Sujet : folk néo-médiéval, musique monde médiéval, théâtre visuel Groupe : Strella do Dia (étoile du jour) Répertoire : manuscrits, danses et chants historiques Origine : Portugal Création du groupe : 2000
Bonjour à tous,
ous vous proposons, aujourd’hui, de la musique médiévale aux notes « folk », en provenance du sud de l’Europe avec les troubadours de Strella do Dia, une bande d’artistes portugais qui s’attelle à faire revivre le moyen-âge musicalement et visuellement.
Né dans les années 2000, le groupe parcoure les festivals historiques et médiévaux d’ici et d’ailleurs pour faire partager leur passion de la musique et du monde médiéval. S’appuyant sur des sources historiques d’époque, on leur doit, à ce jour, trois albums dans lesquels ils reproduisent des titres inspirés de manuscrits aussi variés que les Cantigas de Santa Maria, les Carmina Burana, le Livre Vermeil de Montserrat, ou encore les Cantigas de Amigo; manuscrit composé au XIIIe siècle par Martin Códax, les Cantigas de Amigo sont aussi un genre poétique galéco-portugais dans le registre de l’amour courtois. Dans leur répertoire et leur production, ce groupe de troubadours des temps modernes, fait aussi revivre des danses médiévales comme l’Estampie, la Saltarelle et la Ductia. Vous pourrez trouver plus d’informations sur leurs productions ainsi que leur programme de festivals sur leur site web (version française), ainsi que sur leur chaîne youtube. Ils semblent tout de même se produire plus largement au Portugal et en Espagne, c’est dire si dans ces pays là également, les festivals et autres festivités autour de la période médiévale ne manquent pas.
Les Cantigas de Amigo de Martin Códax, Manuscrit de Vintel, XIIIe siècle,
omme toujours, quand le moyen-âge s’invite dans notre monde moderne, son héritage historique et musical laisse place à la libre interprétation et c’est plutôt vers des notes folks et des rythmes enlevés que le groupe portugais nous entraîne. Il faut souligner, ici, les moyens sérieux investis dans la réalisation de la plupart de leurs vidéos autant que la qualité dans la prise de son. Ce sont des choses qui ne sont, hélas, pas toujours au rendez-vous pour valoriser à leur juste mesure les productions de ce type de troubadours et de groupe musical.
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, poésie médiévale, troubadour, trouvère, sirventès, poésie satirique Thême : croisade, amour courtois Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne, Comte de Champagne, Roi de Navarre, Thibaut le chansonnier (1201-1253). Titre : Au tans plein de félonie. Interprète :Alla Francesca (ci-contre Blason de Navarre)
« Thibault fut roi galant et valeureux, Ses hauts faits et son rang n’ont rien fait pour sa gloire, Mais il fut Chansonnier, et ses couplets heureux, Nous ont conservé sa mémoire. » Citation de Pierre René Auguis (1783-1844)
Bonjour à tous,
oici une nouvelle chanson et poésie de Thibaut de Champagne, comte de Champagne, roi de Navarre et troubadour du XIIIe siècle, que l’on surnomme aussi Thibaut le chansonnier, et dont nous avions déjà présenté, ici, le chant de croisade. Cette fois, le roi poète nous entraîne dans une critique sur la corruption de son temps, à la manière dont le faisaient les troubadours avec les Sirventès.
LesSirventès (Sirvente) désignent un genre poétique dans lequel les troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles critiquaient et prenaient à partie les « vices » ou les problèmes de leur temps; c’étaient donc des poésies de nature satirique, politique ou morale. A partir de la fin du XIIIe siècle, il semble que le mot ait effectué un glissement sémantique pour désigner des poésies à consonance plus religieuse de type louanges (photo ci-dessus, troubadour médiéval jouant de la vièle, British Library).
Cinquième croisade : les expéditions en Terre Sainte se suivent et ne se ressemblent pas.
Le roi de Navarre nous parle encore de croisades dans cette poésie, mais d’une manière bien largement plus désabusée qu’il ne le fera plus tard dans son « chant de croisade ». Le texte « Au temps plein de félonie » est, de fait, antérieur au très fort et très guerrier: « Seigneur Sachiez qui or ne s’en ira » que Thibaut de Champagne écrira, une dizaine d’années plus tard, en 1237, alors qu’il sera lui même désigné pour conduire, avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles, la sixième croisade, dite « croisade des Barons« .
Pour l’heure et au moment de cette chanson, l’amour tient le Comte de Champagne « en sa prison » et il ne veut se résoudre à partir, mais il fait aussi le constat de tant de fausseté et de corruption en observant les seigneurs et barons autour de lui qu’il ne veut les encourager à se croiser pour de mauvaises raisons et surtout dans de mauvaises dispositions. Tous ces seigneurs qui vivent dans l’abondance et loin des chemins de droiture ne pourraient-ils créer plus de nuisances en Terre Sainte et en Syrie que de bien en y allant guerroyer sans s’être amender?
La cour de l’empereur Frédérick II à Palerme, XIXe siècle, Arthur von Ramberg
Il fait également allusion à l’excommunication par le pape Grégoire IX du Saint Empereur Germanique Frédéric II, Frédéric de Hohenstaufen, Roi de Germanie, de Sicile et Roi de Jérusalem. La papauté perdant patience et refusant d’entendre les raisons politiques pour lesquelles Frédéric II n’en finissait pas de différer son départ, prit cette décision à son encontre en 1227. Il faut dire qu’en plus de montrer des velléités de conquête sur le territoire italien, au moment où le pape Grégoire IX pris cette décision, l’Empereur avait pris la croix plus de dix ans auparavant, sans qu’aucune expédition n’ait été montée. On appelle d’ailleurs cette période « la fausse croisade » et le pape Grégoire IX dut d’ailleurs lancer un nouvel appel pour que la sixième croisade soit effectivement engagée. Quoiqu’il en soit, au moment de rédiger ce texte, la décision d’excommunier Frédéric II est, à l’évidence, loin de rallier l’approbation de Thibaut de Champagne.
Outre le contexte sur le territoire et cet amour qui le retient, il y a, peut-être, à travers cette tiédeur qu’il semble montrer à se croiser un sens critique que l’on commençait alors à tirer à l’égard de certaines croisades? L’enthousiasme des premières expéditions en Orient étant désormais loin derrière, peut-être les échecs de la cinquième croisade (concile du Latran, 1215) pèsent-ils encore sur l’état d’esprit du roi troubadour? Au fond, ce n’est pas que Thibaut de Champagne s’y oppose en tous points, mais il ne semble que trouver des raisons de ne pas s’y résoudre. Il reste difficile pourtant de l’affirmer totalement pour une raison simple: quand on écume les différentes traductions du XIXe au XXe siècle de ce texte, on s’y perd quelquefois un peu. Les traductions vont du poète qui enjoint les autres à s’amender pour pouvoir partir, à celles qui penchent plus nettement du côté d’une claire démotivation de sa part même si ce sont tout de même ces dernières interprétations qui l’emportent. Quoiqu’il en soit et comme nous l’avons dit plus haut, au moment où il sera directement appelé pour la croisade des barons, près de dix ans plus tard, Thibaut de Champagne sera nettement plus motivé et le ton aura indubitablement changé. (portrait ci-dessus, dix ans après au temps plein de félonie, Thibaut de Champagne s’apprête à partir en croisade, portrait espagnol).
Au tans plein de félonie, les paroles en vieux français
Au tans plein de felonie D’envie et de traïson, De tort et de mesprison, Sanz bien et sans cortoisie, Et que entre nos barons Faisons tot le siecle empirier, Que je voi escomenïer Ceus qui plus offrent reson, Lor vueil dire une chançon.
Li Roiaumes de Surie, Nous dit, & crie à haut ton, Se nos ne nos amendon Por Deu, que n’i alons mie, N’i ferions se mal non : Dex aime fin cuer droiturier De tel gent se veut aidier Cil essauceront son nom, Et conquerront sa maison
Encor aim mielz toute voie Demorer ou saint païs Que aler povres, chaitis La ou ja solas n’auroie. Phelipe, on doit paradis Conquerre par mesaise avoir, Que vos n’i troverez ja, voir, Bon estre, ne jeux, ne ris, Que vos aviëz apris.
Amors a coru en proie Et si m’en meine tot pris En l’ostel, ce m’est avis, Dont ja issir ne querroie, S’il estoit a mon devis. Dame, de cui biautez fet oir, Je vos faz or bien a savoir, Ja de prison n’istrai vis, Ainz morrai loialz amis.
Dame, moi couvient remaindre, De vos ne me quier partir. De vos amer et servir Ne me soi onques jor faindre, Si me vaut bien un morir L’amor qui tant m’assaut souvent. Ades vostre merci atent,
Que bien ne me puet venir Se n’est par vostre plaisir. Chançon, va moi dire Lorent Qu’il se gart bien outree ment De grant folie envahir, Qu’en li auroit faus mantir.
Au Temps plein de félonie
Les paroles adaptées en Version Française.
En ce temps plein de félonie D’envie et de trahison, D’injustice et de méfaits, Sans bien et sans courtoisie, Tandis qu’entre nous, barons, Nous ne faisons qu’empirer les choses Et que je vois être excommunier Ceux qui se montrent les plus sensés,* Je veux dire une chanson. (* l’excommunication de Frédéric II)
Le Royaume de Syrie, Nous dit & crie à voix haute, Que sauf à nous amender Mieux vaut ne pas se croiser Car nous n’y ferions que du mal: Dieux aime les cœurs qui sont droits C’est sur eux qu’il veut s’appuyer; Et ceux là exhausseront son nom Et conquerront son paradis. (ce paragraphe a disparu d’un certain nombre de versions)
Encore vaut-il mieux que tout cela Demeurer en son Pays Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux, Là où il n’y a ni joie, ni bonheur; Philippe*, on doit conquérir le paradis, par les privations car vous n’y trouverez pas bien-être, jeux et rires Dont vous aviez pris l’habitude. (* Philippe de Nanteuil, chevalier qui se croisa avec Thibaut de Navarre.)
L’amour a poursuivi sa proie Et il m’emmène captif Dans la demeure d’où, je crois, Je ne chercherai pas à sortir, S’il ne dépendait que de moi. Dame, à la beauté si grande, Je vous le fais bien savoir, Je ne sortirai jamais vivant de cette prison, Mais j’y mourrai en ami loyal.
Dame, il me faut rester, Car je ne puis me séparer de vous Jamais je n’ai pu feindre De vous aimer et vous servir. Et pourtant, il vaut bien un « mourir » L’amour qui si, souvent, m’assaille. Sans cesse j’attends votre merci Car bien ne me peut venir Si ce n’est par votre plaisir.
Chanson, va pour moi dire à Laurent Qu’il se garde autant qu’il peut D’entreprendre de grandes folies, Car il n’y aurait là que l’œuvre d’un faux martyre.
Merci à nouveau à l’ensemble médiéval Alla Francesca pour cette belle interprétation!
Longue vie et un beau dimanche à tous! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
« Une sincère et complète abnégation est une vertu préférable à toutes les vertus. Aucune oeuvre d’importance ne peut être faite sans elle. »
Maître Eckhart (1260-1328), théologien, philosophe et grand mystique chrétien et dominicain du moyen-âge.
Citations médiévales, mystique rhénane, Sagesse du monde médiéval.
ifficile vertu que l’abnégation dont nous parle maître Eckhart dans un monde qui semble toujours plus pousser chacun à la « gestion » et à « l’optimisation » de son propre temps, pour soi, surtout et d’abord, plutôt que pour le bien de tous, de la communauté humaine, de la terre même, si l’on veut élargir. Nous ne bâtissons plus de cathédrales.
Pourtant, on ne peut que donner raison au sage Maître Eckhart, dans les oeuvres humaines, les plus grandes actions et celles dont l’Histoire se souvient sont toujours celles que les hommes ont faites au détriment de leurs propres intérêts individuels. C’est même surement ce que l’on appelle un grand homme, qu’il soit simple jardinier, moine, artiste, anonyme ou politique, au delà d’une quelconque condition sociale, l’abnégation est indissociable de cette grandeur qui n’a rien à voir avec la taille, et le courage véritable n’en est jamais exempt.
Encore faut-il que la cause soit juste, dira-t’on, ou à tout le moins qu’elle s’accompagne de discernement, et c’est bien là le point le plus délicat, mais il s’agit bien là de l’effacement de soi au service du bien de tous et pas des intérêts de quelques uns. Pour maître Eckhart, en dialogue permanent avec sa pratique mystique, l’abnégation est, bien sûr, indissociable de l’abandon de soi devant Dieu, et le discernement puise dans le reste des valeurs chrétiennes.
Une belle journée à tous où que vous vous trouviez sur notre belle terre.
Fred
pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
« Un conseil, quand même, de temps en temps, sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin. » Le Roi Saint Louis à Jean de Joinville, XIIIe siècle (source non vérifiée)
Une Chronique de
Gonthier Bernoix de la Tanche
ui! Nous revoilà, mes amis, insatiable et sans peur, à la poursuite effrénée de la vérité, non point celle, poussiéreuse et convenue, des mensonges livresques et des prétendus experts, oh que non! Nous, la vérité historique qui nous intéresse, la seule, la vraie, l’unique, c’est celle qui se livre sans imposture, là où on l’attend le moins, de la bouche même de ceux qui s’en souviennent encore : les anonymes, les gens du simple, cette vérité que leurs ancêtres ont surpris, à l’époque même des faits, au détour d’un couloir de château, d’une ruelle sombre ou encore dans le secret d’une taverne, et qui l’ont transmise à leurs descendants, à travers les âges et les générations, avec ferveur, pour qu’un jour elle puisse enfin surgir au grand jour; et c’est là que nous nous efforçons toujours de la débusquer dans son éclatante fraîcheur.
Oh, je sais… On va encore me dire que Jehan de Joinville n’a écrit ses chroniques de Saint-Louis, qu’après les faits et que du vivant de Louis IX, il n’était pas en train de « gratouiller » en permanence avec sa plume. On ajoutera même sûrement, avec un sourire en coin et visiblement fort content de son petit effet, que si le portrait le plus connu de lui, le représente écrivant, cette peinture ne date que de quelques siècles après et a été faite en tribut à l’ensemble des chroniques de l’homme et non pas parce qu’il aurait passé sa vie, une plume à la main. Et bien parlez, parlez toujours, messieurs les érudits et autres olibrius à la longue barbe et à la courte vue ! Rien ne saurait nous faire flancher car nous portons en nous la certitude immuable de nos affirmations et la confiance aveugle dans la fiabilité de nos dires, quand vous n’avez, vous, qu’un tissu maigrelet de vagues présomptions et quelques antiques parchemins.
Les chemins de la vérité, la vraie, la seule
ini le didacte des experts beaux parleurs, réfugiés derrière les pages décaties et mitées des vieux codex ! Exit les gnagnagnis gnagnagnas, les messieurs « je sais tout mieux que tout le monde et je vous en rabats »! Au placard avec leurs boniments et toutes les salades dont ils nous ont abreuvé ! Et croyez-moi, Dieu sait qu’il n’est pas évident de s’abreuver avec de la salade (bon, à la rigueur en la passant au mixeur avec un verre d’eau, mais, de toute façon, là n’est pas le sujet. Je vous en conjure à genoux! Ne commençons pas à nous disperser).
Oui, vous, mes chers compagnons en vérité, mes frères, cousins, cousines, vous le savez, depuis que votre serviteur (j’ai nommé moi-même), l’unique, l’opiniâtre, le flamboyant, Gonthier Bernoix de la Tanche est là, les institutions ne font plus que trembler; elles frémissent, elles chavirent, elles chaloupent, et pour tout dire elles frétillent moins de l’arrière train tant elles ne savent plus comment faire face aux coups de béliers incessants de nos chroniques sur les vieilles portes académiques usées de leur pouvoir passéiste et dépassé (et vous pouvez vérifier, même si ça y ressemble, cela n’a rien d’un pléonasme).
Oui, mes fidèles amis, mes inconditionnels soutiens! Tous savent désormais qu’il leur faut compter avec nous et se tiennent, tapis, dans l’angoisse de la prochaine révélation historique que nous exhumerons du terreau fertile de la mémoire des petites gens, ceux de l’ombre. Car ils sont là silencieux, tout autour de nous, mais ils l’ont gardée en eux comme un trésor, la relayant en secret, à travers les siècles, un peu comme la flamme olympique ou même le jeu de la patate chaude sauf qu’il ne s’agit pas d’une patate chaude, cela n’aurait guère de sens, côté conservation. Par ailleurs, sous Louis IX la patate, ce n’est tristement pas d’époque. Il s’agissait donc clairement, dans notre esprit, d’une image, même si concédons-le, nous aurions pu en prendre une autre. Allons-nous pour autant en faire une raclette ? Bien sûr que non. Avançons, vous avez saisi le fond ! (Qui a dit « la raclette fond sur la patate »? Sortez!)
Le camouflet fondateur
ertes, notre thèse d’état ne fut point accueillie favorablement par les maîtres qui nous mentent et l’odieux corporatisme de leurs institutions, mais comment pouvait-il en être autrement? La remise en cause était bien trop forte, la prise de conscience par trop cinglante. Comment auraient-ils pu l’accepter, eux les chercheurs de laboratoire, les abonnés aux ouvrages tamponnés qu’on doit ramener sous quinzaine sous peine de recevoir une pénalité de deux jours sans prêt, quelquefois même trois ? Et que dire encore des autres, les champions toute catégorie du carbone 14, les aficionados de la petite cuillère farfouilleuse et tenace ! Comment auraient-ils pu admettre que les réponses qu’ils avaient convoitées depuis tant d’années, en grattant la terre, se trouvaient là, à portée de main, pour peu qu’on les cherche au bon endroit. Ah ça! Quand il s’agit de mouiller un peu le maillot, on fait tout de suite moins les fiers! Méritions-nous pour autant, de la part de « l’establishment » et de ses sbires, tandis que nous tentions modestement de conduire nos études, les appellations successives de « farfelu », « fumiste », « plaisantin », ou même pis, de « crétin irrécupérable »? Non point ! Je passe encore sur cette petite phrase assassine de la bouche même du directeur de l’institut d’Histoire de la Sorbonne qui en dit long sur le désarroi et la colère dans laquelle les avaient rendu nos imparables conclusions. Je le cite ici:
« Toute cette navrante histoire ne remet qu’une seule chose en cause: les failles des circuits administratifs sur les dépôts de dossiers, autant que la faiblesse des règles de sécurité de notre établissement. Ces deux facteurs réunis ont seuls permis, hélas, à cet abruti congénital et ce demi-débile, probablement sous l’emprise des psychotropes, de déposer sur la table de nos plus brillants professeurs, (et pire encore de parvenir à leur faire lire) cet indigne « torchon » que cet olibrius a eu l’outrecuidance d’affubler du nom de thèse et qu’il aurait mieux fait de présenter sur papier rose et en rouleau pour nous en faciliter l’usage. »
h le cuistre! Comprenez-vous désormais mieux, mes amis, à quel point nos vérités dérangent ? Que leur restait-il d’autre, rendus face à l’échec de leur prétendue science, que le refuge du silence; ce territoire aphone où, médusés par nos découvertes, les mots ne veulent soudain plus sortir, ce lieu encore, dénué de tout concepts, où ne règne plus que le monde des émotions régressives et de la colère: « pipi, caca, cucul ». Ah! Si je n’avais moi-même quelques notions avancées de psychologie, je dois dire que j’aurais pu, à mon tour, y céder, mais la noblesse de mon lignage m’a très fort heureusement éduquer à ne point répondre à l’harangue. Non, on ne mange pas de ce pain là chez les de la Tanche et en vérité, ce camouflet n’a fait que me conforter dans mon approche. D’ailleurs, si je n’avais touché du doigt un point aussi sensible, je m’en serais tiré, comme tant d’autres, avec une simple mention passable, et on ne m’aurait pas fait jeter de manière si discourtoise hors de l’établissement et sur son parvis comme on le fit alors. Mon dos, Ah! Mon cher dos, tu t’en souviens encore ! Mais qu’à cela ne tienne, nous avons compris dès lors que notre chemin ne pouvait être que solitaire; il nous faudrait l’arpenter en compagnie de la seule vérité, portant sur nos épaules, le poids écrasant de notre découverte.
L’importance d’avoir de bonnes jambes
royez-vous que la voie fut pour autant facile? Non bien sûr. Combien de temps nous fallut-il encore passer, sur le terrain, pour que nos sources enfin rendues confiantes, acceptent de nous livrer, trempées d’une émotion fébrile, la vérité ? Combien de longues heures usées à les questionner sans relâche, tutoyant parfois les limites de la bienséance, au risque de faire éclater celles de leur patience? Combien de coups reçus ou de fuites éperdues? Croyez-moi, il en faut du mollet pour faire un bon historien de terrain. Oui!, mesdames, messieurs, mes amis, mes frères, (et même le petit monsieur là-bas dans le fond qui me regarde de travers), la vérité est timide et fragile. Elle ne se donne pas aisément, ça non ! Il y a encore, chez nombre de ses détenteurs, la touchante pudeur de refuser d’admettre qu’ils en sont les dépositaires, comme s’ils savaient confusément que les simples mots qu’ils nous livrent et qui ont traversé le temps recèlent un terrible pouvoir, capable de faire trembler jusqu’aux fondements même de nos académies et de notre vision du monde.
Mais aujourd’hui encore, c’est cette même vérité qui triomphe à nouveau car nous le crions haut et fort, nous le savons, nous l’affirmons, nous en avons les preuves! Oui, Jehan De Joinville! Monsieur le « je fais rien qu’à passer mon temps dans les jupons du roi », vous avez travesti la vérité, fusse par omission, et travestir par omission c’est très très grave, et pas seulement grammaticalement, car vous n’avez jamais rapporté cette grande phrase du Roi Saint-Louis ; « sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin » et vous espériez sans doute que l’histoire nous en prive, mais vous voilà défait Mossieur le Senéchal, puisque nous la dévoilons au monde dans toute sa lumière. Il est temps que les masques tombent!
La révélation de Saint Louis occultée
par De Joinville, les preuves accablantes
ue l’on sache tout de même que pour révéler au grand jour cette vérité qui risque d’en déranger plus d’un, il aura fallu que nous interrogions, sans relâche, notre contact pour qu’enfin il nous confesse ce qu’il savait depuis si longtemps et gardait bien caché, de crainte, sans doute, de le révéler à quelqu’un qui n’en soit pas digne. Et c’est tout à ton honneur aujourd’hui, Jean-Emile Pichon, chauffeur de bus de la ligne 22 que nous empruntons tous les matins, que nous élevons cette tribune à la vérité historique. Sache, mon cher Jean-Emile, que ce secret, qu’exténué et les nerfs à vif, vaincu par plus de deux ans d’insistance et d’investigation tenace, tu as concédé à nous révéler, sache, dis-je, qu’avec nous, il ne sera point trahi. Il sera sublimé, élevé, il ira rejoindre les étoiles de la vérité et brillera, à tout jamais, dans le ciel de la connaissance. Et nous restituons ici tes mots, sans leur ajouter une virgule, pour que l’Histoire les contemple, que tous en soient témoins et que la vérité éclate enfin:
« Ok, ça va, ça va, il a gagné, allons-y, puisqu’il y insiste… Vous l’aurez pas volé celle-là par contre… Bon… Quand j’étais moutard, y avait un grand oncle dans la famille. On l’appelait Jeannot l’Enfume. J’ai jamais compris pourquoi on l’appelait comme ça mais, à table, quand i causait personne le calculait et comme i s’arrêtait jamais de causer, forcément, personne le calculait jamais. Mais bon, moi je l’aimais bien Jeannot. Il arrêtait pas de faire des grimaces et i me racontait des blagues du genre « tire sur mon petit doigt » et i lâchait des gaz si jamais on tirait dessus. Ca me faisait bien rire même si je trouvais ça un peu lourd, à force. Un jour, il m’a tendu le petit doigt et j’ai fait comme les autres, j’ai tourné la tête et j’ai arrêté de l’écouter. Bon déjà on était à table mais, surtout, on change avec l’âge. Quelque chose s’était brisé. C’est triste mais c’est comme ça. On devient sérieux quoi… En même temps, au bout de deux mille sept cent fois, le coup de « tire sur mon p’tit doigt », ça finit forcément par user. S’il avait eu un peu de blair, il aurait freiné avant, mais bon il était pas du genre à freiner, tonton Jeannot, plutôt l’inverse. Bref… Donc, lui, i m’a raconté un jour quand j’étais minot comme quoiqu’il y avait eu un Pichon célèbre dans la famille. Enfin Célèbre, pas non plus une vedette comme Rita Zaraï ou Gino Eglisias attention!, mais bon. Adrien qu’i s’appelait. C’était un cuistot, enfin un genre d’apprenti plutôt à l’époque. Bon bin i paraîtrait que quand il était mioche, il avait turbiné pour les cuisines du roi là, comment que vous dites déjà? Oui voilà Louis IX, ça doit être ça… Il était rentré par piston grâce à une cousine, courtisane qu’elle était, enfin un genre de pute quoi. Bon bref… Donc le gamin pour en revenir, il marnait tous les jours en cuisine et puis le service terminé, c’est pas rare qu’i s’en jetait un p’tit avec les chefs cuistots après le nettoyage. Et bin c’est là, un jour, en rentrant un peu chaud chez lui, qu’i serait passé dans les couloirs du château où qu’elles étaient toutes les huiles là et qu’il aurait entendu dire, comme quoi machin là, Louis truc, oui voilà, Louis IX, il aurait balancé à l’autre con, Dujoint c’est ça ? Voilà, Joinville, si c’est vous qui le dites, comme quoi bon fallait un peu qu’i se sorte les doigts du fondement et qu’i y avait un peu autre chose à gratter que l’parchemin dans la vie. »
« De Joinville, de temps en temps, sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin. »; les mots même de Louis IX, grand roi de France nous sont parvenus aujourd’hui grâce à toi, Jean-Emile. A l’évidence, ton ancêtre Adrien Pichon, dit Adrien le mirliton, n’était pas qu’un simple grouillot qui marnait aux cuisines de Saint Louis, oh non ! Sous les dehors rustres et ingénus de l’apprenti-cuisinier, en charge peut-être des sauces et des farces et qui devait avoir connu de longues heures à la plonge, luttant rageusement contre les restes entêtants de la graisse de porc ou d’oie, battait assurément le coeur d’un grand homme, conscient que l’Histoire l’avait choisi. Et ce jour là où, sans doute exténué par la charge, écrasé par cette âpre destinée de Mirliton du roi, à la fin de ton service et à demi-ivre, tu surpris la conversation entre Louis IX et le mesquin petit De Joinville qui se garda bien d’en faire mention dans ses chroniques, oui, ce jour là, toi, Adrien Pichon, témoin de l’Histoire, tu avais dû savoir, confusément, qu’un lourd devoir de mémoire venait de t’être confié. Pourtant, ne cherchant pas à t’y soustraire, tu y fis front de manière admirable, en confiant précieusement les faits à tes descendants pour que la vérité ne nous soit jamais occultée.
Quant à toi Jean Emile, modeste chauffeur de bus de la ligne 22, lointain descendant de cet héroïque Adrien Pichon, en nous reportant ces mots même de Saint Louis que ta lignée familiale avait su conserver au travers des siècles, tu as su reconnaître en nous, l’humble serviteur de la vérité et nous nous en sentons aujourd’hui, tout à la fois, ému et honoré (même si tu as mis le temps). Ta révélation restera, à jamais, gravée dans notre mémoire et sache encore que par nous, pas plus que par l’Histoire tu ne seras oublié, pas d’avantage que ne le seront tes derniers mots :
« Voilà i sait tout, i va pouvoir me lâcher les crampons maint’nant, le pingouin là, parce qu’i’me déconcentre et c’est pas l’jour que j’mettes le bus dans un mur… Alors si monsieur voulait bien se magner d’aller s’asseoir, tout au fond même, de préférence… Et une dernière chose pour que tout soit bien clair ! Si i doit encore monter dans mon bus, j’veux plus l’entendre jacqueter sans quoi j’aurais du mal à retenir les mandales. Il monte, il descend et entre les deux, il la moule »
Epilogue
eureux de l’admirable découverte, mais aussi epuisé par l’effort intellectuel qu’avait demandé l’entretien, j’allais m’installer à l’arrière du bus, un sourire contenu de victoire aux lèvres. Par la fenêtre, les gens vaquaient à leurs occupations. Combien d’entre eux portaient, bien cachés dans leur mémoire, des vérités susceptibles de changer notre conception même de l’histoire? Combien ? Repensant à Jean Emile et au grand cadeau qu’il m’avait fait, je me sentais rempli d’une gratitude toute particulière. Pourtant, bien que j’avais acquiescé à sa requête, en m’étant sagement assis comme il m’y avait enjoint, passager anonyme parmi les anonymes, je savais qu’il me faudrait, d’ici quelque temps, insister encore auprès de lui pour que nous reparlions d’Histoire. Au fil du temps, notre prometteuse amitié me fournirait sans doute plus d’éclairages sur ce mystérieux et fascinant personnage : l’oncle Jeannot. Tant de questions me venaient à l’esprit. Combien d’autres secrets couvait-il encore? Etait-il même encore vivant? Continuait-il à demander à qui voulait de tirer sur son petit doigt ? Et quoiqu’il arrive, si Jean Emile ne daignait me concéder plus d’informations à son sujet, il faudrait à tout prix que nous reparlions de cette charmante cousine à laquelle il avait fait allusion. Il y avait là matière à vérité, j’en avais l’intuition.
Une belle journée à tous dans la grande lumière de la vérité, la vraie, la seule.
Gonthier Bernoix de la Tanche Grand pourfendeur d’idées reçues, héros solitaire, amant de la vérité et joueur occasionnel de criquet.
« Notre lignée s’enorgueillit d’avoir eu, il y a fort longtemps un manoir près d’un étang et nous portons, depuis, à tout jamais dans notre coeur, la grande noblesse de la tanche. »