musique Maestro : sortie de Kaamelott premier volet, l’album

Sujet  :   Kaamelott, série télévisée,     médiéval-fantastique, comédie, légendes arthuriennes, musique, album, bande originale, film, cinéma
Auteur -compositeur :-   Alexandre Astier
Musique  :  Kaamelott premier volet, l’album
Dates : sortie le 25 novembre 2020

Bonjour à tous,

ialoguiste, scénariste, réalisateur, musicien, auteur-compositeur, Alexandre Astier a de quoi surprendre et ça tombe bien parce qu’il aime ça. D’une certaine façon, il vient à nouveau de le faire puisqu’à l’heure où les mesures sanitaires n’en finissent plus de pleuvoir, Regular Prod, sa maison de production, vient d’annoncer la sortie de l’album de la musique de Kaamelott, le film, premier volet pour le 25 novembre.

Une sortie de la musique du film
en phase avec la sortie en salles

Alexandre Astier - Direction d'orchestre

En réalité, il s’agit plus d’une confirmation que d’une surprise puisque cette date coïncide avec celle annoncée (et toujours officielle) de la sortie du film en salles. Le seul élément étonnant tient donc moins à ce choix de calendrier qu’aux doutes que pourrait faire planer la gestion du Covid sur une sortie cinématographique sereine du premier volet de la trilogie Kaamelott. En général, une bande originale de film sort en même temps, voire un peu après un film, même si, dans l’histoire du cinéma, il a pu arriver que l’inverse se produise et que la musique d’un film draine les spectateurs au cinéma.

Alors faut-il y voir une façon de faire la nique à ce Covid qui n’en finit plus de nous pourrir la vie, tout en confirmant que le film sortira bien à l’échéance convenue ? Ou la décision suit-elle simplement le plan de distribution prévu ? Point ne le sait. En tout cas, quelles que soient les mesures qui paralysent le pays, son économie, ses spectacles et sa culture, la musique du film Kaamelott, suivra, elle au moins, le calendrier et c’est une bonne chose.

Sergio Astier ou Alexandre Morricone ?

« Pour Alexandre Astier, chaque projet artistique est avant tout prétexte à écrire de la musique. »

Pensant à cette musique qui pourrait peut-être pré-exister à la découverte du film, je relisais cette citation au sujet d’Alexandre Astier, glané dans un dossier de presse, et tout cela m’évoquait un peu certains interviews, redécouverts dernièrement sur youtube du légendaire Sergio Leone. Celui qui avait fini par s’allier comme complice, dans la plupart de ses films, le grand compositeur et directeur Ennio Morricone, concevait la musique comme quelque chose qui devait se trouver au cœur du 7ème art. Pour Leone, elle n’était jamais un accessoire de l’œuvre cinématographique mais un pilier et presque un préalable. Elle devait, tout à la fois, venir poser, prolonger, soutenir l’univers. Il n’est pas question ici de fond, mais quelquefois même de poser le cadre : renforcer les dialogues au point de les rendre superflus, remplir de sens les longs silences des personnages. On raconte que le réalisateur italien la diffusait même, parfois, sur les plateaux et demandait aux acteurs de s’en imprégner parce qu’elle contenait une partie des clés pour les aider à comprendre leur personnage.

un beau teaser musical à se mettre sous la dent en attendant la sortie de l’album

Aujourd’hui, repenser aux grandes réalisations de Sergio Leone sans que la musique d’Ennio Morricone ne vienne à l’esprit relève de la gageure. Ce n’est pas dû qu’au talent de ce dernier ou du réalisateur, c’est une alchimie entre les deux. une façon d’écrire et faire en sorte que la musique participe entièrement de l’œuvre.

Avec le premier opus de cette fresque Kaamelott sur grand écran, il va être intéressant de voir à quel point Alexandre Astier a adopté cette « écriture » entremêlée ; comme il en est à la fois l’auteur, le réalisateur et le compositeur, on ne doute pas qu’il y soit allé franchement. La musique était déjà indissociable de la sérié télévisée. On se souvient même qu’elle y a pris une ampleur grandissante, à partir du Livre V et au fil des formats qui gagnaient en durée.

Sous la direction de Frank Strobel

Alexandre Astier - Direction d'orchestre

Du côté de la direction d’orchestre, vu le perfectionnisme de A. Astier et son goût pour la chose, on est presque étonné qu’il l’ait déléguée ; on se souvient aussi d’avoir vu quelques teasers le montrant face au grand Orchestre national de Lyon et laissant présager qu’il « faisait » l’orchestre à sa main. C’est le cas puisqu’il signe la composition mais aussi l’orchestration de cet album. Quant à la direction, elle a été confiée à Frank Strobel, talentueux chef d’orchestre allemand au brillant parcours.

Compositeur, arrangeur et interprète des plus grands compositeurs, Frank Strobel est un directeur de renom qui a, lui-même, beaucoup travaillé sur les interrelations entre musique et cinéma. Il a même été projectionniste avant de se consacrer à la musique d’où cette double passion. Avec le temps, il est devenu un grand spécialiste de la direction de musiques de films et on a pu le voir à la tête de nombreux orchestres de renommée internationale sur des projets touchant le 7eme art et la télévision. Avec une baguette de cette trempe, on peut être sûr que l’œuvre musicale de ce « Kaamelott premier volet » sera desservie comme il se doit.

« Dans la grande tradition de la musique symphonique pour le cinéma »

Pour Frank Strobel, l’alchimie a, en tous les cas, fonctionné puisque le grand chef d’orchestre a laissé un belle éloge à l’attention du compositeur.

Frank Strobel

« La musique d’Alexandre Astier est enracinée dans la grande tradition symphonique de musique pour le cinéma. Il faut se souvenir que ce qu’on appelle aujourd’hui le “Hollywood sound” a été créé en majorité par des compositeurs européens qui ont fui leur continent pour l’Amérique dans les années 1930. (…) Alexandre Astier, en choisissant une formation de 85 musiciens, s’inscrit dans cette tradition postromantique, mais conserve une “French touch”. Parfois, ses notes s’envolent de manière délicieuse, ses changements de couleurs sonores sont subtils : c’est presque impressionniste et assez français selon moi. »

Frank Strobel

La main à la pâte

Avec 34 pièces au menu, si Alexandre Astier s’est affranchi de la direction de ce généreux premier volet musical, c’est peut-être pour mieux céder au plaisir de mettre la main à la pâte en tant que musicien. Dans l’album, on le retrouvera, en effet, comme soliste à des instruments variés dont certains peu connus voir même exotiques : piano, guembri, ghungroo, cajón, dholak, hulusi, Bon courage aux fans de Kaamelott qui vont s’empresser de les googleliser s’ils ne les connaissent pas déjà. Retenons pour l’instant que l’auteur donne là un échantillon de ses larges talents d’instrumentiste sur claviers, percussions et instruments à cordes.

Il ne sera pas le seul à plonger dans l’arène puisque cette musique du film Kaamelott réunit autour d’elle pas moins de 115 artistes : l’Orchestre national de Lyon, le Choeur de chambre Spirito, ainsi que les solistes Cyril Dupuy (cymbalum), Gabriel Rignol (théorbe).


Coffret, CD, Vinyles, déjà en précommande

Coffret et album de musique d'Alexandre Astier

Visitez le store de Regular Prod


Enigme, décryptage et jeu de piste ?

Pour ce qui est des 34 pièces, les titres en sont très évocateurs. En bon auteur, Alexandre Astier, soigne toujours cette partie là. Un peu moins énigmatiques que certaines autres fois, à leur lecture, on imagine même déjà les vidéos des youtubeurs venues pêcher quelques vues, en essayant de deviner ou d’anticiper ce que sera le film et ses intrigues. Bon courage à eux. Hors comédie musicale, une bande originale de film est bien souvent plus étendue que ce que le film en donne à entendre. Attention par contre ! Le titre numéro 32 de cet album risque d’en faire bondir, trembler et spéculer plus d’un. Oui je sais, c’est dur. A moi aussi, ça me le fait, faut pas croire. En cherchant un peu vous devriez le retrouver facilement.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Tous nos articles su Kaamelott. (y en plein, on est des fous).

Retrouver notre page FB sur la série 

« Ecco la primavera », une chanson de francesco Landini au renouveau printanier

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballade, madrigal, chants polyphoniques, ars nova, chanson médiévale.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur :  Francesco Landini ( ? 1325-1397)
Titre :  Ecco la primavera
Interprètes :  Enea Sorini et Catalina Vicens
Concert : extrait enregistré à Bâle, Suisse en avril 2018

Bonjour à tous,

u XIV siècle, Francesco Landini, compositeur florentin, régale de sa musique une Italie médiévale qui entre, déjà, dans son Rinascimento. Né d’un peintre reconnu, le destin qui appelait notre homme à marcher dans les traces de son père, lui échappa pourtant. Rendu aveugle dès son jeune âge, par la variole, il s’orienta vers la musique pour le plus grand plaisir de ses contemporains.

Compositeur, organiste, instrumentiste, poète et chanteur, Francesco Landini cumule, en effet, tous les talents. Celui que l’on surnommera, quelquefois, l’organiste aveugle ou l’aveugle des orgues (il Cieco degli organi), deviendra même un des plus grands représentants de l’Ars nova en Italie. La mort n’attendit d’ailleurs pas, pour le faire entrer dans la postérité puisqu’en son temps, il fut couronné pour ses talents par le roi de Chypre. Il côtoya aussi Pétrarque et légua, pour finir, 154 pièces polyphoniques à deux et trois voix qui achevèrent de le faire entrer dans la légende musicale italienne du trecento.

« Ecco la primavera »,
ballade légère et printanière à deux voix

Alors que septembre s’achève et que nous entrons déjà dans l’Automne, la pièce du jour du compositeur Florentin en prend le contrepied. Cette ballade a pour titre « Ecco la primavera », « voici le printemps » et nous transporte dans les joies du renouveau printanier, saison très chère au Moyen Âge et ses poètes.

« Ecco la primavera« , Codex Squarcialupi (début du XVe s), Biblioteca Medicea Laurenziana,

Tout est léger dans cette composition du maître florentin jusque la mélodie joyeuse et aérienne en accord avec les paroles. En 2018, la chaîne youtube Amfiparnaso, dédiée à la musique ancienne et notamment aux prestations du baryton Enea Sorini en partageait une belle interprétation. Enregistrée à Bale en Suisse, elle mettait en scène le chanteur italien en compagnie de l’organiste Catalina Vicens. Ecrit à l’origine pour être chantée à deux voix et à Cappella,

Tout est léger dans cette composition du maître florentin jusque la mélodie joyeuse et aérienne en accord avec les paroles. En 2018, la chaîne youtube Amfiparnaso, dédiée à la musique ancienne et notamment aux prestations du baryton Enea Sorini en partageait une belle interprétation. Enregistrée à Bale en Suisse, elle mettait en scène le chanteur italien en compagnie de l’organiste Catalina Vicens. Ecrit à l’origine pour être chanté à deux voix et à Cappella, ce madrigal de Landini a été adapté ici pour un « dialogue » entre la voix du chanteur et celle de l’organetto (orgue portatif médiéval).

« Ecco la primavera » de Francesco Landini par Enea Sorini et Catalina Vicens

Enea Sorini, chanteur Baryton
sur les scènes médiévales et baroques

Sous ses airs qui, sur cette vidéo, pourraient nous rappeler un peu Angelo Branduardi, Enea Sorini est un baryton italien confirmé et reconnu sur la scène des musiques anciennes et classiques.

Très tôt intégré dans un chœur de la ville italienne de Pesaro, il se formalisa avec les musiques anciennes et polyphoniques durant près de 15 ans. Après un détour par des études artistiques, il reviendra vers la musique et le chant (musique de chambre et musique baroque) en passant par le conservatoire de la même ville. On le trouvera, par la suite, au chant, à la percussion et au Psaltérion en collaboration avec l’ensemble italien Micrologus. Sa carrière lui donnera également l’occasion de participer encore à d’autres formations de musiques anciennes, sur des répertoires principalement médiéval et renaissant. Un peu plus tard, il fondera également l’ensemble Bella Gerit d’Urbino, autour du répertoire renaissant.

Entre toutes ses participations et albums, le baryton italien affiche déjà une discographie de près de 20 titres. Sur le plan intellectuel, Enea Sorini a également fait des études poussées dans le domaine de la musicologie, sur un répertoire et des pratiques musicales qui touchent, plus particulièrement, le XVIe s, dans la province d’Urbino. Voir son site officiel.

Catalina Vicens, grand talent reconnu
sur la scène médiévale et renaissante

De son côté, l’organiste et musicienne d’origine chilienne, Catalina Vicens affiche également un parcours brillant et de très haute tenue qui a démarré, de manière précoce, sur la scène classique latino-américaine, avec de nombreux concerts.

Dans son parcours initiatique, elle compte, en plus de deux formations classiques à Philadelphie et à Fribourg, un passage par la prestigieuse Schola Cantorum Basiliensis. Aujourd’hui, établie, à Bale, en Suisse, elle s’est spécialisée dans les instruments anciens à claviers ( claviers médiévaux, clavicymbalum, organetto, orgue, clavecin,…). Devenue une instrumentiste virtuose, ses talents et ses travaux lui ont valu déjà des récompenses telles qu’un Award ainsi qu’un diapason d’or. Sa passion pour les instruments anciens l’a aussi conduit à s’associer de près à la fabrication ou la reconstitution d’instruments, tels que des orgues médiévaux ou renaissants.

En plus de ses prestations musicales en collaboration avec de nombreux ensembles, elle dirige la formation Servir Antico qu’elle a aussi créée et dont le répertoire entend faire redécouvrir des compositions peu connues ou méconnues des XIIIe au XVIe siècles. A ses talents d’instrumentiste, Catalina Vicens associe également le goût de la transmission et de la pédagogie. Elle est, en effet, maître de conférences au Conservatoire Royal de Bruxelles et intervient en enseignement dans d’autres écoles prestigieuses au niveau international. Pour suivre son actualité, son site officiel est ici.


Ecco la Primavera de Francesco Landini
avec traduction en français moderne.

Ecco la primavera
Che ‘l cor fa rallegrare;
Temp’è da ‘nnamorare
E star con lieta cera.
No’ vegiam l’aria e ‘l tempo
Che pur chiama allegreza;

In questo vago tempo
Ogni cosa ha vagheza.
L’erbe con gran frescheza
E fiori copron prati
E gli alberi adornati
Sono in simil manera.

Ecco la primavera
Che ‘l cor fa rallegrare;
Temp’è da ‘nnamorare
E star con lieta cera.

Voici le printemps
Qui réjouit le cœur (met, à nouveau, le cœur en joie)
C’est le temps de tomber amoureux
Et d’afficher un visage joyeux (une mine réjouie).
L’air et le temps s’accordent ensemble
Pour nous rendre joyeux. (nous apporter joie et allégresse)

En ce temps enchanteur
Chaque chose est agréable (source de plaisir)
L’herbe avec sa grande fraîcheur
Les fleurs qui couvrent les champs
Et les arbres garnis (de feuilles, en fleurs, décorés)
S’accordent avec tout cela.

Voici le printemps
Qui réjouit le cœur
C’est le moment de tomber amoureux
Et d’afficher des faces joyeuses
.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Le village médiéval de l’an Mil de Melrand : une aventure archéologique

blason armoirie Melrand

Sujet : archéologie médiévale, archéosite, reconstitution, archéologie expérimentale, parc-musée, Lann-Gouh Melrand. site d’intérêt.
Période : XIe au XIVe siècle, Haut Moyen Âge
Site : Village médiéval de l’an Mil et Centre Archéologique de Melrand,
Lieu : Melrand, Morbihan, Bretagne

Bonjour à tous,

‘est en 1902 que fut mis au jour dans le Morbihan, à proximité de l’agglomération de Melrand, les vestiges d’un village abandonné. Quelques premières fouilles furent effectuées et en l’absence de techniques suffisamment avancées, l’archéologue local, en charge de la trouvaille, pensa, à l’époque, qu’il s’agissait là d’un « oppidum celte » datant de la période préromaine.

Plus tard, on allait découvrir que ces vestiges étaient bien plus récents. Ce petit hameau, perché sur une butte à 115 mètres d’altitude et qu’on avait d’abord pensé antique, était, en réalité, médiéval. Au moment des premières prospections, certains vestiges de céramique caractéristiques avaient été trouvés sur place mais on n’avait pu, alors, les dater précisément. Connue sous le nom de « céramique onctueuse », cette technologie de fabrication a fait son apparition, sur le sol breton, autour de la fin du Xe siècle. Elle y fut en usage presque exclusif jusqu’au XIVe siècle. Dans le courant du XVe, elle se diversifia pour devenir nettement plus marginale à la fin du XVIe. Tout ceci était ignoré en 1902 et il restait encore 50 ans à attendre pour le découvrir ; d’autres techniques d’analyses allaient encore venir à la rescousse des archéologues des générations suivantes pour leur permettre d’affiner leurs conclusions et de percer les mystères de ce village abandonné..

Archéologie médiévale & nouvelles fouilles

Plan de fouilles

Faisons un bond dans le temps pour nous retrouver à la fin des années 70. Le site dit de Lann-Gouh Melrand s’apprête à faire l’objet de nouvelles fouilles et investigations. Est-ce à la faveur d’un certain entrain qu’on voyait émerger alors, autour d’une archéologie plus centrée sur la période du Moyen Âge ? C’est en tout cas la Direction des Antiquités Historiques de Bretagne qui fut à l’initiative de la réouverture d’un grand chantier de fouilles pour une durée de 4 ans. Par les miracles du web (et le travail d’archive du site Persée), on en trouve un compte-rendu détaillé, justement, dans le Tome 12 de la célèbre revue « l’archéologie médiévale ». Il est de la main même de Patrick André, archéologue alors en charge de cette toute nouvelle campagne de prospection du site qui s’étalera de 1977 à 1980. (1)

Les fouilles se sont étendues sur une surface de 2500 mètres carrés. Le chantier correspond à la taille entière du site historique à une infime parcelle près qui n’a pas survécu au temps. Grâce à l’étude de morceaux de charbons de bois, issus des foyers des habitations, on a pu alors affiner la datation des vestiges. On a ainsi fait remonter l’occupation du site à la fin du Haut Moyen Âge et, plus précisément, encore à la fin du Xe siècle et l’aube de l’an mille. On connaissait aussi la céramique onctueuse et les informations pouvaient être recoupées. Mais, au delà des datations, quel portrait pouvait-on dresser de ce Lann-Gouh Melrand du XIe siècle ?

Le village de Lann-Gouh et ses vestiges

site archéologique haut Moyen Âge

Situé en hauteur, le village était enclos et protégé par un talus, surmonté, par endroits, de dalles dressées. Sa disposition tirait aussi partie, sur un de ses flancs, du relief naturel escarpé de la colline sur laquelle il se trouvait installé et pour accéder à ce lieu, une entrée unique avait été ménagée, à l’est de l’enceinte.

Pas de folie des grandeurs sur ce site en l’an mil. Ici, on vivait chichement et on savait, sans doute, se contenter de peu. Les bâtiments étaient de taille plutôt modestes, 40 mètres carrés en moyenne. Du point de vue de la culture matérielle, le site a produit principalement des vestiges d’objets en terre cuite (pot, plat, galettières) ainsi que des fragments de poterie (près de mille), quelques meules de pierre et de granite aussi.

Pour le reste, il est demeuré assez avare en vestiges de type décoratifs, artistiques, mobiliers ou même objets destinés à la parure, pas de monnaie non plus,… Si on a pu en utiliser alors, sans doute qu’une partie d’entre eux du fait de leur composition (bois, matériaux périssables), n’ont pas traversé le temps. Quoi qu’il en soit, il reste que ces traces d’occupation font l’effet d’une communauté relativement (ou peut être simplement naturellement) repliée sur elle-même. De la même façon, on a trouvé, sur place, assez peu d’objets en métal : les simples restes d’une lame de couteau, un petit fragment d’anneau, un peu de patte de fer (mis en valeur, pour ces deux derniers éléments, par des fouilles plus tardives).

Dans l’enceinte, une grande partie des bâtiments et des masures étaient disposés autour d’une place qui semble avoir été le cœur de la vie communautaire des paysans d’alors. Espace social, espace de circulation de quelques 200 m² : on y a trouvé les traces d’un four à pain et les vestiges de ce qui semble avoir été une bergerie, ce qui tendrait à suggérer que le petit bétail se tenait sûrement à proximité de cet endroit et y circulait également. Dans son rapport de fouilles de 1982, Patrick André parle au sujet de cette place de « lieu essentiel de la vie sociale du groupe villageois« . Une autre partie du site de fouilles, celle où les fragments de meules ont été trouvés, suggère une zone sans plus réservée à l’artisanat ou à des dépendances, ateliers, à vocation artisanale : activités de filage ou de tissage peut-être, activités de transformation céréalière,…

Une vie paysanne sédentaire bien réglée

grenier médiéval reconstitué
Grenier surélevé pour des agriculteurs-éleveurs sédentaires – crédit photo © Cédric Adonel

Les fouilles des années 80 et d’autres campagnes effectuées dans leur prolongement ont permis d’évaluer à quelques dizaines, les habitants du lieu. Dans son compte-rendu, Patrick André en mentionnait une trentaine pour 9 bâtiments, mais des contributions plus récentes penchent pour un chiffre plus proche de 70 à 85 âmes. Elles semblent avoir vécu de manière plutôt sédentaire au village, avec quelques incursions en direction des marchés voisins (Pontivy) pour vendre leurs produits et, sans doute, s’approvisionner en denrées, voire en outils qui ne pouvaient être produits sur place.

Plus tard, certaines découvertes archéologique ont permis d’établir une datation précoce de la présence sur site au VIIIe siècle, pour les sources les plus reculées. Elles demeurent toutefois marginales et les vestiges les plus nombreux tendent plutôt à situer l’occupation de Lann-Gouh Melrand entre le XIe siècle et le XIVe siècle. Pour compléter cet aperçu archéologique et historique, si le village fait l’effet d’un lieu communautaire plutôt bien structuré et organisé, on ne note pas de présence d’édifices de culte ou religieux sur le site originel. La présence, attestée dans les sources, d’une paroisse dans le voisinage immédiat ne date que des débuts du XIIe siècle. A la même période (autour de 1125-1130), Patrick André relève l’installation d’un noble ayant fondé, à quelques kilomètres de là, une résidence, puis un château (le château de Rohan). Pour autant, l’archéologue médiéviste ne s’autorise pas à en conclure que des mouvements (assez répandus alors) de regroupement ou d’encastillement, aient pu, dès lors, expliquer la désertion de Lann-Gouh par ses habitants.

Pour qui veut creuser toutes ces questions d’un point de vue archéologique, on trouve encore en ligne le rapport de fouilles complet d’une nouvelle campagne effectuée entre 1988 et 1990, sous la direction, cette fois, de l’archéologue Joelle Chavaloux.

Le Centre Archéologique de Melrand : de l’Archéologie à l’archéosite

Plan de l'archéosite médiéval

C’est en 1985 que l’archéologue Joelle Chavaloux, en accord avec la Direction des Antiquités de Bretagne s’attaque au projet passionnant de faire surgir de terre, à quelques distances du site originel, une réplique du village de Lann Gouh. Un espace musée y sera également ouvert.

Pour ce qui est de l’archéosite, l’intention est simple, y conduire des expériences, des études et des reconstitutions au plus près de la réalité. L’objectif : mieux comprendre la vie de ces paysans bretons de l’an mil. Bien sûr, l’autre vocation importante du site sera pédagogique : village musée, exposition du résultat des fouilles, lieu d’information avec un véritable parti-pris éducatif et encore valorisation du patrimoine. Ouvert sur le monde, ce hameau médiéval de l’an mil, sorti de terre comme neuf, pourra accueillir tous les publics pour leur faire découvrir la vie rurale et quotidienne de nos ancêtres du haut Moyen Âge.

Le village de l’an mil, un rêve d’archéologue devenu réalité

Alors, ni une ni deux, on a troqué les petites cuillères contre les outils et les truelles, et peu à peu, le site a pris forme ; les bâtiments sont sortis de terre. Fidèle au Lann-Gouh original, on y a reconstruit, avec le temps, de belles chaumières médiévales d’époque, des abris pour le bois, une bergerie pour les animaux, un four à pain ou encore un grenier sur pilotis.

« L’archéologie, c’est un support de rêves, il faut bien penser qu’on a quelques traces et qu’on est obligé d’imaginer le reste. Donc aussi bien les archéologues que les visiteurs peuvent avoir tendance à rêver. Pour l’archéologue, ce qui est très important, c’est de ne pas faire croire que ces rêves sont des réalités. Mais sinon, tout le monde a le droit de rêver sur un site comme ça, au contraire même. »
Joelle Chavaloux, FR3 Bretagne, décembre 1986 (2)

A trente cinq ans de l’impulsion du projet et de ces mots de l’archéologue, le site est plus vivant que jamais. Il a atteint, depuis longtemps déjà, l’âge de maturité et, si l’on y rêve encore largement, la science et les découvertes y demeurent à l’honneur. Aujourd’hui, on y accueille des scolaires, des étudiants et des visiteurs venus de tous les coins de France, de Bretagne et même d’Europe. Très régulièrement, on y organise aussi des ateliers ouverts à la découverte de la vie rurale en l’an mil.

Jardin, élevage et ferme médiévale : archéologie expérimentale

reconstitution d'un jardin du Moyen Âge
Un beau jardin et des cultures à la façon médiévale

Temps fort de la visite, la ferme expérimentale de Melrand s’étend sur près de 10 ha. Ici, on élève des races d’animaux anciennes et rustiques (vache pie noir bretonne, mouton d’Ouessant,…), et on fait pousser, aussi, comme au Moyen Âge, légumineuses d’époque ou encore herbes aromatiques et médicinales. Avec son grand jardin et ses terres cultivées, situées non loin des bâtiments reconstitués, cette ferme unique en son genre se veut assez proche en variétés, comme en agencement de ce qu’ont pu connaître les hommes et femmes qui occupaient l’endroit aux temps médiévaux.

Bien sûr, pas question ici de déverser même un once de pesticide, de fongicide ou d’insecticide. L’expérience est scientifique, la règle du jeu médiévale. En se tenant au plus prés des réalités du haut Moyen Âge, on peut ainsi suivre et relever, avec soin et d’année en année, l’évolution des cultures, des sols, et encore la vie et les interactions des animaux de la ferme avec leur environnement naturel et humain : autant de façons d’expérimenter, de manière concrète, ce qu’ont pu vivre, là, ces paysans bretons de l’an mil.

Un parti-pris scientifique de chaque instant

reconstitution ferme médiévale
Elevage de races anciennes et rustiques dans un cadre idyllique

Au delà de la dimension agricole, depuis sa création, les expériences ont vraiment été légion et continuent de l’être sur l’archéosite du village de l’an mil : travail du cuir, tannage, teinture, process artisanaux, cuissons, etc… La liste serait longue. Pour comprendre à quel point la science archéologique est ici de mise, dans un article de 2008 pour la revue Archéologie médiévale (3), Maud Le Clainche mettait, par exemple, l’accent sur l’étude permanente effectuée, sur place, de l’usure naturelle des matériaux de construction, enclos, toiture, … Au passage, l’impact immédiat et très concret des animaux élevés à la ferme expérimentale, sur l’environnement, les sols, la vie rurale, a également, fait l’objet d’études et de relevés tout aussi sérieux.

Dans le même papier, l’archéologue nous explique encore comment un incendie accidentel survenu sur le site a même été mis à profit. Au delà de la gène occasionnée que l’on imagine bien, on a tout de même étudié la rapidité de propagation du feu sur les installations, mais encore les dommages collatéraux occasionnés sur les masures voisines du fait de la proximité des bâtiments et de l’inflammabilité des matériaux, etc… Tout ça pour dire à quel point, l’expérimentation à visée scientifique ne baisse jamais la garde sur cet archéosite de Lann-Gouh. Tout y est prétexte à une meilleure compréhension et à une connaissance plus approfondie des réalités rurales et médiévales et, de fait, on mesure bien à quel point ce genre de site expérimental est indispensable à l’évolution des connaissances en matière historique.

Profitons-en pour noter au passage que l’archéologue Maud Le Clainche a pris la direction du Centre archéologique et de ses installations, depuis le milieu des années 90. De nos jours, elle le dirige toujours avec la même passion. En 2011, ses travaux et ses efforts pour promouvoir, développer et faire vivre ce beau village breton de l’an mil, lui ont même valu une distinction toute particulière : la Médaille du Rayonnement Culturel de l’Association de la Renaissance française.

Intérieur d'une masure médiévale
Intérieur d’une masure médiévale avec foyer central

Programme, animations, reconstitutions

Pour revenir au programme des visites à Melrand, du côté des animations et des reconstitutions, elles suivent le rythme des saisons et de la vie médiévale d’alors : semis, moissons ou même battage au fléau, broyage du chanvre, cuisson du pain au four, etc… Autant d’activités pour lesquels le public est invité à questionner et à interagir avec les équipes d’encadrement. Aux beaux jours, de grandes fêtes événements y sont également organisées avec des troupes de reconstituteurs et d’acteurs. En costume, ils viennent redonner vie à l’ensemble du site, à l’occasion de journée spéciales.

Bref, vous l’aurez compris, on ne s’ennuie jamais dans ce petit village breton reconstitué. Et s’il est apparu, sur le papier et dans la chronologie, bien après celui (imaginaire) d’Astérix et Obelix, il a su, lui aussi, résister au temps à sa manière.

Archéologie et reconstitution au village de l'an mil
Ateliers, reconstitutions et fêtes médiévales au village de l’an mil de Melrand

Kaamelott, films & séries : Lann-Gouh Melrand, lieu de tournage privilégié.

Pour en dire un mot, le parc médiéval et l’archéosite de Lann-Gouh Melrand ne suscite pas que l’intérêt des amateurs d’histoire, d’archéologie ou du grand public avide de découvertes. Véritable star du cinéma, il a, en effet, servi de décor, à plusieurs reprises, à des tournages télévisuels et cinématographiques d’anthologie.

Entre autres films, documentaires et productions célèbres, il a été le théâtre, à l’été 2008, de nombreuses scènes du Livre VI de la série TV culte Kaamelott d’Alexandre Astier. Nul doute que depuis, il a même dû être un lieu de pèlerinage pour de nombreux fans qui, on le sait, n’en perdent jamais une miette quand il s’agit de leur série fétiche.

Kaamelot au village de l'an mil
Kaamelott – livre 6 -Arthurus Rex et photo de Famille de fin de tournage au Village de l’An Mil

Pour conclure, aujourd’hui, le village de l’an mil de Melrand continue d’attirer plus de 10 000 visiteurs par an. C’est une étape à ne pas manquer pour les curieux d’histoire, d’archéologie mais aussi, bien sûr, pour tous les passionnés de Moyen Âge de passage ou résidents en Bretagne et dans le Morbihan. Autant dire qu’il n’attend plus que vous.

Pour plus de précisions sur les horaires, la programmation, les visites guidées, les groupes scolaires ou toute question, il suffit simplement de contacter le village de l’an mil par téléphone au 02 97 39 57 89. Vous pouvez également vous tenir au courant de toute son actualité via son site web officiel.


Vous pourriez aussi aimer :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes


NB : Crédit photo de l’image d’entête © Cédric Adonel

Sources

(1) Un village médiéval breton du XIe siècle : Lann-Gouh Melrand (Morbihan). André Patrick. Archéologie médiévale, tome 12, 1982
(2) Melrand (56). Lann Gouh. Rapport de fouille programmée, Joelle Chavaloux, 1988 -1990
(3) Melrand (Morbihan). Lann Gouh, Maud Le Clainche. Archéologie médiévale, 39, 2009
Un Reportage de France 3 Bretagne archivé sur le site de l’Ina

Une chanson « légère et ordinaire » de giraut de bornelh

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, sirventès, serventois, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, trobar leu
Période   : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur   :  Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil, Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)
Titre : Leu chansonet’e vil

Bonjour à tous,

près avoir partagé des éléments de biographie sur le troubadour Giraud de Bornelh, nous vous présentons, aujourd’hui, une de ses chansons. Sa partition d’époque ne nous est pas parvenue, les groupes qui s’y sont essayés ont donc dû composer ou, plus souvent, s’adonner à l’art du contrafactum en plaquant sur les vers de Giraud une autre mélodie médiévale.

« Leu chansonet’e vil » : une intention de clarté

Classée comme un sirventes, cette chanson du troubadour limousin affiche, dès le départ, des intentions de légèreté et même de clarté, en se positionnant dans le registre du « trobar leu ». Pourtant, comme on le verra, la distance temporelle et linguistique, autant que le style (qui demeure largement allusif) la rendent encore difficile à saisir. Hors de son contexte médiéval, et même une fois traduite, elle ne se livre donc pas si facilement et continue de conserver quelques mystères.

Sources médiévales et manuscrits

Guiraut de Bornelh - Manuscrit médiéval Ms Français 12473

Pour les sources manuscrites, on pourra citer le Chansonnier provençal ou Chansonnier K, sous la cote (Mss Français 12473) au département des manuscrits de la BnF. On y ajoutera encore un autre chansonnier conservé, en Italie, à la Bibliothèque Universitaire d’Estense. Sous la cote alfa.r.4.4, le Canzoniere provenzale estense, connu encore comme le chansonnier D, contient lui aussi un grand nombre de chansons de troubadours occitans et provençaux (consulter en ligne ici).

Traduction et interprétation

Pour une première approche de traduction, nous nous sommes appuyés sur diverses sources avec des recherches complémentaires autour de l’occitan médiéval. A ce stade, pourtant, il nous faut bien l’admettre, quelques flottements subsistent. Aussi, nous dirons qu’il s’agit d’une première version qui gagnerait à être retravaillée. Nous vous la présentons plus bas dans cet article.

Pour son interprétation, un certain nombre de formations médiévales s’y sont attaquées, et nous avons choisi ici la version présentée par l’Ensemble médiéval Tre Fontane dans le deuxième opus de leurs travaux consacrés au Chant des Troubadours.

Un superbe version de la chanson de Giraud de Bornelh par Tre Fontane

l’Ensemble Tre Fontane :
le Chant des Troubadours Vol 2

Nous avons déjà eu l’occasion de parler, à plusieurs reprises, de l’Ensemble Tre Fontane et ses grandes qualités. Née au milieu des années 80, cette belle formation a fait du Moyen Âge et des troubadours occitan, un de ses grands répertoires d’élection (voir portrait de cette formation).

En 1993, deux ans après la sortie du volume 1 de leur Chant des Troubadours, autour des compositeurs médiévaux originaires d’Aquitaine, Tre Fontane poursuivait son exploration musicale avec les troubadours du Périgord. Le Volume 2 s’avéra tout aussi réussi que le premier. On pouvait y retrouver une sélection de 11 pièces pour 53 minutes de durée et quatre grands auteurs et poètes occitans du Moyen Âge : Arnaud de Mareuil, Bertrand de Born, Arnaud Daniel et enfin Guiraud de Bornelh.

Une version énergique et enlevée

Album de musique médiévale : chants des troubadours

Pour cette chanson de Giraud, qui clôt d’ailleurs l’album, Tre Fontane a fait un choix mélodique et instrumental plutôt enlevé ; leur version nous entraîne plein sud, aux confins de l’Andalousie, avec des influences même très directement orientales. Sur cette orchestration généreuse et rythmée, la voix puissante et bien posée de Jean-luc Madier vient faire littéralement décoller l’ensemble. Une fois de plus, l’essai est transformé et Tre Fontane parvient à faire revivre et à actualiser un monde occitan médiéval qu’on croyait disparu dans les couloirs du temps.

Sorti originellement chez Adda, l’album a déjà été réédité plusieurs fois. On peut toujours le trouver en ligne au format CD et même sous forme digitalisée. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le chant des troubadours vol.2 : Périgord

Les membres de Tre fontane sur cet album

Chant, Jean Luc Madier. Flûtes, Chalémie, Maurice Moncozet. Flûtes, cornamuse : Hervé Berteaux. Vielle à roue, Pascal Lefeuvre. Oud, Thomas Bienabe. Daf, percussions, derbouka, Jacques Détraz.


Leu chansonet’e vil de Giraud de Bornelh
avec adaptation en français moderne (V1.001)

Leu chansonet’e vil
M’auri’a obs a far
Que pogues enviar
En Alvernh’al Dalfi.
Pero, s’el drech chami
Pogues n’Eblon trobar,
Be.lh poiria mandar
Qu’eu dic qu’en l’escurzir
Non es l’afans,
Mas en l’obr’esclarzir.

Je m’attacherai à faire
Une chanson légère et ordinaire
Que je puisse envoyer
Au Dauphin, en Auvergne .
Mais si, sur le droit chemin,
Elle peut trouver Sire Eblon (1)
Elle pourrait bien lui être adressé (envoyé)
Puisque je dis que l’effort (la difficulté)

N’est pas de ‘rendre l’œuvre (le propos) obscur
Mais plutôt de l’éclaircir.

E qui de fort fozil
No vol coltel tocar,
Ja no.l cut afilar
En un mol sembeli!
Car ges aiga de vi
No fetz Deus al manjar,
Ans se volc esalzar
E fetz esdevenir
D’aiga qu’er’ans
Pois vi per melhs grazir.

Et celui qui, sur la pierre à polir (le dur fusil)
Ne veut poser son couteau
Jamais il ne pourra l’aiguiser
Avec une douce peau de zibeline.
Car en rien, Dieu ne nous fit
de l’eau à partir du vin pour nous nourrir.
Au lieu de cela, il voulut s’élever
Et transforma
L’eau qui était là
En vin afin qu’on puisse mieux lui rendre grâce.

E qui dins so cortil,
On om no.l pot forsar,
Se vana d’aiudar,
Pois no fai, mas qu’en ri,
Pro a de que.s chasti,
E qui de sol gabar
Vol sos clameus paiar,
Ja Deus re can dezir
Noca l’enans
Ni li lais avenir.

Et celui qui, dans sa forteresse (enclos, cour)
Où nul homme ne peut pénétrer par force
Se vante d’aider
Et puis, n’en fait rien, mais en rit
Tirerait profit à se châtier lui-même (qu’on le blâme, réprimande).
Et celui qui veut payer ses créanciers,
A coup de plaisanteries, (Et celui qui parlant seul, continue de croire qu’il est écouté ?)
Ne pourra espérer une seule chose venant de Dieu
Jamais il ne le put
Et il ne le pourra par la suite.

Per qu’eu d’ome sotil
Que sap so melhs triar
No.m met a chastiar
Ni fort no.m n’atai!
Mas un pauc me desvi,
Car non o posc mudar-
Tan m’es greu a portar-
Qui no sap eissernir
Cans d’entre tans
Ni cui com al partir.

C’est pour cette raison que l’homme subtil
Qui sait discerner ce qui est bien pour lui
Ne me blâme jamais
Pas plus que le fort ne m’inquiète (me cause de tort) !
Mais je me suis un peu égaré
,
Je ne peux m’en empêcher –
Tant cela m’est lourd à porter –
Celui qui ne sait pas discerner
Une chanson d’une dispute (entre toutes les autres?)
Ne peut savoir comment les départager (séparer, répartir)
.

E si.lh fach son gentil
A la valor levar,
Aissi.s fan a guidar
C’om s’en sen, a la fi!
Que lo savis me di
Que ges al mech tensar
No dei ome lauzar
Per so ben escremir
Ni per colps grans,
Que.l pretz pen al fenir.

Et si les faits sont bons (gracieux favorables)
Pour hausser la valeur (d’un homme)
Ainsi ils nous guideront
Comme on pourra le voir, à la fin !
Puisque les sages me disent
Qu’au milieu d’un conflit,
Je ne dois louer un homme,
Pour ses qualités à combattre,
Ni pour les grands coups
(qu’il donne ?),
Puisque la valeur (le mérite) véritable n’est connue qu’à la fin.


E qui ja per un fil
Pen pretz, c’om sol amar,
Greu poira pois trobar,
Si.s romp, qui ferm lo li!
C’a pauc en un trai
No son li ric avar,
C’aissi, co.s degr’alzar
Per els e revenir
Pretz e bobans
E jois, l’en fan fugir.

Et si par un fil
Sont suspendues les valeurs, que nous avons l’habitude de priser,
Il sera encore plus dur de trouver
S’il se brise, qui pourra le lier solidement à nouveau !
Car peu nombreux
Sont les riches qui ne soient pas avares,
De telle sorte que quand ils devraient augmenter (monter d’un cran leurs dépenses, leurs valeurs ?)
Pour faire revenir (ramener, restaurer)
Les mérites, les fastes
Et la joie. Ils les font fuir.

Mas eu tri un de mil,
Pero no l’aus nomnar
Per paor d’encuzar
Que.lh dreisses lo coissi!
C’oi del ser al mati
No pot re melhurar
Ni ja apres sopar
No l’auziretz re dir,
Qu’eis lo mazans
No n’esch’apres dormir.

Moi j’en choisis un entre mille
Mais je n’ose le nommer
De peur qu’on me reproche
De redresser ses oreillers !
(de le soigner, le flatter inconsidérément)
Puisqu’aujourd’hui, du soir au matin,
Rien ne peux s’améliorer,
Ni même après souper,
Je n’entends dire un mot
Dont le bruit tapageur
Ne naisse qu’une fois endormi (après dormir).

Era.m torn en umil
Vas mo Bel-Senhor char!
Ren als no.lh sai comtar
Mas que s’amors m’auci.
Ai, plus mal assesi
Noca.m saup envirar
Qu’era no posc pauzar!
Ans trebalh e consir
Si que mos chans
Es ja pres del delir.

E deuria.l mandar
Mo Sobre-Totz e dir
Que.l maier dans
Er seus, si.m fai falhir.

Maintenant, je me tourne avec humilité
Vers ma chère Bel Senhor (2)
Il n’est rien que je sache lui conter
Si ce n’est que son amour me tue.
Ah, jamais pire assassin,
Je n’aurais pu espérer trouver
Puisque désormais, je ne trouve aucun repos !
Au contraire, les tourments et les soucis font
Que mon chant
Est déjà sur le point de s’effacer.

Et je devrais l’envoyer
A mon Sobre-Totz (3) et dire
Quel grand dommage serait le sien,
S’il me faisait défaut (abandonner).


Notes

(1) Eblon : sire Eble II de Ventadour (1086-1155) (voir article sur Guillaume d’Aquitaine) ? S’il s’agissait de lui, il s’agirait d’une allégorie puisque il y a peu de chance qu’il soit encore vivant au moment où Giraut de Borneil écrit ces lignes.

(2) C’est ainsi qu’il nomme sa dame peut-être la fille ainée de Raimon II, vicomte de Turenne ( The Cansos and Sirventes of the Troubadour, Giraut de Borneil, A critical Edition, Ruth Verity Sharman, Ed Cambridge 1989).

(3) Un des razos nous dit qu’il s’agit de Raimon-Bernard de Rovinha (Rouvenac).

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Twitter
YouTube