Sujet : poésie médiévale, morale, réaliste, satirique, réaliste, ballade, moyen français Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Ballade a double entendement, sur le temps présent» Média : lecture audio Bonjour à tous,
ujourd’hui, pour faire écho à la Ballade à double entendement d’Eustache Deschamps que nous avions publié il y a quelque temps, nous vous en proposons une lecture audio dans le texte et en moyen-français, tout en profitant pour toucher un mot de l’auteur.
On notera encore ici que, loin des difficultés de compréhension, que peuvent soulever la poésie d’un Rutebeuf ou certains autres textes (poésies, fabliaux, etc) des XIIe et XIIIe siècles, la langue d’Eustache Deschamps reste largement plus accessible à l’oreille. Bien entendu, il faut se défier de quelques faux-amis ou raccourcis de sens et il est encore vrai que certains textes sont plus ardus que d’autres. Cette ballade à double entendement est, quant à elle, plutôt facile d’accès. Pour plus d’informations la concernant et également pour sa version textuelle, vous pouvez valablement vous reporter à l’article précédent, à son sujet : Une ballade sarcastique et grinçante d’Eustache Deschamps sur son temps
Note sur la prononciation
Vous noterez que je ne souscris toujours pas au « Oé » contre le « Oi », nonobstant le fait qu’on me l’ait fait remarquer à quelques reprises. En réalité et si l’on en croit certains auteurs ou traités de prononciation du vieux français ou ancien, le « Oé » semble postérieur au XVe siècle. On l’associe donc, semble-t-il faussement, aux siècles couvrant le moyen-âge, alors qu’il serait plus renaissant.
Tout cela étant dit, le « Oi » n’est certainement pas non plus correct. Diphtonguer en « Ohi », « Ouhi » ou « Oui » il le serait sans doute plus, mais prononcer tel quel (« Oi ») et, à ma défense, il a l’avantage de favoriser la compréhension. On se rapproche un peu ici de la conception de Michel Zink et de cet idée de ne pas ajouter trop d’obstacles à la compréhension des textes médiévaux lus. Autre argument, sans doute plus personnel, le R roulé associé au « Oé » à tous les coins de phrase, a tendance à me donner la sensation de drainer les textes tout entiers du côté de la ruralité et de certaines formes dialectales qu’elle a longtemps conservé. Non que j’ai quoi que ce soit contre le patois, vous connaissez ici mon amour des langues mais disons que sans la conjonction des deux, le texte me semble ainsi ressortir plus « moderne » ou moins connoté pour le dire autrement.
Tout cela étant dit, au long du chemin et pour ceux qui ont l’air d’y tenir, je finirai bien par faire quelques lectures avec de Oé en fait de Oi. A l’inverse, un autre exercice intéressant auquel je pense, serait de lire certains textes médiévaux avec la prononciation contemporaine pour justement ôter tout voile et les rapprocher encore d’autant de nous, en gommant totalement tout « archaïsme » de prononciation. Certains textes du XIVe ou XVe siècle s’y prêtent particulièrement bien.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, musique ancienne, chanson, complainte, amour courtois. fortune. Titre : Tels rit au main qui au soir pleure Œuvre : le remède de Fortune. Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Interprète : Ensemble Project Ars Nova Album : Machaut : remède de Fortune (1994)
Bonjour à tous,
ous retournons aujourd’hui au Moyen Âge tardif et à l’Ars Nova avec une complainte du grand maître de musique du XIVe siècle, Guillaume de Machaut.
La pièce « Tels rit au main qui au soir pleure » est tirée du Remède de fortune du Manuscrit ancien FR 1586, pièce d’amour courtois dans laquelle le compositeur nous conte la quête et les revers d’un poète pour conquérir la cœur de sa dame. Dans le cas du chant présent, il emprunte l’image de la roue de la fortune (la médiévale, bien sûr, pas la télévisuelle) pour décrire ses déboires amoureux. Amertume d’un sort qui frappe de manière inéluctable, sans qu’on sache comment, ni qu’on s’y attende vraiment, la roue tourne comme dans le chant « O fortuna » écrit un peu plus d’un siècle avant cette complainte de Guillaume Machaut et qui sert d’introduction à la Carmina BuranadeCarl Orff,
Nous sommes pourtant bien dans la même conception de ce sort, cette « fortune » changeante, qui abaisse ou élève dans un mouvement sans fin et contre lequel l’homme ne peut rien, qu’il soit empereur, pape, roi ou simple poète et amoureux transi :
O fortuna, extrait des chants de Benediktbeuern (Carmina Burana)
Sors immanis et inanis, rota tu volubilis, statu malus, vana salus, semper dissolubilis obumbrata et velata michi quoque niteris; nunc per ludum dorsum nudum fero tui sceleris.
Sort monstrueux Et informe, Toi la roue changeante, Une mauvaise situation, Une prospérité illusoire, Fane toujours, Dissimulée Et voilée Tu t’en prends aussi à moi Maintenant par jeu, Et j’offre mon dos nu A tes intentions scélérates.
Tels rit au main qui au soir pleure par l’ensemble Project Ars Nova
L’ensemble Project Ars Nova : la passion des musiques médiévales des XIVe, XVe siècles
Fondé aux début des années 80, au sein même de l’école suisse Schola Cantorum Basiliensis pour la recherche et pour les musiques anciennesdont nous avons déjà dit un mot ici (voir article sur l’Ensemble Syntagma), l’Ensemble Project Ars Nova ou plus laconiquement l’Ensemble PAN réunissait principalement de jeunes passionnés de musiques médiévales originaires des Etats-Unis.
Composé au départ de trois artistes, Laurie Monahan (chant mezzo-soprano), Michael Collver (chant, vièle à roue, cornet) et Crawford Young (luth), il fut bientôt rejoint par deux artistes supplémentaires: Shira Kammen (vièle, instruments à cordes et archet, ) et John Fleagle (chant ténor et harpe médiévale).
De 1985 à 1991, l’ensemble produisit huit albums autour de sa période musicale de prédilection et du répertoire médiéval de l’Ars Nova. Il fut actif jusqu’un peu avant les années 2000, date à laquelle on perd sa trace. A ce qu’il semble, ils ne se produisent donc plus en scène ou en studio et s’ils le font peut-être à quelques rares occasions, il n’existe, en tout cas, pour l’instant, aucun site web ou page facebook officielle pour le relayer.
Itinéraires artistiques
Du côté des itinéraires respectifs des cinq membres de l’ensemble, Laurie Monahan a co-fondé avec deux autres artistes, en 1995 et à Boston l’ensemble vocal Tapestry. Ce dernier, largement salué depuis par la critique, propose un répertoire qui mêle musiques médiévales et compositions traditionnelles avec des pièces plus contemporaines. Crawford Young, désormais reconnu comme un grand expert du Luth de la période du XVe siècle et devenu par ailleurs, dans le cours de années 80, enseignant à la Schola Cantorum Basiliensis, a une part active dans un autre ensemble médiéval qu’il a crée en Suisse et dirige depuis 84 : L‘Ensemble Ferrara,
Quant à Michael Collver qui prête sa voix de contre-ténor à la pièce du jour, après des contributions variées dans de nombreux ensembles, dont le Boston camerata, et des albums qu’il a pu diriger dans le courant des années 2010, il est également toujours présent, à la fois sur le terrain vocal et instrumental. On le retrouve notamment, encore tout récemment dans la formation Blue Heron, de Boston.
L’artiste John Fleagle, décédé en 1999, a laissé derrière lui un album salué par la critique et ayant pour titre World’s Bliss : Medieval Songs of Love and Death, réalisé en collaboration avec Shira Kammen. Quant à cette dernière, elle a participé, depuis son histoire commune avec le Project Ars Nova, à près de vingt albums et joué avec de nombreux ensembles de musique ancienne. Du point de vue de son actualité, on peut la retrouver aux côtés du newberry consort pour des concerts autour de la tradition séfardie.
Comme on le voit, à la triste exception de John Fleagle et pour des raisons de fait, plus que de cœur, la passion pour les musiques anciennes et médiévales n’a pas déserté les artistes de l’ensemble PAN et chacun continue de la faire vivre à sa manière, à travers son travail.
Remède de Fortune, l’album
Pour revenir à la pièce du jour, elle est tirée d’un album sorti en 94 et dédié entièrement au Remède de Fortune de Guillaume de Machaut. C’est une version épurée musicalement, et il faut avouer que l’interprétation vocale de Michael Collver, associé au son de la vièle à roue est totalement envoûtant.
Tels rit au main qui au soir pleure,
la complainte de Guillaume de Machaut
Tels rit au main qui au soir pleure Et tels cuide qu’Amours labeure Pour son bien, qu’elle li court seure Et ma l’atourne; Et tels cuide que joie aqueure Pour li aidier, qu’elle demeure. Car Fortune tout ce deveure, Quant elle tourne, Qui n’atent mie qu’il adjourne Pour tourner; qu’elle ne sejourne, Eins tourne, retourne et bestourne, Tant qu’au desseur Mest celui qui gist mas en l’ourne; Le sormonté au bas retourne, Et le plus joieus mat et mourne Fait en po d’eure.
Car elle n’est ferme n’estable, Juste, loyal, ne veritable; Quant on la cuide charitable, Elle est avere, Dure, diverse, espouentable, Traitre, poignant, decevable; Et quant on la cuide amiable, Lors est amere. Car ja soit ce qu’amie appere, Douce com miel, vraie com mere, La pointure d’une vipere Qu’est incurable En riens a li ne se compere, Car elle traïroit son pere Et mettroit d’onneur en misere Deraisonnable.
Fortune est par dessus les drois; Ses estatus fait et ses lois Seur empereurs, papes et rois, Que nuls debat N’i porroit mettre de ces trois Tant fus fiers, orguilleus ou rois, Car Fortune tous leurs desrois Freint et abat. Bien est voirs qu’elle se debat Pour eaus avancier, et combat, Et leur preste honneur et estat Ne sai quens mois. Mais partout ou elle s’embat, De ses gieus telement s’esbat Qu’en veinquant dit: « Eschac et mat » De fiere vois.
Einsi m’a fait, ce m’est avis, Fortune que ci vous devis. Car je soloie estre assevis De toute joie, Or m’a d’un seul tour si bas mis Qu’en grief plour est mué mon ris, Et que tous li biens est remis Qu’avoir soloie. Car la bele ou mes cuers s’ottroie, Que tant aim que plus ne porroie, Maintenant vëoir n’oseroie En mi le vis. Et se desir tant que la voie Que mes dolens cuers s’en desvoie, Pour ce ne say que faire doie, Tant sui despris.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : poésie, littérature médiévale, auteur, poète médiéval, bourgogne, poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste. Période : moyen-âge tardif, XVe Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458) Titre : La destrousse
Bonjour à tous,
our faire suite au portrait du poète, valet de chambre et joueur de farces Michault Le Caron dit Taillevent, nous publions ici la première poésie qui nous est connue de lui. Il l’a vraisemblablement écrite autour de 1430, peut-être même quelques années avant. A en juger par l’introduction, Il y conte ses déboires devant la cour de Bourgogne. Après une nuit agitée à la belle étoile, sur des routes rien moins que sûres, le poète finira, en effet, détrousser de ses biens et même rossé et il demande ici audience à « l’excellent » duc Philippe le bon afin d’en obtenir quelques réparations.
Au milieu de ce récit tremblant, sans doute de nature à décourager les plus vaillants de contemporains du poète médiéval de passer la nuit, seuls, sous le ciel étoilé, on notera tout de même la nature morale des réflexions du poète dans l’obscurité. Se voit-il déjà au seuil de la mort ? Il ne peut en tout cas s’empêcher de nous faire partager quelques jolis vers sur la vacuité des possessions et des biens « mondains », vains attachements que les suites de l’histoire, en forme de parabole, finiront par lui confirmer puisqu’il tardera un peu trop à se dé-saisir de ses possessions au goût des brigands, et prendra même un coup sur le « groin ».
« Et aprez fondoit argumens En soy des biens qui sont mondain Et puis en rendoit jugemens Disant qu’ilz ne sont pas certain Et qu’on se traveilloit en vain En ce monde de les acquerre Car s’on gaigne huy on pert demain, Pour tan est fol qui les enserre. »
Belle profondeur de jugement à la faveur des circonstances. Cela dit, l’aventure de notre poète est donc bien triste, mais joliment contée, en vers, comme il plait à la cour, et dans un beau français du moyen-âge tardif, auquel Eustache Deschamps (1346-1406) nous a déjà habitué ici et qui nous est déjà bien plus compréhensible que celui des siècles antérieurs. En tout et pour tout, dans cette poésie, un seul paragraphe pose vraiment difficulté et quelques mots ici ou là, mais nous vous fournirons quelques clés de lectures pour y surseoir.
La Destrousse, Michault Taillevent
A mon tresredoubté seigneur, Le duc de Bourgongne excellent, Et a tous chevaliers d’honneur Et escuiers pareillement Supplie Michault humblement Qu’il ait ung petit d’audience : Si racontera son tourment Qu’il eut ou boys Sainte Maxence,
Comme nagaires sur le plain Se mist au dehors de Paris Et vint avec d’autres tout plain Jusques a Louvre en Parisis Ou grant chemin outre Senlis Pource qu’a Pons logier cuidoit, Mais par droit usage tousdis Il avient ce qu’avenir doit.
Et pour ceste cause il avint, Quand il fut du boys a l’entrée Que jour faillit et la nuit vint, Dont la convint, celle vespree Couchier à la dure terree Et son corps a Dieu commander Mais s’il faisoit chiere effraee Pas ne le convient demander.
Donc quant il vist que c’estoit forche Et que la nuit venoit a fait Et n’avoit ne chambre ne porche Et qu’il falloit qu’il fust de fait Comme homme de joye deffait Par tristesse et par desplaisir Il avisa son lit tout fait En ung buisson pour soy gésir.
Ainsi comme povre esgaré Estrené de dures estraines, Regarda lors son lit paré Duquel estoient les courtines Toutes de chardons et d’espines Et la couche de terre dure, Le chevet de grosses racines Et de ronces la couverture.
Et puis ou buisson se bouta Et mist a son cheval la bride Sur le col et l’abandonna Tout tremblant de peur et de hide* (effroi) Qu’on ne fist de lui homecide ; Aprez s’assit en requerant Nostre Dame et Dieu en aide Qui lui fust espee et garant.
Et com cil qui tousjours a peur En tel estat qu’on ne le tue Et qui n’est onques bien asseur Puis qu’il ot rien qui se remue Se soubzlevoit a col de grue Tout bellement sur ses genoulx Et avoit l’oreille tendue A tout lez* (de tous côtés) pour le peur des loupz.
Puis escoutoit se point sonner Orroit a ses villes voisines Ou s’il orroit le coq chanter Environ l’eure des matines ; Mais il n’oyoit coq ne gelines Ne chien abaier la entour, Neant plus, dont c’estoit mauvaiz sines, Que s’il fust mussié* (caché, enfermé) en ung four.
Et aprez fondoit argumens En soy des biens qui sont mondain Et puis en rendoit jugemens Disant qu’ilz ne sont pas certain Et qu’on se traveilloit en vain En ce monde de les acquerre Car s’on gaigne huy on pert demain, Pour tan est fol qui les enserre.
Se je pers, si dist il aprez, On dira : « S’il eust bien gardé, Espoir… Que faisoit il si prez ? » Ou on pourra d’autre costé Dire : « C’est cy cas de pitié Et de fortune tout ensemble. » S’en doit estre, pour verité, Plus pardonnable ce me semble.
Ainsi eust la mainte pensee Et mainte chose retourna Tant que la nuit se fut passee Et que ce vint qu’il adjourna, Puis a son chemin retourna Cuidans avoir tous griefz passez Mais depuis gaires loingz n’ala Qu’il fut de tous poins destroussez.
Car a l’issir* (sortie) de son buisson S’acompaigna de charios Et d’autres gens assez foison : Marchans et chartiers grans et gros. Mais quant vint a l’issir du bos Et d’une place grande et belle, Ilz furent aussi bien enclos Que perdrix a une tonnelle.
Et la, a hacques et a maques, (haches et massues) Vindrent gens atout grans paffus*, ( grandes épées) Armez de fer et de viez jaques* (habillement court et serré), Cum gladiis et fustibus, (avec glaives et bâtons) (Se sembloit liloy tarrabus Frere a tarrabin tarrabas, ) (1) Abrigadez* (regroupés) et fervestus Pour combattre a blis et a blas. (à tord et à travers)
Et la tolli on et dona (Et là on ôta et on prit) A Michault, je vous certifie ; Tolli, comment ? On lui osta Quanqu’il avoit pour ceste fie* ; (tout ce qu’il avait cette fois) Donna, et quoi ? Une brongnie* (un coup) Si grande que d’un cop de poing Sur la machoire, lez l’oye, On lui rompi prez tout le groing.
Et la cause pourquoy du rost* (de rosser) Ot Michault lors, ne fut si non Pour l’amour qu’il ne bailloit tost Ses besongnes en habandon, Combien qu’il leur baillast sans don Chaperon, espee, bourse et gans ; Et pui aprez, de grand randon* (confusion, violence), Saillirent ou bos les brigans.
Or vous a compté s’aventure Michault et son peril mortel, Et comment cette nuit obscure Il fist le guet a son cretel* (créneau) Et puis perdit tout son chatel. Priez a l’umble Vierge franche Et a son filz espirituel Qu’il lui doint bonne recouvranche.
Hault Prince, je vous ay conté Comment j’ay esté a destroit*, (embarras, détresse) Mais se dy vous ay verité, Si scay je assez bien que bon droit A bien mestier en maint endroit D’ayde par especial : Siques aidiez moy, pour Dieu soit Tant que je ressoye a cheval (2).
1. Jeux de mots sur Tarrabus de Lille ou Tarrabus le chef de guerre et Tarrabin Tarrabas, onomatopée utilisée alors pour désigner le bruits des coups qui pleuvent.
2. Afin que je puisse à nouveau aller à cheval, chevaucher. Comme le fait remarquer Pierre Champion dans son histoire poétique du XVe siècle, c’est peut-être à cette occasion que Michault reçut une prime dont on trouve la trace dans les archives, pour se procurer un cheval, même si l’histoire ne mentionne pas explicitement que le poète fut dessaisi de sa monture, à cette triste occasion.
ans doute est-il encore un peu tôt pour que les malandrins ayant assailli le pauvre Michault Taillevent soient issus de la bande très organisée des coquillards que connaîtra bien François Villon, puisque ces derniers ne seront mentionnés que plus tardivement, en 1455, dans les minutes du procès de Dijon. Quelques années après que Michault le Caroneut écrit ces lignes, pourtant, avec les trêves de la guerre de cent ans et le traité d’Arras, le XVe connaîtra à nouveau une forte résurgence des grandes compagnies dont Eustache Deschamps nous parlait déjà. et la figure du brigand de grand chemin n’aura pas fini de hanter ce siècle. De fait, dans le contexte et avec cette agression, le poète médiéval pourrait presque faire figure de triste précurseur. Nous mesurons bien, en tout cas ici, la violence et la sauvagerie de l’assaut, autant que, avant cela, l’émotion suscitée par l’arrivée impromptue de la nuit sur la voyageur médiéval solitaire et pour cause…
Son témoignage reste en tout cas précieux à plus d’un titre, autant qu’il nous permet d’apprécier la belle qualité de sa poésie. En nos temps orthographiques assassins où l’on semble aussi déprécier si fort l’art de rimer, cette jolie poésie reste tout de même plus gracieuse qu’un « j’m’est fait braquer mon zonblou« . Enfin, vous en jugerez.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : poésie satirique, politique, morale, littérature médiévale, ballade, français ancien, égalité, moyen-âge chrétien. Période : moyen-âge tardif Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « tous d’une pel revestus » « ballade sur l’égalité des hommes » Ouvrage : Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, Prosper Tarbé (1849)
Bonjour à tous,
oici une ballade poétique et morale comme Eustache Deschamps en a le secret. Partant de la référence biblique à Adam et Eve, l’auteur médiéval réaffirme ici l’égalité des hommes entre eux. Sous couvert d’adresser cette poésie à tous, il faut bien sûr lire, entre ses lignes, l’insistance qu’il met à rappeler cette vérité morale et politique aux rois, aux seigneurs et aux nobles, afin qu’ils se gardent de la condescendance comme du mépris.
On sait que le thème lui est cher et qu’il ne se prive jamais, au risque de déplaire, de rappeler aux puissants autant que leurs obligations, la vacuité de la vanité devant les richesses, les possessions ou les ambitions de conquêtes, devant les hommes, devant la mort, et encore et par dessus tout devant Dieu. Vilains ou nobles, tous vêtus de la même peau, nous dit ainsi, avec sagesse, Eustache le moraliste. Cette affirmation de l’égalité des hommes au delà de leur condition sociale, sera reprise dans des termes plus séculiers et consignée en lettres d’or, bien longtemps après lui, dans une célèbre déclaration, mais on le voit ici, un certain moyen-âge chrétien pouvait aboutir, par d’autres voies, aux mêmes conclusions.
Ballade de l’égalité des hommes (1382)
d’Eustache DESCHAMPS
Du point de vue langagier, le français ancien d’Eustache Deschamps appartient au français moyenou moyen français. C’est une langue qui s’affirme au moyen-âge tardif comme la langue officielle en se différenciant des autres formes de la langue d’oil ou des autres idiomes parlés sur les terres de France.
Même s’il lui reste, au XIVe siècle, encore un peu de chemin à faire pour conquérir l’ensemble du territoire, autant que pour se formaliser et donner naissance au français classique, cette langue demeure toutefois bien plus compréhensible pour nous que le vieux français des XIIe et XIIIe siècles. De fait, pour vous permettre de comprendre cette ballade d’Eustache Deschamps nous ne vous donnons ici que quelques indications et quelques clés de vocabulaire.
Traduttore, Traditore…
Concernant la méthode permettant d’arriver à nos indications, nous croisons le sens des mots ou expressions présentant des difficultés, à l’aide de plusieurs dictionnaires anciens. Même ainsi, il reste parfois difficile de percevoir toutes les nuances et les subtilités de certains termes usités mais cela permet, tout de même, de s’en faire une idée relativement correcte. Au sujet des dictionnaires de vieux français ou de français ancien, il en existe de très nombreux et de toutes tailles qui couvrent des périodes variables (sans forcément qu’ils soient tous très précis ou spécifiques sur ce point).
Quant aux difficultés que peuvent présenter certains vocables en usage chez Eustache Morel Deschamps, je dois avouer qu’un petit dictionnaire particulièrement bien fait s’est avéré extrêmement utile dans bien des cas. A toutes fins utiles. Il s’agit du Petit Dictionnaire de l’Ancien Français deHilaire Van Daele (1901). On en trouve des versions digitalisées en ligne. Si vous préférez acquérir le format papier, souvent plus pratique et plus rapide à manipuler, vous pouvez cliquer sur la photo ci-dessus ou sur le lien suivant: Petit Dictionnaire de l’Ancien Français
Enfans, enfans, de moy Adam venuz, Qui après Dieu suis père primerain Crée de lui, tous estes descenduz Naturellement de ma coste et d’Evain : Vo mère fut. Comment est l’un villain Et l’autre prant le nom de gentelesce* ? , (noblesse) De vous frères, dont vient tele noblesceî Je ne le sçay ; si ce n’est des vertus, Et les villains de tout vice qui blesce : Vous estes tous d’une pel* revestus. (peau)
Quant Dieu me fist de la boe où je fus, (boue) Homme, mortel, foible, pesant et vain, Eve de moy, il nous créa tous nuz: Mais l’espérit nous inspira à plain Perpétuel; puis eusmes soif et faim, Labeur, dolour, et enfans. en tristesce Pour noz péchiez enfantent à destresce Toutes femmes: vilment* estez conçus ; (grossièrement) Dont vient ce nom villain, qui les cuers blesce. Vous estes tous d’une pel revestuz.
Les roys puissans, les contes et les dus, Le gouverneur du peuple et souverain, Quant ils n’àissent de quoy, sont ils vestus? D’une orde* pel.— sont ils d’autres plus sain? (impure) Certes nennil* : mais souffrent soir et main* (non point) (matin) Froidure et chault, mort, maladie, aspresce* (rudesse, âpreté) Et naissent tous par une seule adresce, Sans excepter grans, pelis ne menus. Se bien pensez à vo povre fortresce : Vous estes tous d’une pel revestus.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.