Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : musique, rock médiéval, inspiration médiévale, occitan, musique rock, Occitanie, occitan, modernité, goliards, metal médiéval. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle, époque actuelle. Nouvel Album : Deus Vult (avril 2025) Interprète : Originem
Bonjour à tous,
l y a quelque temps déjà, nous avions reçu Jean Michel Wizenne, fondateur du collectif Rock Médiéval Originem, pour un entretien sans fard sur le Moyen Âge et son actualité. Depuis lors, ceux d’entre vous qui écument les festivals médiévaux ou les festivals métal ont peut-être pu découvrir ce groupe rock atypique, en habit de bure, qui décline des classiques médiévaux sur des rythmes endiablés, électrisés par des envolées de guitares solos.
Originem, Rock Métal Médiéval à la Française
Lancé en 2022, ce groupe d’inspiration médiévale renouvelle le genre loin des orchestrations lyriques habituelles et loin du folk ou de la World music planante façon Faün. Avec Originem, les sonorités médiévales s’emballent pour revenir aux sources du rock décapant. Au menu, un rock pur, sans concession, métal, punk même par endroits, bien loin du rock gentillet des yéyés.
Le groupe se produit désormais en trio. A la basse et à la batterie, Yves Gallego et Thomas Calegari s’assurent d’éveiller les foules. Des séquences de flutes légères viennent aussi ajouter quelques notes énergiques et rafraîchissantes à l’ensemble. De son côté, Jean Michel Wizenne, ajoute à ses solos de guitare et ses orchestrations sa passion de toujours pour le rock, son goût pour les musiques et les temps médiévaux mais aussi les réflexions que ne manquent pas de lui inspirer le monde actuel et ses dérives (revoir son entretien exclusif ici).
« Deus Vult« , Un nouvel album à Télécharger
Côté actualité, le collectif Rock Médiéval vient tout juste de gratifier ses fans d’un nouvel album. Sous le titre Deus Vult, la production est disponible en téléchargement depuis quelques semaines et propose cinq nouveaux titres.
Originem continue de puiser ses inspirations dans les textes latins et occitans du Moyen âge central à tardif et, notamment, dans l’univers des Goliards. Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, ces clercs errants non conformistes arpentaient les routes et les tavernes, plus soucieux de libation et de liberté que d’entrer dans les rangs (voir tous à la taverne avec la poésie goliardique).
Sur ce nouvel opus d’Originem, on retrouvera le célèbre In Taberna des Carmina Burana et du Codex buranus, dans une version passée à l’émeri. Le célébre Dies Irae y trouve aussi une nouvelle interprétation 1. S’y ajoute encore une réflexion sur la mort toute médiévale (le Abilhat D’Argela Roja). Enfin, une revisite de la chanson occitane Ai Vist Lo Lop, et une danse médiévale énergique viennent clore le tout.
Dans la veine du premier album, Deus Vult confirme la patte unique d’Originem et son style toujours aussi corrosif. La passion des musiques médiévales y entre en ébullition avec la fibre résolument Métal du collectif rock. Quant aux fondements philosophiques qui poussent le groupe vers l’avant, ils restent eux-aussi toujours en prise avec l’actualité et les temps qui viennent. Inspiré par le XIVe siècle, JM Wizenne y débusque des similitudes et des clés pour décrypter notre monde. Si la démarche vous intéresse, rapprochez-vous de la chaîne YouTube d’Originem, vous y trouverez des éclairages intéressants sur ces aspects.
L’album est dors et déjà disponible au format téléchargement sur le site officiel d’Originem. Vous pourrez également y retrouver les futures dates de festival du groupe.
Membre du groupe Originem :
Jean-Michel Wizenne (guitare, chant et composition) – Yves Gallego (guitare basse) – Thomas Calegari (batterie & percussions).
Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, monastère englouti. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre :Assí pód’ a Virgen so térra guardar… cantiga de Santa Maria 226 Interprète : Musica Antigua, Eduardo Paniagua Album : Merlin-Celtic Cantigas, Alfonso el Sabio (2006)
Bonjour à tous,
ous vous entraînons, une fois de plus, vers l’Espagne médiévale, pour y découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria d’Alphonse X : la cantiga 226. Comme on le verra, il s’agit d’un des récits de miracles les plus spectaculaires du célèbre corpus de chants à la vierge.
Dans cet article, vous trouverez une étude détaillée de la Cantiga de Santa Maria 226 avec sa partition ancienne et ses sources manuscrites, une traduction en français actuel, mais aussi une belle version en musique. Avant d’avancer sur tout cela, disons quelques mots des cantigas qu’Alphonse X dédia à la la vierge.
Qui a écrit les Cantigas de Santa Maria ?
Dans le courant du XIIIe siècle, le souverain de Castille aurait compilé, écrit et mis en musique lui-même, des récits de miracles variés dont un grand nombre semble provenir de lieux de pèlerinage ou d’histoires qui couraient sur les routes de la chrétienté médiévales et même au delà.
Même s’il est communément admis qu’Alphonse X en a composé une partie, les érudits et historiens sont encore divisés sur la paternité de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria au souverain de Castille. Ce dernier est, par ailleurs, à l’origine d’un certain nombre d’autres chansons dont l’attribution est certaine (voir Manselina sur la piste de Maria la Balteira). On est donc certain qu’il composait et s’adonnait à la poésie.
Du point de vue du corpus, l’œuvre d’Alphonse X regroupe plus de 400 chants mariaux. La grande majorité d’entre eux sont des récits de miracles (plus de 350). Dans les manuscrits les plus complets, ils sont rythmés par des chants de louanges qui reviennent à intervalles réguliers (un peu plus de 60). Aujourd’hui, ces chants à Marie venus d’Espagne, demeurent un témoignage vibrant du culte marial du Moyen Âge central, de la langue galaïco-portugaise et de la musique de cette période.
Aux sources manuscrites des Cantigas
Les Cantigas de Santa Maria et leur notation musicale ont traversé le temps grâce à quelques manuscrits superbement conservés. On en compte quatre, tous datés de la dernière partie du XIIIe siècle :
Le Manuscrit de Tolède (To) : sous la référence ms 10069, il s’agit du manuscrit le plus daté ou de la première compilation. On y trouve quelques 120 pièces et il est conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid.
Le Codice Rico (T) : sous la référence T.j.1, ce superbe codex présente un peu moins de 200 cantigas de Santa Maria (195) avec leur partition et de nombreuses enluminures. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial (Espagne).
Le Manuscrit de Florence (F) : ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque National de Florence sous la référence Banco Rari 20, présente un peu plus de 100 cantigas de Santa Maria dont quelques variantes et inédites.
Le Codice de los Musicos ou Codice princeps (E) : sous la référence ms B.I.2 (ou j.b.2 ), ce codice est le plus complet de tous les manuscrits. Il présente 406 cantigas avec miniatures et partitions d’époque et se trouve également conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial.
Dans cet article, nous vous présentons les sources manuscrites de la Cantiga de Santa Maria 226 dans le Codice de los Musicos (partition et texte) ainsi que dans le Manuscrit de Florence (texte, enluminures mais partition non achevée).
La Cantigas de Santa Maria 226 ou le miracle du monastère englouti
Le récit de la Cantiga de Santa Maria 226 nous invite du côté de l’Angleterre. A quelque temps de Pâques, ce chant marial nous propose un miracle pour le moins spectaculaire, sinon le plus spectaculaire, de tout le corpus des cantigas d’Alphonse X. Il a pour thème cette période particulière du calendrier chrétien qu’est la résurrection et l’illustre d’une manière plutôt étonnante.
L’histoire de la cantiga 226 en quelques mots
Enluminure : le jour de la messe de Pâques
Un jour de Pâques alors que les frères dévots d’un grand monastère donnaient une messe pour célébrer dignement le jour saint, la terre s’ouvrit et le monastère fut totalement englouti sous elle. Tremblements de terre, effondrement de terrain, phénomène surnaturel ? La Cantiga de Santa Maria 226 semble plutôt suggérer que Dieu le voulut ainsi pour démontrer aux yeux des croyants son grand pouvoir et celui de Marie.
Enluminure : le monastère se trouve englouti
Plus aucune trace du monastère du dehors, la terre s’était refermée sur lui. Cependant, à l’intérieur, la vie continua sans encombre. Les moines ne manquaient de rien et les lieux étaient parfaitement conservés. Les vignes restaient prospères, les moulins fonctionnaient et même le soleil continuait d’y briller. Ainsi donc, nous dit le poète, la sainte pourvoyait aux frères en toute chose et nul ne devint fou, ni ne tomba malade. Les moines furent même assurés qu’ils n’étaient pas morts et que tout allait bien.
Un an plus tard, à l’occasion d’une nouvelle messe de Pâques, les frères retournèrent en leur église pour y célébrer, de nouveau, la résurrection – non pas seulement celle de Dieu, mais aussi, symboliquement, celle de leur lieu de culte. La Sainte fit, en effet, ressurgir le monastère à la lumière et sur la terre. Alors, venus de loin, tous purent contempler le miracle et l’étendue du pouvoir de Marie et la louer.
Une légende bretonne à l’origine de ce Miracle ?
Il est probable que certaines légendes bretonnes aient inspiré Alphonse X pour ce miracle à la nature particulièrement épique ou mythique, selon les points de vue. Certains érudits l’avancent en tout cas. On peut penser à certains récits de cités submergées par les flots comme, par exemple, celui de la cité d’Ys et sa cathédrale engloutie.
Ys, la légende de la cité engloutie
Enluminure : le monastère sauvé à Pâques
On la connait plusieurs variantes de cette légende bretonne. Dans une version sans doute déjà christianisée, son histoire met en scène une princesse du nom de Dahut. S’étant adonnée à de nombreuses pratiques impies (meurtre de ses amants, sacrifices, rites magiques, …1), un jour de grande tempête, la jeune femme aurait fini par se laisser séduire par le diable lui étant apparu sous la forme d’un beau chevalier.
Enluminure : louanges à Sainte Marie
Ys était alors une ville côtière protégée de la colère des flots par une puissante digue. Hélas ! sous l’influence du Malin dont elle s’était entichée, Dahut aurait dérobé les clefs des remparts à son père, le roi Gradlon, et ouvert en grand les portes de la cité. Ys aurait alors été engloutie sous les flots. Le roi aurait réussi à en réchapper mais pas la jeune princesse emportée par les flots et le gros temps. Gradlon se serait établi ailleurs pour y noyer son chagrin. Cependant, certains jours, on pourrait encore entendre tinter les cloches de la cathédrale engloutie de la cité d’Ys.
Une fois de plus, il existe de nombreuses variantes de ce type de légendes dans la matière de Bretagne. Certaines mentionnent des tremblements de terre. Faut-il voir dans le miracle de la Cantiga 226 une parabole partie d’une idée similaire pour démontrer que Dieu et la Sainte peuvent, à volonté, submerger ou faire ressurgir des lieux entiers et leurs dévots avec ? Ici, la date de Pâques viendrait encore renforcer la nécessité de la dévotion, en ajoutant le moment de la résurrection et son symbole.
Autres sources latines et françaises
Il nous reste difficile d’affirmer si cette légende est à l’origine de l’inspiration d’Alphonse X. C’est plus une simple piste qu’une véritable hypothèse. En matière de sources latines ou vernaculaires, on trouve encore la trace de ce miracle dans un certain nombre de manuscrits médiévaux français.
On citera notamment un miracle marial du ms Français 818 (daté lui aussi du XIIIe siècle). Ce récit reprend, très directement le thème du monastère englouti : Del mostier nostre dame que terre transgloti o molt de pueple.2
Cantigas celtes & cantigas de Bretagne, Musica Antigua & Eduardo Paniagua
En matière musicale, on peut retrouver cette cantiga et son interprétation dans l’album Merlin y otras cantigas celtas d’Eduardo Paniagua et sa formation Musica Antigua.
En 2006, le talentueux musicien espagnol proposait un regroupement thématique des Cantigas de Santa Maria ayant des origines celtes ou Bretonnes.
Soutenu par une solide orchestration, cet album propose sur une durée d’un peu plus de 54 minutes, une sélection de dix chants mariaux donc quatre en version instrumentale. Le légendaire Merlin s’y fait même un place avec la Cantiga de Santa Maria 108. Pour information, nous avions déjà étudié ici la Cantiga de Santa Maria 23 issue de cette même production.
Cet album de Musica Antigua est encore édité mais il faut fouiller un peu pour le débusquer. Avec un peu de chance votre disquaire préféré pourra vous le procurer. Dans le cas contraire, vous pouvez aussi le trouver en ligne sur les plateformes de streaming légales ou même à la vente sous forme CD sur certains sites. Voici un lien utile à cet effet: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua.
La cantiga 226 en musique
Musiciens & artistes présents sur cet album
Jaime Muñoz (instruments à vents, flûte, cornemuse, chalémie, choeur), Josep María Ribelles (harpe), Ana Alcaide (vièle, nyckelharpa), David Mayoral (percussions), Cesar Carazo (chant), Isabel Urzaiz (chant), Carlos Beceiro (vielle à roue, saz), Xurxo Nuñez (tambour médiéval, percussions, bodhram), Eduardo Paniagua (choeur, flute ténor, cloches et percussions, direction musicale).
La Cantiga de Santa Maria 226 & sa traduction en français actuel
Esta é do mõesteiro d’ Ingratérra que s’ afondou e a cabo dun ano saiu a cima assí como x’ ant’ estava, e non se perdeu null’ hóme nen enfermou.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar o séu, com’ encima dela ou no mar.
Cette cantiga nous parle d’un monastère d’Angleterre qui avait disparu sous terre et qui, un an après , a ressurgi à la surface tel qu’il était précédemment et aucun homme n’était tombé malade, ni n’était mort.
Ainsi, la vierge peut protéger ses biens (les siens, ses affaires) Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer
E dest’ un miragre per quant’ aprendí vos contarei óra grande, que oí que Santa María fez, e creed’ a mi que maior deste non vos pósso contar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
A ce sujet, j’eu connaissance d’un très grand miracle Que je vous conterai à présent, Et que fit Sainte Marie et, croyez-moi, Je ne pourrais vous conter un miracle plus grand que celui ci. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Ena Gran Bretanna foi ũa sazôn que un mõesteiro de religïôn grand’ houv’ i de monges, que de coraçôn servían a Virgen bẽeita sen par. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
En Grande Bretagne, il y eut une fois, Un grand monastère de grande piété (?) dont les moines, avec cœur, Servaient la vierge bénite et sans égale. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E Santa María, u todo ben jaz, mostrava alí de miragres assaz e tiínna o lógo guardad’ e en paz; mais quis Déus por ela gran cousa mostrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Et Sainte Marie, en qui réside toute bonté, Faisait en ce lieu assez de miracles. Et le gardait sous sa protection et en paix. Mais Dieu voulut montrer par elle , une chose plus admirable encore. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Que día de Pasqua u Déus resorgiu, começand’ a missa os monges, s’ abriu a térr’ e o mõesteiro se somiu, que nulla ren del non podéran achar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Ainsi au jour de Pâques où Dieu ressuscita Alors que les moines commençaient la messe, La terre s’ouvrit et le monastère s’y enfonça Au point qu’il n’en resta plus une seule trace. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E lóg’ assí todo so térra entrou que nĩũa ren de fóra non ficou; mais Santa María alá o guardou que niũa ren non pode del minguar,
Suite à cela, il entra complétement sous terre De sorte qu’on ne voyait plus rien de lui, du dehors Mais Sainte Marie la garda ainsi Pour qu’il ne manque de rien. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
eigreja nen claustra neno dormidor neno cabídoo neno refertor nena cozinna e neno parlador nen enfermería u cuidavan sãar,
Ni l’église, ni l’enceinte, ni le dortoir, Ni la salle capitulaire, ni le réfectoire, Ni la cuisine, ni le cloître Ni l’infirmerie où ils allaient se soigner. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
adega e vinnas con todo o séu, hórtas e moínnos, com’ aprendí éu, guardou ben a Virgen, e demais lles déu todo quant’ eles soubéron demandar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Les caves et vignobles avec tous leurs biens Les vergers et les moulins, comme on me l’a appris, La Vierge protégea tout parfaitement, et leur donna en plus Tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E assí viían alá dentr’ o sól como sobre térra; e toda sa pról fazer-lles fazía, e triste nen fól non foi nïún deles, nen sól enfermar
En plus de tout cela, de l’intérieur, ils voyaient le soleil Comme s’ils avaient été sur la terre ; et elle leur accordait tout Pour leur bien-être (avantage). Et aucun d’entre eux ne fut triste, Ni ne sombra dans la folie, Ni ne tomba malade.
per ren non leixou mentre foron alá, nen ar que morressen come os dacá morrían de fóra, ca poder end’ há de fazer tod’ esto e mais, sen dultar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
En rien, elle ne les abandonna tandis qu’ils étaient là-bas, Elle ne leur dit pas non plus qu’ils étaient morts, Pas plus que n’étaient morts ceux du dehors, car elle a le pouvoir De faire tout cela et même plus, sans aucun doute. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Un grand’ an’ enteiro assí os tẽer foi Santa María; mais pois foi fazer que dalí saíssen polo gran poder que lle déu séu Fillo pola muit’ honrrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Une année entière, Sainte Marie les tint ainsi, Et ensuite, elle fit en sorte Qu’ils sortent de là par le grand pouvoir Que son fils lui accorda pour l’honorer. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Ca día de Pasqua, en que resorgir Déus quis, foron todos a missa oír; entôn fez a Virgen o logar saír todo sobre térra como x’ ant’ estar
Au jour de Pâques (suivant) quand Dieu voulut ressusciter Ils allèrent tous entendre la messe Et c’est alors que la Vierge fit émerger de nouveau le lieu Au dessus de la terre, à l’emplacement où il se trouvait précédemment.
soía, que sól non ên menguava ren. E a gente toda foi alá porên, e o convento lles contou o gran ben que lles fez a Virgen; e todos loar
Et il ne manquait rien. Et tous les gens furent alors jusqu’à l’endroit, Et ceux du couvent leur contèrent Combien la vierge avait été bonne avec eux et tous la louèrent. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
a foron porên como Madre de Déus que mantên e guarda aos que son séus. Porên a loemos sempr’, amigos méus, ca esta nos céos nos fará entrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Ils louèrent à la mère de Dieu Qui maintient et protègent ceux qui sont les siens. Pour cela, mes amis, louons la toujours, Car elle nous fera entrer au ciel. Ainsi, la vierge peut protéger les siens Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer.
Sujet : poésies courtes, poésie de cour, dizain, moyen français, courtoisie, poésie amoureuse. Période : XVIe siècle, Renaissance, hiver du Moyen Âge Auteur : Mellin Sainct-Gelays ou Melin de Saint- Gelais (1491-1558) Ouvrage : Oeuvres Poétiques de Melin de S. Gelays, Tome 1 et 3, Prosper Blanchemain, Editeur Paul Daffis, (1873).
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous embarquons pour l’hiver du Moyen Âge et plus précisément pour le XVIe siècle. Nous sommes à la cour de France et Melin de Saint-Gelais y brille par ses poésies courtes et incisives, son art oratoire et son don pour le luth.
Sous François 1er puis sous Henri II, cet émule et ami de Clément Marot (Blanchemain T1 op cité) a su se mettre sous les bons auspices des souverains. Il compte même, en terme de statut, comme un des poètes majeurs de ces deux cours. Nous le retrouvons, aujourd’hui, pour trois dizains amoureux qui nous permettront d’apprécier une nouvelle fois son style enlevé et son sens de la chute. Avant cela, disons quelques mots de la poésie au XVIe siècle et de la biographie de Melin.
La poésie, une affaire sérieuse ?
La poésie est-elle une affaire sérieuse ? Au Moyen Âge, elle est partout et tous les thèmes s’y prêtent. Elle peut véhiculer l’humour sur des sujets variés, sociaux ou satiriques comme dans les fabliaux. Elle peut, bien sûr et elle est, l’objet d’un exercice de style. Pourtant, sous ses formes les plus variées y compris les plus émotionnelles, elle reste un sujet majeur (voir l’importance de la poésie au Moyen Âge, Régine Pernoud).
Au XVIe siècle, une certaine poésie de cour semble s’être faite plus légère et triviale. Loin des pompes des poètes qu’on rassemblera bientôt sous la Pléiade, ses auteurs entendent se divertir et faire rire. A la recherche constante du trait d’esprit, ils peaufinent une certaine sophistication autour de la légèreté 1. C’est aussi le temps des « Fleurs de poésies« , ces recueils de poésies courtes à butiner et à consommer pour le plaisir et dans lesquelles les auteurs ne sont souvent pas cités.
Dans la veine de ce courant, des Marot ou des De Saint-Gelais, tous deux héritiers de grands rhétoriqueurs, se distinguent par cette poésie « mondaine » qui tuerait presque pour un bon mot, dusse-t-elle en appeler à la grivoiserie ou même au graveleux parfois 2. Face à eux (et peut-être même contre), montent les ambitions d’une nouvelle génération d’auteurs qui veulent refaire de la poésie un art ultime, sous l’égide des classiques. Les deux tendances connaîtront des frictions, les nouveaux auteurs cherchant leur place et leur légitimité, les anciens défendant la leur.
Il s’agit, bien sûr, de grandes tendances et c’est un avis très personnel que je ne prétends pas ici développer mais, dans les deux cas, on pourrait discerner un jeu sur les formes et une dissociation qui ne sont déjà plus médiévales. Quoiqu’il en soit, les deux écoles s’opposent sur le fond et la destination de l’objet poétique. Ce cadre étant posé, revenons à Melin Saint-Gelais.
Saint-Gelais, favori et conseiller des rois
« Aucune fête n’étoit réussie s’il (Melin) n’en avoit réglé les mascarades, écrit les vers, composé la musique »
Oeuvres Poétiques de Melin de S. Gelays, T 1, P Blanchemain.
En dehors de son statut de favori et conseiller du roi, Melin de Saint-Gelais est à la fois ecclésiastique et abbé. Il sera aussi aumônier et bibliothécaire de François 1er et occupera des charges religieuses auprès de différentes abbayes. A la cour, il organise aussi des divertissements. Pour autant, la poésie n’est pas son seul talent. Il semble même y être venu à la faveur des circonstances.
Eléments de biographie
Fils de Octavien de Saint-Gelais ( évêque d’Angoulême, traducteur et poète de l’école de rhétoriqueurs), Melin a reçu une solide éducation. Musicien, chanteur, poète à ses heures, il est aussi versé dans les sciences, les mathématiques, la philosophie, l’astronomie et la théologie.
Point de trace de pédanterie chez lui, pourtant, pas d’avantage que de lourdeur académique ni même de grandes ambitions d’auteur. S’il glisse quelquefois des références théologiques ou philosophiques dans ses poésies, De Saint-Gelais est adepte d’une poésie galante, toujours à la recherche du bon mot à l’attention des courtisans, des courtisanes et des têtes couronnées. A la lecture de nombre de ses pièces, on imagine bien à quel point ses interventions ont dû ravir ses auditoires 3. Du reste, sa longévité aux différentes cours l’atteste, notre poète sait séduire son public.
Homme de « scène » autant que de lettres, Melin de Saint-Gelais versifie, chante et joue du luth. Quatrains, sixains, huitains, dizains, épigrammes, … Les poésies courtes et efficaces deviennent sa marque de fabrique. A l’image d’un Marot, il en use aussi abondamment auprès des dames. S’il a ramené de ses études en Italie, le sonnet (d’aucuns attribuent cette paternité à Marot) et un goût pour les vers Pétrarque, Melin reste adepte d’une poésie mondaine qui s’épanouit pleinement dans l’exercice de la séduction et du divertissement.
Pas de postérité pour le favori des cours
Peut-être est-ce tout cela qui explique que De Saint- Gelais n’ait pas pris, lui-même, sa poésie suffisamment au sérieux pour vouloir y mettre un peu d’ordre et en organiser la publication de son vivant. Certains biographes mentionnent qu’il ne le fit pas de crainte de ne pouvoir réutiliser ses plus belles pièces auprès des dames. Sans doute est-ce un peu exagéré mais, en tout cas, au cœur de l’ère Gutenberg, il n’a pas souhaité formaliser ses œuvres poétiques.
Son legs sera donc mis en ordre post mortem et non sans difficultés. En plus de quelques 600 poésies réunies par certains biographes (donc Bernard La Monnoye au début du XVIIIe s et Blanchemain dans le courant du XIXe siècme) Melin laissera quelques traductions ainsi qu’un opuscule d’Astrologie.
Légèreté, esprit, quelquefois même gaillardise et gauloiserie, dans ses poésies courtes, Melin n’a de cesse que d’exercer son sens de la chute. La parenté de plume d’avec Clément Marot est indéniable. Même si l’œuvre de ce dernier a, par endroits, plus de consistance thématique ( ou même encore d’esprit) ce qui a d’ailleurs assuré au poète de Cahors une postérité dont De Saint-Gelais s’est trouvé privé. C’est un peu injuste car certaines pièces sont d’excellente facture. Retour du sort peut-être ? Melin s’est-il à ce point complu dans son rôle de favori au risque de s’y trouver réduit et d’épuiser tout son talent dans la galanterie ?
Melin De Saint-Gelais contre la Pléiade
Plus que son œuvre, l’histoire a justement retenu de Melin de Saint-Gelais de s’être dressé contre les adeptes du renouveau poétique, à l’ombre des classiques. Au XVIe siècle, Dante était de longtemps passé par là et la Pléiade s’employait déjà à enterrer le Moyen Âge et ses poètes.
Entre tradition et modernité, il en restait pourtant quelques-uns à la cour pour jouer de la plume, sans renier totalement l’héritage médiéval. Marot comme de Saint-Gelais étaient de cette école. Marot aime Villon et cède aux archaïsmes même si, pour ne prendre que cet exemple, leurs envolées courtoises semblent plus souvent guidées par la recherche du bon mot, que par l’émotion véritable. Le loyal amant en souffrance des temps médiévaux n’est plus qu’une lointaine remembrance. Avec Marot et de Saint-Gelais, l’heure est un peu aux poètes séducteurs collectionneurs.
Querelle contre Ronsard et Du Bellay
Pour revenir à ses frictions d’avec les nouveaux auteurs, bien installé à la cour, de Saint-Gelais se fit épingler par Du Bellay qui le qualifia, sans le nommer, de « poète courtisan ». Peu après, Melin se moqua ouvertement de Ronsard devant la cour d’Henri II. Lors d’une lecture à voix haute, il fit une sélection choisie des textes du chef de file de la Pléiade, en appuyant exagérément sur sa pédanterie et sa fatuité.
L’exercice ravit le roi, mais choqua la sœur de ce dernier, Marguerite de Valois, qui ne goûta pas cet humour. Piquée, elle entreprit de poursuivre elle-même la lecture pour rendre justice à Ronsard. Ce dernier absent fut bien vite mis au fait de l’incident. Il riposta à grands traits de plume et la querelle dura plusieurs années, de 1550 à 1553 4. L’affaire se retourna donc contre Melin désormais entré dans l’âge mur et dont la réputation fut écornée.
Contrairement à Marot à qui les aventures politiques et religieuses coûtèrent l’exil, l’incident de la lecture n’eut pas de conséquences fâcheuses pour de Saint-Gelais. Il sut même rester dans les bonnes grâces d’Henri II jusqu’à son trépas. Il mourut alité et, dit-on, peu de temps après avoir entonné une dernière chanson, le luth à la main (Blanchemain op cité).
A noter que Melin resta fidèle à Marot et le soutint à travers ses déboires et son infortune. Il fut donc un bon et loyal camarade et cela ajoute à son épaisseur comme à son crédit.
Trois Dizains amoureux et poésies courtes de Melin en moyen français
Au programme du jour donc, trois poésies courtes et trois dizains courtois, issus des œuvres poétiques de Melin de Saint-Gelais. Le moyen français n’y pose guère de difficultés. Nous vous les livrons donc à l’état brut.
De qui plus tost me devrois-je complaindre, D’amour, de Vous, de Moy-mesme ou du Temps ? Amour me veult à le servir contraindre; Vous refusez ce qu’à bon droict j’attends. Je vy d’espoir et nul bien ne pretends, Et par le Temps constraint suis m’absenter. Ainsy j’ai cause assez de lamenter, Mais plus de Vous ; car vous estes à mesme De me pouvoir promptement contenter D’Amour, de Vous, du Temps et de Moy-mesme.
Amour aveugle aveugle tout le monde Et moins souvent espargne le plus saige. Oncques le sens, le sçavoir ou faconde Ne peult couvrir ce qu’on voyt au visaige. Or je cognois qu’il vous guette au passaige Le traistre Enfant qui m’a tant abusé! Fuyez-vous-en, car il est trop rusé Et n’en croyez Petrarque ny Ovide ; Mais advisez s’il doit estre excusé Celuy qui prend un aveugle pour guide.
Fortune monstre assez sa cruaulté En m’esloignant du lieu ou gist mon cueur ; Amour me rend serf de vive beaulté Et n’adoulcist vostre extresme rigueur ; Le Ciel n’a point pitié de ma laugueur ; Nature aussy ne m’a pas figuré Pour estre à vous en grace mesuré. La Mort souhaite 5 et Mort de moy n’a cure ; Contre moy donc ensemble ont conjuré Fortune, Amour, le Ciel, Mort et Nature.
En espérant que vous ayez apprécié ces poésies courtes et courtoises de Monsieur de Saint-Gelais, nous vous souhaitons une belle journée.
Encore merci de votre lecture.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NOTES
NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez le portrait présumé de Melin de Saint-Gelais tiré de l’œuvre du peintre franco-hollandais Corneille de Lyon ou Corneille de la Haye (1510-1575). Cette toile fait partie des collections du Louvre. En arrière plan, le manuscrit est le Français 885 de la BnF. Cet ouvrage, daté du XVIe siècle, présente une partie des œuvres de Melin de Saint-Gelais. Vous pourrez le retrouver en ligne sur gallica.fr.
Les concours à la cour de Charles d’Orléans préfiguraient peut-être déjà cette tendance même si les joutes poétiques médiévales les avaient précédé. Voir Blosseville à la cour de C d’Orléans. ↩︎
Marot a tout de même su diversifier avec des pièces un peu moins triviales mais une partie de son œuvre reste attachée à cette poésie légère et galante. ↩︎
Le film « Ridicule » de Patrice Leconte vient même à l’esprit avec, notamment, la superbe prestation de Bernard Giraudeau dans le rôle de l’abbé de Vilecourt. ↩︎
D’une prétendue réconciliation de Ronsard et Saint-Gelais en 1553, Claire Sicard, Audaces et innovations poétiques, Honoré Champion (2021) ↩︎
« La Mort souhaite » Il s’agit d’une inversion. Il faut lire « Je souhaite la mort ». ↩︎
Sujet : poésie, auteur médiéval, moyen français, ballade, défiance, beaux-parleurs, poésie morale. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Car homme n’est qui ait point de demain» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, T VII, Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’œuvre d’Eustache Deschamps avec une jolie ballade. Dans le pur style de ses poésies morales ou ses ballades de moralités, le poète champenois nous donnera ici une leçon de défiance.
L’Œuvre d’Eustache en quelques mots
Nous sommes au Moyen Âge tardif et Eustache Deschamps a largement servi la cour de princes et des rois. Il a connu la guerre, les voyages, la peste, la vie de cour, durant ses soixante ans de vie. En plus de ses fonctions successives d’écuyer, d’huissier d’armes pour le compte de Charles V et Charles VI, ou encore ses titres de bailli de Senlis et de châtelain de Fismes, l’officier de cour a aussi composé des poésies.
Elève de Machaut dont il se réclame, sa plume est même intarissable et il écrit littéralement sur tous les thèmes qui passent à sa portée. Rondeaux, chants royaux, lais et ballades, traités de poésies, l’œuvre d’Eustache est monumentale et n’a guère d’équivalent en son temps (peut-être des auteurs un peu plus tardifs comme Alain Chartier ou Georges Chastelain). Il faudra toutefois attendre le XIXe siècle pour commencer vraiment à la redécouvrir.
Mise à plat de l’œuvre et manuscrit Français 840
Les ballades de moralité d’Eustache sélectionnées par Georges-Adrien Crapelet ouvriront le bal et attireront l’attention en 1832. Des ajouts et publications de poésie inédites suivront en 1850, à l’initiative de Prosper Tarbé. Dans la foulée, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire s’attellera à la retranscription de l’ensemble de l’oeuvre d’Eustache Deschamps, bientôt relayé en cela par Gaston Paris.
La Ballade du jour dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF (à consulter sur Gallica)
Au cœur de ce travail, le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF, un ouvrage contemporain d’Eustache où est venu s’empiler son legs impressionnant sur pas moins de 593 feuillets. Du milieu du XIXe au début du XXe siècle, l’œuvre complète d’Eustache Deschamps sera ainsi consignée dans onze volumes signés de la main de Queux de Saint Hilaire et de Gaston Paris.
Actualité de l’œuvre d’Eustache Deschamps
Depuis sa remise à plat, de nombreux médiévistes férus de cette partie du Moyen Âge se sont penchés sur le legs d’Eustache. Les approches sont nombreuses, les angles souvent thématiques. L’œuvre du champenois s’y prête particulièrement : épidémies, tournois, duels, gastronomie, mœurs de cour, politique, guerre de cent ans, …. Les écrits du prolifique champenois font encore des historiens en quête d’une meilleure compréhension des mœurs du XIVe siècle.
D’un point de vue stylistique et poétique, si tout n’est pas égal, il reste encore de belles perles à dénicher dans le large travail d’Eustache. Sa franchise peut quelquefois surprendre ou amuser. Sa morale vise souvent juste et nous permet, en tout cas, de nous replonger au cœur du Moyen Âge chrétien et ses valeurs. Des traits d’humour émergent ça et là et la courtoisie est aussi présente dans son œuvre même si, de notre point de vue, ce n’est pas là que son talent s’exprime le mieux.
Dans tous les cas et indépendamment de l’approche privilégiée ou même des réserves que l’on peut émettre sur l’ensemble du legs d’Eustache d’un point de vue stylistique, on ne peut enlever à l’auteur champenois son opiniâtreté et sa persévérance à tout vouloir mettre en vers et consigner.
Une ballade contre les beaux-parleurs
« On ne doit pas croire à tout homme », le refrain ne peut être plus clair. Avis aux apparences et aux beaux-parleurs ! Le thème de la défiance est au cœur de la ballade médiévale du jour. Et pour mieux appuyer la trahison, le serpent venimeux et perfide (forcément toujours un peu biblique et, déjà présent dans une fable d’Eustache), est appelé à la rescousse.
Jeux de cours, trahisons, fausses promesses, on pourrait être tenté de remettre cette poésie en contexte, à la lumière des longues années de services d’Eustache auprès de la cour et des puissants. Durant sa longue carrière, la franchise et certaines de ses poésies critiques lui ont inévitablement valu des ennemis. Les vers du jour pourraient en être un autre signe. Dans le même temps, cette ballade a la qualité de tout texte, fable et toutes bonnes poésies morales : une certaine intemporalité. Aujourd’hui encore, la verve d’Eustache nous reste accessible et sa ballade a plutôt bien traversé le temps.
« On ne doit pas croire a tout homme, » dans le français ancien d’Eustache Deschamps
Le moyen français d’Eustache peut présenter quelques difficultés sur certains textes. Cela nous semble moins le cas de celui-ci. Pour vous aider dans sa compréhension, nous vous proposons tout de même quelques clés de vocabulaire.
Gar toy de l’oiseleur qui prant Les oiseaulx pour chant contrefait, A sa roix soutive (dans l’ingénieux filet) qu’il tent, Par soutil langaige deffait. Gar toy de femme qui te fait Doulz semblant, et ami te nomme C’est pour toy jouer d’un faulx trait (d’un mauvais trait, coup) : On ne doit pas croire a tout homme.
Avise au venimeux serpent Qui en la douce herbe se trait Et s’i caiche soutivement (habilement), Si que quant aucuns s’i retrait L’erbe cueillant, lors mort de fait (il les mort ensuite); De son venin point et assomme Le cueillant, qui lors crie et brait ; On ne doit pas croire a tout homme.
Ne le parler d’aucune gent Qui semble doulz com miel ou lait, Ou l’en treuve venin souvent Quant aucun ont a eulx attrait. Ainsi doulz parler se deffait En fiel mortel soubz douce pomme; Donc pour eschiver ce meffait, On ne doit pas croire a tout homme.
L’ENVOY
Princes, saiges est qui aprant, Qui parle pou et qui entent, Qui se taist et qui en soy somme (mesure, pèse) Le parler d’autruy saigement ; Pour eschiver paine et tourment, On ne doit pas croire a tout homme.
NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez la ballade d’Eustache dans le français 840 de la BnF. Pour l’illustration, nous avons opté pour une magnifique enluminure du serpent biblique. Elle est tirée du manuscrit Français 1537 intitulé « Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528. » Ce manuscrit daté du XVI e siècle est lui aussi conservé au département des manuscrits de la BnF.
En vous souhaitant une belle journée Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.