Sujet : amour courtois, humour, monde médiéval
Je pose juste la question mais est-ce que quelquefois tout de même, ça ne finissait pas par lasser ?
Une belle journée!

Thême : croisade, amour courtois
Période : Moyen Âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne, Comte de Champagne, Roi de Navarre, Thibaut le chansonnier (1201-1253).
Titre : Au tans plein de félonie.
Interprète : Alla Francesca
(ci-contre Blason de Navarre)
« Thibault fut roi galant et valeureux,
Ses hauts faits et son rang n’ont rien fait pour sa gloire,
Mais il fut Chansonnier, et ses couplets heureux,
Nous ont conservé sa mémoire. »
Citation de Pierre René Auguis (1783-1844)
Bonjour à tous,


Les Sirventès (Sirvente) désignent un genre poétique dans lequel les troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles critiquaient et prenaient à partie les « vices » ou les problèmes de leur temps; c’étaient donc des poésies de nature satirique, politique ou morale. A partir de la fin du XIIIe siècle, il semble que le mot ait effectué un glissement sémantique pour désigner des poésies à consonance plus religieuse de type louanges (photo ci-dessus, troubadour médiéval jouant de la vièle, British Library).

Le roi de Navarre nous parle encore de croisades dans cette poésie, mais d’une manière bien largement plus désabusée qu’il ne le fera plus tard dans son « chant de croisade ». Le texte « Au temps plein de félonie » est, de fait, antérieur au très fort et très guerrier: « Seigneur Sachiez qui or ne s’en ira » que Thibaut de Champagne écrira, une dizaine d’années plus tard, en 1237, alors qu’il sera lui même désigné pour conduire, avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles, la sixième croisade, dite « croisade des Barons« .
Pour l’heure et au moment de cette chanson, l’amour tient le Comte de Champagne « en sa prison » et il ne veut se résoudre à partir, mais il fait aussi le constat de tant de fausseté et de corruption en observant les seigneurs et barons autour de lui qu’il ne veut les encourager à se croiser pour de mauvaises raisons et surtout dans de mauvaises dispositions. Tous ces seigneurs qui vivent dans l’abondance et loin des chemins de droiture ne pourraient-ils créer plus de nuisances en Terre Sainte et en Syrie que de bien en y allant guerroyer sans s’être amender?

Il fait également allusion à l’excommunication par le pape Grégoire IX du Saint Empereur Germanique Frédéric II, Frédéric de Hohenstaufen, Roi de Germanie, de Sicile et Roi de Jérusalem. La papauté perdant patience et refusant d’entendre les raisons politiques pour lesquelles Frédéric II n’en finissait pas de différer son départ, prit cette décision à son encontre en 1227. Il faut dire qu’en plus de montrer des velléités de conquête sur le territoire italien, au moment où le pape Grégoire IX pris cette décision, l’Empereur avait pris la croix plus de dix ans auparavant, sans qu’aucune expédition n’ait été montée. On appelle d’ailleurs cette période « la fausse croisade » et le pape Grégoire IX dut d’ailleurs lancer un nouvel appel pour que la sixième croisade soit effectivement engagée. Quoiqu’il en soit, au moment de rédiger ce texte, la décision d’excommunier Frédéric II est, à l’évidence, loin de rallier l’approbation de Thibaut de Champagne.

Au tans plein de felonie
D’envie et de traïson,
De tort et de mesprison,
Sanz bien et sans cortoisie,
Et que entre nos barons
Faisons tot le siecle empirier,
Que je voi escomenïer
Ceus qui plus offrent reson,
Lor vueil dire une chançon.
Li Roiaumes de Surie,
Nous dit, & crie à haut ton,
Se nos ne nos amendon
Por Deu, que n’i alons mie,
N’i ferions se mal non :
Dex aime fin cuer droiturier
De tel gent se veut aidier
Cil essauceront son nom,
Et conquerront sa maison
Encor aim mielz toute voie
Demorer ou saint païs
Que aler povres, chaitis
La ou ja solas n’auroie.
Phelipe, on doit paradis
Conquerre par mesaise avoir,
Que vos n’i troverez ja, voir,
Bon estre, ne jeux, ne ris,
Que vos aviëz apris.
Amors a coru en proie
Et si m’en meine tot pris
En l’ostel, ce m’est avis,
Dont ja issir ne querroie,
S’il estoit a mon devis.
Dame, de cui biautez fet oir,
Je vos faz or bien a savoir,
Ja de prison n’istrai vis,
Ainz morrai loialz amis.
Dame, moi couvient remaindre,
De vos ne me quier partir.
De vos amer et servir
Ne me soi onques jor faindre,
Si me vaut bien un morir
L’amor qui tant m’assaut souvent.
Ades vostre merci atent,
Que bien ne me puet venir
Se n’est par vostre plaisir.
Chançon, va moi dire Lorent
Qu’il se gart bien outree ment
De grant folie envahir,
Qu’en li auroit faus mantir.
En ce temps plein de félonie
D’envie et de trahison,
D’injustice et de méfaits,
Sans bien et sans courtoisie,
Tandis qu’entre nous, barons,
Nous ne faisons qu’empirer les choses
Et que je vois être excommunier
Ceux qui se montrent les plus sensés,*
Je veux dire une chanson.
(* l’excommunication de Frédéric II)
Le Royaume de Syrie,
Nous dit & crie à voix haute,
Que sauf à nous amender
Mieux vaut ne pas se croiser
Car nous n’y ferions que du mal:
Dieux aime les cœurs qui sont droits
C’est sur eux qu’il veut s’appuyer;
Et ceux là exhausseront son nom
Et conquerront son paradis.
(ce paragraphe a disparu d’un certain nombre de versions)
Encore vaut-il mieux que tout cela
Demeurer en son Pays
Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux,
Là où il n’y a ni joie, ni bonheur;
Philippe*, on doit conquérir le paradis,
par les privations car vous n’y trouverez pas
bien-être, jeux et rires
Dont vous aviez pris l’habitude.
(* Philippe de Nanteuil, chevalier qui se croisa avec Thibaut de Navarre.)
L’amour a poursuivi sa proie
Et il m’emmène captif
Dans la demeure d’où, je crois,
Je ne chercherai pas à sortir,
S’il ne dépendait que de moi.
Dame, à la beauté si grande,
Je vous le fais bien savoir,
Je ne sortirai jamais vivant de cette prison,
Mais j’y mourrai en ami loyal.
Dame, il me faut rester,
Car je ne puis me séparer de vous
Jamais je n’ai pu feindre
De vous aimer et vous servir.
Et pourtant, il vaut bien un « mourir »
L’amour qui si, souvent, m’assaille.
Sans cesse j’attends votre merci
Car bien ne me peut venir
Si ce n’est par votre plaisir.
Chanson, va pour moi dire à Laurent
Qu’il se garde autant qu’il peut
D’entreprendre de grandes folies,
Car il n’y aurait là que l’œuvre d’un faux martyre.
Merci à nouveau à l’ensemble médiéval Alla Francesca pour cette belle interprétation!
Longue vie et un beau dimanche à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique, poésie médiévale, rondeau, amour courtois
Auteur : Guillaume de Machaut (Machault) (1290–1377)
Période : Moyen Âge, XIVe siècle.
Titre : Blanche comme Lys
Bonjour à tous,

Face à la quantité et sans avoir d’allergie particulière contre les chansonnettes d’amour, qui est curieux de réalité médiévale, pourrait même se sentir, par instants, frustré que tant d’auteurs s’y soient épuisés sans nous offrir d’autres sujets : une approche un peu plus sociale ? Un peu plus de satire ou sans aller jusque là, un témoignage un plus « épais » sur le monde qui les entoure ? Quelques non demandes en mariage à la Brassens ? Ne rêvons pas non plus, mais un peu plus de légèreté au moins. Mais cessons de gémir ! Fort heureusement, le Moyen Âge nous a légué bien d’autres choses à nous mettre sous la dent : fabliaux, serventois, complaintes, ballades morales ou politiques, miroirs ou lunettes des princes, … Il faut simplement savoir où les chercher.
Quant à la Fine Amor, une fois le tri fait entre tous les poètes, trouvères ou troubadours qui s’y sont essayés pendant tant de siècles, il est indéniable qu’elle nous a légué de très belles poésies ou chansons. Ajoutons que si la quantité de textes autour de son exercice frise parfois l’indigestion, cela continue, d’une certaine manière dans notre monde moderne : l’amour fait marcher le monde, même et surtout quand il est impossible.
Tout cela étant dit, ce rondeau du talentueux et très célèbre Guillaume de Machaut ravi à la vue de la beauté de sa promise, reste une belle pièce du genre, légère et joyeuse et fort agréable à lire.
« Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Resplendissant com rubis d’Oriant,
En remirant vo biauté non pareille,
Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Suy si ravis que mes cuers toudis veille
Afin que serve à loy de fin amant,
Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Resplendissant com rubis d’Oriant. »
Une très belle journée à vous.
Fred
pour moyenagepassion.com
L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient.
Publilius Syrus Ier s. av. J.-C

Auteur-Compositeur : Gilles de Binche, Gilles Binchois (1400-1460)
Titre : pour prison ne pour maladie
Période : Début du XVe siècle, bas Moyen Âge
Interprètes : Ensemble médiéval Gilles Binchois
Bonjour à tous,

L’ensemble médiéval qui interprète cette pièce porte le même nom que son compositeur et s’est formé un peu avant les années 80. Voilà donc plus de 35 ans que ces musiciens courent les routes pour y proposer leurs concerts et faire partager les plus belles musiques du Moyen Âge à la renaissance.
Dominique Vellard, l’âme qui inspire cet ensemble par ses recherches très sérieuses dans le domaine de la musique médiévale, est aussi féru de musiques traditionnelles, au sens large. A ce titre, il a aussi guidé le groupe dans des expérimentations les plus variées avec des musiciens aux 
Pour être en moyen français, les paroles de cette chanson se rapprochent tout de même de notre langue moderne. Nous sommes loin de la langue d’un Rutebeuf et nous les laisserons donc libres de traduction, jugeant qu’elles demeurent tout à fait compréhensibles. Mais assez parlé, place à l’amour courtoué pour le plaisir du Roué !
Pour prison, ne pour maladie,
Se pour chose qu’on me die,
Se vous peut mon cuer oublier.
St sy ne peult ailleurs penser,
Tant ay de vous veoir en vie.
M’amour, ma princesse et amie,
Vous seule me tenes en vie,
Et ne peult mon desir cesser.
Ne doubtes ja que vous oblie,
Qu’onques nulle tant assouvie
Ne fust qui me peult faire amer,
Que vous, belle et douce sans per,
Don’t amours point ne me deslie.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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