Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, politique, satirique, vieux français, oil, traduction, adaptation français moderne, ballade, jeux de cour Période : moyen-âge tardif (1346-1406) Auteur : Eustache Deschamps Titre : « Je n’ai cure d’être en geôle »
Bonjour à tous :
uite à l’article d’hier, nous publions aujourd’hui, une adaptation / traduction en français moderne de l’une des ballades d’Eustache Deschamps que nous y présentions en vieux français, avec un visuel pour l’accompagner.
« Je n’ay cure d’estre en geôle », traduction adaptation en français moderne
Pourquoi viens tu si po a court? Qui fuit la court, la court le fuit. – Pour ce qu’il y fault estre sourt, Et sanz veoir ne que de nuit, Estre muyaux; parler y nuit; Or voy, or oy bien et parole : Par ces trois poins sont maint destruit : Je n’ay cure d’estre en geôle.
Pourquoi viens-tu si peu à la cour? Qui fuit la cour, la cour le fuit. – Pour ce qu’il y faut être sourd, Ne pas y voir mieux que de nuit, Etre muet ; parler y nuit ; Or, je vois, entends bien et j’use de paroles : Trois bonnes raisons pour y être détruit : Je n’ai cure d’être en geôle.
Qui dit voir, nul ne le secourt, Qui voit trop cler, l’en le deffuit; Qui voit et entent, sur lui court Chascuns, lors sera mis en bruit; Li soulaulx fault, la lune y luit Ténébreuse, la se rigole; Tenez vous y toutes et tuit: Je n’ay cure d’estre en geôle.
Qui dit voir, nul ne le secourt, Qui voit trop clair, et on le fuit; Qui voit et entend, sur lui court Chacun, pour lui faire une réputation; Les soleils manquent, la lune y luit Ténébreuse, elle s’en réjouit; Tenez-vous y toutes et tous: Je n’ai cure d’être en geôle.
Car je voy qu’a ces oiseaulx sourt En geôles po de déduit; Ilz sont tenuz crêpes et court . Ceuls qui ont des champs le conduit . Vivent frans; franchise les duit, Et l’angeolé pas ne vole, Qui pour yssir hors se deruit : Je n’ay cure d’estre en geôle. »
Car je vois que ces oiseaux sourds En geôles ont peu de plaisir; Ilz y sont tenus à l’étroit. Ceux qui ont des champs les conduisent. Vivent libres ; franchise les guide, Et l’emprisonné pas ne vole, Qui pour en sortir, se détruit : Je n’ai cure d’être en geôle.
En vous souhaitant une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : poésie médiévale, morale, critique, politique, satirique, vieux français, oil, ballade, jeux de cour, cruauté. Période : moyen-âge tardif (1346-1406) Auteur : Eustache Deschamps Titre : « Je n’ai cure d’être en geôle » « Pourquoi viens-tu si peu à la cour? » « Trop de périls sont à suivre la cour ».
Bonjour à tous,
ous revenons aujourd’hui, vers la poésie médiévale du talentueux Eustache Deschamps pour le retrouver encore en homme lucide et désabusé, jetant sur les XIVe, XVe siècles son regard acerbe et sans concession. Poète de la distance critique et morale, auteur d’une poésie politique et réaliste aussi. il nous fait partager ici son analyse des jeux de cour et de leur hypocrisie, depuis l’intérieur. Il les a côtoyés, comme il a côtoyé le pouvoir et les puissants sa vie entière et pour bien les connaître, il finira même par les déserter. Il s’en expliquera dans plusieurs ballades et poésies et nous publions donc aujourd’hui deux d’entre elles.
« Princes, j’ay veu a mainte court en France Maint serviteur servir par ce moien; Et quant g*i voy si doubteuse balance, Je ne vueil plus fors que vivre du mien. » Eustache Deschamps (1346-1406) et la cour des puissants
Qu’est-ce que « l’esprit de cour »? Que s’y passe-t-il au quotidien de ces banquets et de ces fêtes et comment y brille-t-on? On peut difficilement penser aux jeux de cour et à leur cruauté sans évoquer l’excellent film Ridicule de Patrice Leconte. Bien sûr, l’histoire du film se passe sous Louis XVIe et à la cour de Versailles et près de quatre siècles après Eustache Deschamps et pourtant. Sans dire que rien n’a changé du XIVe au XVIIIe, à lire le poète du moyen-âge tardif, il semble qu’il y ait tout de même des constantes qui se dessinent dans ses jeux de pouvoir et de flatterie, dans cette hypocrisie et ces excès, cette prison du paraître dans lesquels les nobles se piègent eux-même et se trouvent intriqués, au risque d’y brûler leurs ailes.
Scène culte 1:
l’esprit au service des enjeux de pouvoir
Pour toutes ces raisons et mis entre guillemets quelques anachronismes, un peu moins de poudre et de perruques et un « esprit » qui se traduit, du temps d’Eustache Deschamps, dans un langage qui n’a pas encore la modernité de celui de la cour de Versailles, nous ne résistons pas à l’envie de partager ici, mêlés de la poésie de l’auteur médiéval, quelques extraits de ce savoureux film: la réalisation est celle d’un virtuose qui aime flirter avec la satire et la causticité, Patrice Leconte (photo plus bas dans l’article), les acteurs sont exceptionnels et nous devons les excellents dialogues à trois scénaristes : Rémi Waterhouse, Michel Fessler et Eric Vicaut.
Ridicule : deux mots sur l’histoire du film
Au XVIIIe siècle, Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), un jeune aristocrate et ingénieur des Dombes – zone marécageuse, constellée d’étangs de la région bressane -, projette d’en faire assécher les marais pour assainir son domaine et mettre ses terres en exploitation. Les paysans y vivent dans la misère, dévorés par les moustiques et les maladies et les marécages condamnent toute possibilité d’y cultiver.
Venu devant la cour pour porter son projet et rencontrer le roi, le baron de Malavoy apprendra que pour progressistes et empreints de bonnes intentions qu’ils soient, ses plans ne suffiront pas seuls à gagner sa cause. Pour se faire entendre du roi et s’en rapprocher, il lui faudra, en effet, entrer à la cour, mais, plus que tout, savoir y montrer de l’esprit et y briller s’il veut espérer un entretien avec le souverain. Prêt à tout pour porter haut son projet et sauver ses gens, sous la protection du marquis de Bellegarde (Jean Rochefort) qui le prendra sous son aile, il se pliera donc au jeu et y brillera. Moeurs dissolues, cruauté, hypocrisie, perfidie , mépris, rien ne lui sera pourtant épargné dans un Versailles décadent et abjecte sous ses perruques poudrées. Il y trouvera notamment pour ennemi cruel, sous des dehors de joutes verbales, un l’abbé au nom tout trouvé de Vilecourt (Bernard Giraudeau), religieux plein d’esprit mais totalement dévoyé, amant de la très belle et perverse Madame de Blayac (Fanny Ardant).
Si vous n’avez pas encore vu ce film plus historique que médiéval, nous vous conseillons vivement une séance de rattrapage non sans conseiller aux âmes sensibles de s’abstenir, une des premières scènes du film étant, en effet, assez vitriolé.
La poésie d’Eustache Deschamps
dans le moyen-français du XIVe siècle
« Pourquoi viens tu si po a court? Qui fuit la court, la court le fuit. – Pour ce qu’il y fault estre sourt, Et sanz veoir ne que de nuit, Estre muyaux; parler y nuit; Or voy, or oy bien et parole : Par ces trois poins sont maint destruit : Je n’ay cure d’estre en geôle.
Qui dit voir, nul ne le secourt, Qui voit trop cler, l’en le deffuit; Qui voit et entent, sur lui court Chascuns, lors sera mis en bruit; Li soulaulx fault, la lune y luit Ténébreuse, la se rigole; Tenez vous y toutes et tuit: Je n’ay cure d’estre en geôle.
Car je voy qu’a ces oiseaulx sourt En geôles po de déduit; Ilz sont tenuz crêpes et court . Ceuls qui ont des champs le conduit . Vivent frans; franchise les duit, Et l’angeolé pas ne vole, Qui pour yssir hors se deruit : Je n’ay cure d’estre en geôle. » Eustache Deschamps
Ballade : de la douleur qui peut advenir à ceux qui suivent la cour de Prince
« Mon corps se pert , use , gaste et destruit ,A court suir , qui est doubteuse vie : On dort le jour, et y veille-on la nuit; Et y fait-on trop de gourmenderie. Vin barillié et viande pourrie Y ont pluseurs ; tant d’ordure y a court Qu’eureus est cilz qui ne la poursuit mie : Trop de périlz sont à suir la court.
A apetit d’aucuns fault estre duit, Et que frans cuers au félon s’umilie , Et telz se faint amis d’autre qui nuit ; Blandir convient, doleur, paine et envie, A suir ceuls qui ont la seignourie; Aveugle fault estre, muet et sourt, Bon fait fuir tele merancolie : Trop de périlz sont à suir la court.
On est logiez non pas à son déduit En poures draps et en paillarderie ; Souventefoiz en grant noise et en bruit; Et maintefoiz , qui bien n’y remédie,, Plus y despent qui plus a de mesgnie. Le temps s’en va, viellesce sus y court Sanz guerdon ; qui s’i tient c’est folie : Trop de périlz sont à suir la court.
Prince , li homs qui suffisance instruit, Vit liement, et n’eust c’un seul pain cuit; Mais curiaux en grant doleur décourt : L’un a joie, tristeur l’autre conduit. Or avisez ci , toutes et tuit : Trop de périlz sont à suir la court. » Eustache Deschamps
En vous souhaitant une excellente journée et une belle semaine!
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : danse, musique médiévale, saltarelle, saltarello, Italie Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle. Auteur : anonyme Source :Manuscrit Add 29987, Manuscrit de Londres, British Museum Interprètes : Arte Factum Album: « Saltos brincos y reverencias »
Bonjour à tous,
‘ensemble espagnol ArteFactum nous donne l’occasion, aujourd’hui, de revenir sur le manuscrit de Londres, référencé Add 29987, manuscrit du XVe siècle conservé au British Museum dont nous avons déjà parlé ici. C’est donc avec un joyeux et virevoltant saltarello que nous découvrons une pièce de plus de cet ouvrage ancien, précieux témoin des musiques et des chansons de l’Italie médiévale du XIVe siècle.
Artefactum, l’Andalousie à la conquête des musiques médiévales
Comme tous les Saltarello(s) contenus dans ce manuscrit ancien, la pièce du jour est restée, pour l’instant, anonyme. Concernant son interprétation, comme nous le disions plus haut, nous la devons à la très sérieuse formation andalouse qui s’est, depuis sa création en 1994, spécialisée dans les répertoires de musiques du moyen-âge central et tardif. Ajoutons encore que ce Saltarello est tiré de l’album « Saltos brincos y reverencias ». Pour l’acquérir ou pour les soutenir, n’hésitez pas à visiter leur site web. Vous pouvez également le trouver à l’achat en ligne à l’adresse suivante : Saltos, Brincos y Reverencias ou cliquer sur l’image ci-dessous.
Pour les voir en concert, aux dernières nouvelles et début novembre, ils jouaient à Tokyo, ce qui montre le bien le rayonnement de la musique médiévale dans le monde entier. Comme c’est un peu loin, avec un peu de patience, nul doute qu’ils reviendront proposer leur talent d’interprétation et leur répertoire du côté de l’Europe dans les mois qui viennent.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète Période : moyen-âge central Auteur : Thibaut de Champagne (1201-1253) Titre : chanson d’amour ou « Por conforter ma pesance » Manuscrit ancien : le chansonnier du roi Interprètes : Alla Francesca. Vocal: Emmanuel Vistorky, Harpe: Brigitte Lesne
Bonjour à tous,
‘est toujours un plaisir que d’approfondir la découverte de Thibaut de Champagne à travers ses chansons et ses compositions. Roi de Navarre, Comte de Champagne, il est entré dans la légende comme Thibaut le Chansonnier en léguant à la postérité pas moins de soixante chansons. Son répertoire est large et va de la chanson courtoise à des chansons plus engagées sur le plan politique ou religieux, en passant encore par le jeu-parti, ce divertissement médiéval qui prenait la forme de joutes verbales entre troubadours où alternant les couplets chaque protagoniste défendait une positon contraire. Au niveau stylistique, on prête généralement à ce noble chevalier et poète d’avoir revisité des formes classiques de son temps tout en y amenant sa propre touche d’humour et de distance.
Pour ce qui est de la pièce du jour, comme son titre l’indique, il s’agit d’une chanson d’amour courtois dans laquelle le roi poète, victime impuissante et consentante de ses sentiments amoureux, chante à sa dame la douce flamme qui le retient prisonnier.
Alla Francesca : à la découverte du Thibaut de Champagne et du Chansonnier du roi
On doit à la très sérieuse formation artistique et musicale Alla Francesca, spécialisée dans le répertoire des musiques anciennes et médiévales un album entier sur le roi troubadour.
Les chansons sont tirées du manuscrit du roy (roi) ou chansonnier du roi, ouvrage d’importance majeure pour la musique médiévale des XIIe et XIIIe siècles qu’il s’agisse de danses, de pièces instrumentales, comme de chansons monophoniques ou polyphoniques.
L’interprétation qu’ils font de cette pièce d’amour courtois de Thibaut de Champagne, tout en délicatesse avec une harpe pour seul accompagnement et cette voix tout en notes graves vous emportera peut-être à la cour de Champagne ou de Navarre du XIIIe siècle, pour vous y faire revivre les plus belles heures du roi chansonnier. Nous n’avons bien entendu aucune trace de la voix originelle de ce dernier, mais je dois avouer que l’incarnation subtile et toute en élégance qu’en fait le chanteur Emmanuel Vistorky est fort convaincante, en plus d’être très agréable à écouter.
Les paroles de la chanson d’amour de Thibaut le Chansonnier & leur adaptation en français moderne
Por conforter ma pesance Faz un son. Bons ert, se il m’en avance, Car Jason, Cil qui conquist la toison, N’ot pas si grief penitance. E! é! é!
Pour soulager mon cœur lourd Je compose un air. Il serait bon qu’il puisse m’aider Car Jason,
Celui qui conquit la toison, Ne subit pas si dure pénitence. Hé, hé, hé !
Je meïsmes a moi tence, Car reson Me dit que je faz enfance, Quant prison Tieng ou ne vaut raençon; Si ai mestier d’alejance. E! é! é!
Je me fais à moi-même des reproches Car ma Raison Me dit que je fais une folie De rester dans une prison Où il n’y a de rançon qui vaille. J’ai donc bien besoin de soulagement. Hé, hé, hé !
Ma dame a tel conoissance Et tel renon Que g’i ai mis ma fiance Jusqu’en son. Meus aim que d’autre amor don Un regart, quant le me lance. E! é! é!
Ma dame est si reconnue Et renommée Que j’ai mis toute confiance
jusqu’en elle Plus que l’amour d’une autre, je préfère un seul regard, quand c’est elle qui me le lance. Hé, hé, hé !
Melz aim de li l’acointance Et le douz non Que le roiaume de France. Mort Mahon! Qui d’amer qiert acheson Por esmai ne pour dotance! E! é! é!
J’aime mieux sa présence Et son doux nom Que le royaume de France. Maudit soit, par Mahomet ! Qui l’Amour veut accuser En ce qu’il apporte peine et souffrance. Hé, hé, hé !
Bien ai en moi remenbrance A conpaignon; Touz jorz remir sa senblance Et sa façon. Aiez, Amors, guerredon! Ne sosfrez ma mescheance! E! é! é!
J’ai en moi mes souvenirs Qui m’accompagnent ; Pour chaque jour contempler son image Et son visage. Amour, accordez-moi récompense, Ne souffrez pas mon malheur ! Hé, hé, hé !
Dame, j’ai entencion Que vos avroiz conoissance. E! é! é!
Dame, j’espère bien Que vous saurez faire preuve de discernement. Hé, hé, hé !
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.