecture philippienne dans ses évolutions. On se souvient, en effet, que le donjon d’abord situé au centre des édifices fortifiés fut ensuite plutôt construit sur un de leurs angles. Le fait que le donjon soit totalement détaché de la structure semble n’être une variante de cette architecture, inaugurée d’ailleurs par Philippe-Auguste lui-chateau_flint_pays_galles_angleterre_medievale_conquete_edouard_1er_moyen-age_XIIIe_sieclemême, à l’occasion de la construction de la forteresse de Dourdan, dans l’Essonne (autour de 1220-1222)

Ci-contre, un carte de 1610 qui font état de fortifications additionnelles en bois. 

Quoiqu’il en soit, le bien fondé de la position stratégique du château-fort de Flint fut avéré puisqu’il fut assiégé à plusieurs reprises par les gallois durant les guerres de conquêtes anglaises. Il dut même essuyer une première attaque durant sa construction.

A la fin du XIVe siècle,  en 1399, la forteresse revint sur le devant de la scène puisque le roi Richard II s’y trouva capturé par Henry Bolingbroke dans une lutte de succession qui verra ce dernier triompher et se faire couronner Henri IVShakespeare immortalisa la scène de l’enlèvement du roi dans son Richard II, en prenant comme Décorum le château de Flint. Quelques années plus tard, au début du XVe les gallois du comté de Flint se soulèveront contre Henri IV et la légitimité de son règne et la forteresse autant que la ville connaîtront encore quelques années houleuses.

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J.M.W. Turner, le château de Flint (1838)

Au XVIIe siècle, durant la guerre civile anglaise, le château de Flint fut tenu par les royalistes jusqu’à sa prise, après un siège de plus de trois mois, par les parlementaires, qui ordonnèrent ensuite qu’il fut rasé. Comme de nombreuses forteresses anglaises qui subirent le même sort que lui, l’édifice médiéval ne se réduit plus, aujourd’hui, qu’à quelques ruines. Déclaré monument public, il y a près près d’un siècle, il a été depuis confié à la protection d’une organisation de sauvegarde du patrimoine dépendant du gouvernement gallois.

Il fallait bien l’aide de l’infographie 3D pour nous permettre de nous en faire une belle idée, aussi nous remercions encore la chaîne youtube Dextravisual pour ce beau travail.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Les confessions d’un malandrin d’Angelo Branduardi, grand troubadour « folk médiéval » italien des XXe, XXIe siècles

troubadour_medieval_trovatore_musique_chanson_poesie_inspiration_moyen-age_medievalSujet : chanson, poésie d’inspiration médiévale, musique, folk, poésie, résonance poétique, médiévalisme.
Période :  XXe siècle
Auteur  :  Sergueï Essénine (1895 – 1925), Etienne Roda-Gil (1941-2004), Angelo Branduardi
Titre : Confessions d’un Malandrin,
Interprète : Angelo Branduardi
Album : Confession d’un malandrin  (1981)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans les mystérieuses raisons qui peuvent nous pousser, enfants, à nous intéresser à l’Histoire ( un de ses aspects ou une de ses périodes en particulier), il nous a fallu compter avec un artiste italien, qui, dans les années 80, commença à illuminer de son art et de ses textes uniques  le paysage musical français. Indifférent aux modes, en plein cœur des années disco, Angelo Branduardi venait proposer ses créations, ses mélodies aux sonorités anciennes et sa grande poésie et le public en redemandait. Et peu importe alors qu’elles fussent ou non empruntées au moyen-âge historique, elles avaient une saveur toute médiévale et cet auteur-compositeur interprète, qui ne ressemblait à nul autre, semblait être un troubadour égaré dans notre monde. Venu de temps anciens aux commandes d’une mystérieux machine, il était peut-être même le dernier des troubadours italiens.

Angelo Branduardi,
le dernier troubadour italien

S’il a émergé au milieu des années 70 et leur goût prononcé pour le néo folk médiéval d’origine celtique ou même le folk « progressif », Angelo Branduardi a toujours fait figure d’être un artiste solitaire et indépendant. Loin  des influences d’autres groupes de cette période, son style demeurait déjà unique. Alors, pour tenter de le ranger quelque part, on a pu parler de « folk-rock d’influence médiévale », mais en réalité, ce que fait surtout Angelo Branduardi, c’est surtout du Angelo Branduardi.

chanson_folk_poesie_inspiration_medievale_angelo_branduardi_troubadour_italienCôté cursus, il vient d’un parcours musical classique. Violoniste soliste surdoué, formé au conservatoire Niccolò Paganini de Gènes, il en sortira à l’âge de 16 ans avec un premier prix. Il étudiera aussi un temps la philosophie et se piquera encore de poésie auprès du poète et écrivain italien Franco Fortini qui sera l’un de ses professeurs.

Entré presque par hasard dans le monde de la chanson, le baladin et multi-instrumentiste compose ses propres musiques et chante dans un nombre impressionnant de langues (italien, anglais, français, espagnol, etc…). Du côté des paroles, s’il s’inspire quelquefois de chansons traditionnelles, de textes anciens ou de poésies plus récentes, c’est presque toujours son épouse Luisa Zappa qui sera sa parolière en italien quand ils n’écriront pas les textes à quatre mains. Dans les autres langues, il choisira soigneusement ses paroliers pour proposer de véritables adaptations poétiques.

Confession d’un malandrin version française

Du côté des compositions, si elle peut sembler d’origine médiévale à l’oreille profane, la musique d’Angelo Branduardi  prend en réalité, le plus souvent sa source dans un répertoire plus classique, celui qu’il a appris au conservatoire de Gènes ; il n’y avait pas alors de formation aux musiques plus anciennes et médiévales. Ses œuvres sont donc plus résolument baroques, quelquefois renaissantes, et il va encore chercher dans le folklore méditerranéen ou même yiddish les sources de son inspiration.  Sur scène, l’artiste se laisse emporter par son art et il s’y tient souvent, les yeux fermés, chanson_folk_poesie_inspiration_medievale_confession_malandrin_angelo_branduardi_troubadour_italientout entier habité par sa musique et plongé au cœur d’une intériorité dont il demeure le seul à possèder les clés.

Maintes fois primé pour ses albums, plusieurs fois disque d’Or, il se fera un peu plus discret en France à compter du milieu des années 90, mais il restera actif artistiquement en d’autres lieux. Après de longues années de travail en Italie et en Allemagne et pour le plus grand plaisir d’un public français qui lui est resté fidèle, il reviendra avec des concerts mais aussi avec un Best Of de ses chansons françaises en 2015.

Sur la partie les plus médiévales de ses productions, dans les années 2000, il signera « L’infinitamente Piccolo », une œuvre poétique et musicale sous forme de spectacle (suivie en 2007 d’un DVD) dédiée tout entière à Saint-François d’Assise : La Lauda di Francesco (la laude, les louanges de Saint-François). 

Pour consulter l’actualité et l’agenda d’Angelo Branduardi, voici le lien vers la version française de son site web officiel.

« Les Confessions d’un Malandrin »
une chanson « d’inspiration » médiévale

Bien qu’enregistrée seulement en 1981 en langue française, en plus d’être une pure merveille, la chanson que nous vous proposons aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle est la toute première composée par Angelo Branduardi. Ecrite à l’âge de 18 ans, presque par jeu et « dans les tourments de l’adolescence », comme il le confiera lui-même lors d’un interview à la télévision italienne, l’artiste ne se destinait alors pas du tout à être chanteur. Au hasard d’une rencontre c’est pourtant bien cette chanson  qui le propulsera dans une carrière qu’il avait été loin d’imaginer et qu’il avait projetée chanson_poesie_inspiration_medievale_serguei_essenine_poete_voyou_paysan_russebien plus  « classique ».

Du point de vue musical comme textuel, à la première écoute, les confessions de ce malandrin ont déjà l’air de nous transporter dans le moyen-âge des troubadours avec ce poète qui court de village en village. Fils de modestes paysans, il est devenu célèbre et on parle désormais de lui chez « les rois et les reines ». Pourtant, il reste attaché par l’âme et le cœur à sa terre natale, et il se livre, de manière touchante,  dans cette poésie.

Le souffle d’un grand poète russe
pour la musique inspirée d’un troubadour italien

Loin de trouver ses origines dans la période médiévale, les paroles de cette chanson proviennent en réalité d’un poème russe daté de 1920 et signé de la main de Sergueï Aleksandrovitch Essenine  (Serge Esenin) (1895 – 1925). Auteur de talent, encore largement reconnu en Russie, poète, « voyou »,  homme engagé aussi aux côtés de la révolution d’octobre, Essenine chanta l’âme russe et l’attachement à sa terre comme personne.

« Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter.
Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme 
Tombant aux pieds d’autrui.
Ci-après la toute ultime confession, 
Confession dont un voyou vous fait profession.

C’est exprès que je circule, non peigné,
Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules. 
Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer
L’automne sans feuillage de vos âmes. »

Sergueï Esenin  – Extrait de Confession d’un voyou,
traduction d’Armand Robin

Cette poésie qui toucha Angelo Branduardi au cœur est inspirée directement de la vie du poète russe ; il était lui-même issu d’une famille de paysan. Consumé peut-être par sa propre sensibilité, Sergueï Essénine mit fin à ses jours à l’âge de trente ans, en laissant pour témoignage une poésie écrite de son propre sang. La version du suicide fut contestée par la famille, mais le jeune poète russe au destin tragique emporta la vérité dans sa tombe (pour quelques extraits de son oeuvre, consultez cet article d’Esprits Nomades ).

chanson_poesie_inspiration_medievale_folk_etienne_roda_gil_branduardi_confession_malandrinAyant trouvé de grandes résonances avec le poète, le jeune Angelo Branduardi signa donc l’adaptation italienne de ces « confessions d’un voyou » dans les années 70 et c’est son parolier français de prédilection, Etienne Roda-Gil qui en fit, bien plus tard, en 1981, une adaptation française très inspirée. Elle vint rejoindre d’autres chansons du troubadour italien dans un album qui portait d’ailleurs le nom de la chanson.

Ajoutons que la version italienne, elle-même magnifique, est assez fidèle dans sa trame et ses vers au poème d’origine de Sergueï Esénine qui l’avait inspirée.  On doit son « tour médiévalisant » à Angelo Branduardi qui l’avait déjà amorcé dans la version italienne par son choix de vocabulaire : le « voyou » entre autre, s’était déjà changé chez lui en « malandrin ».  Etienne Roda-Gil le suivit dans la version française et renforça encore les images médiévales  avec ces paysans qui craignaient « le seigneur du ciel et les tourbières » chez le poète russe et qui, avec lui, se mirent à craindre « les seigneurs et leur colère », avec encore ce poète dont on parlait chez « les rois et les reines » et qui, dans la version originale, chantait la Russie. Le passage à l’univers du Moyen Âge était fait et l’évocation totalement réussie.

Confessioni di un malandrino version italienne

Confessions d’un malandrin, les paroles
et l’adaptation française de Roda-Gil

Je passe les cheveux fous dans vos villages,
la tête comme embrasée d’un phare qu’on allume
Aux vents soumis je chante des orages
aux champs labourés la nuit des plages.
Les arbres voient la lame de mon visage
où glisse la souillure des injures
Je dis au vent l’histoire de ma chevelure
qui m’habille et me rassure.

Je revois l’étang, de mon enfance
où les roseaux et toutes les mousses dansent
et tous les miens qui n’ont pas eu la chance
d’avoir un fils sans espérance.
Mais ils m’aiment comme ils aiment la terre
ingrate à leurs souffrances à leur misère
Si quelqu’un me salissait de reproches
ils montreraient la pointe de leur pioche.

Paysans pauvres mes père et mère
attachés à la boue de cette terre
Craignant les seigneurs et leurs colères
pauvres parents qui n’êtes même pas fiers
d’avoir un fils poète qui se promène
dont on parle chez les rois et chez les reines
qui dans des escarpins vernis et sages
blesse ses pieds larges et son courage.

Mais survivent en moi comme lumière
les ruses d’un voyou de basse terre
devant l’enseigne d’une boucherie campagnarde
je pense aux chevaux morts mes camarades
Et si je vois traîner un fiacre
jaillit d’un passé que le temps frappe
je me revois aux noces de campagne
parmi les chairs brulées des paysannes.

J’aime encore ma terre, bien qu’affligée
de troupes avares et sévères
c’est le cri sale des porcs que je préfère
à tous les discours qui m’indiffèrent.
Je suis malade d’enfance et de sourires
de frais crépuscules passés sans rien dire
Je crois voir les arbres qui s’étirent
se réchauffer puis s’endormir.

Au nid qui cache la couve toute neuve
j’irai poser ma main devenue blanche
mais l’effort sera toujours le même
et aussi dure encore, la vieille Écorce.
Et toi le grand chien de mes promenades
enroué, aveugle et bien malade
tu tournes la queue basse dans la ferme
sans savoir qui entre ou qui t’enferme.

Il me reste des souvenirs qui saignent
de larcins de pain dans la luzerne
et toi et moi mangions comme deux frères
chien et enfant se partageant la terre
Je suis toujours le même, le sang,
les désirs, les mêmes haines
sur ce tapis de mots qui se déroule
je pourrais jeter mon coeur à vos poules.

Bonne nuit faucille de la lune
brillante dans les blés qui te font brune
de ma fenêtre j’aboie des mots que j’aime
quand dans le ciel je te vois pleine
La nuit semble si claire
qu’on aimerait bien mourir pour se distraire
qu’importe si mon esprit bat la campagne et
qu’on montre du doigt mon idéal.

Cheval presque mort et débonnaire
à ton galop sans hâte et sans mystère
j’apprends comme d’un maître solitaire
à chanter toutes les joies de la terre
De ma tête comme d’une grappe mure
coule le vin chaud de ma chevelure.

De mon sang sur une immense voile pure,
je veux écrire les rêves des nuits futures…

En vous souhaitant une belle journée et une très belle écoute.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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« Fay ce que doiz et adviengne que puet » un ballade morale d’Eustache Deschamps à son fils

eustache_deschamps_ballade_poesie_medievale_enluminure_clerc_etudes_science_savant_moyen-age_tardifSujet : poésie médiévale, littérature médiévale, poésie morale, ballade, moyen français, valeurs morales, loyauté,honneur,
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  Fay ce que doiz et adviengne que puet
Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps GA Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionap sur le XIVe siècle avec une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Le poète médiéval la destina explicitement à son fils et comme dans nombre de ses poésies morales, il y est question de droiture, d’honneur, de loyauté, de non-convoitise, bref d’un code de conduite pour soi mais aussi, bien sûr, valeurs chrétiennes obligent, devant l’éternel.  Comme il se plait souvent à le souligner, (il le fera à nouveau ici) ces valeurs et ce code transcendent les classes sociales et s’adressent à tous. Par elles, tout un chacun peut s’élever mais aussi se « sauver ».

Pour le reste, à la grâce de Dieu donc et advienne que pourra :  Fay ce que doiz et adviengne que puet. Dans le refrain de cette balladeon retrouve le grand sens de la formule et la plume incisive du maître de poésie  du moyen-âge tardif.

Georges Adrien Crapelet
et la renaissance d’Eustache Deschamps

ballade_poesie_medievale_eustache_deschamps_moyen-age_XIVeOn peut trouver cette ballade dans plusieurs oeuvres complètes de l’auteur médiéval et notamment dans l’ouvrage de Georges Adrien Crapelet (1789-1842) cité souvent ici : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps. Pour rendre justice à cet écrivain et imprimeur des XVIIIe, XIXe siècles, il faut souligner qu’après de longs siècles d’un oubli pratiquement total de la poésie d’Eustache Deschamps, c’est lui  qui l’exhuma patiemment des manuscrits, en publiant, en 1832,  l’ouvrage  en question et sa large sélection de poésies et de textes.

Les experts littéraires et historiens contemporains de Crapelet ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en reconnaissant alors les grandes qualités de son travail autant, du même coup, que celles de la poésie d’Eustache Deschamps. Si vous en avez la curiosité, on trouve dans le Journal des Savants de la même année 1832, un article fort élogieux de l’historien François Just Marie Raynouard  à propos de l’ouvrage de Crapelet et de ses travaux.

Près de deux cents ans après sa parution, ce livre est toujours ré-édité par diverses maisons d’éditions, en version papier. C’est, pour l’instant, l’éditeur Forgotten books qui est le mieux positionné du point de vue tarifaire, avec une édition brochée de belle finition. En voici le lien, s’il vous intéresse: Poésies Morales Et Historiques D’Eustache Deschamps, Ecuyer,  Huissier D’Armes Des Rois Charles V Et Charles VI, Chatelain de Fismes Et Bailli de Senlis.

A la suite de G.A. Crapelet, Le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Reynaud, et d’autres auteurs encore du XIXe se décidèrent à leur tour, à publier les oeuvres complètes de l’auteur médiéval. S’il n’est pas devenu aussi célèbre qu’un Villon, Eustache Deschamps  a tout de même, grâce à tout cela et depuis lors, reconquis quelques lettres de noblesse bien méritées.

Sans minimiser aucunement le rôle joué par Crapelet dans la redécouverte de cette oeuvre conséquente, il faut se resituer dans le contexte historique et ajouter que les XVIIIe et le XIXe furent de grands siècles de redécouverte de l’art, de la poésie et de la littérature médiévale.

« Fay ce que doiz et adviengne que puet »
dans le moyen-français d’Eustache Deschamps

Soit en amours, soit en chevalerie,
Soit ès mestiers communs de labourer,
Soit ès estas grans, moiens, quoy c’om die,
Soit ès petis, soit en terre ou en mer,
Soit près, soit loing tant come on puet aler,
Se puet chascun net maintenir qui veult,
Ne pour nul grief ne doit a mal tourner :
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

Car qui poure est, et vuiz* (dépourvu) de villenie,
Devant tous puet bien sa teste lever ;
Se loiaulx est l’en doit prisier sa vie
Quand nul ne scet en lui mal reprouver ;
Mais cilz qui veult trahir ou desrober
Mauvaisement, ou qui autrui bien deult* (doloir, faire du tort),
Pert tout bon nom, l’en se seult* (souloir : avoir coutume) diffamer.
Fay ce que doiz et adviengne que puet.

N’aies orgueil ne d’autrui bien envie,
Veueilles toudis aux vertus regarder,
T’ame aura bien, le renom ta lignie ;
L’un demourra, l’autre est pour toy sauver :
Dieux pugnist mal, le bien remunerer
Vourra aux bons; ainsi faire le suelt*(de souloir).
Ne veuillez rien contre honeur convoiter.
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

L’ENVOY

Beaus filz, chascuns se doit loiaulx porter,
Puisqu’il a sens, estre prodoms l’estuet* (estoveir: falloir,être nécessaire)
Et surtout doit Dieu et honte doubter :
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
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