Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, compositeur médiéval, Roman de Fauvel, Manuscrit médiéval, français 146, vieux -français, langue d’oïl, ballade Période : Moyen Âge, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : Jehannotde Lescurel
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à la toute fin du XIIIe siècle, avec le trouvère et compositeur Jehannot de Lescurel. Dans le pure style de la lyrique médiévale courtoise, le poète se déclare, dans cette chanson, le plus loyal et serviable des amants. Il n’attend en retour et pour unique gage, que de pouvoir effleurer les lèvres de la belle et qu’elle lui concède un baiser.
Sources : le manuscrit médiéval français 146
Comme nous l’avions déjà indiqué, on retrouve les œuvres de Jehannot de Lescurel dans le manuscrit ancien Français 146 de la BnF. Daté des débuts du XIVe siècle (1318-1320) cet ouvrage joliment enluminé, est surtout connu pour contenir le Roman de Fauvel de Gervais du Bus et Raoul Chaillou de Pesstain : cette copie est même considérée comme une des plus fameuses à ce jour (source Bnf).
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la chanson et sa notation musicale
Outre le Roman de Fauvel et les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel, on peut également trouver, dans ce manuscrit médiéval, des poésies et dits de Geoffroy de Paris (Geoffroi), ainsi que sa chronique métrique : témoignage historique versifié de ce dernier, sur la couronne de France et notamment la politique de Philippe le Bel, aux débuts du XIVe siècle.
Belle, com loiaus amans de Jehannot de Lescurel, Ms Français 146, BnF, dépt des manuscrits.
Belle, com loiaus amans
une ballade de Jeannot de Lescurel
Pour la traduction de cette pièce, à quelques variantes maison près, nous nous sommes largement appuyé sur une anthologie de la poésie française qui a comme point le départ le Moyen Âge, comme on en trouve quantité au XIXe siècle, avec les mises à jour croissantes de manuscrits et la systématisation de leur traduction.
Cette anthologie en plusieurs volumes à pour titre « Les Poètes Français, recueil des chefs-d’oeuvre de la poésie française (1861). Sous la direction de Eugène Crépet (1827-1892), homme politique, bibliographe, romaniste, féru de poésie et de littérature, ami de Baudelaire, elle ouvre son premier tome sur le XIIe siècle et elle a encore comme particularité de mettre à contribution, dans ses notices littéraires, de nombreux auteurs et poètes célèbres du XIXe siècle. Entre autres noms, on retiendra ceux de Théophile Gautier, Charles Baudelaire et Théodore de Banville.
Belle, com loiaus amans Vostres sui : car soiez moie. Je vous servirai touz tans N’autre amer je ne voudroie Ne ne puis; se le povoie, N’ i voudroie estre entendans. Et pour ce , se Dex me voie ! Dame , bon gré vous saroie, Se vostre bouche riant Daignoit toucher à la moie.
Belle, comme loyal amant Je suis vôtre, aussi soyez mienne. Je vous servirai toujours Et ne voudrais en aimer d’autre Ni ne le pourrais ; si je le pouvais, Je n’en serais pas désireux, (je ne voudrais m’y résoudre) Aussi, Dieu m’en soit témoin î Dame , bon gré, vous saurais Si votre bouche riante Daignait toucher la mienne.
Li dons est nobles et grans; Car, se par vou gré l’avoie, Je seroie connoisanz Que de vous amez seroie, Et mieus vous en ameroie. Pour ce , biaus cuers dous et fran Par si qu’aviser m’en doie, Dame, bon gré vous saroie , Se vostre bouche riant Daignoit toucher à la moie.
Le don* (le présent) est noble et grand, Car, si je l’obtenais de vous, Je connaîtrais alors (je saurais alors avec certitude) Que je suis aimé de vous, Et vous en aimerais davantage. Ainsi , beau cœur doux et franc, Puisqu’il vous faut m’éclairer sur cela, Dame , je vous saurais bon gré Si votre bouche riante Daignait toucher la mienne.
Vostre vis est si plaisans Que jà ne me soleroie D’estre à vo plaisir baisans, S’amez de vous me sentoie ; A mieus souhaidier faudroie. Pour ce que soie sentant Quelle est d’amer la grant joie, Dame , bon gré vous saroie, Se vostre bouche riant Daignoit toucher à la moie.
Votre visage est si ravissant Que jamais je ne me lasserais De le baiser à votre plaisir. Si je me sentais aimé de vous ; C’est le meilleur souhait que je puisse former. Afin je puisse éprouver Ce qu’est la grande joie d’aimer, Dame, je vous saurais bon gré Si votre bouche riante Daignait toucher la mienne.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sources utiles
Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle, Anatole de Montaiglon, (1855),
Les Poètes Français, recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française, Tome 1, sous la direction de Eugène Crépet (1861)
Sujet : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, fine amor, vieux-français, lyrique courtoise, amant courtois. chansons bachiques, trouvère Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : Colin Muset (1210-?) Titre : « Il me covient renvoisier.» Ouvrage : Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier & Jean Beck. Paris, Champion, 1938.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous présentons une nouvelle chanson en langue d’oïl. En provenance du moyen-âge central et du XIIIe, elle est traditionnellement rattachée au trouvère Colin Muset, Du point de vue documentaire, elle a pour seule source historique le Chansonnier Cangé, ou Français 846 (consulter sur Gallica). Ce manuscrit médiéval, daté du dernier quart du XIIIe siècle, n’en attribue pas, de manière claire, la paternité au trouvère, mais au vue des similitudes de cette pièce avec le style de ce dernier, ces biographes s’en sont chargés, en particulier Joseph Bédier dans son édition de 1938 sur l’oeuvre de Muset.
Amour, courtoisie et bonne chère
Du point de vue du contenu, on trouve, dans cette chanson, des envolées d’enthousiasme et de joie très courtoises. La belle saison est là, le poète est guilleret et léger. Il pense à la demoiselle chère à son cœur même si, dans la pure tradition de cette lyrique poétique, les médisants ne sont jamais loin pour diviser ou pour empêcher que le tableau ne soit trop simple pour l’amant courtois (voir sur le thème des médisants dans la lyrique courtoise).
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« Il covient de renvoisier »
dans le Français 846 ou Chansonnier Cangé
BnF, dept des manuscrits
Pour le reste, Colin Muset nous a conté souvent son goût de la bonne chère et des bons vins, au point d’en avoir presque fait l’une de ses marques de fabrique et, là encore, sa joie courtoise ne va pas lui nouer l’estomac et certainement pas lui couper l’appétit. Au contraire, elle lui fournit plutôt l’occasion d’une invite à festoyer et ripailler et notre trouvère (s’il s’agit bien de lui et non pas d’un imitateur d’époque) fait ici une pièce qui tient, à la fois, de la lyrique courtoise et des chansons à boire. C’est d’ailleurs dans cette dernière catégorie que Alfred Jeanroy et Arthur Långfors la classeront (sans l’attribuer au trouvère) dans leur ouvrage de 1921 : Chansons satiriques et bachiques du XIIIe siècle.
Au passage et se souvenant de certaines autres des compositions de Muset, et notamment de « Sire Cuens j’ai viélé« , on peut se demander si ce mélange de genres n’est pas aussi destiné à ses nobles hôtes et auditeurs : un peu comme une façon de leur tendre la perche, pour s’assurer qu’ils le gratifient d’un bon repas en retour de ses chansons et de son art.
(Ci-contre la partition musicale moderne de cette chanson médiévale par John E Stevens)
Concernant le vieux français du XIIIe siècle, il ne se laisse pas si facilement saisir aussi, à notre habitude nous vous donnons des clefs utiles de vocabulaire. Elles sont nombreuses, aussi nous espérons qu’elles ne compliqueront pas trop le plaisir de votre lecture.
« Il me covient renvoisier »
dans le vieux français d’oïl de Colin Muset
Il me covient renvoisier (m’égayer, folâtrer) En cest estey Et joer et solacier (me divertir) Et deporter : (me réjouir) J’ai trovey Mon cuer plus que je ne sueil (souloir, avoir l’habitude) enamoré ; Mais grever (me nuire) Me cuident (croire) li mesdisant et dessevrer (compromettre ma liaison). La tousete (jouvencelle) es blans muteaus (mollets), Es chevous lons, Celi donrai mes joiaus Et mes granz dons. Sejornons (reposons-nous, faisons halte), Ensi s’en va mes avoiers (mon chemin) a grand bandon, (sans retenue) Or maingons, Solaçons et deportons ! Bon poissons, Vins poignanz (piquants, de caractère ? ) et bon rapiaux (boisson médiévale à base de vin) et venoisons !
S’ele me done une baisier En receley, (en secret, en cachette) Je n’avroie pas si chier Une cité ; J’en prie Dey : Lors avrai quanque je quier a point mené. (1)
(1) Dès lors j’aurais mené à bien tout ce que j’ai en tête, ce en quoi je crois.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : poésie médiévale, ballade, auteur médiéval, moyen-français, poésie réaliste, poésie satirique Auteur :François Villon (1431-?1463) Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Titre : « La ballade de l’appel de Villon
ou question au clerc du guichet» Sources et ouvrages ; voir pied d’article.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons en direction du Moyen-âge tardif, avec une nouvelle ballade de François Villon, et quelle ballade puisqu’il s’agit d’un des derniers textes qui nous soit connu de lui, dans l’ordre chronologique.
Villon dans les Manuscrits médiévaux
Du côté des manuscrits anciens, on pourra retrouver les poésies de Villon aux côtés d’autres auteurs médiévaux, dans le Manuscrit de Stockholm Vu 22, daté du XVe siècle (image ci-dessous). Pour consulter en ligne, suivez le lien.
La ballade de l’appel de Villon dans le Manuscrit de Stockholm Vu 22
On citera également ici le Français 1661 (consulter sur Gallica), le Français 20041 (en ligne ici) ou même encore le célèbre Jardin de plaisance et fleur de réthorique (voir fac-similé) tous trois datés du XVe siècle et conservés à la BnF. A la fin de ce même siècle et avec l’arrivée de l’imprimerie, l’oeuvre de Villon commencera à être plus largement diffusée et par un grand nombre d’éditeurs. Il sera, dès lors, le seul à y « tenir la vedette » et pour longtemps.
Contexte historique
Villon rattrapé par sa triste destinée
Sorti de sa geôle de Meung à la fin de l’année 1461, François Villon n’eut que peu de répit. De retour à Paris, le poète semble y avoir vécu dans la précarité, logeant probablement, à nouveau, dans une petite chambre d’Escolier du cloïtre Saint-Benoit (François Villon sa vie et son temps, Pierre Champion, 1913). Dans la foulée de cette libération il a vraisemblablement parachevé de rédiger son oeuvre majeure « le Testament » et, entre les lignes de ce legs, autant qu’en accord avec certains de ses biographes, on peut imaginer un Villon assagi autant que fortement diminué par la dure épreuve de l’emprisonnement et les tortures qu’on lui a fait subir. Si la grâce du Roi a miraculeusement soustrait le « Pauvre Villon » comme il se nomme désormais lui-même dans ses vers, des mains de ses tortionnaires, il faut se souvenir que, dans la solitude du cachot, il a aussi passé de longues heures à craindre le pire, se voyant déjà pendu, et tout cela l’a marqué de manière indélébile.
Libre à nouveau et convenu d’être désormais un homme de bien, a t-il pour autant les moyens de vivre honnêtement et de déroger à la force de l’habitude ? Ce n’est pas si sûr. Ses soutiens ne sont guère nombreux et arrêté une nouvelle fois dans le courant de l’année 1462 pour un vol dont le détail n’est pas connu mais qui semble de peu d’importance, son passé le rattrapera durement : comme Villon refait surface avec cette affaire, il se retrouvera, en effet, astreint à payer à la faculté de théologie une amende de 40 écus d’or par an, sur une durée de 3 ans en compensation du vol au collège de Navarre, datant de 1456.
Après avoir été relaxé, le destin et peut-être encore un peu les habitudes de « mauvaise vie » et leur lot de fréquentations douteuses semblent coller à la peau du Poète. Un soir, alors qu’il rentre de souper avec quelques compagnons qui n’ont pourtant plus rien des coquillards qu’il avait jadis côtoyés, son chemin d’infortune croisera celui de François Ferrebouc ; l‘homme est notaire pontifical et jouit alors d’une bonne réputation et d’un certain pouvoir à Paris. A la nuit tombée, alors que la petite bande passe devant l’étude encore allumée du notaire, Rogier Pichard – l’un des hommes présents aux côtés de Villon et que P Champion nous décrit comme un clerc particulièrement querelleur – passe sa tête à la fenêtre pour invectiver les employés qui se trouvent là. Est-il éméché ? Tout le laisse paraître. Quoiqu’il en soit, face aux provocations, ces derniers finissent par sortir. Une bagarre éclate et Ferrebouc en personne finit par s’en mêler. Sorti à son tour dans la rue, le notaire moleste l’un des compères de Villon, Robin Dogis, qui, en retour, le frappe de sa dague. La blessure est légère et Villon n’a peut-être même pas été témoin de toute l’affaire puisqu’il aurait continué son chemin sans assister à l’ensemble des échauffourées. Qu’à cela ne tienne, dès le lendemain, il sera arrêté et embastillé à nouveau au Châtelet, avec un des quatre compagnons de cette virée malencontreuse : Hutin de Moustier. Les deux autres hommes dont celui qui avait usé de sa dague ne semblent pas avoir été inquiétés.
A cette période, le châtelet comptait, semble-t-il, dans les influences de Ferrebouc et Jacques Villiers de l’IsIe-Adam, prévôt de Paris, autant que son lieutenant-criminel Pierre de la Dehors, n’avaient pas la réputation d’être des tendres. Ils n’avaient, en tout cas, pas de raison particulière de faire de cadeau à Villon qui devait paraître à leurs yeux comme un criminel émérite et récidiviste. Ce dernier fut de nouveau mis à la torture de l’eau pour avoir simplement assisté à la rixe et on requit qu’il soit condamné à mort, étranglé puis pendu. Si Pierre Champion suppose une certaine influence de Ferrebouc dans toute l’affaire, fut-elle indirecte, le médiéviste Gert Pinkernell se pose, de son côté, la question de savoir si la dureté de la sentence ne peut s’expliquer en partie par le fait que les intéressés avaient eu connaissance par ailleurs, du testament de Villon et de sa nature irrévérencieuse. On ne peut véritablement vérifier ni l’une ou l’autre de ces deux thèses.
Bien qu’abattu par la condamnation et son injustice, Villon ne se laissera pas si facilement abattre. Il défendra sa peau (comme il en prendra lui-même l’image dans cette ballade). en faisant appel de la décision devant le parlement de Paris. A son grand soulagement, la cour cassera le jugement en le commuant en un bannissement de la ville de Paris pour une durée dix ans.
Cette nouvelle décision de justice donnera lieu à cette Ballade de l’appel que le poète adressa à Etienne Garnier, clerc du guichet du Châtelet de Paris, sans doute peu après que le jugement fut rendu. Avec la poésie, Louenge à la court qui lui fait suite, c’est un des derniers textes que l’on connaisse de François Villon. On l’y découvre très inspiré, mais aussi heureux et soulagé d’avoir échappé aux fourches. Peu de temps après, il disparaîtra, emportant avec lui le mystère de sa destinée, dans le dédale de rues sombres et agitées du Paris de l’époque. D’anciens coquillards à des dignitaires froissés par la franchise ou les railleries de Villon, combien d’ennemis y avait-il, là, au dehors, qui auraient rêvé de l’occire ?
La Ballade de l’appel
ou question au clerc du guichet
Que vous semble de mon Appel, Garnier ? Feis-je sens ou follie ? Toute beste garde sa pel* (peau) ; Qui la contrainct, efforce ou lye, S’elle peult, elle se deslie. Quand donc, par plaisir voluntaire, Chanté me fut ceste omélie* (sentence), Estoit-il lors temps de me taire ?
Se feusse des hoirs Hue Capel, Qui fut extraict de Boucherie, On ne m’eust, parmy ce drapel, Faict boyre à celle escorcherie (1): Vous entendez bien joncherie* (raillerie, tromperie) ? Mais quand ceste peine arbitraire, On m’adjugea par tricherie, Estoit-il lors temps de me taire ?
Cuydez-vous que, soubz mon cappel* (coiffe, bonnet) Ny eust tant de philosophie, Comme de dire : « J’en appel ? » Si avoit, je vous certifie, Combien que point trop ne m’y fie. Quand on me dit, présent notaire: « Pendu serez ! » je vous affie* (certifie, assure), Estoit-il lors temps de me taire ?
Envoi
Prince, si j’eusse eu la pépie (2), Pieça* je fusse (je serais depuis longtemps) où est Clotaire, (3) Aux champs debout, comme ung espie (4): Estoit-il lors temps de me taire ?
Notes
(1) S’il s’était agi des héritiers de Hugues Capet, fils de boucher, on ne m’aurait soumis à cette torture (l’eau). Escorcherie a également le double-sens d’abattoir et Villon en joue ici. Pourquoi cette allusion ? Au moment des faits, le lieutenant criminel Pierre de la Dehors qui le fit soumettre à la torture et le condamna est encore boucher juré de la Grande Boucherie de Paris (cf Marcel Schwob).
(2) Pépie : maladie qui chez les oiseaux gêne l’alimentation ou même le chant. Autrement dit, « si je n’avais rien dit, si je m’étais tu. »
(3) Selon Prompsault, il s’agit d’une allusion au gibier de Monfaucon puisque le tombeau de Clotaire se trouve non loin : « Le gibet de Monlfaucon , où se faisoient les exécutions, étoit situé sur le chemin de l’abbaye Saint-Denis, où fut inhumé Clothaire III. ».
(4) pendu comme un épieur de chemin, un voleur de grands chemins.
Sources et Ouvrages
François Villon, Oeuvres, édition critique, Louis Thuasne (1923) François Villon sa vie et son temps, Pierre Champion (1913) Oeuvres complètes de François Villon par P.L Jacob (1854) François Villon: rédactions et notes,Marcel Schwob (1974) François Villon, Poésies complètes, Gert Pinkernell (1991)
Une belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète, lyrisme courtois, trouvères, vieux-français, Oïl. Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre Titre : « De fine amor vient seance et biautez» Interprètes : Alla Francesca, Brigitte Lesne Album : Thibaut de Champagne, le Chansonnier du Roi (2011).
Bonjour à tous,
oilà quelque temps déjà que nous n’avions présenté de chansons du célèbre Thibaut de Champagne. En route donc, pour le XIIIe siècle à la découverte de sa poésie : De fine amor vient seance et biautez. Le titre l’annonce clairement, il s’agit là d’une nouvelle pièce courtoise, comme le comte de Champagne les affectionnait tant.
Sources historiques et manuscrits
On retrouve cette chanson du seigneur et trouvère champenois dans de nombreux manuscrits avec, bien sûr, quelques variantes. En suivant les pas de Gaston Reynaud et sa Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècles (1894), on citera notamment le Manuscrit de Bern 389, le MS Français 12615, le Manuscrit du Vatican 1490, et encore le MS Français 844(voir image ci-dessus), dont nous avons déjà parlé et qui a servi de base à l’interprétation que nous propose ici l’Ensemble Alla Francesca.
« De fine amor vient seance et biautez » par la formation Alla Francesca
Alla Francesca et le Chansonnier du Roy
En 2011, l’Ensemble médiéval Alla Francesca partait à la rencontre de Thibaut de Champagne et avec lui, de « l’amour courtois et la chevalerie au XIIIe siècle« , en se basant sur le MS français 844 conservé à la BnF, plus connu encore sous le nom de Chansonnier ou Manuscrit du Roy,
Avec un total de seize pièces, l’album réalisé sous la direction de Brigitte Lesne proposait de nombreuses chansons du seigneur et roi de Navarre, mais encore quelques pièces instrumentales et danses de la même période, demeurées anonymes. A noter qu’on pouvait aussi y retrouver un servantois d’Hue de la Ferté et dans lequel ce dernier s’en prenait sans ménagement au comte de champagne.
La traduction que nous vous proposons, ci-dessous, de cette chanson en langue d’oïl de Thibaut de Champagne vers le français moderne provient du livret très complet accompagnant l’album. Une fois n’est pas coutume, nous n’en n’avons pas retouché une virgule.
De fine amor vient seance et biautez
Dame, vers vos n’ai autre messagier Par cui vos os mon corage envoier Fors ma cbançon, se la volez chanter.
Dame, je n’ai d’autre messager Par qui j’ose vous envoyer ce que j’ai dans le cœur, Sinon ma chanson, si vous voulez bien la chanter
Et amors vient de ces deus autressi. Tuit troi sont un, que bien i ai pensé, Ja ne seront a nul jor departi. Par un conseil ont tuit troi establi Lor correors, qui sont avant alé. De moi ont fet tout lor chemin ferré, Tant l’ont usé, ja n’en seront parti.
Et l’amour procède lui aussi de ces deux-là. Tous trois ne font qu’un, j’y ai bien réfléchi, Et jamais ils ne pourront être séparés. D’un commun accord, ils ont tous trois désigné Leurs messagers, qui ont pris les devants. Ils ont fait de moi leur grand chemin, Et l’ont tant parcouru qu’ils n’en partiront pas de sitôt.
Li correor sunt de nuit en clarté Et de jors sont par la gent obscurci. Li douz regart et li mot savoré, La grant biauté et li bien que g’i vi, N’est merveille se ce m’a esbahi. De li a Dex cest siecle enluminé: Quant nos aurons le plus biau jor d’esté Lés li serait obscurs de plain midi.
Ces messagers-là sont dans la lumière pendant la nuit Et le jour, à cause des gens, ils sont dans l’obscurité. Le doux regard et les paroles suaves, La grande beauté et les qualités que je vis en elle, Rien d’étonnant si j’en ai été tout ébahi. Par elle Dieu a illuminé ce monde : Si nous avions le plus beau jour d’été, Il serait obscur auprès d’elle, en plein midi.
En amor a paor et hardement. Cil dui sont troi et dou tierz sont li dui, Et granz valors s’est a aus apendanz Ou tuit li bien ont retrait et refui. Por ce est amors li hospitaus d’autrui Que nus n’i faut selonc son avenant. Mès j’ai failli, dame qui valez tant, En vostre ostel, si ne sai ou je sui.
Dans l’amour, il y a crainte et hardiesse. Ces deux-là sont trois, et ils procèdent du troisième ; Une grande valeur s’est attachée à eux, En laquelle se sont réfugiés tous les biens. Amour est le logis qui accueille tous les autres, Car nul ne manque d’y trouver la place qui lui convient. Mais moi, dame qui avez tant de valeur, j’ai échoué à me loger En votre maison, et je ne sais plus où je suis.
Je n’i voi plus mes a lui me conmant, Que toz penserz ai laissiez par cestui. Ma bele joie ou ma mort i atent, Ne sai lequel, desques devant li fui. Ne me firent lors si oeil point d’anui, Ainz me vindrent ferir si doucement Dedens le cuer d’un amoreus talent, Q’encor i est le cox que j’en reçui.
Je ne vois plus que faire, sinon me recommander à elle, Car je n’ai plus d’autre pensée que celle-ci. J’en attends ma belle joie ou ma mort, Je ne sais laquelle des deux, depuis que je me trouvai devant elle. Alors ses yeux ne me causèrent point de contrariété ; Au contraire, ils vinrent me frapper si doucement En plein cœur, d’un amoureux désir, Que la marque du coup que j’en reçus s’y trouve encore.
Li cox fu granz, il ne fet qu’enpirier; Ne nus mirez ne m’en porroit saner Se cele non qui le dart fist lancier, Se de sa main me voloit adeser. Bien en porroit le cop mortel oster A tot le fust, dont j’ai tel desirrier; Mès la pointe du fer n’en puet sachier, Qu’ele brisa deudenz au cap douner. [Dame. vers vos n’ai autre messagier Par cui vos os mon eorage envoier Fors ma chançon, se la volez chanter.
Ce coup fut fort, la blessure ne cesse de s’aggraver. Nul médecin ne m’en pourrait soigner, Sinon celle qui fit lancer la flèche, Si elle voulait bien me toucher de sa main. Elle pourrait bien guérir le coup mortel En ôtant le bois de la flèche, ce que je désire tant ; Mais la pointe de fer, elle ne peut pas la retirer, Car elle s’est brisée à l’intérieur au moment du coup.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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