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François Villon du temps de sa jeunesse folle et un extrait commenté du grand Testament

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, ballade, auteur médiéval, , chanson
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Le Grand Testament » Extrait
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)
Interprétes ; Alain Souchon
Chanson : je plains le temps de ma jeunesse

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous faisons, aujourd’hui, un nouveau détour du côté de la poésie réaliste de François Villon avec un bel extrait de son célèbre Grand Testament. C’est un passage bien connu dont on ne cite souvent que les derniers vers et nous voulions ici les mettre un peu mieux en perspective dans leur contexte, en les accompagnant de françois_villon_grand_testament_poesie_medievale_realiste_moyen-age_tardifquelques éclairages sur les parties pouvant demeurer obscures.

Voici donc notre Villon regardant en arrière vers le temps de sa jeunesse folle, si lointaine et déjà envolée. Joyeuse insouciance de l’adolescence, changée bientôt en regrets. Misère et galères, de déboires en déboires, la faim au ventre et la panse vide. Mais le temps s’est enfui ne laissant derrière lui que le goût de nostalgie et le constat des erreurs et  l’heure est au bilan, dans cette prison froide. Souvenir d’une vie d’inconfort, d’amours laissées en chemin, et pourtant leur survit tout de même la dignité d’avoir su ne pas abuser de ses amitiés ou si peu.

Ironie de l’histoire ou exemplarité de la rédemption?, celui dont on n’a tant voulu faire le premier « poète maudit » ou le « mauvais garçon » du moyen-âge tardif s’est fait pour des générations d’écoliers quelque peu « moraliste », puisque ses vers ont longtemps été repris par l’école républicaine  pour rappeler aux têtes blondes qui auraient pu le perdre de vue, l’intérêt d’y user leurs fonds de culottes.

francois_villon_grand_testament_extrait_poesie_medievale_moyen-age_tardif_jeunesse_temps

Le grand testament de Villon – extrait

XXIII

Je plaings le temps de ma jeunesse,
Auquel j’ay, plus qu’autre, gallé * (mené joyeuse vie)
Jusque à rentrée de vieillesse,
Car son partement m’a celé*. (ce temps est parti en cachette)
Il ne s’en est à pied allé,
N’a cheval; las! et comment donc?
Soudainement s’en est voilé,
Et ne m’a laissé quelque don.

XXIII.

Allé s’en est, et je demeure
Pauvre de sens et de sçavoir,
Triste, failly* (abattu), plus noir que meure*(mûre)
Je n’ay ne cens, rente , n’avoir ;
Des miens le moindre, je dy voir* (vrai)
De me desadvouer s’avance,
Oublyans naturel devoir,
Par faulte d’ung peu de chevance*. (provisions,possession)

XXIV.
Si ne crains-je avoir despendu* (dépensé),
Par friander, ne par lescher*, (friandise et gourmandise)
Ne par trop aymer riens vendu,
Qu’amys me sceussent reprocher.
Au moins qui leur couste trop cher.
Je le dys, et ne crains mesdire.
De ce ne me puis revencher*: (m’excuser)
Qui n’a meffait, ne le doit dire. 

XXV

Bien est-il vray que j’ay aymé
Et que aymeroye voulentiers ;
Mais triste cueur, ventre affamé
Qui n’est rassasié au tiers,
Me oste des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu’un s’en recompense,
Qui est remply sur les chantiers*, (qui est bien rassasié)
Car de la panse* vient la danse. (du ventre plein)

XXVI

Hé Dieu ! se j’eusse estudié
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle .
Mais quoy ? je fuyoye l’escolle ,
Comme faict le mauvays enfant…
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend.

Les oeuvres complètes de François Villon annotées et commentées par P.L. JACOB

U_lettrine_moyen_age_passionne fois n’est pas coutume, nous avons quelque peu levé le nez de nos dictionnaires anciens et autres recherches comparatives cette fois-ci. De fait, les notes que nous vous fournissons avec cet extrait sont, pour la plupart, tirées de la version des Oeuvres Complètes De Villon de Paul Lacroix, alias P.L. JACOB, grand érudit, écrivain et historien français du XIXe siècle. L’ouvrage date de 1854 mais est encore édité de nos jours. Il faut dire que cette version poesie_litterature_medievale_oeuvre_completes_annotees_documentees_francois_villon_Paul_Lacroix_PL_Jacob_moyen-age_tardifprésente l’avantage d’être extrêmement bien annotée et documentée, ce qui permet d’avancer rapidement sur les points d’achoppement que peut tout de même présenter, par endroits, le beau français moyen du XVe de Maître François Villon.

Pour le cas où l’acquisition de cet ouvrage vous intéresse, en voici les liens  :  Oeuvres Completes de Francois Villon

Alain Souchon chante Villon
et le temps de sa jeunesse folle

E_lettrine_moyen_age_passionn 2011, le chanteur Alain Souchon nous gratifiait d’un album intitulé « A cause d’Elles » dans lequel il reprenait dans une chanson la dernière strophe alain_souchon_chante_villon_poesie_medievale_jeunesse_testament_chansonde Villon que nous citons ici.

Treizième album studio de l’artiste poète, Souchon y reprenait des titres, poésies ou comptines  ayant bercé son enfance et ces vers de Villon s’y trouvaient.

Quelques cinquante ans avant lui, en 1959, le poète chanteur et troubadour québécois Felix Leclerc avait lui aussi repris cette même strophe en la mêlant à d’autres vers de François Villon dans une chanson ayant pour titre le testament, et dédiée à l’auteur médiéval.

Un  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Hé compaignons resvelons-nous ! un chant polyphonique festif du XVe, de Guillaume Dufay

musique_medievale_ancienne_guillaume_dufay_XV_moyen-age_tardifSujet: chant polyphonique, chanson, musique médiévale, ancienne, chant profane, chanson festive, à boire.
Période : Moyen Âge tardif (XVe)
Auteur : Guillaume Dufay (1400-1474)
InterprèteDiabolus in Musica
Titre : « Hé compaignons, resvelons nous »
Album : Mille Bonjours (2007 – ALPHA Productions)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partageons un rondeau joyeux de Guillaume Dufay (Du Fay) composé autour de 1427. C’est un chant polyphonique festif issu du répertoire profane du maître de musique du XVe siècle auquel nous avions déjà dédié plusieurs articles dont un portrait et des éléments de biographie ici. On retrouve également ce chant dans le codex référencé MS Canonici 213 de la Bodleian library (Oxford) dont nous vous parlions dans ce même article, aussi nous vous y renvoyons, si vous souhaitez plus de détails sur ce manuscrit ancien.

Diabolus in Musica, musiques médiévales,
recherches historiques et sens du partage

Plus l’on se penche sur la musique médiévale et sur les artistes qui tentent par leur travail de recherche et d’interprétation de la faire revivre, et plus on découvre des formations de grande qualité. C’est le cas de celle d’aujourd’hui.

musique_repertoire_medieval_francais_ethno-musicologie_guillaume_dufay_ensemble_diabolus_in_musica_moyen-age_central_tardif

Formé en 1992 par Dominique et Pierre Touron et dirigé par Antoine Guerber, – qui, en plus d’être un talentueux directeur, est aussi ténor, harpiste, joueur de Guiterne (voir photo) et de divers tambours – l’ensemble Diabolus In Musica se dédie tout entier au répertoire musique_medievale_manuscrit_ancien_codex_213_canonici_guillaume_dufaymédiéval, avec une prédilection pour les compositeurs français et pour le Moyen Âge central. Ils ont déjà consacré vingt albums à  ce vaste sujet, recevant, au passage, la grande reconnaissance des milieux de la musique ancienne ou classique, à travers des prix et Awards variés.

Nous sommes avec cette formation sur un territoire que nous affectionnons tout particulièrement, entre ethnomusicologie et art vivant, c’est à dire entre l’humble ambition de restituer les compositions médiévales au plus près de leurs sonorités et de leur esprit, et celle d’émouvoir et d’initier le public moderne à la force et la beauté de la musique en provenance du Moyen Âge.

Agenda, concerts et actualité

Au niveau des concerts et des performances scéniques, on a pu retrouver l’ensemble  Diabolus in Musica tour à tour sur des pièces de musiques sacrées ou profanes et même à l’occasion de représentations à la fusion de la musique et du théâtre. Ce fut notamment le cas d’un spectacle complet autour du Perceval et du Conte du Graal de Chrétien de Troyes.

Du ami_francois_assise_antoirne_guerber_musique_medievale_anceinne_XII_sieclecôte de leur agenda, ils sont actuellement en tournée au Pays-bas et nous vous conseillons si vous voulez les suivre efficacement de le faire via leur page Facebook.

Enfin dernières mentions du côté de l’actualité de leur directeur, à la fin 2016, Antoine Guerber était appelé à collaborer au niveau musical, sur la bande son du film « L’Ami François d’Assise et ses frères » de Renaud Fély et Arnaud Louvet (consacré comme son titre l’indique à Saint-François d’Assise). Il est également régulièrement l’invité de programmes de Radio France autour des musiques anciennes, classiques ou médiévales.

Mille bonjours, l’album.
chansons de Guillaume Du Fay

L’album « Mille Bonjours » qui date de 2007 était dédié tout entier à des chansons de Guillaume Dufay. Il a été primé et a reçu le prix « Supersonic » du Magazine Luxembourgeois  consacré à la Musique Classique Pizzicato.

Tristesse et deuils,  louanges royales et princières, amour courtois et amant transi, mais encore joies et fêtes, l’ensemble Diabolus in Musica nous y invite à plus d’une heure quinze en compagnie du compositeur médiéval. Dix-neuf pièces y sont présentées, qui explorent le répertoire profane de Dufay et suivent les contours de ses émotions et de son art, au fil de rondeaux, de ballades ou encore de bergerettes (ces poésies pastorales typiques du XVe) variés.

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L’album est disponible à la vente en ligne sur Amazon. En voici le lien si vous souhaitez plus d’informations: Guillaume Du Fay: Mille Bonjours!  Vous pouvez également cliquer sur l’image ci-dessus.


He Compaignons, les paroles de la chanson de Guillaume Du Fay en français moyen

He, compaignons, resvelons nous (1)
Et ne soions plus en soussy :
Tantost vendra le temps joly,
Que nous aurons du bien trestous (2).

Laissons dire ces jauls jalous
Ce qu’ils veulent je vous en pry.

He, compaignons …

Quant est de moy, je boy a vous,
Huchon, Ernoul, Humblot, Henry,
Jehan, Francois, Hugues, Thierry,
Et Godefrin dira a tous:

He, compaignons …

(1)  réveillons-nous
(2)  qui sera bon pour nous tous


En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

L’autrier quand je chevauchoys, une chanson et pastourelle anonyme du XVe siècle

musique_poesie_chanson_profane_medievale_pastourelle_adam_de_la_halle_trouvere_arrasSujet :  musique, poésie, chanson, médiévale,  ancienne, pastourelle
Période : moyen-âge tardif
Auteur :  Anonyme (XVe siècle)
Titre : l’autrier quand je chevauchoys
Interprète :  Newberry Consort
Album : 
« De Villon à Rabelais, XVIe siècle, musiques de rue, de théâtre et de cour (1999  Harmonia Mundi)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons aujourd’hui un peu de musique du XVe siècle avec une chanson médiévale, dans le plus pur style de la pastourelle, genre dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises ici et qui demeure répandu  durant tout le moyen-âge.

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On ne connait pas l’auteur de la pièce du jour et elle est demeurée anonyme. On la retrouve classée comme provenant du XVe siècle dans un ouvrage du célèbre historien médiéviste et philologue du XIXe siècle Gaston PARIS. Il est possible qu’elle soit légèrement antérieure à cette période dans la tradition orale mais elle témoigne en tout cas encore de la popularité de ce genre rupestre et champêtre, jusque dans le courant du moyen-âge tardif. Comme fréquemment pour une pastourelle, c’est le personnage du chevalier lui-même qui nous conte l’histoire, ce qui ne l’empêchera aucunement de se retrouver « le bec dans l’eau » à la fin, comme le veut la « tradition »(1) et ce malgré, cette fois, l’engagement de l’innocente et pure bergère à céder à qui sauvera sa brebis.

L’ensemble Newberry Consort

N_lettrine_moyen_age_passionous ne finissons pas de découvrir à quel point l’engouement pour la musique médiévale dépasse de loin les frontières de l’Europe. De fait, les interprètes du jour nous entraînent, cette fois, du côté du continent américain et des Etats-Unis.

Formé en 1986, originaire de Chicago, le Newberry Consort se dédie à un répertoire assez large qui va du XIIIe  au XVIIIe siècle avec même quelques incursions, à l’occasion, sur des pièces plus récentes.

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Du point de vue des concerts, l’ensemble se produit essentiellement aux Etats-Unis et comme de nombreuses formations dans le domaine des « Early Music », ses artistes s’attachent également à la sensibilisation et la pédagogie autour de leur passion. Dans ce cadre, ils sont étroitement associés à l’Université de Chicago mais aussi à la bibliothèque et au centre d’études de la Renaissance de Newberry.

De Villon à Rabelais : du moyen-âge tardif aux début de la renaissance.

E_lettrine_moyen_age_passionn 1999, ils nous gratifiaient d’un album ciblé sur le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance, du XVe au XVIe: Villon to Rabelais, 16th century, Music of the Streets, Theatres, and Courts (De Villon à Rabelais, 16e siècle, musiques des rues, des théâtres et des cours). Cette production et la formation y est dirigée par Mary Springfels qui est également musicienne et vielliste (au premier plan et en bas sur la photo ci-dessus).

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Le site web (en anglais) du Newberry Consort ne propose pas, pour l’instant, semble-t-il, ses productions musicales à la vente en ligne, mais on peut tout de même trouver cet album à la vente sur Amazon. En voici le lien, si cela vous intéresse :  De Villon A Rabelais Vous pouvez également cliquer sur l’image de l’album pour y accéder.

L’autrier quant je chevauchoys
les paroles 

L’autrier quant je chevauchoys,
A l’orée d’ung vert boys
Trouvay gaye bergére :
De tant loin qu’ouy sa voix
Je l’ay araisonnée,

Tanderelo !*

« Dieu vous adjust, bergére!*
Dieu vous adjust, bergére ! »


Tandis que l’araisonnoys,

Ung grant lou saillit du boys
O la goulle baée :
La plus belle des brebiz
Il en a emportée,

Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére!
Dieu vous adjust, bergére !

Quant la bergère si vit
Que le lou tint sa brebiz,
A haulte voiz s’escrye :
« Qui m’y rendra ma brebiz,
Et je seray s’amye ? »

Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére!

Quant le chevalier oyt
Ce que la bergére a dit,
Mist la main à l’espée :
Au devant du lou s’en va.
La brebiz a laissée.

Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére I

« Tenez, belle, tenez cy :
Je vous rends vostre brebiz
Saine comme les aultres ;
Or me faictes mon plaisir
Comme j’ay fait le vostre. »

Tanderelo!
Dieu vous adjust, bergére!
Dieu vous adjust, bergére !

« Chevalier, cinc cens mercyz :
Pour ceste heure n’ay loisir,
Aussi je n’oseroye ;
Et m’en eussiés sauvé dix.
Pour rien ne le feroye. »

Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére !

Dieu vous adjust : Dieu soit avec vous, auprès de vous
*Tanderelo: terme d’usage commun dans les refrains de pastourelle.
En vous souhaitant une belle écoute, une très belle journée et un joyeux lundi !
Fred
Pour moyenagepassion.com
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 (1) Suite au  commentaire fort pertinent d’une de nos lectrices, il nous faut préciser que le genre de la Pastourelle est, en réalité, relativement hétérogène. Il est sujet à des évolutions à travers le temps  et les fins heureuses et morales ne sont pas toujours la règle.  Loin des valeurs courtoises des légendes arthuriennes,  il n’est pas rare que le chevalier tente la force sans y parvenir et que, quelquefois même, il use de violence et parvienne à ses fins.  

« Belle qui tiens ma vie », quand une chanson de la renaissance s’invite dans les légendes arthuriennes

musique_danses_medievales_manuscrit_ancien_moyen-age_tardif_renaissanceSujet : danse ancienne, pavane, basse danse, danse royale, chant polyphonique, chanson ancienne, kaamelott, chanson, musique ancienne, amour courtois.
Période : renaissance, XVIe siècle (1588)
Auteur : Thoinot Arbeau, (1520-1595) Jehan Tabourot.
Titre : « Belle qui tiens ma vie »
Ouvrage : Orchésographie
Interprète : Ensemble DEUM,  Chorale Thomas Tallis de Arduino Pertile.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour tout ceux qui aiment et ont aimé la série culte Kaamelott, la chanson « Belle qui tiens ma vie » est entrée définitivement dans le corpus des légendes arthuriennes. Ce chant est, en effet, repris de la bouche même du roi Arthur (Alexandre Astier à l’écran) dans quelques épisodes.

Alors provient-il du moyen-âge, le haut ou le « Dark age » comme l’appellent les anglais, cette période supposée contemporaine des légendes arthuriennes ou nous vient-il plutôt du moyen-âge central et des siècles qui ont vu naître la littérature et le roman arthurien ? Et bien, en réalité, la chanson ne se rattache à aucun de ces deux moyen-âge(s) et leur est postérieure de plusieurs siècles.

(désolé pour la qualité vidéo, l’audio est très bon  en revanche)

Une pavane du XVIe siècle
qui s’invite dans les légendes arthuriennes

Composée et créée par  Thoinot Arbeau, pseudonyme de Jehan Tabourot, chanoine de Langres, ce beau chant polyphonique à quatre voix date en réalité du XVIe siècle et est une pavane, soit une basse danse royale et seigneuriale de la Renaissance.

danse_ancienne_renaissance_jehan_tabourot_belle_qui_tiens_ma_vie_serie_kaamelott_legendes_arthuriennesComme nous l’avons vu ici à plusieurs reprises, ce n’est pas la première fois qu’un air ou une chanson de la renaissance ou même des siècles ultérieurs au moyen-âge s’y invite. Paradoxe ou message voilé, dans Kaamelott, le roi Arthur entonne même cette jolie pièce d’Amour courtois avec la reine Guenièvre (la très drôle Anne Girouard) qui, dans la série, est loin d’incarner celle qui tient véritablement son coeur, loin s’en faut. Dans les libertés que l’auteur prend avec son oeuvre, en voici donc une de plus, mais, encore une fois, nous l’avons mentionné ici, les légendes arthuriennes revues et corrigées par Alexandre Astier, n’ont pas l’ambition du réalisme historique. Elles se situent dans un espace imaginaire totalement assumé entre moyen-âge et modernité.

Quand la belle qui tient la vie du roi Arthur n'est pas celle qui pourrait le mieux y prétendre
Quand la belle qui tient la vie du roi Arthur n’est pas celle qui pourrait le mieux y prétendre

Du reste, peut-être même est-ce là le propre des légendes de savoir ménager, en leur sein, des espaces de liberté « contemporains » qui permettent à chacun de pouvoir mieux s’identifier.  Au fond, lors de leurs premières écritures déjà, les aventures du bon roi de Bretagne et de ses chevaliers étaient en décalage de 600 ans avec leur propos et ne se privaient pas d’y inviter des valeurs, mais aussi de beaux châteaux de pierre et des chevaliers qui étaient bien plus de leur temps que du VIe siècle auquel elles se référaient.

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danse_ancienne_renaissance_jehan_tabourot_belle_qui_tiens_ma_vie_kaameloot« Le gentil-homme la peult dancer ayant la cappe & l’efpée: Et vous aultres, veftuz de voz longues robes, marchant honneftement avec une gravité posée. Et les damoifelles avec une contenance humble, les yeulx baiffez, regardant quelquefois les affiftans avec une pudeur virginale. Et quand à la Pavane, elle fert aux Roys, Princes et Seigneurs graues, pour fe monftrer en quelque jour de feftin folemnel avec leurs grands manteaux & robes de parades. »
Thoinot Arbeau – Orchésographie (basse danses et pavanes)

Comme la citation ci-dessus, la chanson « belle qui tiens ma vie » fait donc partie d’un ouvrage paru en 1588 et intitulé Orchésographie. On en trouve encore quelques exemplaires originaux, même s’il a été réédité depuis. C’est un traité de danse qui fournit des éléments de méthode, autant que des illustrations et des compositions musicales pour en faciliter l’apprentissage.

Si cela vous intéresse, vous pouvez retrouver ce petit précis de danse ancienne sur le site de la Bnf et en version numérisée ici : Orchésographie en ligne.

Ensemble DEUM et la Chorale Thomas Tallis

L’ensemble D.E.U.M. auquel nous devons la belle interprétation de cette chanson que nous vous proposons aujourd’hui est un quartet vocal italien, issu de la chorale  Thomas Tallis de Arduino Pertile. Vous pouvez retrouver de nombreuses interprétations de cette formation sur leur chaîne youtube. Elle existe en réalité depuis 1975 et a changé de nom entre temps, mais elle continue de se produire régulièrement en concert, en Italie.

chorale_musique_ancienne_pavanne_danse_musique_renaissance_medieval_belle_qui_tiens_ma_vie

chorale_formation_musique_ancienne_chaine_youtubeAu passage même si le site web de la formation vocale dont sont issus ces quatre artistes est totalement en italien et même si vous n’êtes pas italophone, je vous conseille vivement de consulter la page où ils présentent leurs membres et les portraits tordants dont ils se sont fendus (nous vous en donnons un avant-goût ci-dessus). Classicisme et sérieux dans l’interprétation ou dans le choix de répertoire ne sont, à l’évidence, pas incompatibles avec humour et bonne humeur et c’est très agréable de se le voir rappeler.

Les paroles originales de la chanson
« belle qui tiens ma vie »

« Belle qui tiens ma vie
Captive dans tes yeux,
Qui m’as l’âme ravie
D’un sourire gracieux,
Viens tôt me secourir
Ou me faudra mourir.(bis)

Pourquoi fuis-tu mignarde
Si je suis près de toi,
Quand tes yeux je regarde
Je me perds dedans moi,
Car tes perfections
Changent mes actions.(bis)

Tes beautés et ta grâce
Et tes divins propos
Ont échauffé la glace
Qui me gelait les os,
Et ont rempli mon cœur
D’une amoureuse ardeur.(bis)

Mon âme voulait être
Libre de passions,
Mais Amour s’est fait maître
De mes affections,
Et a mis sous sa loi
Et mon cœur et ma foi.(bis)

Approche donc ma belle
Approche, toi mon bien,
Ne me sois plus rebelle
Puisque mon cœur est tien.
Pour mon mal apaiser,
Donne-moi un baiser.(bis)

Je meurs mon angelette,
Je meurs en te baisant.
Ta bouche tant doucette
Va mon bien ravissant.
À ce coup mes esprits
Sont tous d’amour épris.(bis)

Plutôt on verra l’onde
Contre mont reculer,
Et plutôt l’œil du monde
Cessera de brûler,
Que l’amour qui m’époint
Décroisse d’un seul point.(bis) « 

Thoinot Arbeau (1520-1595)


Notes :  suite à une question sur la dernière strophe de la chanson, je poste ici, à toutes fins utiles, quelques éléments de réponse.

« Plutôt on verra l’onde
Contre mont reculer »

Contremont : vers le haut. En l’occurrence, en parlant d’un cours d’eau « vers l’amont » : on aura plus de chances de voir (ou on verra avant) l’eau remonter vers l’amont ou à contre-courant… »

« Et plutôt l’œil du monde
Cessera de brûler »

L’oeil du monde est le soleil. Dans l’univers platonicien, les analogies existent entre l’astre et l’oeil. On retrouve aussi cet « Oeil du monde » dans la remonstrance au peuple de France de Ronsard, poésie qui date du même siècle que la chanson :

« La nuit j’adorerais les rayons de la Lune,
Au matin le Soleil, la lumière commune,
L’oeil du monde ; et si Dieu au chef porte des yeux,
Les rayons du Soleil sont les siens radieux,
Qui donnent vie à tous, nous maintiennent et gardent,
Et les faits des humains en ce monde regardent.

Dans la même poésie de Ronsard, il est également fait allusion à l’épisode biblique de Moïse et de la mer rouge et des ondes repoussées par lui. Jehan Tabourot y fait-il une référence lointaine dans son allégorie sur l’onde ? Difficile de l’affirmer. Peut-être ne faut-il pas aller chercher si loin.

« Pour guider ses enfants par monts et par vallées,
Qui noya Pharaon sous les ondes salées
Et fit passer son peuple ainsi que par bateaux
Sans danger, à pied sec par le profond des eaux. »

Quoiqu’il en soit donc, dans l’esprit de l’auteur, ces deux choses ne peuvent survenir et si elles le devaient, elles se produiraient avant que l’amour « qui l’étreint » ait baissé en intensité (ne décroisse d’un seul point).


En vous souhaitant une excellent journée et une belle fin de semaine!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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