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Une Chanson de Mal mariée du Manuscrit de Bayeux

Sujet :  chanson, musique, médiévale, poésie médiévale,  manuscrit de Bayeux, mal mariée, humour, chanson d’amour.
Période  : Moyen Âge tardif (XVe), Renaissance.
Auteur :  anonyme.
Titre : Ne l’oserai-je dire
Interprète  :  Ensemble Obsidienne (2020).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons au Moyen Âge en musique et avec une nouvelle chanson du Manuscrit de Bayeux. Ce très beau manuscrit normand, joliment enluminé et daté des débuts de la Renaissance (XVIe siècle) contient un peu plus de cent chansons de la fin du XVe siècle.

Les pièces du Manuscrit de Bayeux sont assez variés. On y trouve des chansons d’amour et d’autres plus grivoises, politiques ou satiriques. Nous avons eu l’occasion d’en aborder déjà un certain nombre sur Moyenagepassion (voir référence en pied d’article).

Le Manuscrit de Bayeux est actuellement conservé à la BnF sous la référence Français  9346 et on peut le consulter librement sur Gallica. Vous pouvez également le retrouver avec ses notations musicales modernes et ses textes retranscrits en graphie actuelle dans l’ouvrage de Théodore Gérold : Le Manuscrit de Bayeux, texte et musique d’un recueil de chansons du XVe siècle, aux Editions Librairie Istra (1921).

Une chanson de mal mariée

Le Manuscrit de Bayeux, "Ne l'oserais-je dire" chanson et partition, chanson des XVe, XVIe siècles

Loin de l’amour courtois, la chanson du jour est une pièce qu’on rattache généralement aux chansons de mal mariée. Comme leur nom l’indique, ces compositions ont pour thème les mariages arrangés mais qui ne conviennent guère aux intéressées (voir également cette chanson de Moniot de Paris).

Sous des airs retenus, une belle se plaindra ici du peu d’ardeur de son partenaire, considérant même d’en changer pour un plus adapté à ses désirs. Sous le drame apparent de l’union arrangée, difficile de ne pas lire entre les lignes de cette pièce un humour dont le Manuscrit de Bayeux ne tarit pas, par ailleurs.

D’un point de vue musical, la pièce est une branle coupé. On peut retrouver cette danse « récréative » et joyeuse de la fin du Moyen Âge décrite dans l’Orchésographie de Thoinot Arbeau.

Une interprétation en duo de l’Ensemble Obsidienne

Pour découvrir cette chanson du Manuscrit de Bayeux en musique, nous vous proposons une version de l’Ensemble Obsidienne. On retrouve ici Hélène Moreau et Emmanuel Bonnardot en duo, formation plutôt inhabituelle pour cet ensemble de musiques anciennes.

Un mot de l’ensemble Obsidienne

Sous la direction d’Emmanuel Bonnardot, l’ensemble Obsidienne officie depuis 1993 sur un répertoire marqué par les musiques médiévales à renaissantes. Au sortir d’une longue carrière, la discographie de cette formation est ample et de qualité : Guillaume de Machaut, Guillaume Dufay, Josquin Desprez, les Cantigas de Santa Maria, Carmina Burana, etc… Ce sont plus de 20 albums en tout autour des musiques profanes ou sacrées du Moyen Âge.

Largement reconnu sur la scène médiévale, l’ensemble Obsidienne s’est vu gratifier de nombreux prix pour son travail de restitution et d’interprétation. On lui doit encore quelques escapades hors de sa période historique de prédilection. Ainsi, la formation s’ouvre aussi sur le thème « de la chanson du Moyen Age à nos jours ». Dans sa discographie, on trouvera également des contes musicaux et des albums à destination de la jeunesse. Pour les suivre de près, nous vous invitons à consulter leur site web officiel sur obsidienne.fr.

Album : Chansons traditionnelles de France, Manuscrit de Bayeux

L'album, Chansons traditionnelles de France, Manuscrit de Bayeux de l'Ensemble Obsidienne

L’Ensemble Obsidienne a particulièrement bien mis en valeur les chansons du Manuscrit de Bayeux dans cet album sorti en 2021. Vous y retrouverez 24 titres dont une bonne partie est extraite de l’ouvrage renaissant. Cet album qui privilégie une approche polyphonique a fait l’objet d’une collaboration entre l’Ensemble Obsidienne et l’Ensemble Vocal Ligérianes dirigé par Jean-Charles Dunand.

Si vous souhaitez vous la procurer, cette production devrait être toujours à la vente chez votre disquaire habituel. A défaut, vous pourrez également la trouver à la vente en ligne (voir lien ). Hors du format CD, et pour les fans de musique dématérialisée, on trouve également cet album au format MP3 sur certaines plateformes de streaming légales.


Ne l’oserai-je dire si j’aime par amour

Ne l’oserai-je dire si j’aime par amour
Ne l’oserai-je dire.
Mon père m’y maria,
Un petit devant le jour;
A un vilain m’y donna
Qui ne sait bien ni honnour.
Ne l’oserai-je dire.

Ne l’oserai-je dire si j’aime par amour
Ne l’oserai-je dire.
La première nuitée
Que je fus couchée o lui,
Guère ne m’a prisée,
Au lit s’est endormi.
Ne l’oserai-je dire.

Ne l’oserai-je dire si j’aime par amour
Ne l’oserai-je dire.
Je suis délibérée
De faire un autre ami,
De qui serai aimée
Mieux que ne suis de lui !
Ne l’oserai-je dire.


Découvrir d’autres chansons du manuscrit de Bayeux :
Hélàs, mon coeurUng espervier venant du vert boucaigeTriste plaisir et douloureuse joie Par droit, je puis bien complaindre et gemirLe Roi anglaisHellas Ollivier BasselinLa belle se sied au pied de la tourbon jour, bon mois.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

« Hélas, mon cueur », une chanson courtoise du manuscrit de Bayeux

Sujet :  chanson, musique, médiévale, poésie médiévale,  manuscrit de Bayeux, amour courtois, loyal amant, courtoisie, chanson d’amour.
Période  : Moyen Âge tardif (XVe)
Auteur :  anonyme.
Titre :  Hélas, mon cueur n’est pas à moy
Interprète  : Ensemble La Maurache
Album :  Dance at the court of the Dukes of Burgundy (1988)

Bonjour à tous,

n ce mois de rentrée, nous reprenons notre exploration des chansons, de la musique et de la littérature du Moyen Âge avec une pièce tirée du célèbre manuscrit de Bayeux. Composé entre la fin du XVe siècle et les débuts du XVIe, ce bel ouvrage enluminé contient un peu plus de 100 chansons notées musicalement, datées, elles-mêmes, du XVe siècle.

Du point de vue des thèmes abordés, le manuscrit de Bayeux reste un chansonnier plutôt éclectique. Si l’amour et la lyrique courtoise y trouve une belle place, le travail de compilation a aussi fait la part à d’autres thèmes plus populaires : chansons satiriques et humoristiques, chansons à boire ou encore chansons plus politiques et narratives, … Aujourd’hui conservé au département des manuscrits de la BnF, dans un superbe état, il est aussi disponible à la consultation sur le site Gallica.

"Hélas, mon cœur" la chanson médiévale du jour et ses enluminures dans le chansonnier Ms Français 9436
La chanson du jour notée musicalement dans le Manuscrit de Bayeux original

Le chant courtois d’un amant dépossédé

La chanson du jour est une pièce inspirée de la lyrique courtoise. Il s’agit de la deuxième dans l’ordre du ms Français 9346 de la BnF, plus connu sous le nom de Manuscrit de Bayeux. Comme on le verra, l’amant implore sa douce amie de le garder en ses faveurs, tout en lui faisant des invitations explicites et même plutôt légères. On retrouvera également mentionner les éternels médisants (ici désignés comme envieux), qui accusent le poète de jouer un double jeu entre ses conquêtes. Est-il tout à fait loyal ? Peut-être pas tant que cela et le fait qu’il implore le pardon de la belle laisse quelque place au doute.

Autre difficulté de compréhension, la poète nous explique qu’il aurait composée cette chanson « à l’ombre d’un couppeau de moy« . Le mot pourrait désigner « le sommet d’un arbre couvert de ses premières feuilles » (cf Le Manuscrit de Bayeux, textes et musiques d’un recueil de chanson du XVe siècle, Théodore Gérold,1921). ie : une chanson composée « à l’ombre de mes (propres) frondaisons » ? On pourrait voir là une allusion printanière, finalement assez classique en lyrique courtoise. Quelle meilleure période, en effet, que celle du « renouveau » pour chanter l’amour ? L’auteur aurait-il voulu aussi jouer sur les proximités sonores entre les mots « mai » et « moé » ? « A l’ombre d’un couppeau de moé » … « A l’ombre d’un couppeau de may » ? C’est peut-être un peu capillotracté.

D’autres sens cachés sous les frondaisons ?

En creusant un peu, on trouve encore une définition de « coupeau » désignant le sommet d’une montagne ou le faîte de quelque chose. La poète aurait-il utilisé une image pour signifier « de toute sa hauteur » ? Autrement dit, « j’ai composé cette chanson avec tout ce que je possède, avec tout mon talent de plume » ? L’allusion aux frondaisons printanières semble largement plus parlante et sûrement plus dans l’esprit courtois.

En cherchant dans le dictionnaire de Trévoux, on retrouve encore une définition intéressante de « coupeau ». Au sens figuré, le vocable aurait désigné un mari trompé ou l’infidélité d’une femme à l’égard d’un homme. En l’absence de datation précise de cet usage dans le Trévoux, il est difficile de savoir si l’auteur a voulu jouer ici sur le double-sens des mots. Le cas échéant, cela pourrait éclairer d’autant sa supplique, en renforçant l’allusion sur sa tromperie et la clémence qu’il sollicite. En fait d’amant loyal, on aurait donc plutôt à faire à un amant léger et une chanson un peu plus grivoise ou railleuse qu’elle ne pourrait le laisser paraître ?

Dans l’attente de recherches plus approfondies, nous nous garderons de trancher entre toutes ses pistes. L’hypothèse courtoise au premier degré reste peut-être la plus évidente. N’hésitez pas à commenter si vous avez des éléments ou des idées sur la question.

L’ensemble la Maurache
& « la danse à la cour des ducs de Bourgogne »

Pour la version en musique, nous avons choisi une interprétation de l’ensemble de musiques médiévales et renaissantes La Maurache, sous la direction de Julien Skowron.

Musique et danse médiévales à la cour de Bourgogne, oar l'ensemble La Maurache

En 1988, la formation faisait paraître un album sur les danses du Moyen Âge tardif et de la Renaissance, à la puissante cour de Bourgogne : « La Danse à la Cour des Ducs de Bourgogne« . Entre basses danses, branles, pavanes et saltarelles mais aussi chansons, on pouvait y trouver 25 pièces musicales datées des XVe et XVIe siècles, exécutées avec brio. Pour être issues de l’Europe médiévale, les pièces présentées dans cet album restent de provenance et d’origines assez diverses et sont issues de manuscrits variés : de l’Allemagne, à la France, l’Italie ou l’Espagne d’alors. De fait, la chanson du jour est, en réalité, la seule à être tirée du manuscrit de Bayeux.

Avec près de 68 minutes d’écoute, cet album de choix, édité chez Arion, est sorti à l’occasion du quatrième centenaire de l’Orchésographie » de Thoinot Arbeau. On peut encore se le procurer à la vente au format CD ou même digitalisé MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens ayant participé à cet album

Nicole Robin (chant soprano), Claudine Prunel (clavecin), Hervé Barreau (chant, bombarde, chalémie, cornemuse, instruments à vent), Francisco Orozco (chant, luth, guiterne, percussions), Julien Skowron (chant,  rebec, Jouhikko, Viole de gambe), Georges Guillard (orgue portatif, clavecin, régale), Marcello Ardizzone (orgue, rébec, viole de gambe, citole, tournebout, percussions), Bernard Huneau (chant, flûte traversière, flûtes, tournebout, bombarde, percussion), Louis Longo (Sacqueboute), Henri Agnel (luth, cistre, darbouka, crotales, percussions), Franceoise Delalande (Viole de Gambe, percussions), Muriel Allin (viole de gambe)


Hélas, mon cueur n’est pas à moy,
dans le moyen français du manuscrit de Bayeux


Hélas, mon cueur n’est pas à moy,
Il est à vous, ma doulce amye;
Mais d’une chose je vous prie:
C’est vostre amour, gardez le moy
C’est vostre amour, gardez le moy.

Bien heureux seroye sur ma foy,
Se vous tenoys en ma chambrette
Dessus mon lict ou ma couchette,
Plus heureus seroys que le roy
Plus heureus seroys que le roy.

Faulx envyeux parlent de moy
Disant de deulx j’en aymes une.
De cest une j’ayme chacune
Plus qu’on ne pence sur ma foy
Plus qu’on ne pence sur ma foy.

Je vous supply, pardonnez moy,
Et ne mectez en oubliette
Celuy qui la chanson a faicte
A l’ombre d’ung couppeau de moy
A l’ombre d’ung couppeau de moy.


Découvrir d’autres chansons du manuscrit de Bayeux ici :     le roy  engloys  –  La belle se siedUng espervier venant du vert boucaigeTriste plaisir & douloureuse joyeHélas Olivier Basselin

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

L’adieu à une « douce dame jolie » du maître de musique Francesco Landini

Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, loyal amant, trecento, compositeur florentin, virelai.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Adiu, adiu, dous dame jolie
Interprètes : Alla Francesca.
Album : Landini and Italian Ars Nova (1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à bord du vaisseau Moyenagepassion, pour un voyage en direction du trecento italien. Nous sommes, donc au début de la Renaissance italienne, dans un XIVe siècle qui correspond encore au Moyen-Âge tardif français et nous y découvrirons une nouvelle pièce de Francesco Landini.

La douleur du partir de l’amant courtois

La chanson du jour est un virelai. Elle appartient au registre de l’amour courtois, à l’image des autres compositions qui nous sont parvenues du maître de musique florentin. Cette pièce se distingue, toutefois, de celles que nous avons étudiées précédemment par sa langue ; elle est, en effet, en français ancien et non en italien, comme le reste de l’œuvre de Landini.

Sur le fond, le compositeur et poète nous contera la douleur de l’amant courtois, au moment de se séparer d’avec sa dame. Cette dernière est, ici, désignée par l’auteur comme sa « douce dame jolie » et on ne pourra s’empêcher de voir là, une claire évocation à la célèbre chanson de Guillaume de Machaut portant le même titre. Contemporain de Landini, le maitre de l’Ars Nova Français le précède d’une petite vingtaine d’années. On sait aussi que l’Ars nova français a notablement influencé la musique italienne de cette période, même si l’Ars nova qui s’est développé sur la péninsule italienne s’en démarque par son style et ses particularités.

Aux sources anciennes de cette chanson

La chanson "Adieu douce dame jolie" de Landini dans le codex Squarcialupi, de la Bibliothèque Laurentienne de Florence
Une « Douce dame Jolie » » à la façon de Francesco Landini

Du point de vue des sources anciennes, on pourra retrouver cette chanson de Francesco Landini, avec sa partition dans le célèbre codex Squarcialupi (le Med Palat 87). Daté du XV siècle, ce manuscrit richement enluminé est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. En cherchant un peu, on peut également le trouver en ligne, sous une forme digitalisée.

L’hommage à Landini et à l’Ars Nova,
de l’ensemble ‘Alla Francesca

Pour la version en musique de ce chant polyphonique, nous vous proposons l’interprétation qu’en avait fait la célèbre formation médiévale française Alla Francesca, il y a déjà quelque temps déjà.

En 1991, soit l’année suivant sa création, l’ensemble de musiques anciennes et médiévales Alla Francesca partait, donc, à la découverte de Francesco Landini et de l’Ars Nova italien. Ce thème leur a même fourni l’occasion de leur toute première production. En terme de discographie, Alla Francesca en est, désormais à son vingtième album pour plus de trente ans de carrière. C’est dire le chemin parcouru par cette excellente formation depuis ses premiers pas.

L'album de musiques médiévales et d'Ars Nova de Alla Francesca

Cet album, sorti en 1992 sous le titre « Landini and Italian Ars Nova » propose un total généreux de 17 pièces, pour 55 minutes d’écoute. La formation attachée au Centre de musique médiévale de Paris signait là un vibrant hommage à l’Ars Nova florentin. Et si l’œuvre de Francesco Landini y trouve une place de choix, elle y côtoie aussi des pièces de Jacopo da Bologna, Ghirardello et Lorenzo da Firenze, et encore quelques autres compositeurs italien de cette période, dont des anonymes.

Plus de trois décennies après sa sortie, ce bel album peut encore se trouver à la vente au format CD, chez votre disquaire habituel ou encore en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Landini and Italian Ars Nova, Alla Francesca (1992).

Musiciens ayant participé à cet Album

Catherine Joussellin (voix, vièle, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Emmanuel Bonnardot (voix, vièle, rebec), Pierre Hamon (instruments à vents, cornemuses, flûtes, percussion)


Adiu, adiu, dous dame jolie,
dans la langue d’oïl de Landini

Adiu, adiu, douce dame jolie,
kar da vous si depart lo corps plorans
Mes a vous las l’esprit et larme mie.

Lontan da vous, aylas, vivra dolent.
Byen che loyal sera’n tout ma vie.

Poyrtant. ay! clere stelle. vos prie
Com lermes e sospirs tres dous mant
e
Che loyaute haies pour vestre amye.

Les paroles en français actuel

Adieu, adieu, douce dame jolie,
Car de vous je me sépare le corps en pleurs,
Mais je laisse près de vous mon esprit et mon âme.

Loin de vous, hélas, je vivrai dans la peine,
Bien que je vous demeurerai loyal toute ma vie.

Voilà pourquoi, hélas, claire étoile, je vous prie
Avec larmes et très doux soupirs et vous enjoins
De garder votre loyauté pour votre amant.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

« Amours & ma Dame aussi », un rondeau amoureux du trouvère Adam de La Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours et ma dame aussi
Interprète : Ensemble Micrologus
Album: 
Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion (2004)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’une nouvelle pièce du trouvère Adam de la Halle. Cet auteur compositeur prolifique du XIIIe siècle, nous a légué une œuvre abondante et variée qui a fait de lui, plus que « le dernier des trouvères » comme on l’a souvent appelé, un des premiers compositeurs en langue d’oïl de la France médiévale.

Un rondeau courtois à mains jointes

La chanson médiévale du jour a pour titre « Amours et ma dame aussi« . Il s’agit d’un rondeau polyphonique à 3 voix et donc d’une pièce courte. Dans le registre profane, elle nous offre un nouvel échantillon de la lyrique courtoisie du trouvère d’Arras.

Sur le fond, le contenu de ce rondeau reste simple et épuré. Le poète a aperçu la grande beauté d’une dame et son cœur en a été transpercé. Désormais, il est condamné à implorer cette dernière, mais aussi « Amour », autrement dit, le sentiment amoureux personnifié auquel les troubadours et les trouvères ne cessent de s’adresser directement. Que l’un ou l’autre veuillent bien lui accorder miséricorde et le délivrer de cet aiguillon ardent qui l’a enchaîné d’un seul regard, car si la belle n’accepte de lui céder, il lui faudra souffrir le martyre d’amant courtois : incapable de se soustraire à l’emprise de la dame, ce sera alors un bien funeste jour que celui où il aura découvert sa beauté.

Sources manuscrites médiévales

On pourra retrouver ce rondeau avec sa partition ancienne dans le manuscrit médiéval ms Français 25566. Cet ouvrage ancien mêle partitions, chansons et autres pièces littéraires des XIIe et XIIIe siècles. Il est également connu sous le nom de chansonnier W. Daté de la fin du XIIIe ou des débuts du XIVe siècle, il est originaire de la cité d’Arras qui a donné naissance, durant cette période du Moyen Âge central, à de nombreuses vocations artistiques.

L’œuvre d’Adam de la halle tient une place de choix dans ce manuscrit d’époque entre chansons, rondeaux, motets, mais encore pièces de théâtre. Avec plus de 280 feuillets, cet ouvrage enluminé et annoté musicalement permet aussi au trouvère d’Arras de côtoyer un grand nombre d’autres auteurs de cette période dont Jean Bodel, Richard de Fournival, Huon de Méri, Baudouin de Condé.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF.
Le rondeau du jour dans le manuscrit médiéval ms Français 25566 de la BnF (gallica.fr)

Une version de l’ensemble Micrologus

Pour l’interprétation en musique de la pièce du jour, nous avons penché pour la version de l’Ensemble Micrologus et sa belle orchestration.

Depuis sa fondation, dans le courant de l’année 1984, cette formation italienne dont la musicienne et chanteuse Patrizia Bovi est devenue l’une des figures emblématiques, s’est fait une spécialité des musiques du Moyen Âge. En privilégiant une approche ethnomusicologique, l’ensemble a produit pas moins de 36 albums, dont 26 collent au répertoire médiéval, pour une dizaine d’autres plus libres et expérimentaux. A l’occasion d’une carrière exceptionnelle qui fêtera bientôt ses 40 ans, le travail de Micrologus a été récompensé, à de nombreuses reprises, par des prix et mentions.

Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion, l’album

L'album de Micrologus sur Adam de la Halle et le jeu de Robin et Marion

En 2004, l’ensemble médiéval faisait paraître un album sur les pas d’Adam de la Halle. Sous le titre Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion et sur près de soixante minutes d’écoute, on y trouvait un mélange de nombreuses pièces du trouvère.

En terme de sources manuscrites, le ms Français 25566 y tenait une bonne place, aux côtés du codex de Montpellier H196, du codex Bamberg (Staatsbibliothek Bamberg Msc Lit 115) ou même encore du manuscrit du Roy (le ms français 844). A sa sortie, ce bel album fut largement salué par la scène médiévale et les revues spécialisées dans les musiques anciennes. Près de 20 ans après sa sortie, on peut encore le trouver édité chez Harmonia Mundi, à la commande chez votre disquaire préféré ou en ligne au lien suivant.

Membres de Micrologus présents sur cet album

Patrizia Bovi (voix, harpe gothique, instruments à vent), Adolfo Broegg (luth, guiterne), Gabriele Russo (viole, cornemuse, instrument à vent), Leah Stuttard (harpe médiévale et gothique), Goffredo Degli Esposti (chalemie, percussions, flute traversière, instruments à vent), Sofia Laznik-Galves (voix), Olivier Marcaud (voix), Mauro Borgioni (voix), Simone Sorini (voix), François Lazarevic (cornemuse), Luigi Germini (trompette), Gabriele Miracle (percussions).

La partition moderne du rondeau médiéval "Amours et ma dame aussi" de Adam de la Halle
« Amours et ma dame aussi » partition ancienne et moderne de ce rondeau du XIIIe siècle

Amours et ma Dame aussi*,
en langue d’oïl & en français actuel

Amours et ma Dame aussi,
Jointes mains vous proi merchi.
Votre grant biauté mar vi
Amours et ma Dame aussi.


Jointes mains vous proi merchi
Se n’avés pité de mi
Votres grant biautés mar vi
Amours et ma Dame aussi, etc.

Amours et ma Dame aussi,
J’implore votre grâce (miséricorde) à mains jointes
Hélas, pour mon malheur
(1), je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi.

Je vous implore à mains jointes
Si vous ne me prenez en pitié
Hélas, pour mon malheur, je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi, etc.


Notes

(1) mar : par malheur, mal à propos. On comprend bien la nature déguisée et la flatterie sous-jacente de la tournure.

* NB : ce rondeau est à rapprocher d’un autre rondeau très semblable d’Adam de la Halle. La parenté des deux pièces montrent bien la nature littéraire de l’exercice courtois :

A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.
Liés sui quant (je) vous voi.
A jointes mains vous proi,

Ayez merchi de moi
Dame, je vous en pri.
A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.



En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes