Sujet : amour courtois, musique, poésie médiévale, chanson médiévale, Cantigas de amigo II, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Auteur : Martín (ou Martim) Codax Titre: Mandad’ei comigo Interprètes :Oni Wytars Album : Amar e Trobar, la passion et le mystère au moyen-âge (1992)
Bonjour à tous,
ous partons aujourd’hui, toutes voiles dehors, à la découverte de l’art des troubadours galaïco-portugais de l’Espagne et du Portugal du moyen-âge central. Ce sera l’occasion d’approcher une nouvelle chanson de Martin Codax, prise dans le répertoire des Cantigas de amigo. Comme dans la plupart des poésies du genre, le poète met ici ses rimes dans la bouche d’une damoiselle qui nous conte ses sentiments pour son « ami », autrement dit son bien-aimé, dans l’attente de son retour ou de sa venue.
Bien que le jongleur (juglar ou jograr) galaïco-portugais Martin Codax ne soit qu’un des quatre-vingt huit auteurs des cantigas de amigo, il est demeuré, à ce jour, l’un des représentants les plus célèbres de cette lyrique courtoise médiévale et il reste, en tout cas, l’une des plus chantés. Comme nous lui avons déjà dédié un article, nous vous invitons à vous y reporter, au besoin : Martin Codax troubadour médiéval.
Oni Wytars. Mandad’ei comigo, Cantiga de Amigo 2 de Martin Codax
Amar e Trobar,
par l’ensemble Médiéval oni Wytars
‘est l’excellent ensemble allemand Oni Wytars qui nous propose ici l’interprétation de cette Cantiga de Amigo II de Martin Codax. Elle est tirée de leur album Amar e trobar, sorti en 1992. La formation y présentait seize titres empruntés au répertoire médiéval français, italien et espagnol, avec pour ambition d’approcher le thème de l’amour et de la passion au moyen-âge, au sens large. Les pièces vont en effet de l’amour courtois et profane, à un amour au sens plus spirituel, comme on le trouve dans la passion et les mystères. On trouvera ainsi des compositions issues de l’art des troubadours, des Cantigas de Amigo, mais encore des pièces en provenance du Livre Vermell de Montserrat ou des Cantigas de Santa Maria.
Oni Wytars signait également, dans cet album, une collaboration avec le très reconnu compositeur, chef d’orchestre, musicien et musicologue autrichien. René Clemencicet ce dernier venait prêter, ici, ses talents d’instrumentiste à la flûte à bec, à la flûte en corne (gemshorn) ou encore au chalémie (instrument médiéval de la famille des hautbois).
Du côté du chant, c’est la soprano Ellen Santaniello qui prêtait ici sa belle voix à la pièce de Martin Codax du jour.
Mandad’ei comigo de Martin Codax
et sa traduction/adaptation en français
Mandad’ei comigo, ca ven meu amigo. E irei, madr’ a Vigo
Un message m’est parvenu Que venait mon doux ami Et j’irai, mère, à Vigo
Comigo’ei mandado, ca ven meu amado. E irei, madr’ a Vigo
J’ai avec moi le message Que venait mon bien-aimé Et j’irai, mère, à Vigo
Ca ven meu amigo e ven san’ e vivo. E irei, madr’ a Vigo
Que venait mon doux ami bien portant et vivant Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven meu amado e ven viv’ e sano. E irei, madr’ a Vigo
Que venait mon bien-aimé Bien vivant et bien portant Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven san’ e vivo e d’el rei amigo E irei, madr’ a Vigo
Qu’il venait bien portant et vivant
Et qu’il est du roi l’ami Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven viv’ e sano e d’el rei privado. E irei, madr’ a Vigo
Qu’il venait vivant et bien portant et qu’il est du roi, favori Aussi, j’irai, mère, à Vigo
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien. Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 10 rosas das rosas Interprète : Marina Lys(2015)
Bonjour à tous,
ous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.
Cantiga de Santa Maria et sa partition ancienne
Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco- portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au cœur du culte marial si prégnant au Moyen Âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).
Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.
La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys
Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie sur la route des fêtes médiévales
Formée au conservatoire de musique d’Orly, Marina Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.
A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique, son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.
Marina Lys, une artiste passionnée de musiques anciennes et médiévales
Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du Moyen Âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.
A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre de fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.
Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe musicale « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.
Rosa das rosas, les paroles de la Cantiga 10 et leur traduction en français moderne
Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.
Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.
Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Rosa de beldad’ e de parecer e Fror d’alegria e de prazer, Dona en mui piadosa ser Sennor en toller coitas e doores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Rose de beauté et belle apparence Et fleur de joie et de plaisir. Dame de grande piété (miséricorde) Reine pour ôter peines et douleurs Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Atal Sennor dev’ ome muit’ amar, que de todo mal o pode guardar; e pode-ll’ os peccados perdõar, que faz no mundo per maos sabores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer Qui de tout le mal nous peut préserver Et peut pardonner pour tous les péchés Qu’on fait dans le monde par mauvais goût ( à mauvais escient) Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Devemo-la muit’ amar e servir, ca punna de nos guardar de falir; des i dos erros nos faz repentir, que nos fazemos come pecadores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir Car elle peut nous garder des fautes Et nous faire repentir des erreurs Que nous commettons, nous, pécheurs, Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Esta dona que tenno por Sennore de que quero seer trobador, se eu per ren poss’ aver seu amor, dou ao demo os outros amores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Cette dame là que je tiens pour reine et dont je veux être le troubadour Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour Je laisserai au démon tous les autres amours Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse
Avec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable » toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.
La Partition moderne de la CSM 10 Rose des rose
A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse « politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église. Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs (1).
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
(1)Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’œuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010 par Jean-Louis Benoit dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »
Sujet : amour courtois, musique, poésie médiévale, Cantigas de amigo V, galaïco-portugais, troubadour. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Auteur : Martín (ou Martim) Codax Titre: Quantas Sabedes Amar Amigo Interprètes : Montserrat Figueras, Jordi Savall, Ferran et Arianna Savall Album : Du temps & de l’instant (2005)
Bonjour à tous,
robablement natif de la Province de Vigo en Gallice qu’on retrouve présente dans nombre de ses chansons, Martín Codax fut un troubadour galaïco-portugais du moyen-âge central. Bien qu’il soit indéniablement l’un des poètes les plus connus et les plus diffusés de la littérature médiévale galaïco-portugaise (« profane ») nous n’avons pas la date précise de sa naissance ou de sa mort et nous connaissons de sa vie, comme beaucoup de troubadours, uniquement ce que ses poésies nous en apprennent, c’est à dire presque rien. On situe, en général, ses activités artistiques entre le milieu du XIIIe et les débuts du XIVe siècle.
Le Parchemin Vindel
Ses oeuvres nous sont connues par les chansonniers et manuscrits anciens de lyrique galaïco-portugais ou même encore par le Parchemin Vindel. C’est d’ailleurs grâce à ce dernier document, découvert totalement par hasard au début du XXe siècle dans un exemplaire de l’ouvrage De Officiis de Cicéron que l’on a pu retrouver les notations musicales des chansons du poète. Le parchemin daté du milieu du XIIIe siècle et composé de plusieurs feuillets, avait vraisemblablement servi plus tardivement à un moine pour effectuer la reliure de l’ouvrage politique de l’homme d’Etat romain. C’est un libraire madrilène du nom de Pedro Vindel qui fit cette découverte en 1914. Aujourd’hui, le précieux document est conservé aux Etats-Unis, à la Morgan Library & Museum, de New York.
Ajoutons encore qu’à ce jour, le Parchemin Vindel et le Parchemin Sharrer(lui aussi découvert très tardivement, vers la fin du XXe siècle), sont les deux seuls documents anciens ayant permis de retrouver les compositions musicales originales des Cantigas de Amigo.
Le legs et les chansons de Martín Codax
Les chansons de Martín Codax sont toutes regroupées sous le genre des Cantigas de amigo ou chansons pour l’être aimé et nous sommes donc clairement ici dans le registre lyrique de l’amour courtois.
Les oeuvres léguées par le poète galaïco-portugais sont peu nombreuses ; sept chansons ont été mises à jour pour l’instant et le parchemin Vindel a permis de retrouver la musique de six d’entre elles. Jusqu’à encore récemment le succès de ce troubadour médiéval a largement débordé la péninsule ibérique et on le trouve repris par un nombre incalculable de formations spécialisées dans les musiques anciennes, à travers l’Europe et même au delà. La musicalité de la langue galaïco-portugaise autant que la pureté et la simplicité de sa poésie y sont indéniablement pour beaucoup. Les chansons de Martin Codax les plus souvent reprises mettent en scène la mer de Vigo et ses vagues évocatrices de contemplation et de poésie. C’est le cas de celle du jour à laquelle la talentueuse chanteuse lyrique soprano Montserrat Figueras prêtait son talent dans les années 2000.
Quantas sabedes amar amigo, par Montserrat Figueras
Du temps & de l’instant
Pour l’interprétation de la Cantiga de Amigo du jour, la V, nous avons donc choisi l’envoûtante interprétation de Montserrat Figueras accompagnée de Jordi Savall, de leurs deux enfants Ferran et Arianna et du percussionniste Pedro Estevan.
L’enregistrement date de 2005 et il est tiré de l’album au titre français : Du temps & de l’instant. Les artistes catalans signaient là une production familiale et intimiste présentant une sélection de pièces allant du moyen-âge central à des siècles plus récents (XVIIIe et au-delà). Ils y visitaient au passage l’Espagne, la Catalogne, l’Orient et même encore la Grèce et le mexique. L’album est toujours disponible à la vente sur le site officiel d’Alia Vox, leur maison de distribution.
Les Paroles de la Cantiga de Amigo V
et leur traduction, adaptation en français
Dans les chansons issues de Cantigas de Amigo, le troubadour met en général ses mots dans la bouche d’une demoiselle parlant de l’être aimé, le louant ou l’attendant. C’est le cas ici.
Quantas sabedes amar amigo treydes comig’ a lo mar de Vigo: E banhar-nos-emos nas ondas!
Jusqu’à quel point sais-tu aimer un ami (mon ami?)* Viens avec moi à la mer de Vigo : Et nous nous baignerons dans les vagues !
Quantas sabedes amar amado treydes comig’ a lo mar levado: E banhar-nos-emos nas ondas!
Jusqu’à quel point sais-tu aimer l’être aimé (mon aimé?) Viens avec moi à la mer de Vigo : Et nous nous baignerons dans les vagues !
Treydes comig’ a lo mar de Vigo e veeremo’ lo meu amigo: E banhar-nos-emos nas ondas!
Viens avec moi à la mer de Vigo Et nous verrons mon ami : Et nous nous baignerons dans les vagues !
Treydes comig’ a lo mar levado e veeremo’ lo meu amado: E banhar-nos-emos nas ondas!
Viens avec moi dans la mer agitée Et nous verrons mon aimé : Et nous nous baignerons dans les vagues !
* Notez que nous traduisons « Quantas sabedes amar » comme « Jusqu’à quel point (COMBIEN) sais-tu aimer » ce qui me parait le plus littéral et logique même si c’est une traduction totalement hispanisante que j’assume : « Cuantas Sabeis amar… »
L’absence de ponctuation laisse à penser que « Combien sais-tu aimer, ami » sous entendu « mon ami, mon aimé » peut-être sujette à caution, ce qui pourtant serait, là encore en espagnol contemporain, sans doute plus correct et donnerait en plus à la chanson un sens différent certes, mais peut-être plus logique ou « coulant ». Comme on trouve de nombreuses traductions espagnoles à la ronde qui ajoutent l’article indéfini « UN ». « Combien sais-tu aimer UN ami ou l’être aimé » Dans le doute, je le laisse donc et garde la porte ouverte aux deux options, même si je ne suis convaincu qu’à moitié et lui préfère largement la première : la jeune fille parlant à son propre amoureux, le « défiant » gentiment et l’invitant à la rejoindre dans les vagues. On retrouve encore et quelquefois cette phrase traduite comme « Toi qui sais aimer un ami » mais dans ce cas-là le « Quantas » est occulté et cela me semble encore moins correct.
En vous souhaitant une belle journée.
Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles.
Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X (1221-1284)
Titre : Cantiga 23
Direction : Eduardo Paniagua (2006) Album : Merlín y otras Cantigas Celtas
Bonjour à tous,
‘est toujours un vrai plaisir de découvrir ou redécouvrir des pièces d’anthologie en provenance du monde médiéval, tout en faisant tribut aux musiciens et artistes contemporains qui les font revivre pour nous. Aujourd’hui, comme nous l’avons engagé il y a quelque temps déjà, nous continuons notre exploration des Cantigas de Santa Maria en essayant, sinon de toutes les traduire littéralement en français au moins d’en approcher clairement le sens.
C’est donc, cette fois, sur la Cantiga 23 que nous nous penchons, en vous proposant son interprétation par une formation dirigée par l’artiste et musicien madrilène Eduardo Paniagua, qui s’est fait une véritable spécialité des musiques de l’Espagne médiévale.
Nous le rappelons ici, mais si vous nous suivez, vous vous souvenez que ces Cantigas nous viennent du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X de Castille. Connu encore sous le nom d’Alphonse le sage ou le savant, le souverain, grand passionné de Culture (au sens large et pluriel) tout autant que de Littérature, en est d’ailleurs réputé l’auteur et il demeure certain qu’un grand nombre de ces chansons sont de sa plume. Elles restent un témoignage incontournable du culte marial et des pèlerinages du moyen-âge central, mais elles sont aussi des pièces uniques de galaïco-portugais, cette belle langue romane qui servit à merveille la lyrique médiévale.
La cantiga 23 sous la direction d’Eduardo Paniagua.
Eduardo Paniagua, insatiable explorateur
des musiques de l’Espagne médiévale
Né en 1952 à Madrid, architecte de formation, la passion de Eduardo Paniagua pour le moyen-âge l’a conduit, avec le temps, à devenir un des plus grand grand expert dans le champ de la musique médiévale espagnole.
Eduardo Paniagua, grand explorateur des musiques médiévales
Ayant débuté à l’âge de 16 ans et de manière très précoce son exploration du domaine des musiques anciennes (notamment dans le cadre du groupe espagnol Atrium Musicae), il a, depuis, fondé de nombreuses formations et a aussi crée, en 1994, sa propre maison d’édition, baptisée PNEUMA, afin de distribuer ses propres productions ainsi que celles d’autres artistes. A ce jour, la maison a édité plus de 135 albums dont 80 dirigés par son créateur.
Le répertoire de cet artiste est loin de se limiter aux Cantigas de Santa Maria même si ce champ est déjà immense en soi. Il a d’ailleurs dirigé et enregistré plus de 400 d’entre elles à travers de nombreux albums et dans le cadre de l’ensemble Musica Antiguaqu’il fonda en 1994. Durant cette même année, il cofonda également avec l’artiste marocain Omar Metioui, le groupe IBN BÁYA afin d’explorer les musiques de l’Andalousie médiévale.
En insatiable explorateur, Eduardo Paniagua a eu encore à coeur de faire découvrir ou redécouvrir au public de nombreux autres codex ou chansonniers, et des musiques allant des troubadours et jongleurs du moyen-âge central jusqu’à la période renaissante et pré baroque, en passant par le répertoire incontournable des musiques séphardiques (ou sépharades) de l’Espagne médiévale. Pour ses derniers travaux, il a d’ailleurs été récompensé en 2004 et conjointement par les quatre synagogues séfarades de Jérusalem.
Ajoutons encore que tout au long de sa carrière, ce grand artiste, directeur et musicien s’est vu primer à de nombreuses reprises dans ses répertoires de prédilection, au niveau national comme international.
Merlin y otras cantigas celtas
Alfonso X el Sabio, s. XIII
Merlin et les cantigas de Santa Maria
Dans cet album de 2006 sorti chez Pneuma, Eduardo Paniagua, accompagné du musicien multi-instrumentiste Jaime Muñoz et de quelques autres artistes, se proposait de revisiter une partie du répertoire des Cantigas, sous l’angle particulier de la matière de Bretagne et des chants en relation avec les terres celtiques. L’album contient donc neuf pièces de cette veine, toutes tirées de Cantigas de Santa Maria, dont cinq chantées et quatre instrumentales.
A cette occasion, on notera avec intérêt qu’Alphonse de Castille se piqua lui aussi de légendes arthuriennes puisque dans sa Cantiga 108, il nous parle même d’un Miracle pour le moins étonnant dans lequel Merlin fera appel à la Sainte Vierge pour prouver à un juif dubitatif la véracité de la résurrection.
Concernant cette production, elle peut encore être trouvée à la vente au format CD chez certains disquaires. A défaut, voici un lien utile pour vous la procurer en ligne: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua
Une origine dans les écrit de Saint Dunstan ?
D’après le livret de l’album d’Eduardo Paniagua, l’histoire de la Cantiga 23 proviendrait, à l’origine, des récits de Saint Dunstan, prélat anglo-saxon et archevêque de Cantorbéry, contemporain du Xe siècle. Le roi dont il est ici question serait donc Aethelstam (Athelsan) de Glastonbury qui fut, nous dit encore le même livret « le souverain anglais qui ordonna la traduction de la bible en anglosaxon ».
Pour être très honnête, nous n’avons pas creusé plus loin ces assertions. En revanche on trouve bien la mention d’un Saint Ethelwold du même siècle, qui a effectivement visité la cour du roi Athelsan, et fut ordonné prêtre en même temps que Saint Dunstan. Il semble qu’on ait prêté à ce bénédictin la traduction de la règle de Saint-Benoit en anglosaxon (et pas la bible) et également un miracle du vin, multiplié à partir d’une simple jarre. Si vous avez à cœur d’aller plus loin sur ce point, vous aurez au moins cette piste.
La cantiga de Santa Maria 23 en galaïco-portugais & sa traduction en français actuel
Le poète nous conte ici un miracle, survenu en Bretagne qui fait écho et même référence directe au miracle biblique des noces de Cana. A l’image de son fils qui changea l’eau en vin, la Sainte fera, en effet, de même dans cette cantiga, en sauvant ainsi une dame très pieuse d’une situation délicate. En voici donc les paroles, ainsi que leur traduction/adaptation par nos soins :
Como Deus fez vo d’agua ant’ Archetecro, Ben assi depois sa Madr’ acrecentou o vinno.
Comme Dieu changea l’eau en vin devant le maître d’hôtel (1)De la même façon, par la suite sa mère multiplia* le vin (*augmenta la quantité)
Desto direi un miragre que fez en Bretanna Santa Maria por ha dona mui sen sanna, En que muito bon costum’ e muita bõa manna Deus posera, que quis dela seer seu vinno.
A ce propos, je conterai un miracle que fit en Bretagne, Sante-Marie pour une dame très saine d’esprit (de très bon sens)En laquelle de bonnes coutumes et de bonnes manièresDieu avait déposé, pour en faire une des siennes (2)
Como Deus…
Sobre toda-las bondades que ela avia, Era que muito fiava en Santa Maria; E porende a tirou de vergonna un dia Del Rei, que a ssa casa vera de camino.
D’entre toutes les bontés qu’elle avaitIl se trouvait qu’elle avait beaucoup foi en Sainte-MarieEt cela la tira d’embarras, un jourFace au roi, qui s’arrêta chez elle, en chemin
Como Deus…
A dona polo servir foi muit’ afazendada, E deu-lle carn’ e pescado e pan e cevada; Mas de bon vo pera el era mui menguada, Ca non tia senon pouco en un tonelcino.
La femme pour le servir, s’affaira beaucoup,Lui donnant viande et poisson, et pain et bièreMais de bon vin pour lui, elle se trouvait à courtCar elle n’en avait pas, sinon un peu, dans un tonnelet.
Como Deus…
E dobrava-xe-ll’ a coita, ca pero quisesse Ave-lo, non era end’ en terra que podesse Por deiros nen por outr’ aver que por el désse, Se non fosse pola Madre do Vell’ e Meno.
Elle était acculé car même si elle avait voulu en trouver Il n’y avait pas sur cette terre là un endroit pour s’en procurer avec de l’argent ou par tout autre moyenSi ce ne fut par le recours à la mère de Dieu et de l’enfant.
Como Deus…
E con aquest’ asperança foi aa eigreja E diss’ Ai, Santa Maria, ta mercee seja Que me saques daquesta vergonna tan sobeja; Se non, nunca vestirei ja mais lãa nen lo.
Et avec cet espoir elle se rendit à l’égliseEt dit « Ha, Sainte-Marie, j’implore votre pitiépour que vous me tiriez de cette grande hontesans quoi je ne me pourrai plus me vêtir ni de laine, ni de lin (3)
Como Deus….
Mantenent’ a oraçon da dona foi oyda, E el Rei e ssa companna toda foi conprida De bon vinn’, e a adega non en foi falida Que non achass’ y avond’ o riqu’ e o mesqo.
La prière de la femme fut entendue sur le champEt le roi, avec toute sa compagnieFut servi en bon vin, et la cave n’en manqua pas,Et le riche et le pauvre en trouva en abondance.
Como Deus fez vo d’agua ant’ Archetecro, Ben assi depois sa Madr’ acrecentou o vinno.
Notes
(1) L’officiant responsable de l’organisation des noces de Cana donc. Bible Latine : Architriclino. Le triclinium était la salle à manger romaine et le lieu où l’on pouvait trouver les lits de banquets et les tables.
(2) litt : « pour faire d’elle son vin » pour qu’elle soit proche de lui, pour en faire une des siennes
(3) Sans quoi je serais à visage découvert et n’aurais d’autre recours que boire toute ma honte.