Sujet : citation médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète, lyrisme courtois, fine amor, trouvères, vieux-français, Oïl, chanson, extraits Période : moyen-âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253),
ou Gace Brûlé (1160/70 -1215)
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici un court extrait, en forme de citation, d’une chanson qui a été diversement attribuée dans les manuscrits à Thibaut de Champagne, à Gace Brûlé et qui est même, dans certaines autres sources, demeurée anonyme.
On connait, du reste, la parenté de plume entre les deux trouvères, séparés par une génération. Gace Brûlé compte, indéniablement, parmi les auteurs qui ont influé l’œuvre de Thibaut le Chansonnier. Même si cela demeure invérifiable, on se plait même à imaginer que le comte de Champagne et roi de Navarre, encore enfant, a peut-être même pu croiser Gace, à la cour de Champagne, alors que ce dernier était déjà à l’apogée de sa renommée.
Quoiqu’il en soit, dans le courant du moyen-âge central et des XIIe, XIIIe siècles, ils sont, tous deux, les dignes représentants de ce courant culturel et poétique qui a favorisé le passage de la poésie d’oc et de ses formes, en langue d’Oïl et ils n’ont eu de cesse, l’un comme l’autre, d’élever la tradition de l’Amour courtois, en y apportant leur propre marque et leur style incomparable.
Quant fine Amor me prie que je chant, Chanter m’estuet, car je nel puis lessier* (y renoncer, m’en abstenir), Car je sui si en son conmandement Qu’en moi n’a mès desfense ne dangier* (résistance, opposition). Se la bele, qui je n’os mès prïer, N’en a merci et pitiez ne l’en prent, Morir m’estuet* (de estovoir : falloir) amoreus en chantant.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, amour courtois, oc. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Bernart de Ventadorn, (Bernatz) Bernard de Ventadour. (1125-1195) Titre : Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Interprète : Camerata Mediterranea Album : Bernatz de Ventadorn, le fou sur le pont (1993)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie lyrique occitane du Moyen-âge central par la grande porte puisque nous vous présentons une nouvelle chanson de Bernart de Ventadorn ( Bernard de Ventadour).
S’il a compté parmi les nombreux troubadours du XIIe siècle, ce noble limousin est demeuré l’un des plus célèbres et reconnus d’entre eux. On le considère même comme un représentant des formes poétiques les plus abouties de la Langue d’Oc. Pour accompagner cette chanson médiévale, trempée de fine amor (fin’ amor)et de lyrique courtoise, nous nous appuierons sur l’interprétation de la belle formation Camerata Mediterranea.
Bernatz de Ventadorn par la Camerata Mediterranea
Bernatz de Ventadorn : le fou sur le pont
C’est en 1993 que la Camerata Mediterranea de Joel Cohen et de Anne Azéma décida de faire une incursion approfondie dans l’univers de Bernart de Ventadorn. Il faut dire que le legs plutôt prolifique du troubadour offrait l’embarras du choix (de quelques 45 chansons à près de 70, en fonction des biographes et médiévistes). Au sortir, l’ensemble médiéval choisit de présenter 17 pièces. parmi lesquelles on trouvait, bien sûr, des chansons du troubadour, mais également des extraits lus de sa Vita.
Pour l’instant, cet album n’est, semble-t-il, pas réédité, mais on peut tout de même en trouver quelques exemplaires à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le Fou sur le Pont de Joel Cohen.
Sur l’art et la musique des troubadours de langue occitane mais aussi de langue galaïco-portugaise, rappelons que la Camerata Mediterranea n’en était pas à son premier galop d’essai. Trois ans avant cette production dédiée à Bernard de Ventadour, elle avait, en effet, régalé son public d’un album consacré à ce large répertoire. Sous le titre Lo Gai Saber : Troubadours et Jongleurs 1100-1300,on y trouvait déjà deux chansons de Bernart.
Au renouveau,
le fine amant courtois entre joie et détresse
Dans la pure tradition médiévale courtoise, notre fine amant et troubadour s’éveille ici, avec le printemps, aux joies de l’amour et la nature se joint au concert pour lui envoyer comme autant de signes de son émoi intérieur (cf l’homme médiéval et la nature avec Michel Zink). Pourtant, comme le veut la tradition, derrière la joie viendra aussi se nicher, invariablement, la souffrance et, encore, ce qu’on pourrait être tenté d’appeler, de nos jours, la frustration.
Comme nombre de ses contemporains troubadours, Bernard de Ventadour nous chante ici, un amour caché, voilé, silencieux qui, pour le coup, ose même à peine se confesser auprès de l’élue. Hors des conventions et de la bienséance, ce sentiment et ce désir, qui flirtent avec les interdits, emportent aussi avec eux leur lot habituel de jalousie et d’inimitié : ces ennemis, médisants ou délateurs qu’on devine dans l’ombre.
Dans cette pièce, Bernard, transporté par son désir ajoutera même une touche d’érotisme et de sensualité avec un baiser volé à sa dame dans son sommeil. L’aimera-t-elle ? Lui cédera-t-elle ? Feindra-t-elle ? Le destin du désir dans l’amour courtois est de ne pouvoir se poser sur son objet, au risque d’y éteindre sa flamme. Sa sublime et son point culminent se situent dans l’attente, l’incertitude, le doute et il faut que le prétendant de la lyrique courtoise demeure voué à l’inconfort ; sa gloire, sa perfection, sa consécration même en tant que fine amant, étant la force qu’il a de l’accepter ou de s’y résigner.
Notes sur la traduction
Une fois n’est pas coutume, pour cette traduction nous suivons, sans en changer une seule virgule, le travail de Léon Billet, grand spécialiste de Bernard de Ventadorn, dans son ouvrage Bernard de Ventadour troubadour du XIIème siècle, Orfeuil (1974). Chanoine de son état, cet auteur et biographe fut primé à plusieurs reprises pour ses ouvrages. De son vivant, il créa aussi une association autour de Bernard de Ventadour et de son legs, ayant pour nom la Société Historique des Amis de Ventadour. Si vous vous intéressez de près à ce grand troubadour, nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir leur site web. Vous y trouverez une information foisonnante sur l’oeuvre du poète limousin, mais aussi sur les duchés et fiefs rattachés à son nom.
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît
En introduction de cette pièce interprétée par la Camerata Meditteranea et servie par la voix de Jean-Luc Madier, on trouve, comme indiqué plus haut, un extrait de la vida de Bernard de Ventadour:
E·l vescons de Ventadorn si avia moiller bella, joven e gentil e gaia. E si s’abelli d’En Bernart e de soas chansos e s’enamora de lui et el de la dompna, si qu’el fetz sas chansos e sos vers d’ella, de l’amor qu’el avia ad ella e de la valor de leis.
« Le vicomte de Ventadour avait une femme belle, jeune, noble et joyeuse. Et, en effet, elle apprécia Bernart et ses chansons, et s’éprit de lui, et lui de la dame ; aussi fit-il ses chansons et ses « vers » à son sujet, et sur l’amour qu’il avait pour elle et sur ses mérites. »
I
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par E la flors boton’ el verjan E.l rossignols autet e clar Leva sa votz e mou so chan Joi ai de lui e joi ai de la flor Joi ai de mi e de midons major Daus totas partz sui de joi claus e sens Mas sel es jois que totz autres jois vens
Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît et la fleur bourgeonne sur la branche et le rossignol haut et clair élève sa voix et entame son chant j’ai joie de lui et j’ai joie de la fleur et joie de moi-même et joie plus grande de ma dame. De toutes parts je suis endos et ceint de joie mais celui-ci est joie qui vainc toutes les autres.
II
Ai las com mor de cossirar Que maintas vetz en cossir tan Lairo m’en poirian portar Que re no sabria que.s fan Per Deu Amors be.m trobas vensedor Ab paucs d’amics e ses autre seignor Car una vetz tan midons no destrens Abans qu’eu fos del dezirer estens
Hélas comme je meurs d’y penser car maintes fois j’y pense tellement des voleurs pourraient m’emporter que je ne saurais rien de ce qu’ils font Par Dieu ! amour tu me trouves bien vulnérable avec peu d’amis et sans autre seigneur pourquoi une fois ne tourmentes-tu pas autant ma dame avant que je ne sois détruit/éteint de désir ?
III
Meraveill me com posc durar Que no.ill demostre mo talan Can eu vei midons ni l’esgar Li seu bel oill tan be l’estan Per pauc me teing car eu vas leis no cor Si feira eu si no fos per paor C’anc no vi cors meills taillatz ni depens Ad ops d’amar sia tan greus ni lens
Je m’étonne comment je peux supporter si longtemps de ne pas lui révéler mon désir quand je vois ma dame et la regarde. Ses beaux yeux lui vont si bien à peine puis-je m’abstenir de courir vers elle et je le ferais ne serait la peur car jamais je vis corps mieux taillé et peint au besoin de l’amour si lourd et tard.
IV
Tan am midons e la teing char E tan la dopt’ e la reblan C’anc de me no.ill auzei parlar Ni re no.ill quer ni re no.ill man Pero ill sap mo mal e ma dolor E can li plai mi fai ben et onor E can li plai eu m’en sofert ab mens Per so c’a leis no.n aveigna blastens
J’aime tant ma dame et je la chéris tant et je la crains tant et la courtise tant que jamais je n’ai osé lui parler de moi et je ne lui demande rien et je ne lui mande rien. Pourtant elle connaît mon mal et ma douleur et quand cela lui plaît, elle me fait du bien et m’honore et quand cela lui plaît, je me contente de moins afin qu’elle n’en reçoive aucun blâme.
V
S’eu saubes la gen enchantar Mei enemic foran efan Que ja us no saubra triar Ni dir re que.ns tornes a dan Adoncs sai eu que vira la gensor E sos bels oills e sa frescha color E baizera.ill tan la boch’ en totz sens Si que d’un mes i paregra lo sens
Si je savais enchanter les gens mes ennemis deviendraient des enfants de façon à ce que même pas un seul sache choisir ni dire rien qui puisse tourner à notre préjudice. Alors je sais que je verrai la plus gracieuse et ses beaux yeux et sa fraîche couleur et je lui baiserais la bouche dans tous les sens si bien que durant un mois y paraîtrait la marque.
VI
Be la volgra sola trobar Que dormis o.n fezes semblan Per qu’e.ill embles un doutz baizar Pus no vaill tan qu’eu lo.ill deman Per Deu domna pauc esplecham d’amor Vai s’en lo tems e perdem lo meillor Parlar degram ab cubertz entresens E pus no.ns val arditz valgues nos gens
Je voudrais bien la trouver seule qu’elle dorme ou qu’elle fasse semblant pour lui voler un doux baiser car je n’ai pas le courage de le lui demander. Par Dieu dame nous réussissons peu de chose en amour le temps s’en va et nous perdons le meilleur nous devrions parler à mots couverts et puisque la hardiesse nous est d’aucun recours recourons à la ruse.
VII
Be deuri’om domna blasmar Can trop vai son amic tarzan Que lonja paraula d’amar Es grans enois e par d’enjan C’amar pot om e far semblan aillor E gen mentir lai on non a autor Bona domna ab sol c’amar mi dens Ja per mentir eu no serai atens
On devrait bien blâmer une dame si elle fait trop attendre son ami car long discours d’amour est d’un grand ennui et paraît tromperie car on peut aimer et faire semblant ailleurs et gentiment mentir là où il n’y a pas de témoins. Excellente dame, si seulement tu daignais m’aimer je ne serais jamais pris en flagrant délit de mensonge.
Tornada
Messatger vai e no m’en prezes mens S’eu del anar vas midons sui temens
Envoi
Messager va et qu’elle ne m’en estime pas moins si je crains d’aller chez ma dame.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français, fine amant, fine amor, fin’amor, chansonnier C, manuscrit ancien Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Titre: Li plusour ont d’amours chanté Auteur : Gace Brûlé (1160/70 -1215) Interprète : Ensemble Oliphant Album: Gace Brûlé (Alba Records, 2004)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, aux premiers trouvères du moyen-âge, avec une chanson du XIIe siècle. Elle a été diversement attribuée par les manuscrits et sources d’époque au Châtelain de Coucy ou à Gace Brûlé. Suivant l’avis partagé par un nombre important de médiévistes, c’est cette dernière attribution, par le Chansonnier C ou Manuscrit de BerneCod 389 (voir ce manuscrit en ligne ici ) que nous avons choisi de retenir ici.
Gace Brûlé dans le Chansonnier Trouvère C, de la bibliothèque de Berne
Pour son interprétation, nous retrouvons l’ensemble médiéval finlandais Oliphant et l’album que la formation avait dédié à ce trouvère, en 2004 (voir article détaillé ).
« Li plusour … », une leçon d’amour courtois
contre les médisants et les faux amoureux,
Dans la pure tradition de la lyrique courtoise, le poète donne ici un leçon de fine amor (fin’amor) à ses contemporains. Contre les médisants, les envieux et les « faux amoureux », il est, nous explique t-il, comme tant d’autres poètes lyriques médiévaux le feront par ailleurs, un fine amant sincère et véritable.
Comme toute société crée et valorise ses propres normes, elle produit aussi systématiquement la possibilité de s’en revêtir faussement pour s’élever socialement. Et comme la loyauté engendre la fausse loyauté, l’humilité la fausse modestie, au Moyen-âge, la courtoisie donne naissance au « faux amoureux ». On retrouve parmi ces derniers, ceux qui entrent dans la compétition en feignant la Fine amor véritable, pour faire bonne figure auprès des dames, mais aussi, plus largement, de l’univers mondain. Pour n’en citer qu’un exemple, on se souvient de cet « amor torné en fables » dont nous parlait Chrétien de Troyes dans son Chevalier au Lion :
« Or est amor torné en fables, Por ce que cil rien n’en sentent Dient qu’ils aiment, et si mentent ; Et cil fable et mensonge en font, Que s’en vantent, et rien n’y ont. Mais por parler de celz qui furent, Laissons celz qui en vie durent, Qu’encor valt miex, se m’est avis, Un cortois mort qu’un vilain vis. » Chrétien de Troyes – Yvain ou l Chevalier au Lion.
Aux côtés du faux-amoureux, les médisants, les « lauzengiers » ou les calomniateurs, qui transgressent par leurs mensonges les règles de l’amour courtois et le salissent, sont montrés du doigt par le poète. Plus vils que le plus vil des vilains, ils sont exécrés par lui et voués à être mis au banc. Ce thème récurrent des « médisants », déjà présent chez les troubadours sera largement repris, par la suite, chez les trouvères. Bien souvent, il ne s’agit pas seulement d’un procédé littéraire qui consisterait à invoquer des ennemis « imaginaires » comme autant d’obstacles dressés entre le poète et la réalisation de son désir, pour mieux l’édifier comme fine amant, aux yeux de sa dame et de l’univers mondain. Si l’effet est bien là, l’adversité et les quolibets sont aussi bien réels. Dans le contexte des cours où la courtoisie s’exerce, les enjeux de pouvoir et la nature transgressive et sulfureuse de l’amour courtois ont suscité des rivalités et des tensions véritables. Pour n’en dire qu’un mot, laissons ici la parole à Joseph Anglade
« (…) Que les troubadours aient reçu un excellent accueil dans les cours où ils apportaient la poésie et la joie, c’est ce que tous les témoignages du temps, leurs œuvres en premier lieu, nous apprennent. Mais ils nous disent aussi combien âpre fut ce que nous appellerions du nom vulgaire de concurrence ou du nom en apparence plus scientifique de lutte pour la vie. Les poésies des troubadours sont pleines d’allusions aux «médisants»; ce sont eux qui perdent le poète auprès de sa dame ou qui ternissent sa réputation. Ils le brouillent, chose aussi grave, avec son protecteur. On peut croire les troubadours sur parole. Dans ces petites sociétés fermées où ils vécurent, la jalousie, et son cortège habituel, la calomnie et la médisance, durent pousser comme fleurs naturelles. » Joseph Anglade Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leur influence (1919)
Pour le reste, la chanson est dédiée au comte de Bretagne, et si c’est bien Gace Brûlé qui l’a composé, il s’agit probablement de Geoffroy II de Bretagne, fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II d’Angleterre, noble contemporain et protecteur, du trouvère.
Paroles en vieux-français avec clefs de vocabulaire
I Li plusour* (nombreux) ont d’amours chanté Par esfort et desloiaument* (avec force et de façon déloyale); Mes de tant me doit savoir gré, Qu’onques ne chantai faintement. Ma bone foi m’en a gardé, Et l’amours, dont j’ai tel plenté* (en abondance), Que merveille est* (qu’il est étonnant) se je rien hé* (haïr), Neïs* (pas plus que, ni même) celé* (celer, cacher) envïouse gent.
II Certes j’ai de fin cuer amé, Ne ja n’amerai autrement; Bien le puet avoir esprouvé Ma dame, se garde s’en prent* (si elle y prête attention). Je ne di pas que m’ait grevé* (qu’il ne m’ai pesé, blessé) Qu’el ne soit a ma volenté, Car de li sont mit mi pensé, Moût me plet ce que me consent.
III Se j’ai fors* (hors) du pais esté, Ou mes biens et ma joie atent, Pour ce n’ai je pas oublié Conment on aime loiaument; Se li merirs* (les mérites, les récompenses) m’a demoré Ce m’en a moût reconforté, Qu’en pou* (peu) d’ore a on recouvré Ce qu’on desirre longuement.
IV Amours m’a par reson moustré Que fins amis* (le fine amant) sueffre et atent ; Car qui est en sa poësté* (pouvoir) Merci doit proier franchement* (doit implorer grâce ouvertement), Ou c’est orgueus; — si l’ai prouvé; Mais cil faus amorous d’esté, Qui m’ont d’amour ochoisoné* (chercher quereller, accuser), N’aiment fors quant talens lor prent*. (que quand l’envie leur prend)
V S’envïous l’avoient juré, Ne me vaudroient il nïent, La dont il se sont tant pené De moi nuire a lor essïent* (sciemment, volontairement). Por ce aient il renoié Dé, Tant ont mon enui* (chagrin, ennui) pourparlé* (débattu, discuté) Qu’a paine* (difficilement) verrai achevé Le penser qui d’amours m’esprent.
VI Mes en Bretaigne m’a loé Li cuens* (le comte), cui j’aim tôt mon aé* (âge, vie. que j’ai aimé toute ma vie), El s’il m’a bon conseil doné, Ce verrai je procheinement.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, auteur médiéval, vieux-français, fine amant, lyrique courtoise, amour courtois. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur ; Colin Muset (1210-?) Titre : « Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit.» Ouvrage : Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, avec la transcription des mélodies par Jean Beck. Paris, Champion, 1938.
Bonjour à tous,
our avancer dans notre exploration du répertoire des trouvères du moyen-âge central, nous vous présentons, aujourd’hui, une nouvelle pièce de Colin Muset.
Si ce poète médiéval a mis dans nombre de ses chansons, une touche personnelle d’humour et même de truculence rafraîchissantes, il épouse, ici, de manière plus sage, les formes « classiques » de la lyrique courtoise : les saisons y reflètent les états émotionnels du poète et, contre l’hiver, l’arrivée du beau temps et du rossignol l’inspireront et le mettront en joie. Ce sera le moment idéal pour louer la dame chère à son cœur et qui n’a que des qualités, dont la moindre n’est pas de lui avoir cédé. Enfin, dans un « siècle » qui compte bien peu de courtoisie, nous dit-il, il est bien décidé à demeurer, de son côté, contre les fous, les vilains et autres rustres, un fine amant parfait.
La notation musicale de cette chanson ne nous est, hélas, pas parvenue et il faut encore noter, à son sujet, que sa versification assez inusuelle la démarque clairement du reste de l’oeuvre de Colin Muset. De fait, contre le copiste du manuscrit de Berne, Gaston Paris avait émis quelques doutes sur son attribution. Dans son édition de 1938 (op cité), Joseph Bédier a, quant à lui, fait le choix de se fier au manuscrit et de la maintenir dans les compositions du trouvère. C’est un débat qui reste ouvert entre médiévistes et on en trouvera quelques subsides, notamment chez le spécialiste de littérature médiévale Alain Corbellari, dans son ouvrage Joseph Bédier: écrivain et philologue, paru chez Droz, en 1997.
Colin Muset, dans le Chansonnier Trouvère C de la Burgerbibliothek de Berne
Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit
en vieux français avec clefs de vocabulaire
I Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit Ke je ne voi rossignor en bruel ramei* (sur un buisson feuillu), Et, dès ke je voi lou tens renoveleit, Si me covient ke je soie en cest esteit Plux mignos* (gracieux) et envoixiez *(enjoué) ke n’aie esteit.
Il Bone dame belle et blonde l’a loweit* (loué, approuvé), S’est bien drois* (juste) ke j’en faice sa volenteit, Ke j’avoie tout le cuer desespereit. Par son doulz comandement l’ay recovreit ; Or ait mis en moult grant joie mon penseir.
III Jai* (jamais) de joie faire ne serai eschis* (rétif, exempté), Pues ke ma dame le veult, a simple vis, Et g’i ai si por s’amor mon penseir mis Ke ne poroie troveir, ce m’est avis, Dame de si grant valor ne de tel prix.
IV Medixant* (les médisants) ont tout le mont en mal poent mis, Ke li siècles n’est maix cortois ne jolis, Et nonporcant* (cependant) ki seroit loiauls amis, K’il ne fust fols ne vilains ne mal apris, Cil poroit avoir grant joie a son devis. (à sa disposition, à discrétion)
V Sa biaulteis et sui vair ueil (yeux bleus) et ces doulz ris* (rires) Me tiennent mignot et gai ; plux seus jolis Ke je n’avoie ains esteit, ce vos plevis* (je vous le certifie).
*
* *
C’est por la millor ki soit jusc’a Paris.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.