Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

Cantiga de Santa Maria 1, des louanges royales à la vierge

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, chants de louange, Sainte-Marie, nativité, révélation.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Cantiga de Santa Maria 1  « Des hoge mais quér’ éu trobar. » 
Interprète : Boston Camerata et Joel Cohen,
A Spanish Christmas ( 2008, Warner Music)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous voguons vers l’Espagne médiévale du XIIIe siècle, à la découverte d’une nouvelle pièce musicale de la cour de Castille et quelle pièce : la cantiga de Santa Maria 1.

Pour rappel, les quelques 417 Cantigas de Santa Maria comportent une grand majorité de récit de miracles qui alternent régulièrement avec des chants de Louange. La pièce qui ouvre le corpus des chants à la vierge légués par Alphonse X de Castille est un de ceux là.

La cantiga de Santa Maria 1, partition, texte et enluminures mariales dans le Codice Rico de la Bibliothèque de l'Escurial
le somptueux Códice Rico (T. I. 1) de la Bibliothèque Royale de l’Escurial (à consulter en ligne ici)

Une représentation de la nativité dans les Cantiga de Santa Maria.

En plus d’ouvrir le bal, la Cantiga de Santa Maria 1 a ceci de particulier que ses enluminures, en particulier celles du Codice Rico représentent, entre autres scènes bien connues de l’imagerie chrétienne, une scène de la nativité. Ce chant marial nous a donc semblé particulièrement indiqué pour cette période de l’année où l’on célèbre traditionnellement, en France et dans de nombreux pays occidentaux, la naissance du christ et du christianisme mais aussi, finalement, la maternité et l’enfantement.

A noter que le Cantiga de Santa Maria n’est pas la seule à présenter une scène de la nativité dans le large corpus. On retrouve, en effet, cette scène attachée à la Cantiga 80 qui est, elle aussi, un chant de louange à la vierge.

Moyen Âge chrétien et naissance de la crèche

La révélation à Marie par l'ange Gabriel, enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

Pour rappel, la célébration de la nativité et l’établissement de la date du 25 décembre par l’Eglise romaine remontent au quatrième siècle de notre ère. La date avait d’abord été fixée au 6 janvier mais le 25 décembre fut bientôt établi par Rome car il coïncidait, entre autre date, avec le solstice d’hiver et le culte de Mitra, le dieu solaire 1.

Enluminure de la nativité, Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

Au Xe siècle, l’enthousiasme et les célébrations autour de la nativité portés par les chrétiens et relayés par le clergé commencèrent à donner lieu à des représentations et un engouement autour de moments importants des évangiles comme l’annonce aux bergers ou l’arrivée de rois mages.

Une initiative de Saint François d’Assise

Au début du XIIIe siècle, le pape romain Innocent III ne tarda pas à les interdire et il faudra attendre saint François d’Assise et quelques décennies (1223) pour que soit acceptée par la papauté romaine une première mise en scène de la nativité, à l’occasion d’une messe de Noël.

L'annonciation aux bergers, enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

L’initiative de saint François d’Assise connut bientôt un franc succès et son installation originelle avec son bœuf et son âne allaient entrer dans la tradition. La crèche de Noël était née. Elle commença à se diversifier entre personnages à l’effigie des protagonistes, représentations artistiques, peintures, sculptures, puis figurines et finit pour traverser les siècles.

L'arrivée des rois mages enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1

Au moment de l’écriture des cantigas et de leur mise en image dans le codice rico (daté du dernier tiers du XIIIe siècle) on est donc assez proche historiquement de la naissance de cette imagerie vivante, à quelques dizaines d’années à peine. Bien sûr, les premières représentations de la nativité sont antérieures à ce rite de la crèche et on peut dater les premières représentations des tout premiers siècles de notre ère (Catacombes de Priscille).

La Cantiga de Santa Maria 1 , ouverture du corpus sur un chant de louange

Les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X s’ouvrent donc sur ce chant de louange mariale particulièrement important puisqu’il introduit le corpus.

Sur huit strophes, le poète et compositeur, sans doute Alphonse X pour le coup, reprend les épisodes les plus forts des évangiles autour de la vierge. Son insistance à n’en oublier aucun marque toute l’importance qu’il accorde à la vie de la sainte et l’emphase qu’il entend mettre, dans son ouvrage, à transmettre les écritures et le culte marial.

Dans les enluminures de la première Cantiga de Santa Maria, on retrouvera tous ces temps forts représentés, aux côtés de la nativité : la révélation de l’Ange Gabriel à Marie, l’annonciation aux bergers, l’arrivée des rois mages, etc…

Sur le fond, on retrouvera tous les ingrédients qui ont fait la popularité du culte marial au Moyen Âge central et ce pouvoir de protection mais aussi d’intercession de la vierge auprès de Dieu, son fils.

Un Noël Médiéval avec la Boston Camerata et Joel Cohen

Pour l’interprétation musicale de la cantiga de Santa Maria 1, on n’a que l’embarras du choix. Sa place dans le corpus et ses qualités l’ont, en effet, rendue très populaire et elle a été enregistrée par de nombreux musiciens et formations de la scène médiévale.

Ici, nous avons choisi la belle version de l’ ensemble de musique ancienne américain, la Boston Camerata sous la direction de Joel Cohen.

Au début des années 2000, la talentueuse formation proposa un voyage musical original à travers un triple album et trois façons de célébrer Noël : à l’américaine, à la française et à l’espagnol. Cette production est sortie sous le titre « A Boston Camerata Christmas : Worlds of Early Music. »

Du milieu des années 70 et jusqu’aux années 90, la Boston Camerata et son directeur avaient eu l’occasion d’aborder, à de nombreuses reprises, le thème de Noël et des musiques anciennes. Ce travail de remise à plat était donc le fruit d’un long itinéraire de recherche et de compilation. Sur une période couvrant plus de 7 siècles et 3 continents, cet album reste, à ce jour, totalement unique.

Un Noël à l’Espagnol et en musique

Le CD dédié au Noël espagnol propose 18 pièces pour plus d’une heure d’écoute. Il est intitulé : « Un Noël Espagnol : musique de la péninsule ibérique, l’Afrique du Nord, la terre promise et le nouveau monde » (A Spanish Christmas. Music from the Iberian Peninsula, North Africa, the Holy Land & the New World, 1200-1700). On y trouve cinq cantigas de Santa Maria. Le reste des pièces s’étale sur une période allant du XIIe siècle (Calendia maya) au XVIIe siècle et voyage d’un continent à l’autre.

Cette production commence un peu à dater. En l’absence de réédition récente, il peut donc s’avérer difficile de la trouver en stock chez votre disquaire. A défaut, vous pourrez également accéder à des versions digitalisées sur de nombreuses plateformes en ligne. A toutes fins utiles, voici un lien vers le CD du Noël espagnol au format MP3 : A Spanish Christmas, Joel Cohen et la Boston Camerata


La Cantiga de Santa Marial d’Alphonse X
et sa traduction française

Esta é a primeira cantiga de loor de Santa María, ementando os séte goios que houve de séu Fillo.

Voici le premier chant de louange à Sainte Marie, évoquant les sept joies qu’elle a éprouvées pour son Fils.

Des hoge mais quér’ éu trobar
pola Sennor honrrada,
en que Déus quis carne fillar
bẽeita e sagrada,
por nos dar gran soldada
no séu reino e nos herdar
por séus de sa masnada
de vida perlongada,
sen havermos pois a passar
per mórt’ outra vegada.

A partir d’aujourd’hui, je souhaite chanter
pour la Dame honorée
en qui Dieu a choisi de s’incarner,
bénie et sainte,
pour nous donner une grande récompense
dans son royaume et pour nous donner en héritage,
comme [membres] de sa suite,
une vie prolongée
sans avoir à repasser
par la mort.

E porên quéro começar
como foi saüdada
de Gabrïél, u lle chamar
foi: “Benaventurada
Virgen, de Déus amada:
do que o mund’ há de salvar
ficas óra prennada;
e demais ta cunnada
Elisabét, que foi dultar,
é end’ envergonnada”.

C’est pourquoi je souhaite commencer
par la manière dont elle fut accueillie
par Gabriel, lorsqu’il lui dit :
« Vierge bénie, bien-aimée de Dieu,
de celui qui sauvera le monde,
maintenant tu es enceinte,
comme ta parente
Élisabeth, qui avait des doutes,
et en a désormais honte. »

E demais quéro-ll’ enmentar
como chegou canssada
a Beleên e foi pousar
no portal da entrada,
u pariu sen tardada
Jesú-Crist’, e foi-o deitar,
como mollér menguada,
u deitan a cevada,
no presév’, e apousentar
ontre bestias d’ arada.

Et de plus, je veux me souvenir
de son arrivée fatiguée
à Bethléem, et de la façon dont elle s’installa,

comme une pauvre femme,
dans l’étable à l’entrée,
où elle donna naissance

à Jésus-Christ et le déposa
là où l’on sème l’orge,
dans la mangeoire, et comment elle se logea
parmi les animaux de la ferme.

E non ar quéro obridar
com’ ángeos cantada
loor a Déus foron cantar
e “paz en térra dada”;
nen como a contrada
aos tres Reis en Ultramar
houv’ a strela mostrada,
por que sen demorada
vẽéron sa oférta dar
estranna e preçada.

Et je ne veux pas oublier
comment les anges chantant

les louanges de Dieu chantèrent
et « Paix sur la terre » ;
ni comment l’étoile
montra aux trois rois mages
le lieu des mers lointaines,
afin que sans tarder
ils viennent apporter leur présent
extraordinaire et précieux.

Outra razôn quéro contar
que ll’ houve pois contada
a Madalena: com’ estar
viu a pédr’ entornada
do sepulcr’ e guardada
do ángeo, que lle falar
foi e disse: “Coitada
mollér, sei confortada,
ca Jesú, que vẽes buscar,
resurgiu madurgada.”

Une autre chose que je veux raconter,
et que lui raconta plus tard
a Marie-Madeleine : comment

elle vit la pierre entrouverte
du sépulcre et gardée
par un ange qui lui parla
et lui dit : « Femme affligée,
sois réconfortée
car Jésus, que tu es venue chercher,
est ressuscité à l’aube. »

E ar quéro-vos demostrar
gran lediç’ aficada
que houv’ ela, u viu alçar
a nuv’ enlumẽada
séu Fill’; e pois alçada
foi, viron ángeos andar
ontr’ a gent’ assũada,
mui desaconsellada,
dizend’: “Assí verrá julgar
est’ é cousa provada.”

Et je veux aussi vous montrer
l’immense joie
qu’elle a ressentie en voyant s’élever
sur la nuée illuminée

son Fils ; et une fois qu’il fut élevé,
ils virent les anges marcher
parmi le peuple rassemblé,
qui était très déconcerté
et disait : « Ainsi viendra-t-il nous juger,
cela ne fait aucun doute. »

Nen quéro de dizer leixar
de como foi chegada
a graça que Déus envïar
lle quis, atán grãada,
que por el’ esforçada
foi a companna que juntar
fez Déus, e enssinada,
de Spírit’ avondada,
por que soubéron preegar
lógo sen alongada.

Je ne veux pas omettre de dire
comment fut reçu

La grâce que Dieu
voulait leur envoyer,
avec une telle abondance,
que par elle,
le groupe que Dieu avait fait se rassembler
fut très instruit et déterminé,
et rempli du Saint-Esprit,
si bien qu’ils apprirent à prêcher
immédiatement, sans délai.

E, par Déus, non é de calar
como foi corõada,
quando séu Fillo a levar
quis, des que foi passada
deste mund’ e juntada
con el no céo, par a par,
e Reínna chamada,
Filla, Madr’ e Crïada;
e porên nos dev’ ajudar,
ca x’ é nóss’ avogada.

Et, par Dieu, je ne dois pas me taire
sur la façon dont elle a été couronnée,
lorsque son Fils voulut la porter
lorsqu’elle a quitté ce monde,

et, la tenir avec lui, à ses côtés, au Ciel,
où (et) elle est appelée Reine,
fille, mère et servante ;
et c’est pourquoi elle doit nous aider,
car elle est notre avocate.


Retrouvez toutes les cantigas de santa maria traduites et commentées sur ce lien.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

  1. Miniaturas de la navidad en las cantigas de santa maria, María Rosa Fernández Peña, source dialnet.unirioja.es ↩︎

Humour & poésie satirique, Eustache Deschamps : De deux celles le cul à terre

Sujet  : poésie, auteur médiéval,  moyen français, ballade, poésie satirique, poésie morale, humour médiéval.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «De deux celles le cul a terre»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, Vol 5,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878), Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, Prosper Tarbé (T1)

Bonjour à tous

ous revenons au XIVe siècle, pour y découvrir une nouvelle poésie satirique du bon vieux Eustache Deschamps.

Au cours de sa longue vie, cet auteur champenois a mis littéralement tout ce qui passait à sa portée en vers. Il en a résulté une œuvre prolifique, dont plus de 1000 ballades sur un grand nombre de sujets, qui fait le bonheur des médiévistes spécialistes du Moyen Âge tardif. Aujourd’hui, c’est une poésie humoristique et satirique qui retiendra notre attention.

La ballade du jour et une enluminure du pèlerin face à convoitise, tiré du manuscrit français 376 de la BnF -

Satyre et humour à la cour

Tout au long de son œuvre, Eustache n’a jamais perdu une occasion de s’adonner à la poésie morale et critique. L’officier de cour et huissier d’armes pour le roi Charles V a notamment su dépeindre avec causticité les mœurs des gens de cour de son temps. Il le fait, une fois encore et sous un nouvel angle, dans la ballade du jour.

S’il en profitera pour se gausser des gens qu’on y trouve entre personnes agréables ou lourdaudes, ce sont les serviteurs de cour que le poète médiéval ciblera plus particulièrement ici. Jeux de pouvoir, convoitise de meilleures positions ou de fonctions, ambition et volonté de paraître, sont au programme d’un propos qui finira par déborder du contexte curial pour s’élargir à tout un chacun.

Vouloir s’élever et mieux chuter

Pèlerin face à convoitise - Enluminure du ms Français 376 de la BnF.  "Le pélerinage de l'âme", par Guillaume de Digulleville
Pèlerin face à la convoitise, Français 376 de la BnF

« De deux celles le cul a terre. » scande le refrain de notre ballade satirique. A vouloir s’asseoir sur deux sièges à la fois, on pourrait bien finir par se retrouver le cul par terre.

Autrement dit, à convoiter une position trop haute et qui n’est pas la sienne, on risque bien de n’en plus avoir aucune, en s’étant tourné, au passage, en ridicule. Ici, « l’élévation » que tente le sergent, autrement dit l’officier ou le serviteur de cour, en empilant deux sièges n’est qu’une allégorie de la volonté de se hisser de statut ou de position (l’état, la condition, …).

Eloge du contentement

Au delà de la nature humoristique de la ballade, l’auteur médiéval nous parle, encore une fois, de la voie moyenne et de l’importance de savoir se contenter de sa condition, de son statut, de ses possessions, etc…

La « médiocrité dorée » qu’on trouve déjà chez des auteurs antiques comme Horace, est un thème cher à Eustache. Il lui a dédié un certain nombre de ballades en le reprenant à son compte : « Pour ce fait bon l’estat moien mener », « Benoist de Dieu est qui tient le moien » (nous vous invitons à en retrouver quelques-unes en pied d’article).

Au cœur de cette ballade, le protagoniste tombé le cul à terre pour avoir voulu s’élever trop haut, devient ainsi un exemple édifiant de cet éloge du contentement.

Sources historiques, le manuscrit français 840

Quand on désire aborder sérieusement les écrits d’Eustache Deschamps du point de vue des sources manuscrites anciennes, il est difficile de faire l’impasse sur le ms Français 840 de la BnF. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle reste la référence la plus complète pour découvrir l’œuvre du poète champenois.

La ballade satirique du jour dans le manuscrit médiéval français 840 de la BnF.
La ballade du jour dans le Français 840 de la BnF (à découvrir au complet sur Gallica.fr)

Pour la transcription en graphie moderne du texte du jour, nous nous sommes appuyés sur les Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps du Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud (vol 5, 1878). Vous pourrez également retrouver cette poésie satirique dans les Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, publié avant cela par Proper Tarbé (vol 1, 1849).


« De deux celles le cul a terre »
dans le moyen français d’Eustache

A une grant court tres notable
Alay pour vir seoir le gens
Dont maint se mistrent a la table,
Les uns lourdes, les autres gens
(des lourdauds et des gentils) ;
Mais la fut uns petiz sergens
(serjant : serviteur, huissier domestique)
Qui aises sist sur basse selle
(bien assis sur un petit siège) ;
Or ne lui souffisoit pas celle,
Une autre mist sus, qu’il va querre
(chercher);
Mais il chut, en cheant sur elle :
De deux celles
(sièges) le cul a terre.

A maint
(pour beaucoup) fut ce fait agreable,
Chascun s’en rit; la ot venans
Qui pour ceste chose muable
Sont les .II. celles agrapans ;
(saisissant les deux chaises & s’asseyant dessus)
Sus se sirent. « Las! moy repans,»
Dist cilz qui chut, « caille ay prins belle,
« Bien deçus suy par ma cautelle
(ruse) ;
« Qui bien est, s’il se muet, il erre
(celui qui est bien, s’il bouge, il se trompe) :
« Cheus suy, par folie nouvelle
(j’ai chu par mon action insensée),
« De deux celles le cul a terre. »

Cest exemple est bien recitable
(qu’on peut citer, édifiant)
Et moral pour pluseurs servans
Qui ont office proufitable
Et qui sont autres convoitans,
Puis sont l’un et l’autre perdans.
Au petit ru boit teurterelle
(tourterelle)
Plus aise qu’en riviere isnelle
(rapide),
Son nife
(nid) en lieu moien (peu élevé) enserre:
Cheoir ne veult, par hault voul d’aelle
(haut vol d’aile),
De deux celles le cul a terre.

L’ENVOY

Prince, estre doit chascuns contens
De son estat
(condition) selon son sens,
Il ne fait pas bon trop acquerre
Ne vouloir monter es haulz rens
Dont chéent les plus acquerans
De deux celles le cul a terre.


Retrouvez d’autres ballades morales et satiriques d’Eustache Deschamps sur un thème similaire :

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : pour l’illustration et le texte en graphie moderne, nous avons utilisé une enluminure du Français 376. Elle représente le pèlerin face à la convoitise et ses tentations. Ce manuscrit daté du milieu du XIVe siècle contient la trilogie du moine cistercien et poète Guillaume de Digulleville : Le pèlerinage de humaine voyage de vie humaine, Le pèlerinage de l’âme et Le pèlerinage de l’âme Jhesu Crist. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur gallica.

Folk médiéval : « Mort a mors », l’hommage de Tri Yann à Anne de Bretagne

Portrait d'Anne de Bretagne, détail de la toile de Luigi

Sujet : folk médiéval, chanson, rondeau, poésie, Anne de Bretagne,  manuscrit français 23936.
Période : Moyen Âge tardif, XXe siècle.
Titre : « Si mort a mors »  
Auteur : 
Rondeau anonyme, chanson du XXe siècle.
Ensemble : Tri Yann
Album :
An heol a zo glaz / Le soleil est vert (1981)

Bonjour à tous,

ous vous invitons, aujourd’hui, pour un voyage qui va nous entraîner de la Bretagne médiévale de la fin du XVe siècle jusqu’au folk celtique du célèbre groupe Tri Yann.

Au cœur de cette aventure, nous découvrirons un rondeau ancien en hommage à Anne de Bretagne celle qui fut reine de France sous deux rois et une chanson plus récente inspirée de ce rondeau.

Anne de Bretagne,
Grande dame de France et de Bretagne

Enluminure d'Anne de Bretagne, Grandes Heures d'Anne de Bretagne, ms latin 9474, BnF (début XVIe)
Anne de Bretagne , ms latin 9474, BnF.

La guerre fait rage dans la Bretagne médiévale du XVe siècle et le duché est sujet à bien des convoitises par la couronne de France. Anne devient duchesse de Bretagne à 11 ans.

Au cœur de ces tensions et de ces conflits, la jeune noble devra manœuvrer et accepter des alliances qui scelleront le rattachement de la France à la Bretagne. Entre-temps, elle aura épousé deux rois de France en achetant une paix durable et se sera imposée comme une grande régente de France sous Louis XII.

Protectrice des intérêts de la Bretagne auxquels elle reste attachée ( bien que n’étant pas toujours en position de force pour s’imposer face à la couronne ) Anne de Bretagne a aussi eu l’occasion de se montrer comme une grande mécène, amoureuses des lettres et des arts. De fait, on la trouve entourée de nombreux artistes, poètes et musiciens. Meschinot a été à la fin de sa vie son maître d’hôtel mais des noms comme Jean Marot (père de Clément Marot), Fauste Andrelin de Forlì ou encore le compositeur Johannes Ockeghem pour ne citer qu’eux gravitent encore autour d’elle et de sa cour.

Le ms Français 23936 , Un Récit de funérailles

A la disparition d’Anne de Bretagne, de grandes funérailles furent données à la Cathédrale Notre-Dame de Paris. La reine de France et duchesse de Bretagne fut ensuite inhumée en la basilique cathédrale de Saint Denis.

Enluminure, Anne de Bretagne reçoit un livre des mains de son auteur. <br>"Les Louenges du roy Louis" de Claude de Seyssel, ms Velins-2780, département Réserve des livres rares,<br>BnF (vers 1508).<br>

Anne de Bretagne , ms Velins 2780, BnF.

De nos jours, ceux qui visitent ce beau monument classé peuvent encore y admirer l’incroyable mausolée qu’édifièrent les plus fins artistes italiens en l’honneur d’Anne de Bretagne et son époux Louis XII.

En 1514, à la disparition de la noble reine, l’événement fut d’une si grande importance que le héraut d’Armes d’Anne de Bretagne en consigna tous les détails dans un manuscrit. L’ouvrage illuminé donna ensuite lieu à des copies sur instruction de Louis XII.

Certaines de ces copies ont traversé le temps dont le ms Français 23936 de la BnF. On y retrouve tous les textes dits à cette occasion et même aussi les enluminures décrivant toutes les étapes de la cérémonie. Sur cet article nous leur avons préféré des enluminures représentant la noble dame de son vivant.

Le rondeau "Mort a mort" dans le récit des funérailles d'Anne de Bretagne, manuscrit Français 23936 de la BnF
Le ms Français 23936 de la BnF à consulter sur biblissima.fr

Rondeau pour Anne de Bretagne (1514)

Parmi les nombreux textes et hommages versifiées à la dame, dont notamment le beau rondeau suivant :

Meurtris en cueurs, tristes en corps et ames,
Amassons pleurs, parfondons nous en larmes,
Regrectz gectons et cris en habondance,
Jamais n’ayons à plaisir acointance,
Mais plourons tant que soyons soubz les lames.
Perdu avons l’honneur de toutes dames,
La libérable à tous hommes et femmes,
Et ce secours qui nous laisse en souffrance:
Deul à jamais.

Ah! faulse mort, par tes cruelz alarmes
Osté nous as l’estandard et les armes,
Des nobles cueurs et de tous l’espérance:
Duchesse fuz et deux fois royne en France,
Or sommes nous par toy en piteulx termes:
Deul à jamais.


Si mort a mors par son aspre pointure
Le noble espoir de maincte créature.
Si mort a mors si haulte mageste,
Le lys en fleur de toute crestienté.
Si mort a mors le confort de noblesse;
Maincts haulx voulloirs sont atainctz de foiblesse.
Si mort a mors des pauvres la sustance,
Le bon conseil, des vices résistance.

Si mort a mors des vertueulx le mémoyre,
L’honneur de paix, l’unyon débonnayre.
Si mort a mors des tristes le confort
Et joye, l’accord, l’ayde du foible au fort.
Si mort a mors de gloire le mérite;
La doctrine des dames deshérite.
Si mort a mors de l’église la mère:
Plusieurs en ont affliction amère.

Si mort a mors le guydon de jeunesse,
Et l’estandart de tout féminin sexе.
Si mors a mors le zelle de justice:
Je tiens vaccant de mainct homme l’office.
Si mort a mors des Bretons la princesse,
Et des Français leur regrect n’a prins cesse.
Si,mort a mors des filles l’abitacle :
Las! griefs, soupirs en sont sous mainct pinacle.

Si mort a mors le cueur de si grant dame.
Prions à Dieu qu’il en veuille avoir l’âme.


« Si Mort a mors », L’hommage à Anne de Bretagne par Tri Yann


C’est donc ce texte poignant qui inspira, plus de 250 ans plus tard, à Jean Antoine Michel Chocun et Bernard Baudriller la belle chanson « mort a mors ».

Le travail proposé par les talentueux musiciens de Tri Yann ira bien au delà de la paraphrase et de l’adaptation en français moderne. Les paroliers se sont livrés là à une réécriture complète très loin du texte d’origine mais qui sait encore parler à nos imaginaires médiévaux.

La poésie reste au rendez-vous de ce très beau texte dont la mélodie et la musique proviennent d’une chanson traditionnelle irlandaise.

Le Folk Irlandais aux origines de l’inspiration

Aux origines de la reprise, une chanson traditionnelle irlandaise « An cailín Rua » qui conte l’amour d’un homme pour sa belle, une fille aux cheveux rouges. Cette chanson gaélique a été popularisée aux débuts des années 70 par le groupe de folk irlandais Skara Brae.

Il semble que la mélodie soit antérieure mais de nombreux titres identiques compliquent un peu les recherches. On trouve une chanson semblablement nommée abondamment citée dans les ouvrages de folklore locaux des débuts du 20e siècle mais les paroles en sont différentes. La mélodie traditionnelle remonterait au moins aux débuts du 19e siècle (1805) mais n’est pas celle utilisée par Skara Brae1. Affaire à suivre donc.


« Si mors à mors »
la chanson de Tri Yann

Si les matins de grisaille se teintent
S’ils ont couleur en la nuit qui s’éteint
Viendront d’opales lendemains
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si mort à mors duchesse, noble Dame
S’il n’en sera plus que poudre de corps
Dorme son cœur bordé d’or
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si moribonds sont les rois en ripaille
Si leurs prisons sont des cages sans fond
Viennent l’heure des évasions
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si mort à mors duchesse, noble Dame
S’il n’en sera plus que poudre de corps
Dorme son cœur bordé d’or
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si 1 000 soleils de métal prennent voile
10 000 soleils de cristal font merveille
Viennent des lueurs de vermeil
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si mort à mors duchesse, noble Dame
S’il n’en sera plus que poudre de corps
Dorme son cœur bordé d’or
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si 1 000 brigands à l’encan font partage
10 000 enfants des torrents font argent
Viennent des fleurs de safran
Reviennent des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.

Si mort à mors duchesse, noble Dame
S’il n’en sera plus que poudre de corps
Dorme son cœur bordé d’or
Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.


L’album : « An heol a zo glaz – Le soleil est vert« 

La chanson de Tri Yann, en hommage à Anne de Bretagne, apparait la première fois dans l’album « An heol a zo glaz, Le soleil est vert » daté de 1981. Depuis, elle est devenue un des titres phares du groupe, entre de nombreux autres, et on la retrouve dans plusieurs albums dont tous les Best of de Tri Yann.

Du Folk écologique et militant

Sixième album de la formation nantaise trempée de folk breton, An heol a zo glaz, le Soleil vert se signe par son positionnement militant et écologique notamment contre la création de la centrale nucléaire de Plogoff. La guerre, l’agriculture intensive, le nucléaire et ses déchets, la révolte des habitants de Plogoff vont encore partie des thèmes abordés dans cet opus. Le titre « Guerre Guerre, vente vent » deviendra même un autre titre très remarqué de Tri Yann.

Le Groupe Tri Yann au moment de l'album le Soleil Vert (1981)

Pour le reste et d’un point de vue musical, la promesse est comme toujours tenue. Sur un peu plus de 42 minutes d’écoute, Tri Yann déroule son riche folk aux accents traditionnels et celtiques. Du côté des pièces proposées, suite écossaise, sonorités irlandaises, danses et musiques traditionnelles sont au programme.

Aux côtés de la chanson Mort a Mors évocatrice du Moyen Âge et d’Anne de Bretagne, on trouve encore d’autres références médiévales comme ce grand bal de Kermania-an-isquit, une ballade inspirée des danses macabres du Moyen Âge et notamment la fresque peinte sur la chapelle du même nom.

Les musiciens présents sur cet album

Jean-Louis Jossic (chant, bombarde, chalemie, flûtes, psaltérion), Jean-Paul Corbineau (chant, guitare), Jean Chocun (chant, guitare, mandoline), Bernard Baudriller (chant, basse, violoncelle, flûtes, dulcimer), Gérard Goron (chant, basse, percussions), et Christian Vignoles (guitares, basse chant) pour Tri Yann entourés de quelques autres collaborations : Jean-Louis Labro (chant), Joël Cartigny (chant), Pierre-Yves Calais (chant), Jean Luc Chevalier (guitare), Jacques Migaud (claviers).

Où se procurer l’album ?

Sauf à vouloir chiner chez les disquaires d’occasion, Le Soleil est Vert peut être assez difficile à trouver en vinyle. A défaut, voici un lien vers un Best Of de la formation nantaise dans laquelle la chanson apparait. Cette production est disponible au format CD ou MP3; Tri Yann, Le Meilleur.


British folk, folk médiéval et Moyen Âge réinventé des 70’s

Pour en dire un mot, différents facteurs peuvent expliquer la résurgence du Moyen Âge dans des périodes ultérieures à sa disparition. S’agit-il simplement de « mode » comme nous le disait Jacques le Goff ou de mouvements plus profonds ? Cela dépend sans doute des périodes et des événements de référence.

Peut-on comparer l’engouement pour les fêtes d’inspiration médiévale de fins de semaine avec les élans des romantiques du XIXe siècle et leur soif de Moyen Âge après les Lumières ? Cela mériterait des développements que cet article ne saurait couvrir. Une chose est sûre, quand il s’agit de conjuguer nos rêves au passé, princesses, châteaux et chevaliers n’en finissent pas d’hanter nos imaginaires.

Chez les musiciens et la génération qui avaient 20 ans dans les années 70, le monde médiéval semble s’être invité sur le terrain d’un rejet plus que pour des raisons simplement hasardeuses ou expérimentales. Et si les romantiques des XVIIIe et XIXe siècles avaient pu invoquer l’imaginaire médiéval au secours de leurs envies de changement, on connait la soif de nouveaux horizons de la génération de 68 et on a même pu parler, à son propos, de « romantisme révolutionnaire ».

Le folk anglo-saxon ouvre la voie

Pour faire un peu d’histoire, c’est vers la fin des années 60 que le folk britannique et américain se mettent à réinvestir la musique ancienne et le terrain de l’imaginaire médiéval. Dès lors, le Moyen Âge commence à refaire son apparition au milieu des claviers et des guitares électriques de certains groupes de rock progressifs ou de folk.

Les instruments d’époque viennent, quelquefois, se joindre aux instruments électriques et dans ces joyeuses expérimentations, la flute, les sonorités anciennes, et même les textes et référence brouillent un peu les lignes de démarcation. En bref, le monde médiéval y gagne en élasticité.

Les chansons traditionnelles et anciennes du folk irlandais ou anglais des XVIIIe et XIXe siècle viennent jouer sur un terrain perçu comme médiéval sans que les textes ou les mélodies en soient forcément directement inspirés. Le folk médiéval fusionne la modernité avec les références imaginaires.

Le goût des 70’s pour le Moyen-Âge

Plus généralement, ce Moyen Âge des années 70’s semble s’épanouir sur le terreau d’une contestation sociale ambiante. A la fin des années 60, le mouvement rock s’accompagne de l’idée de l’émancipation d’une certaine jeunesse vis à vis de la société post-industrielle et d’un rejet des traditions qu’avaient pu couver les générations précédentes.

Envie d’un retour aux sources, d’une émancipation des dogmes religieux et moraux, recherches peut-être aussi d’un ailleurs préindustriel plus écologique, moins rationaliste, plus onirique, moins matérialiste ? La communauté devient le nouvel horizon. Sur le plan spirituel, l’heure est aussi aux expérimentations individuelles et psychédéliques.

Le Moyen Âge évoqué a pu ainsi se voir investi de valeurs païennes, mystiques ou de cultes proches de la nature. C’est assez étonnant quand on considère la réalité chrétienne du Moyen Âge occidental mais il s’agit bien là d’une reconstruction (romantique ?) au service de la modernité.

A la la fin des années 60’s et des 70’s, on va aussi redécouvrir outre-Atlantique Le Seigneur des Anneaux de Tolkien. Loin de toute réalité historique, l’univers médiévalisant du génial universitaire britannique entre légendes nordiques et fantaisie trouvera de nombreuses résonnances chez les étudiants californiens à l’origine du mouvement des fleurs. Elle alimentera aussi cette idée d’un Moyen Âge onirique peuplée de magie, de créatures, de vertes communautés et de héros désintéressés. Musique, littérature, univers ludique, le Moyen Âge trouve là un terrain nouveau où s’épanouir.

Le Folk médiéval français

La France ne restera, bien sûr, pas insensible à ce mouvement musical, social et culturel, né dans les pays anglo-saxons. Les 70’s et même l’aube des 80’s seront propices à l’épanouissement du folk médiéval. Le mouvement verra se former des groupes comme Malicorne ou Mélusine et d’autres encore.

Les formations orientées sur la musique celtique et les chansons traditionnelles bretonnes inviteront, à leur tour, le monde médiéval et ses inspirations dans certains de leurs titres. Alan Stivell, Tri Yann comptent aux noms des grands groupes émergés durant cette période.

En Italie et même en France, il faut citer également Angelo Branduardi qui émerge sur la scène folk comme un troubadour poète sorti tout droit des temps médiévaux. Ses inspirations restent largement traditionnelles, folk ou même renaissantes mais il fait aussi largement place au Moyen Âge dans certains de ses titres.

A quelques formation près qui ont résisté au temps comme Tri Yann ou Branduardi, la tendance folk médiéval des années soixante-dix s’est un peu tassée avec le temps. Il faudra attendre les années 90 tardives à 2000 pour en voir de nouvelles résurgences, notamment au départ de l’Allemagne avec des groupes comme Corvus Corax ou Faun. En France, certaines formations vont même privilégier une approche plus métal et rock métal médiéval comme Sangdragon.

Il est possible que ce nouveau mouvement se soit aussi inscrit, en partie, dans un regain d’intérêt populaire pour le Moyen âge festif. La popularité croissante des fêtes ou festivals célébrant la période médiévale étant au rendez-vous, l’offre musicale s’est diversifiée.

En vous remerciant de votre lecture.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : sur la photo d’entête, le portrait d’Anne de Bretagne en premier plan du manuscrit français 23936 est celui du peintre Luigi Rubio (1836)

  1. The Doegen Records Web Project, Irish Dialect Sound Recordings ↩︎

Jehan Meschinot, ballade politique & morale contre les tyrans

Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, tyran, grands rhétoriqueurs.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Affin qu’il sente aultruy playe premiere
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons pour la Bretagne médiévale, celle du Moyen Âge tardif et de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, ce poète soldat se distingue par une poésie politique et morale de belle tenue.

En son temps, il se fit particulièrement connaître par ses Lunettes des Princes. Le ton était déjà politique et moral, un peu à la manière de ces miroir des princes (ou miroir aux princes) et guide pour l’éducation politique des puissants dont le Moyen Âge était friand. Sans concession, mais avec un vrai talent de plume, le poète y laissait aussi poindre quelques pointes de désespérance sur sa propre condition.

la ballade "Affin qu'il sente aultruy playe première" en graphie moderne avec enluminure du portrait de l'auteur

Les 25 ballades satiriques de Meschinot

Si les Lunettes des Princes sont devenues un des ouvrages les plus imprimés des débuts du XVIe siècle, la postérité a un peu moins retenu de Meschinot les 25 ballades satiriques que lui inspira la poésie Le Prince (ou les princes) de Georges Chastelain. Ce grand auteur flamand, attaché à la cour de Bourgogne, s’était distingué avant tout par ses grandes chroniques historiques mais il n’hésita pas à égratigner Louis XI dans un exercice plus poétique, politique et caustique qui inspira son homologue breton.

Meschinot reprit donc les 25 strophes du Prince de Chastelain et en fit les envois de 25 nouvelles ballades. On peut retrouver ces dernières dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF daté du XVe siècle. Quant aux éditions imprimées des siècles suivants, elles adjoindront quelquefois ses poésies au texte principal des Lunettes des princes mais elles s’arrêteront souvent aux lunettes.

Sources historiques et manuscrites

Pour les sources manuscrites, nous vous renvoyons au ms français 24314 qui reste le plus accessible à la consultation en ligne (voir capture ci contre).

Pour la transcription en graphie moderne de la poésie qui nous occupe ici, nous nous sommes appuyés sur diverses éditions historiques datées du XVIe siècle.

La ballade du jour dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF
La ballade du jour dans le Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

La punition du tyran et du prince oppresseur

La ballade du jour est la quatrième des 25 dans l’ordre des manuscrits. En terme de versification et de rythmique, elle suit la forme de toutes les autres. Meschinot a opté pour des douzains de 10 pieds tout au long de cet exercice, trois par ballades suivis d’envois dument rétribués à leur auteur (« Georges »).

Dans cette poésie politique, trempée de morale chrétienne, le tyran ou le seigneur abusif est encore dans la ligne de mire. Meschinot prolonge en quelque sorte le ton de Chastelain et développe à sa manière. Pas d’impunité pour le prince oppresseur qui brime et pille ses propres sujets. Il sera meurtri et Dieu lui fera sentir jusque dans sa chair les blessures qu’il inflige à autrui.

Dieu est à l’œuvre, ici, mais pas seulement. Le prince tyrannique paye le prix juste et logique de sa propre stupidité/avidité. En attentant à ceux qui fondent sa richesse et même sa survie, il se heurte lui-même et, croyant trompé ses sujets, c’est lui-même qu’il trompe.


« Affin qu’il sente aultruy playe premiere »
dans le moyen français de Meschinot

Ou tost fauldroit terre, soleil & lune
Bien de grace, de nature, & fortune,
Et tout ce qu’est en essence produyt:
Ou les tyrans qui sans raison aulcune
Pillent les biens de la chose commune
Dont par après n’en est riens mieulx conduit
Seront puniz de très-griefve poincture
(blessure).
L’abus est grant en la loy de nature
Quand le seigneur par maulvaise maniere
Sur les subgectz
(sujets) prent excessive proye
Dieu le payera en pareille monnoye
Affin qu’il sente aultruy playe
(plaie) premiere.

C’est cruaulté des plus piteuses l’une
Qui jamais fust si par voye importune
Le commun est par le prince destruyt
Duquel il a bled
(blé), vin, rentes, pecune (argent monnayé)
Service honneur & sans lui fault qu’il jusne
(jeûne)
Car il n’est pas au labourage duyt
En le perdant, il perd sa nourriture
Et si se mect en damnable adventure
Car bien souvent a la fin derreniere
Trompé se voit quand a tromper essaye
Et justement raison ainsi le paye
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

Terne conseil & celée rancune
(rancune secrète)
Propre proufit en province plus de une
ont aultrefoys porté dommageux fruict
Et de cecy ne sçay raison nesune
(aucune)
Fors que dieu veult non pas saison chascune
Descouvrir ce qui es cueurs ard & bruyt
Ainsi advient que mieulx qu’en portraicture
(image, plan)
Des cas secretz conduys par voye obscure
A t’on souvent congnoissance planiere
(plénière)
Dont le maulvais en l’espineuse haye
Qu’il a basty tresbuche & la se playe
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

L’envoi
Prince lettré, entendant l’escripture,
Qui fait contraire à honneur et droiture
Dont il doit estre exemplaire et lumière,
Bien loist
(vb loisir, il est permis) que Dieu du mesme le repaye,
Et que autre, après, lui fasse grief et playe,
Affin qu’il sente autruy playe première.


Découvrir d’autres ballades de Jehan Meschinot

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : en image d’en-tête vous retrouverez un détail de l’enluminure de garde du ms Français 24314 de la BnF. On y voit l’auteur affairé à l’écriture tandis que ses muses ou plutôt ses démons le visitent (langueur, fureur, courroux, peine, …)