Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

Kalenda maya : une poésie de Raimbaut de Vaqueiras sur une estampie du XIIe siècle

troubadours_provençaux_poesie_chanson_medievaleSujet : musique, danse, chanson et poésie médiévale, troubadours
Titre : Kalenda maïa, Kalenda maya (Calenda)
Auteur : Raimbaut de Vaqueiras,
Période : moyen-âge central, XII, XIIIe
Interprètes : Clemencic Consort , René Zosso , Album : Troubadours, Harmonia Mundi

Bonjour à tous,

n peu de danse, musique et poésie à la fois, aujourd’hui, avec la chanson célèbre Kalenda Maia. C’est de circonstance puisque nous sommes arrivés aux calendes de mai dont le chant nous parle, soit les premiers jours de ce mois ; contrairement à ce qu’on pourrait quelquefois le crois, rien à voir avec le calendrier maya.

« Ni les calendes de Mai
Ni les feuilles de hêtres,
Ni les chants d’oiseaux, ou les glaïeuls fleuries
Ne sont de mon goût,
O noble et joyeuse dame,
Jusqu’à ce qu’un messager de la flotte
envoyé par votre belle personne
vienne  me conter de nouveaux plaisirs d’amour et de joie
que vous m’apportez »
Raimbaut de Vaqueiras, Calendes de mai.

L’estampie : danse médiévale
des XIIe au XIVe siècles

On dit de cette chanson qu’elle a été chantée et même improvisée par le troubadour Raimbaut de Vaqueiras (1150 – 1207) sur la musique d’une estampie qui existait déjà. L’estampie est une danse du moyen-âge qui a été assez populaire du  XIIIe siècle jusqu’au XIVe siècle. On la suppose née en France d’où elle s’est répandue jusqu’en Angleterre où elle a connu une grande popularité. Concernant le morceau que nous partageons aujourd’hui, c’est, à ce jour, une des plus ancienne estampie connue qui nous soit parvenue (cf universalis). On notera que cette chanson a été également interprété par le troubadour italien Angelo Branduardi sur son album  » « Futuro Antico ». Rien d’étonnant quand on sait qu’en son temps Raimbaut de Vaqueiras fut au moins aussi populaire en Italie qu’en Provence sinon plus.

L’album « Troubadours » du Clemencic Consort
avec René Zosso

Pour la version que nous partageons aujourd’hui, elle est interprétée par le Clemencic Consort, accompagné de René Zosso. Au moment de la publication initiale, nous ne l’avions pas identifiée, aussi merci au visiteur qui a su rappeler à notre attention ce manque dans cet article ! C’était un des rares pour lequel nous n’avions pas l’interprète et l’occasion ne nous avait pas été donnée d’y revenir depuis sa parution. C’est chose faite, grâce à lui aussi merci encore.

clemencic-consort-rene-zosso_troubadours_calenda-maia_moyen-age_Raimbaut-de-VaqueirasOn peut retrouver cette chanson, aux côtés d’autres pièces en langue occitane, dans l’album Troubadours de l’excellent Ensemble médiéval de René Clémencic : Raimbaut de Vaqueiras y côtoie Bernart de Ventadorn, Peirol, Peire Vidal,  et encore une composition demeurée anonyme du XIIe siècle.  Enregistré en 1977, l’album a fait, depuis, l’objet de diverses rééditions. A ce jour, il est encore disponible à la vente en ligne au format vinyle mais aussi au format dématérialisé :  lien utile pour plus d’information ici.

Précisons qu’on peut trouver de nombreuses interprétations de Kalenda Maya, mais nous cherchions quelque chose de plus épuré qui puisse un peu nous rapprocher du contexte de sa création originale. Cette version qui reflète du reste bien l’esprit et le travail habituel de ce très bel  ensemble médiéval sort clairement  du lot.

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Raimbaut de Vaqueiras :
guerrier, chevalier et troubadour

Fils d’un chevalier de Provence de petite noblesse et désargenté, les talents de jongleur et troubadour que Raimbaut de Vaqueiras  (Vaucluse) développa  assez vite le firent admettre à la cour de Guillaume des Baux, prince d’Orange, où il put développer son art du chant et de la poésie tout en apprenant le maniement des armes. Il passa, par la suite, à la cour de Boniface de Montferrat où il demeura, semble-t-il, la plus grande partie de sa vie. Il resta attaché au service de ce dernier dont il fut le vassal et qui le fit aussi chevalier, Entre autres campagnes et batailles, il accompagna notamment le Marquis de Montferrat, à l’occasion de la quatrième croisade.

Raimbaut de Vaqueiras a laissé une œuvre qui se compose de trente trois poésies lyriques mais également d’une « lettre épique » adressée à Boniface et dans laquelle il conte, en plus de deux cent pieds de vers, sa vie de Chevalier et de troubadour. Ce document reste, à ce jour, un des seuls témoignages autobiographiques, écrit de la main troubadour_raimbaut_de_vaqueiras_chevalier_poete_kalenda_mayad’un troubadour, connu historiquement (cf The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras by Joseph Linskill,  Charles Roth, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance).

Fait qui mérite encore d’être souligné, on lui doit encore une poésie de cinq strophes dont chacune d’entre elle est écrite  dans une langue différente : occitan, français, italien, gascon, galeïco-portugais et on dit encore de lui qu’il est un des troubadours qui aura le plus fait pour acclimater son art et la langue provençale dans la péninsule italienne! (ci-dessus Raimbaut de Vaqueiras, enluminures, BnF, Manuscrit 854, Recueil de poésies, en provençal, de troubadours, XIIIe siècle )

Outre le destin exceptionnel de cet homme, issu de famille pauvre et de petite noblesse, finalement adoubé et fait chevalier, Raimbaut de Vaqueiras fut aussi un des premiers troubadours à se rendre populaire dans les cours d’Italie du nord. On lui prête des talents qui vont de la poésie et l’art du troubadour jusqu’aux arts guerriers et on se trouve bien en peine de choisir celui qui le distingue le plus tant il montre des qualités dans les deux domaines.  De sa mort, on sait peu de chose et on suppose qu’il est peut-être mort au combat, aux côtés de son suzerain lors d’une bataille qui opposait ce dernier aux bulgares pour défendre son royaume de Romanie.

Les paroles et l’histoire de la Chanson:
Un chant d’amour courtois.

troubadour_raimbaut_de_vaqueiras_moyen-age_passion_poesie_chanson_medievale

Comme tous les troubadours, Rambaut de Vaqueiras était un provençal. Sa langue est donc, comme celle des troubadours, l’occitan. Nous n’avons pas cette langue dans notre besace et les langues latines que nous possédons sont de peu d’aide pour approcher la traduction de l’occitan. Concernant Kalenda Maya, nous en avons trouvé, pour l’instant une traduction anglaise et une autre italienne.  A ce jour, il semble bien en effet que la bible des textes de Raimbaut de Vaqueiras et leur traduction soit anglaise : « The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras. By Joseph Linskill ». Pour le coup, une telle traduction reste un peu du billard indirect et ne saurait atteindre des sommets en terme d’excellence linguistique, mais cela aura le kalenda_maya_amour_courtois_moyen_age_raimbaut_de_vaqueirasmérite de nous donner une idée du texte original à défaut de prétendre lui être totalement fidèle. Il faudra toutefois un peu de temps pour arriver au résultat et je la posterais plus tard dans le temps..

En deux mots quand même, et pour ne pas vous laisser trop sur votre faim, l’histoire est un chant d’amour courtois. Le troubadour y déclare donc sa flamme douloureuse à la belle dame qu’il convoite et qu’il n’a pas encore « pécho », conquise pardon! Le voilà donc tout à ses tourments dans l’attente d’un messager aux premiers jours de mai, et même les chants d’un oiseau, les glaïeuls en fleur ou les belles feuilles de hêtres ne peuvent le soustraire à son supplice. Tremblant qu’on ne lui prenne la belle Béatrice avant même qu’elle ne soit à lui mais confiant en ses grandes vertus, il lui déclare son amour transis tout au long du chant. Pour l’anecdote, on ne sait pas vraiment qui était cette dame Béatrice mais plusieurs poèmes de Raimbaut de Vaqueiras y font référence après qu’il ait rejoint la cour de Montferrat.


Les paroles originales  de Calenda Maïa, (Kalenda Maïa) en occitan

Kalenda maia
Ni fueills de faia
Ni chans d’auzell ni flors de glaia
Non es qe.m plaia,
Pros dona gaia,
Tro q’un isnell messagier aia
Del vostre bell cors, qi.m retraia
Plazer novell q’amors m’atraia
E jaia,
E.m traia
Vas vos, donna veraia,
E chaia
De plaia
.l gelos, anz qe.m n’estraia.

Ma bell’ amia,
Per Dieu non sia
Qe ja.l gelos de mon dan ria,
Qe car vendria
Sa gelozia,
Si aitals dos amantz partia;
Q’ieu ja joios mais non seria,
Ni jois ses vos pro no.m tenria;
Tal via
Faria
Q’oms ja mais no.m veiria;
Cell dia
Morria,
Donna pros, q’ie.us perdria.

Con er perduda
Ni m’er renduda
Donna, s’enanz non l’ai aguda
Qe drutz ni druda
Non es per cuda;
Mas qant amantz en drut si muda,
L’onors es granz qe.l n’es creguda,
E.l bels semblanz fai far tal bruda;
Qe nuda
Tenguda
No.us ai, ni d’als vencuda;
Volguda,
Cresuda
Vos ai, ses autr’ajuda.

Tart m’esjauzira,
Pos ja.m partira,
Bells Cavalhiers, de vos ab ira,
Q’ailhors no.s vira
Mos cors, ni.m tira
Mos deziriers, q’als non dezira;
Q’a lauzengiers sai q’abellira,
Donna, q’estiers non lur garira:
Tals vira,
Sentira
Mos danz, qi.lls vos grazira,
Qe.us mira,
Cossira
Cuidanz, don cors sospira.

Tant gent comensa,
Part totas gensa,
Na Beatritz, e pren creissensa
Vostra valensa;
Per ma credensa,
De pretz garnitz vostra tenensa
E de bels ditz, senes failhensa;
De faitz grazitz tenetz semensa;
Siensa,
Sufrensa
Avetz e coneissensa;
Valensa
Ses tensa
Vistetz ab benvolensa.

Donna grazida,
Qecs lauz’ e crida
Vostra valor q’es abellida,
E qi.us oblida,
Pauc li val vida,
Per q’ie.us azor, donn’ eissernida;
Qar per gencor vos ai chauzida
E per meilhor, de prez complida,
Blandida,
Servida
Genses q’Erecs Enida.
Bastida,
Finida,
N’Engles, ai l’estampida.


Voilà, pour la traduction complète en français, ce sera pour un peu plus tard. 🙂

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Lecture « video » : la ballade des pendus de Villon et un mot de justice médiévale

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, poésie réaliste
Auteur ; Villon, encore Villon, toujours Villon
Médias : vidéo youtube, lectures poétiques
Titre : la ballade des pendus
Période : moyen-âge tardif
Interprète : Gérald Robert, comédien voix-off

Lecture poésie médiévale: la ballade des pendus de François Villon

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuel plaisir de se lever matin et relevant ses courriers d’y trouver un message  qui nous parle de François Villon et qui, même mieux que simplement nous en parler, nous le dit.

Un visage sur une voix-off

poesie_medievale_lectures_audio_gerald_robert_epitaphe_françois_villonGérald Robert qui nous fait, aujourd’hui, l’amitié de ce partage   est comédien « voix off » mais comme une voix, cache toujours une âme et un corps, il est bien sûr, avant tout, comédien et publie également des vidéos youtube où il se met en scène. Et quand il ne lit pas du François Villon ou des textes (nul doute que d’autres sont en préparation), il prête sa voix et son sens de la comédie à divers supports et médias: radios, publicités, corporate, documentaires, lectures audios, etc… Dans un projet sorti en août dernier, il a même incarné la voix du souverain pontife François pour une lecture audio de son encyclique. Le voilà devenu officiellement un des papes de la voix off! Peut-être d’ailleurs l’avez-vous déjà entendu sans le voir, c’est tout le mystère de son art. En bref, gardez à l’oeil et à l’oreille ce comédien des temps modernes qui fait, aujourd’hui, revivre pour nous Villon dans cette interprétation de la ballade des pendus.

Priez Dieu que tous nous veuille absoudre

mort_justice_moyen_age_villon_ballade_des_pendus_poesie_medievale

L_lettrine_moyen_age_passiona ballade des pendus ou l’épitaphe de Villon  est sans nul doute le texte le plus connu de notre plus cher poète du XVe siècle et de la fin du moyen-âge. Léo Ferré a porté cette poésie, nous en avons déjà parlé dans un article sur le sujet, mais d’une certaine manière, bien au delà du phrasé du bel anarchiste grisonnant et révolté du Paris des années soixante, soixante-dix, l’entêtante et merveilleuse litanie de Villon continue de vivre dans nos mémoires et de s’y accrocher. Cela tient sans nul doute au fait que plus qu’une poésie réaliste qui nous conte la déroute et le châtiment de ces pendus que les misères poursuivent jusqu’après leur mort, l’épitaphe reste et sera pour toujours, une prière que Villon adresse pour nous tous.

Le gibet de Montfaucon et le temps des pendaisons

« Les hautes justices locales, dit M. A. Champollion-Figeac, pouvaient élever autant de fourches qu’elles désiraient en établir. Les ordonnances du roi Jean, de 1345 et de 1356, paraissent suffisamment l’indiquer. Mais le sage monarque Charles V y ajouta un privilège nouveau pour certaines localités, celui d’avoir des fourches patibulaires à deux piliers.
Eugène Viollet le Duc,
Dictionnaire raisonné d’architecture médiévale, XIXe siècle

C_lettrine_moyen_age_passionette illustration (ci-dessous) de l’impressionnante fourche patibulaire de Montfaucon est tirée de l’incontournable Dictionnaire raisonné d’archi-tecture médiévale d’Eugène Viollet le Duc, On pouvait voir ce gibet, frappé de gigantisme,  au bord de la route et à l’approche du domaine quand la justice donnait encore en spectacle public ses punitions et ses sentences, Les premières traces de ce monument remontent au XIIe siècle mais il a perduré jusque tard dans le XVe siècle. il reste, à ce jour, l’ouvrage le plus monumental connu  dédié à la pendaison ou à la fourche_capitulaire_montfaucon_viollet_le_duc_pendus_moyen_age_Villonsuspension des condamnés, mais les fourches patibulaires ont été populaires et répandues sur tout le territoire de France pendant de longs siècles.

Je ne  cite pas tout à fait innocemment le Gibet de Montfaucon, car outre le fait qu’il aurait peut-être inspiré la ballade des pendus, on attribue encore à Villon une autre poésie moins connue le concernant: la Repeue faîte auprès de Montfalcon. Si l’on se fie à ce texte largement plus grivois et que nous aurons certainement l’occasion de partager ici, il semble que non loin de ce genre d’endroits que l’on venait quelquefois même contempler avec ses enfants pour les éduquer (cf Catherine de Médicis qui « pour repaître ses yeux, l’alla voir un soir et y mena ses fils, sa fille et son gendre. » Viollet le Duc), on trouvait encore dans les parages des gibets, et notamment celui-ci, quelques lieux de plaisirs achetés et de perdition.

Plus étonnant et anecdotique encore,  on ne pendait pas que des humains sur les fourches patibulaires et les gibets, mais également des animaux condamnés. Jugez plutôt :

« Les fourches patibulaires ne servaient pas seulement à pendre des humains, on y suspendait aussi des animaux, et notamment des porcs, condamnés à ce genre de supplice à la suite de jugements et arrêts rendus pour avoir dévoré des enfants. En cas pareil, les formalités judiciaires du temps étaient scrupuleusement suivies, et, comme il était d’usage de pendre les condamnés vêtus de leurs habits, on habillait les animaux que l’on menait au gibet. « En 1386, une sentence du juge de Falaise condamna une truie à être pendue pour avoir tué un enfant. Cette truie fut exécutée sur la place de la ville, en habit d’homme… »
Citation de  M. E. Agnel par Eugène Viollet le Duc (opus cité)

C’est vraiment à me donner des idées d’écrire un roman et je pense d’ailleurs que cela sera le prochain:  « L’histoire de la truie meurtrière pendue en habits de notaire ». De grâce, si vous êtes notaire, ne m’en voulez pas  de « Brassensiser » un peu à vos dépens, mais il s’agit ici de poésie satirique et en plus, il me fallait une rime pour faire un bon titre.

Supplices et sentences : la justice jusque dans les chairs et jusque dans l’au-delà

N_lettrine_moyen_age_passionous n’allons pas prétendre réécrire, ici, en deux lignes, les longues et passionnantes pages de « Surveiller et punir » du brillant Michel Foucault quand il nous parle de ces sociétés médiévales et monarchiques, qui marquent les suppliciés de leur justice jusque dans leurs chairs et qui mettent en scène leurs souffrances de manière publique; cette idée qu’alors, s’attaquer aux lois c’est s’attaquer au corps sacré du roi (ou du seigneur) qui les personnifie et les incarne, comme il incarne l’Etat. Mais, des premières fourches patibulaires médiévales michel_foucault_surveiller_et_punir_epitaphe_de_villonaux gibets les plus récents de la période monarchique, il y a, indéniablement, dans la symbolique et la scénarisation de cette justice du passé, la volonté d’exposer un pouvoir qui se perpétue de manière symbolique jusque sur le plan de la mystique. D’une certaine manière, ces pendus que Villon nous décrit si bien semblent véritablement poursuivis dans leur corps et leur âme, bien après leur trépas et en quelque sorte jusque dans l’au-delà.

Alors aujourd’hui pour le repos de leurs âmes comme peut-être aussi, pour notre propre salut, prions Dieu avec François Villon que tous nous veuille absoudre et en attendant, vivons chaque instant dans la joie de chaque nouvelle respiration car il faut toujours se réjouir d’être en vie.

Un très beau dimanche à tous et longue vie!

Merci encore à Gerald Robert pour nous avoir fourni l’occasion de cet article.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Autres articles sur François Villon sur le site :
La prière de Villon en musique
L’épitaphe et Léo Ferré
Une Ballade de Villon
La Requête de Villon et un mot de Rutebeuf
Une vie, une oeuvre, émission de Radio autour de François Villon

La housse partie : un fabliau médiéval du trouvère Bernier, adapté en français moderne

fabliau_moyen-âge_trouvere_bernier_la_housse_partie_monde_medievalSujet : fabliau
Titre ; la housse partie
Auteur présumé : le trouvère Bernier
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Tiré de  l’ouvrage : morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle. XIXe siècle.
Auteur : Louis Petit de Julleville

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui nous vous proposons une adaptation, traduction et mise en vers d’un fabliau du moyen-âge, plus précisément du XIIIe siècle, qui a pour titre: « La housse partie ». En français moderne, on pourrait traduire ce titre par « la couverture partagée » ou « coupée en deux ». Au passage, il est intéressant de noter que l’espagnol a gardé du latin ce sens de « partager » : « compartir » partager des biens de la nourriture avec autrui et encore « partir »: séparer, couper en deux. Dans le mot « partir » en français, l’étymologie est la même et vient du latin « partire » (séparer) et  il y a encore finalement ce sens de séparation mais le verbe « partir » dans le sens de « faire des parts » n’est plus usité.

Ce fabliau « la housse partie » est attribué au trouvère Bernier et nous l’avons tiré d’un ouvrage du XIXe siècle, « Morceaux choisis des auteurs français, moyen-âge et seizième siècle », de Louis Petit de Julleville (1841-1900), érudit, docteur es lettres et professeur de littérature médiévale. La version de ce fabliau que nous trouvere_bernier_XIIIe_moyen_age_fabliau_la_housse_partieprésentons ici est la même que la sienne, à ceci près bien sûr que nous l’avons adapté en vers. C’est une version un peu raccourcie qui passe, assez rapidement,  sur l’introduction du fabliau pour aller au coeur de l’histoire et jusqu’à sa fin.

Vous noterez, au passage, les similitudes du langage employé dans ce fabliau avec celui de Rutebeuf – le testament de l’âne – que nous avions déjà adapté en vers ici et même mis en lecture audio. Je ne parle pas, bien sûr, que du vocabulaire mais également des tournures et du style.

Le Début de l’histoire

Pour permettre à son fils de marier une noble, un riche bourgeois d’Abbeville lui a cédé tous ses biens; l’homme vit donc, désormais, chez le couple mais sa belle fille, lassée de l’entretenir presse son mari de mettre son père dehors ce que l’époux ingrat autant que soumis consent finalement à faire.

La couverture partagée »
Traduction, adaptation en vers

Celui qui sa femme redoute
Maintenant vient trouver son père
Et lui dit  d’un air empressé
« Père, père, allez-vous en.
Allez chercher pitance ailleurs,
On vous a donné à manger
En ce logis douze ans ou plus
Mais faîtes vite et sans tarder »
Le père l’entend, durement pleure,
vient à maudire le jour et l’heure
Qui  l’ont fait vivre si  longtemps:
« Ha! Beau doux fils que me dis-tu?
Par Dieu, si honneur tu me portes
Laisse-moi ici devant la porte
J’y occuperais peu de place
ne demanderais point de feu
ni courte-pointe ni tapis
Je me tiendrai dehors, ici
sous le couvert de l’appentis
fais-moi porter un peu de paille.

(Le fils, hélas, reste intraitable,
Et voilà le père qui s’en va,
Mais avant de sortir de là
Il supplie encore son fils
de lui concéder un service)

« Beau doux fils, tout mon coeur tremble
Je redoute tant la froidure
Donne moi une couverture
De celle dont tu couvres ton cheval
Que le froid ne me fasse mal. »
Pressé de s’en débarrasser
et voyant qu’il ne peut le faire
s’il ne lui donne quelque chose
Avant que son père s’en aille
L’homme fait appeler son fils
Quand il l’appelle l’enfant accourt
« Que vous plait sire? » dit l’enfant
« Mon cher fils, je te demande
Si tu trouves l’étable ouverte,
donne à mon père la couverte
qui est sur mon cheval noir.

(L’enfant descend à  l’écurie,
Prend la couverte sur la bête,
La coupe en deux et s’en revient
Une moitié dans une main.
« Pourquoi donc l’as-tu coupée? »
Demande le père irrité.
Donne-lui au moins les deux moitiés! »)

« Je n’en ferais rien, dit l’enfant
Avec quoi seriez-vous payé?
Je vous en garde l’autre moitié!
Car de moi vous n’aurez pas plus
Et si je suis un jour le maître
je serais juste avec vous
Comme vous le fûtes envers lui.
Et comme il vous légua ses biens
Pareillement je les veux bien
Et de moi, alors n’obtiendrez
Qu’autant que vous lui donnerez
Si le laissez mourir chétif
Tel ferais de vous si je vis
Le père l’entend et puis soupire
entre en lui-même et réfléchit
Et des paroles que l’enfant dit
L’homme, un grand exemple, prit
Lors, vers son père tourna le chef,
« Père fait-il, revenez donc là,
C’était le Diable et le péché
qui, par ma bouche, s’exprimaient
Mais qu’a Dieu plaise, ce ne peut-être
Et je vous fais seigneur et maître
de ma maison à tout jamais… »

fabliau_medieval_trouvere_bernier_moyen-age_la_housse_partie

Le texte original en vieux français

Cil qui sa fame doute et crient
Maintenant a son père vient,
Ce li ad dit isnelement :
« Pères, pères, alés vous enl…
Alès vous aillors porchacier.
On vous a doné a mangier
En cest ostel douze ans ou plus.
Mes fetes tost, si levés sus… »
Li peres l’ot, durement pleure,
Sovent maudit le jor et l’eure
Qu’il a tant au siècle vescu :
« Ha, biaus dous fis, que me dis-tu?’
Por Dieu itant d’onor me porte
Que ci me lesses a ta porte.
Je me girrai en poi de leu.
Je ne te quier ne point de feu,
Ne coûte pointe ne tapis,
Mes la fors sous cel apenlis
Me fai baillier un pou d’es train. »

(Comme le fils reste intraitable,  le vieillard s’éloigne mais avant de sortir, il supplie qu’on lui donne au moins une couverture pour se prémunir du froid.)

Biaus dous fis, tos li cuers me tremble,
Et je redout tant la froidure.
Done moi une couverture
De qoi tu cuevres ton cheval,
Que li frois ne me face mal. »
Cil qui s’en bee a descombrer
Voit que ne s’en puet délivrer
S’aucune chose ne li baille.
Por ce que il veut qu’il s’en aille,
Commande son fil qu’il li baut.
Quant on le huche, l’enfes saut :
« Que vous plest, sire? dist l’enfant.
« Biaus fis, fet-il, je te commant
Se tu trueves l’estable ouverte
Done mon pere la couverte
Qui est sus mon cheval morel… »

(L’enfant descend à l’écurie, trouve la couverture, la coupe en
deux et en rapporte la moitié  : « Pourquoi l’as-tu coupée?, demande le père irrité. Donne-lui au moins les deux parts! »)

 » Non ferai, dit l’enfes, sens doute .
De qoi seriiés vous paiié?
Je vous en estui la moitié,
Que ja de moi n’en avrés plus,
Si j’en puis venir au desus.
Je vous partirai autressi
Comme vous avés lui parti.
Si comme il vous dona l’avoir
Tout ausi je le vueil avoir.
Que ja de moi n’en porterés
Fors que tant com vous li donrés.
Se le laissiés morir chetif,
Si ferai je vos, se je vif. »
Li peres l’ot, parfont souspire,
Il se repensse et se remire ;
Aus paroles que l’enfes dist,
Li peres grant exemple prist.

Vers son pere torna sa chiere:
« Peres, fet-il, tornés arriere.
C’estoit enemis et pechié
Qui me cuide avoir aguetié :
Mes se Dieu plest, ce ne puet estre
Or vous fas-je seignor et mestre
De mon ostel a tos jors mes…. »

Voilà, mes amis, un peu de saveur médiévale sur la gratitude des enfants que nous aurons réussi à partager, nonobstant la mauvaise humeur manifeste de l’équidé atrabilaire qui s’est invité sur cette page et qui, visiblement n’aura pas apprécié l’histoire, on se demande bien pourquoi. Quoiqu’il en soit et concernant notre fabliau, il est heureux que les temps aient changé!

Fred
pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Le Roy Engloys ou le roé anglais

troubadours_modernes_musique_medievale_renaissanceSujet : musique et chanson médiévales, Manuscrit ancien, manuscrit de Bayeux.
Titre de la chanson; le Roy Engloys
Période : Moyen Âge tardif, fin du XVe siècle.
Interprète : ensemble Obsidienne.
Album : « le jardin des délices »

Les richesses du manuscrit de Bayeux

D_lettrine_moyen_age_passionécidément, quand il est question d’histoire médiévale, la ville de Bayeux nous régale de bien des choses et pas seulement de la mythique tapisserie de soixante-dix mètres de long que  la reine Mathilde broda aux XIe siècle et qui conte l’histoire de la conquête de l’Angleterre par le Duc de Normandie, Guillaume le conquérant. Aujourd’hui, nous nous intéressons à un chanson_musique_medievale_manuscrit_bayeux_le_roi_anglaisrecueil de chansons datant du XVIe siècle et qui nous vient justement et encore de la ville de Bayeux qui l’a conservé un temps. De cela, nous pouvons déduire que Bayeux est une ville qui conserve, Gloire à elle et à ses habitants! Mais ne nous dispersons pas.

Sous la référence Français 9346, le manuscrit de Bayeux est un ouvrage de cent trois chansons datant donc du début de la renaissance mais compilant des chants et des musiques normandes et d’île de France, réputées écrites dans les cinquante à cent ans précédent leur recompilation par Charles de Bourbon (fin du XVe, début du XVIe siècle).

Entre amour courtois et d’autres chants plus belliqueux ou évocateurs, ou même chansons à boér « Bevons, ma commère », le manuscrit de Bayeux porte aussi la marque indélébile de la guerre de cent ans. Près d’un siècle après les faits, et même si nous sommes presque déjà à l’aube de la renaissance, ce manuscrit ancien peut donc être clairement rattaché au moyen-âge tardif. Avec la chanson « le roy Engloys » (le roi anglais), guerre_de_cent_ans_henri_V_le_roy_engloys_chanson_medievale_bayeuxque nous vous proposons, aujourd’hui, il est question de chanter la mort d’Henri V d’Angleterre  (portrait ci-contre datant  du XVIe siècle), tête couronnée portée aux nues par les anglais et par Shakespeare, mais honni alors du côté français, la sanglante bataille d’Azincourt n’y étant certainement pas étrangère. De fait, les contemporains du manuscrit de Bayeux n’avaient visiblement oublié ni les faits, ni les prétentions sur le trône du souverain anglais. Hormis quelques incohérences historiques dans le texte, qui semblent s’expliquer par le fait que cette chanson a été écrite longtemps après le trépas d’Henri V, il s’agit bien sûr ici de célébrer la victoire sur les anglais « boutés » hors de France. Ah! Les couez (couards), Mauldite en soit la trestoute lignyé ! Je plaisante, calmons-nous ! N’enfilez pas tout de suite vos cottes de maille, les amis, ces temps sont loin!

L’ensemble Obsidienne

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L’interprétation que nous vous proposons aujourd’hui  de cette chanson est tirée de l’album « Le Jardin des Délices » de l’ensemble Obsidienne. N’y cherchez pas par contre la voix de Patrick Bruel « Yalil Yalil Ya bibi Halil ». D’abord c’est un café des délices, lui, et pas un jardin donc il ne s’agit pas du tout de la même chose. En plus cela ne se passe, mais alors pas du tout au moyen-âge et d’ailleurs pas en France non plus, donc bon, pardonnez-moi mais il me semble que vous nagez un petit peu en pleine confusion quand même.

Pour revenir à des considérations plus sérieuses, Obsidienne est  un ensemble vocal et instrumental formé en 2009 et dont l’ambition affichée est de « faire vivre le répertoire du Moyen-âge et de la troubadours_modernes_musique_chanson_medievale_le_roi_anglais_manuscrit_bayeuxrenaissance;  simplement, avec naturel, en réconciliant l’art de l’interprétation avec celui de l’improvisation ». (sic).

Dirigé par le baryton, contre-ténor, musicien et instrumentiste, Emmanuel Bonnardot, l’ensemble ne se ferme aucune porte quand il s’agit de faire vivre son art, mêlant à sa musique, poésie, théâtre ou danse, et dit même faire appel aux oeuvres picturales des grands peintres du moyen-âge pour parfaire son travail de restitution historique, musical et artistique. Autre originalité de ces artistes et troubadours modernes qui ont mis leurs multiples talents au service de la recherche et l’interprétation des musiques anciennes, l’ensemble, qui comporte au complet plus de seize personnes, peut également se produire en formation plus réduite pour des représentations ou des concerts plus intimistes ou plus spécialisés. Pour plus d’informations sur leur actualité et leur discographie, n’hésitez pas à consulter leur site web ici.

Les paroles de la chanson « le Roi anglais »

Roy angloys chanson Manuscrit de Bayeux musique d'un Recueil de  Théodore Gérold 1921
Partition tirée de l’ouvrage « Le Manuscrit de Bayeux, Texte et musique d’un Recueil de Chansons du XVe siècle », Théodore Gérold, 1921.

Le Roy Engloys se faisoit appeler
Le Roy de France par sappellation.
Il a voulu hors du païs mener
Les bons François hors de leur nation.

Or il est mort à Sainct-Fiacre en Brye,
Du pays de France ils sont tous déboutez.
Il n’est plus mot de ces Engloys couez.
Mauldite en soit trestoute la lignye !

Ils ont chargé lartillerie sur mer,
Force biscuit et chascun ung bidon,
Et par la mer jusquen Bisquaye aller
Pour couronner leur petit roy Godon.

Mais leur effort n’est rien que moquerie :
Cappitaine Prégent lez a si bien frottez
Qu’ils ont esté terre et mer enfondrez.
Mauldite en soit trestoute la lignye !


Une excellente journée à tous!

Fred
pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval d’hier et d’aujourd’hui »