l’approche de ce long week-end pascal, nous souhaitons de Joyeuses Pâques à tous ceux qui les célébreront, ainsi qu’une excellent fin de semaine à tous les autres.
Pour notre illustration 2022, ainsi que pour l’image d’en-tête, nous avons choisi une enluminure de circonstance. Tirée d’un missel en latin des débuts du XVIe siècle, elle représente la résurrection du Christ. Conservé à la Bibliothèque municipale d’Amiens, ce manuscrit ancien est coté sous la référence Impr. rés. 022. Ses enluminures ont été digitalisées et peuvent être consultées en ligne sur le site de la Bibliothèque Virtuelle des Manuscrits Médiévaux de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT).
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, poésie courte, moyen français , fable, métaphore animalière Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
u XVe siècle, Henri Baude, fonctionnaire à la cour en charge de la collecte des impôts et des litiges liés à cette activité, se pique d’écriture et de rimes durant son temps libre. Il participe même à une joyeuse confrérie de juristes et de clercs parisiens qui exercent leur plume sur des poèmes satiriques et humoristiques. Certains textes vaudront à Baude quelques déboires avec Louis XI et sa cour. Il connaîtra même la prison pour avoir lu publiquement quelques vers acides sur le mauvais entourage du roi (voir sa biographie détaillée ici).
Aujourd’hui, nous vous proposons de retrouver cet auteur médiéval dans une poésie assez courte. Il s’agit d’un débat entre un cheval et un bœuf. Bien que dans un autre registre, du point de vue de la mécanique, ce texte n’est pas sans évoquer la fable du chien et du loup d’Esope, reprise plus tard par Jean de La fontaine. Si le fond est ici différent, la notion de servilité reste au cœur du débat. Humilité et labeur besogneux contre prestance et arrogance ? Les deux bêtes s’interrogeront sur leur condition respective. Qui, des deux, a la plus envieuse ? Baude (l’acteur) n’en tirera pas de morale explicite mais en laissera juge le lecteur. Entre-temps, le bœuf aura tout de même conclu.
« Le débat du Cheval et du Beuf » dans le moyen français d’Henri Baude
Le cheval — Où vas-tu, beuf, beste lourde et pesante? Qui t’a cy fait venir querant pasture ? Point n’appartient à ta grosse nature Estre avec moy ; trop suis beste plaisante.
Le beuf — Sire cheval, de riens je ne me vante, Mais tant vous diz que toute créature Utile suis, pour faict de nourriture Et de labeur ; tous ne vivent de rente.
Le cheval — Roys et seigneurs, et chascun qui régente. Sans moi ne peult porter faiz ni armeure. Tant en armes comme en agriculture Par moy est faicte mainte chose excellente.
Le beuf — De ma chair vit maint homme et s’allimente. Et de mon cuyr on fait bonne chausseure ; Mon poil te sert à faire l’embourreure De tes selles, la chose est évidente.
Le cheval — A humain corps suis beste condécente ; Mon service trop plus que le tien dure ; Tenu suis nect, et tu gis en ordure ; Chascun de moy s’esjouyst et contente.
Le beuf — En mon labeur fault que j’endure et sente De l’éguillon mainte forte picqueure; Mais aussi bien seuffre-tu la poincttire De l’esperon, qui souvent te tormente.
L’acteur J’ouy l’autrier ceste question gente De deux bestes de diverse figure. Icy l’ay mis en petite escripture. Jugez qui a raison plus apparente.
Découverte sur le thème du bestiaire médiéval
Si vous souhaitez explorer d’autres fables ou histoires médiévales sur le thème des animaux, voici une sélection de textes déjà commentés, traduits et publiés :
Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
PS : l’enluminure du cheval et celle du bœuf (en image d’en-tête et sur l’illustration) sont tirées du manuscrit Royal MS 12 C XIX . Ce manuscrit médiéval est conservé à la très prestigieuse British Library. Daté du début du XIIIe siècle ( 1200-c 1210), ce beau bestiaire a pour titre : Bestiarum uocabulum proprie conuenit Incipit : liber de naturis bestiarum et earum significationibus. Il peut être consulté en ligne sur le lien suivant.
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Pour ce, fait bon telz vices remouvoir» Ouvrage : Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ans le contexte mouvementé du XIVe siècle, Eustache Deschamps mène sa barque de petit noble et officier de cour en semant des rimes, dans son sillage. Au terme de son existence, il laissera la quantité impressionnante de plus de 80 000 vers de poésie.
Ballades, virelais, rondeaux, complaintes, chants royaux,… Toutes les formes poétiques y sont passées mais aussi tous les sujets : courtoisie, alimentation, voyages, politique, vie curiale, tournois, chevalerie, mœurs de son temps. En soixante ans, Eustache a été témoin, tout à la fois, des guerres, des pillages des campagnes, des épidémies de peste, des luttes de pouvoir, les abus des princes. Il a même été contemporain d’un roi devenu fou. Il a aussi connu l’amour, les désillusions, les affres de la maladie et de l’âge, des années d’opulence et d’autres moins heureuses et tout cela, il l’a couché sur le papier et mis en rime comme tout le reste.
Aux sources de l’œuvre d’Eustache
Dans la première moitié du XIXe siècle, l’écrivain et imprimeur Georges-Adrien Crapelet fera paraître une première sélection de poésies morales et politiques d’Eustache. Elle contribuera à attirer l’attention d’autres historiens et imprimeurs sur l’auteur médiéval. Quelques années plus tard, l’archéologue et historien Louis Hardouin Prosper Tarbé fera, à son tour, paraître deux tomes de nouvelles œuvres inédites d’Eustache. Enfin, dans la dernière partie de ce même siècle et jusqu’au début du XXe siècle, deux éminents médiévistes, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, puis Gaston Raynaud se relaieront pour publier les œuvres complètes d’Eustache Deschamps. On y comptera pas moins de 11 tomes entre notes diverses, éléments de biographie et poésies. À lui tout seul, Eustache nous a presque légué une encyclopédie poétique.
Si tous ses vers n’ont pas accédé au panthéon de la rime et de la poésie, loin s’en faut, son legs est d’un grand intérêt à plus d’un titre. Les amateurs de poésie peuvent l’explorer tout à loisir pour y chercher quelques pépites ou parfaire leur connaissance de l’ancien français. Les spécialistes de littérature médiévale, les philologues, historiens du Moyen Âge et autres universitaires y puisent aussi abondamment pour alimenter leur connaissance des mœurs et usages de cette période et approcher aussi de près les mentalités médiévales. Du point de vue des sources historiques, le manuscrit médiéval Ms français 840, conservé à la BnF contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps, soit le chiffre vertigineux de 1500 pièces.
Pour ce qui est de la ballade du jour, elle est dans la veine de ses poésies les plus politiques et morales sur les devoirs des Princes et même les vices dont ceux-ci doivent se tenir éloignés au risque de se faire honnir de leur peuple.
Des six choses qui perdent le Prince une ballade d’Eustache Deschamps
Six choses sont qui font prince exillier, Perdre s’onneur et haine encourir : Trop longuement sa guerre conseillier, Estre orgueilleus , son convent non tenir (1), Trop convoiter, ses subgiez asservir, Paresce ès fais qu’om doit hastis avoir (2) ; Par ces six poins se puet prince honnir (deshonorer) : Pour ce, fait bon telz vices remouvoir(écarter).
Par longs conseilz (décision, délibération) puet terre périllier, Et la puet lors l’ennemi conquérir, Et par orgueil se fait prince laissier, Et si acquiert déshoneur par mentir; Par convoiter, se fait partout haïr; Par asservir, ses subgiez esmouvoir; Par paresce, du tout anientir : Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.
Conseilse doit briefment expédier, C’est ce qui fait la guerre secourir; Humilité souffisance traittier (3), Franchise amer, vérité soustenir, Diligence en tous cas maintenir ; Car tous ces poins doit tous bons princes sçavoir, Règnes en puet par les autres fenir : Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.
(1) Tenir son convent : tenir ses engagements. (2) Paresse dans les choses qui doivent être accomplis rapidement. (3)Traitier : traiter, parler de, s’occuper d’humilité de manière suffisante
En vous remerciant de votre lecture. Une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : l’enluminure sur image d’en-tête ainsi que sur l’illustration représente un pèlerin médiéval croisant sur sa route Flatterie et orgueil. Elle provient du manuscrit ms 1130 : Les trois pèlerinages et le Pèlerinage de la Vie Humaine de Guillaume de Digulleville (moine et poète français du Moyen Âge central (1295-1360). Ce manuscrit de la deuxième moitié du XIVe peut être consulté en ligne ici. Il est conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris
Sujet : humour, poésie, rondeau, moyen-français, poésie satirique, auteur, poète médiéval Auteur : Clément Marot (1496-1544) Période : Moyen Âge tardif, début de la renaissance Titre : A un poète ignorant Ouvrage : Œuvres complètes de Clément Marot, Tome 2, Pierre Jannet (1873)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous n’avons publié une pièce de Clément Marot. Ce poète du Moyen Âge tardif, lui-même fils de Jean Marot, autre plume de cour, finit par connaître quelques déboires politiques et même deux exils pour des faits religieux et encore pour ses écrits.
Poète de cour considéré comme un des plus importants de son temps, Marot a usé de sa poésie dans, à peu près, toutes les circonstances : amour, humour, politique, religion, négociation, séduction de ses bienfaiteurs ou des dames, épitaphes, mais aussi règlements de compte. Il a laissé, derrière lui, une œuvre prolifique qui alterne des pièces ambitieuses à d’autres plus courtes et légères dans lesquelles il laisse s’exprimer son esprit et son humour. La poésie du jour fait partie de ces dernières. C’est un rondeau dans lequel il malmène, avec causticité, un autre poète de son temps. (ce n’est pas la première fois on se souvient de son épigramme à Maistre Grenouille)
A un poète ignorant (1536)
Qu’on mene aux champs ce coquardeau*, Lequel gaste (1), quand il compose, Raison, mesure, texte, et glose, Soit en ballade ou en rondeau. Il n’a cervelle ne cerveau, C’est pourquoy si hault crier j’ose: Qu’on mene aux champs ce coquardeau. S’il veult rien faire de nouveau, Qu’il œuvre hardiment en prose (J’entens s’il en sçait quelque chose), Car en rithme ce n’est qu’un veau Qu’on mene aux champs.
*Coquardeau : jeune galant ignorant, benêt. S’écrit aussi cocardeau (1) gaster : ravager, dévaster, corrompre
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : au premier plan, sur l’image d’en-tête, le portrait de Clément Marot est tiré d’une toile anonyme datée du milieu du XVIe siècle. Cette dernière est actuellement conservée à la bibliothèque de Genève et peut être consultée en ligne ici. L’arrière plan de l’illustration est un détail tiré d’une superbe enluminure du peintre Jean Clouet. Actuellement conservée au Musée Condé de Chantilly, elle provient du Manuscrit Ms 721 daté de 1534 : Les Trois premiers livres de Diodore de Sicile, traduit par Antoine Macault et Etienne Le Blanc. On y voit la cour de François 1er. Le roi y est entouré de ses gens mais aussi du dauphin François, d’Henri d’Orléans et de Charles d’Angoulême. Face au souverain, l’auteur en train de faire une lecture n’est pas Clément Marot mais Antoine Macault. Ce dernier lui présente l’œuvre qu’il vient de traduire en français et qui est l’objet principal de ce manuscrit ancien. Cette miniature se tient même sur le premier folio de l’ouvrage.