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Mieux vaut honneur que honteuse richesse, une ballade d’Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poésie satirique
Auteur : Eustache Deschamps, dit Morel (1340-1405)
Période : Moyen Âge central, XIVe siècle
Titre : Mieux vault honeur que honteuse richesce.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous avons le plaisir de vous présenter Eustache Morel dit Eustache Deschamps, un autre grand poète du Moyen Âge: Enfant du XIVe siècle, témoin de son temps, on l’inscrit volontiers dans la lignée de l’archipoète, de la poésie goliardique ou de Rutebeuf, et de la poésie sociale et satirique des XIIe, XIIIe siècle. On verra même, quelquefois, dans son œuvre et à travers ses réflexions ironiques ou morales sur les événements qu’il traverse, l’annonce de l’œuvre de François Villon et même encore de Charles d’Orléans.

Quand on se penche un peu sur la biographie de ce poète médiéval, on semble loin, pourtant, de la marginalité des clercs goliards,  de la misère sociale du jongleur Rutebeuf, ou même encore, des frasques et des déboires judiciaires de François Villon. Durant la majeure partie de sa vie, Eustache Deschamps sera un « petit officier de la cour royale », comme nous  le désigne Daniel POIRION (dans son article sur la eustache_deschamps_poete_medieval_huissier_armes_sous_charles_Vpoésie lyrique sur universalis), et restera proche du pouvoir qu’il représente ou qu’il défend.

Successivement écuyer, messager royal (chevaucheur) et huissier d’armes affecté à la garde du roi Charles V (portrait ci-contre),  il sera même, à l’automne de sa vie et sous le règne de Louis d’Orléans, nommé trésorier du fait de justice. Résolument attaché à la cour des rois, avec des positions variables en fonction des souverains au pouvoir, Eustache Deschamps côtoiera également Guillaume de Machaut, clerc, trouvère et poète qui aura une grande influence sur la codification des formes poétiques et musicales de son temps, voie dans laquelle, pour la poésie au moins, Eustache le suivra, se réclamant même de son influence.

L’art de la poésie chez Eustache Deschamps:
une musique naturelle et innée

Ce poète médiéval prolifique nous a laissé plus de mille cinq cent poèmes dont près de mille ballades, mais aussi des fables et 82 000 pieds de vers pour approcher le Moyen Âge central et le XIVe siècle finissant.

Il marquera sa différence avec les auteurs qui l’entourent de deux manières.  D’une part, il entend approcher résolument la poésie dans sa musicalité propre et l’affranchir ainsi du chant et de la musique: la poésie possède un musique naturelle propre, opposée à la musique qui a un musicalité écrite et artificielle. Cette dernière est apprise, l’autre est innée et on la possède ou non. Dans son approche rhétorique et dans son ouvrage « Art de Dictier » (1392-1393), Eustache Deschamps contribuera encore à eustache_deschamps_morel_poesie_medievale_satirique_moyen-age-centralcodifier  les règles de l’écriture poétique en langue vernaculaire. A la différence des Goliards qui prisaient le latin, il fera partie de ces clercs qui veulent mettre à la portée de tous la poésie et la langue française de son temps.

D’autre part, là où l’amour courtois et les petits malheurs (ou les grands drames) qu’il occasionne chez ses contemporains semble leur fournir d’inlassables prétextes à l’écriture autant que, hélas, en épuiser l’exercice, Eustache Deschamps s’y soustraira dans quelques-uns de ses poèmes, mais s’en affranchira aussi totalement dans la grande majorité des autres. Ainsi, il laissera en héritage, des textes plus volontiers tournées vers  l’observation de son temps où la critique et la satire l’emportent.

Mieux vaut honneur que honteuse richesse,
Eustache Deschamps, Ballade du XIVe

Nous vous présentons aujourd’hui un très beau texte de cet auteur du XIVe siècle qui, même s’il nous vient du monde médiéval, fait souffler un vent salutaire sur certaines valeurs dévoyées de notre monde moderne. « L’argent n’a pas d’odeur », dit-on ? Et bien, nous aurons ici,avec Eustache Deschamps,  l’outrecuidance de prétendre le contraire .

Qui puet vivre de son loial labour,
De l’art qu’il a, ou de sa revenue
Sans excéder, il vit a grand honour,
Car sa vie est de tous bonne tenue,
Puis qu’il ne toult (vole), qu’il ne ravit ou tue
Et que tousjours a loyaulté s’adresce,
N’acquierre jà chevance malostrue* :
Mieulx vault honeur que honteuse richesce.

(* ne gagne rien de façon malhonnête)

Car riches faulx n’a fors que deslionour,
En un moment est sa terre perdue,
Et ses péchiez fait muer sa coulour.
Que l’en perçoit (en voyant) sa grant desconvenue ;
Il n’ose aler teste levée et nue
Pour son meffait, ainz vers terre s’apresse,
Mas (Mat) et honteus comme une beste mue:
Mieulz vault honnour que honteuse richesce.

Car puis qu’uns homs ara  fait un faulx tour,
Monstrez sera au doit parmi la rue ;
Et lors ne fait que quérir un destour
Pour lui mucier, car son pechié l’argue**
Povres loyaulx lient son chief vers la nue
Homme ne craint, car honte ne le blesce.
Geste chose soit de tous retenue :
Mieulz vault honeur que honteuse richesse.

(** Pour se cacher, car son péché l’accuse)

Envoi

Princes, prodoms puet de nuit et de jour
Aler partout. Sa teste lieve et dresce.
Mais desloiaulx ne quiert que tenebrour :
Mieulx vault honour que [honteuse] richesce.

Une très belle journée à tous me amis, que la joie accompagne chacun de vos pas.

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Petit appel aux artisans, artistes, passionnés de monde médiéval et de moyen-âge

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Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous voulons simplement faire passer un petit message aux passionnés de moyen-âge et aux personnes ayant des activités ou produisant des choses autour de ce thème du monde médiéval : artisanat, art, musique, nourriture, compagnies médiévales, site d’intérêt historique,  organisateurs de spectacles ou d’événements, etc…

Si vous reconnaissez, n’hésitez pas à entrer en contact avec nous pour nous parler de cette passion et de vos réalisations. Nous prévoyons de faire régulièrement des articles pour présenter des profils de passionnés de monde médiéval qui œuvrent à le faire vivre ou revivre, sous toutes ses formes. Une petite sélection sera bien sûr effectuée sur la base du sérieux, des éléments et des médias (vidéos, photos) pouvant être fournis. (si vous souhaitez voir le type d’article que nous réalisons en voici un bel exemple ici.)

Voilà, portes ouvertes donc! Voici le courriel où nous joindre.
courrier-moyen-age-passion

Une belle journée à tous et longue vie!

Fred
pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

Motte Castrale et châteaux à mottes : HD format panoramique, fonds d’écran gratuits et jeux de lumières

Panoramic HD motte castrale et châteaux à motte
Panoramic HD motte castrale et châteaux à motte

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn passant, nous vous proposons quelques nouvelles images de la motte castrale en cours de reconstitution. C’est un monde 3D que nous réalisons avec le moteur du jeu vidéo Medieval engineers  de la société Keen Software et qui s’inspire de diverses lectures sur le sujet: de Viollet le Duc à d’autres études archéologiques plus récentes, en passant bien sûr par l’incontournable colloque de Caen sur l’archéologie médiévale et les écrits de Michel de Boüard et de Michel Bur (voir aussi nos articles sur la naissance et l’histoire des châteaux forts) et encore d’éléments retrouvés dans les chroniques de Guines et d’Ardre, par Lambert, curé d’Ardres (notamment sur la répartition des espaces privatifs et des pièces dans un donjon du milieu du XIIe siècle).

Nous nous attellerons bientôt à la réalisation d’une vidéo qui nous fournira l’occasion d’une visite virtuelle commentée de ce monde, mais en attendant, nous vous proposons un peu d’infographie et de travail sur les lumières, les ciels et les ambiances.

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Coucher de soleil sur le petit monde fermé d’une motte castrale du XIIe siècle

C’est donc un monde « imaginaire » que nous nous sommes proposés de réaliser ici. Il présente une grande motte castrale, ses installations défensives et sa basse-cour, et s’inspire de sources historiques et archéologiques sérieuses pour se situer à la croisée de possibles; l’idée étant donc de fournir le prétexte de parler de ces châteaux à motte et de leurs installations, autant que d’approcher la vie dans ce type de forteresses aux XIe, XIIe siècles.

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La butte castrale, sa tour maîtresse, sa rampe d’accès et ses douves

Comme nous le disions déjà dans un premier article de présentation sur ce projet de motte castrale, ceux qui sont familiers de ce genre de châteaux de bois et de terre noteront que notre butte est d’une hauteur assez exceptionnelle. Elle dépasse, en effet largement, les trente mètres d’élévation, ce qui la rend, de fait, bien plus haute que la plupart de ses contemporaines qui, elles, plafonnent bien plus souvent à des hauteurs maximales de 15 à 20 mètres. Il existe, bien sûr, des exemples de mottes castrales artificielles frappées de gigantisme notamment au niveau du diamètre général d’élévation en pied de butte mais peu d’entre elles atteignent de telles hauteurs que celle de nos captures et de notre monde 3D, en étant artificielles.

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Vue sur le barrage ayant favorisé l’aménagement des douves, la partie privative de la basse-cour et ses jardins.

Si une telle motte castrale avait existé, elle aurait été assurément juchée sur une butte semi artificielle, voir naturelle comme on a retrouvé certaines, depuis, grâce à l’archéologie ou encore à la photographie aérienne.

A l’image de sa hauteur, le diamètre du plateau de notre motte est aussi particulièrement grand. Bien qu’elles semblent avoir obéi à des standards de construction relativement hétérogènes, les mottes castrales du moyen-âge central présentent bien plus fréquemment des plateaux qui avoisinent les dix à quinze mètres de diamètre et celle-ci les supère largement. Même si notre forteresse imaginaire n’est pas encore de pierre, au vue de sa taille générale – motte et installations défensives et humaines comprises – autant que des moyens déployés nous sommes forcément, ici, en présence d’un seigneur de prestige et nanti. Pour faire bonne mesure nous lui avons d’ailleurs ménager une tour maîtresse (donjon) qui offre tout le confort auquel un tel seigneur aurait pu rêver dans le courant du XIIe siècle et dans ce moyen-âge, devenu féodal. 

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Motte castrale : vue globale du site bordée de deux rivières

Vous pouvez, bien entendu,  utiliser ces images, comme fonds d’écran gratuits si le coeur vous en dit.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Les regrets de la belle heaulmière, une lecture de François Villon par Brassens et une oeuvre magistrale de Rodin

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie réaliste, poésie satirique, poèsie médiévale
Auteur : François Villon
Titre : les regrets de la belle heaulmière
Période : moyen-âge tardif
Interprète : Georges Brassens, 1967
Média : lecture audio, film d’animation. Ina

brassens_françois_villon_les_regrets_poesie_medievale

Trois maîtres réunis autour d’une belle heaulmière en peine

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passion‘espère que ce petit billet de blog médiéval, vous trouve en joie. Nous continuons de chercher autour de Georges Brassens et de Villon et aujourd’hui, nous vous proposons  une pièce de choix. C’est une lecture audio pas une chanson, mais du même coup, peut-être y gagne-t’on encore en proximité avec le texte, et c’est aussi un peu comme si l’influence du grand Villon sur le non moins grand Brassens se faisait ici plus intime. C’est, cette fois-ci, « les regrets de la belle heaulmière », une poésie profonde sur le passage du temps sur le françois_villon_rodin_brassens_poesie_medievale_les_regrets_heaulmiere_lecture_audiocorps que Brassens nous proposait et comme c’est lui qui en faisait la lecture, le ton est juste et intelligent. Tout est à sa place et le texte est là, sans fausse émotion et dans toute sa vérité. Merci Brassens et merci l’INA!

En écho à l’art poétique et réaliste de  François Villon,  Auguste Rodin fera jaillir de ses mains, en 1887, cette belle courtisane, ayant pris de l’âge et souffrant des meurtrissures du temps et nous ne pouvions résister à partager ici une photographie de l’oeuvre de cet autre immense artiste et cette sculpture « celle qui fût la belle heaulmière » qui répondait à Villon plus de quatre siècles plus tard.

Les regrets de la belle heaulmière,
poésie de François Villon

Advis m’est que j’oy regretter
La belle qui fut heaulmière,
Soy jeune fille souhaitter
Et parler en ceste manière :

« Ha ! vieillesse felonne et fière,
Pourquoy m’as si tost abatue ?
Qui me tient que je ne me fière,
Et qu’à ce coup je ne me tue ?

« Tollu m’as ma haulte franchise
Que beauté m’avoit ordonné
Sur clercz, marchans et gens d’Eglise :
Car alors n’estoit homme né
Qui tout le sien ne m’eust donné,
Quoy qu’il en fust des repentailles,
Mais que luy eusse abandonné
Ce que reffusent truandailles.

« A maint homme l’ay reffusé,
Qui n’estoit à moy grand saigesse,
Pour l’amour d’ung garson rusé,
Auquel j’en feiz grande largesse.
A qui que je feisse finesse,
Par m’ame, je l’amoye bien !
Or ne me faisoit que rudesse,
Et ne m’amoyt que pour le mien.

« Jà ne me sceut tant detrayner,
Fouller au piedz, que ne l’aymasse,
Et m’eust-il faict les rains trayner,
S’il m’eust dit que je le baisasse
Et que tous mes maux oubliasse ;
Le glouton, de mal entaché,
M’embrassoit… J’en suis bien plus grasse !
Que m’en reste-il ? Honte et peché.

« Or il est mort, passé trente ans,
Et je remains vieille et chenue.
Quand je pense, lasse ! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue ;
Quand me regarde toute nue,
Et je me voy si très-changée,
Pauvre, seiche, maigre, menue,
Je suis presque toute enragée.

« Qu’est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blonds, sourcilz voultyz,
Grand entr’œil, le regard joly,
Dont prenoye les plus subtilz ;
Ce beau nez droit, grand ne petiz ;
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictis,
Et ces belles lèvres vermeilles ?

« Ces gentes espaules menues,
Ces bras longs et ces mains tretisses ;
Petitz tetins, hanches charnues,
Eslevées, propres, faictisses
A tenir amoureuses lysses ;
Ces larges reins, ce sadinet,
Assis sur grosses fermes cuysses,
Dedans son joly jardinet ?

« Le front ridé, les cheveulx gris,
Les sourcilz cheuz, les yeulx estainctz,
Qui faisoient regars et ris,
Dont maintz marchans furent attaincts ;
Nez courbé, de beaulté loingtains ;
Oreilles pendans et moussues ;
Le vis pally, mort et destaincts ;
Menton foncé, lèvres peaussues :

« C’est d’humaine beauté l’yssues !
Les bras courts et les mains contraictes,
Les espaulles toutes bossues ;
Mammelles, quoy ! toutes retraictes ;
Telles les hanches que les tettes.
Du sadinet, fy ! Quant des cuysses,
Cuysses ne sont plus, mais cuyssettes
Grivelées comme saulcisses.

« Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, pauvres vieilles sottes,
Assises bas, à croppetons,
Tout en ung tas comme pelottes,
A petit feu de chenevottes,
Tost allumées, tost estainctes ;
Et jadis fusmes si mignottes !…
Ainsi en prend à maintz et maintes. »

La mignonne et sa rose de Ronsard viennent  encore à l’esprit en réécoutant ou relisant  ce texte de Villon, même si la puissance réaliste et évocatrice de la poésie de ce dernier ne trouve guère d’égal. Réjouissons-nous tout de même contre cette vieille Heaulmière  que la beauté ne soit pas que dans les atours de la chair.

Une bonne journée à tous!
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes