Sujet : citation médiévale, amitié, richesse, poésie médiévale, littérature médiévale, langue d’oïl. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Ouvrage : le Roman de la Rose (1235-1280) Auteurs : Guillaume de Lorris, Jean de Meung
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous voguons vers le Moyen Âge central et le XIIIe siècle pour y découvrir une citation médiévale issue du Roman de la Rose. On la doit à Jean Clopinel, plus connu comme Jean de Meung. Ce dernier poursuivit l’ouvrage de 4000 vers que Guillaume de Lorris avait laissé inachevé en l’allongeant de nombreux vers et de sa verve satirique.
Amitié contre richesse ? Dans cette citation, Jean de Meung aura vite fait de trancher entre possession et vrais amis. Il délivrera même une variation sur un proverbe qu’on trouve également citer dans les Proverbes au vilain : Verus amicus omni praestantior auro : « Un véritable ami est plus précieux que l’or » et, en l’occurrence, qu’une ceinture pleine de deniers.
La citation en langue d’oïl
« Et por ce que nule richesce A valor d’ami ne s’adresce, N’el ne porroit si haut ataindre, Que valor d’ami ne fust graindre, Qu’adès vault miex amis en voie; Que ne font derniers en corroie. »
Et sa traduction en français actuel
« Car il n’est de richesse ici-bas Qui surpasse la valeur d’un ami, Ni ne pourrait monter aussi haut Que la valeur d’un ami serait encore plus grande, Car toujours il vaut mieux un ami avec soi Qu’une ceinture garnie de deniers.«
Le Roman de la Rose, Jean de Meung.
Sources manuscrites médiévales
Il existe de très nombreux manuscrits médiévaux de ce best-seller médiéval que fut le Roman de la Rose. Nous vous présentons ici le feuillet du jour tel qu’on le trouve dans le ms 9576 du KBR Museum. En prime vous trouverez aussi l’enluminure de la première page de ce beau manuscrit ancien. Cet ouvrage daté du courant du XIVe siècle, a été enluminé par Richard de Montbaston. Il peut être consulter en ligne sur le site du grand musée bibliothèque de Bruxelles.
Sujet : vieux-français, poésie médiévale, poésie courtoise, amour courtois, trouvères, langue d’oïl, salut d’amour, loyal amant, fine amor, complainte d’amour. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Titre : Douce bel, bon jor vous doinst Ouvrage : Manuscrit médiéval Français 837 de la BnF.
Bonjour à tous,
os pérégrinations médiévales du jour nous ramènent, à nouveau, au Moyen Âge central et au temps de l’amour courtois. Nous y découvrirons un nouveau Salut d’amour. Ces pièces courtoises, dont peu de traces ont subsisté, se retrouvent dans la poésie médiévale des XIIe et XIIIe siècles. Elles apparaissent d’abord chez les troubadours occitans. Puis, comme beaucoup d’autres formes poétiques de la Provence médiévale, elles seront adoptées par les trouvères du nord de France.
La complainte amoureuse d’un trouvère empressé
La pièce du jour a ceci d’original que l’auteur met en scène à la fois le salut de l’amoureux et la réponse de la demoiselle. Le prétendant souscrit à tous les codes de la lyrique courtoise et de la fine amor (fin’amor). Il souffre. Il est « dolent » et se tient à la merci de la demoiselle. Il lui sera loyal jusqu’à la mort, etc… Bien entendu, il ne tarira pas d’éloges sur les qualités et la valeurs de la dame. Lui accordera-t-elle pour autant ses grâces ?
Loin de se laisser séduire par le trouvère, la belle le mettra au pied du mur avec beaucoup de répartie. Sans l’éconduire, ni lui céder, elle raillera même sa prétendue souffrance et sa volonté de se sacrifier ou de mourir pour elle. Apparemment, le trouvère est allé un peu vite en besogne et la réponse de la demoiselle lui fournira l’occasion de recevoir une leçon de courtoisie.
Exercice littéraire contre retour au réel
Un certain humour se dégage de cet échange qui prend un peu de distance par rapport à la lyrique courtoise. La demoiselle oppose, en effet, à l’exercice poétique, un rappel direct au réel. C’est à la fois : « arrête de faire le lourdaud et d’en faire des tonnes » et « pas si vite, l’ami ! »
Autrement dit, il ne suffit pas d’une complainte enflammée et d’un loyal amant se disant prêt à se sacrifier pour s’attirer les faveurs d’une belle. Même avec une poésie flatteuse et bien menée, il en faut un peu plus pour faire tourner la tête d’une demoiselle de caractère. Celle du jour en a et si elle ne ferme pas la porte au trouvère, elle en exigera largement plus avant de tomber, plus tard peut-être, en pamoison. Au delà des formes de l’approche et de l’excès d’empressement du trouvère, valeurs morales, caractère, noblesse, réputation et statut social seront au programme de cette « recette » de la séduction courtoise.
Aux sources manuscrites de cette poésie médiévale
Pour la présentation des sources de cette poésie, nous revenons au Ms Français 837 de la BnF. Ce riche manuscrit médiéval daté de la dernière partie du XIIIe siècle nous propose pas moins de 249 œuvres d’auteurs divers entre fabliaux, contes, poésies et textes variés. A noter que Rutebeuf y tient une belle place avec 31 pièces signées de sa plume.
Dans le premier tiers du XIXe siècle, Achille Jubinal avait extrait de nombreuses pièces de ce manuscrit médiéval dont deux saluts d’amour (voir Jongleurs & Trouvères, 1835). Trois décennies plus tard, le philologue et chartiste Paul Meyer regroupait, à son tour, d’autres saluts d’Amours en langue d’oïl dans une parution de l’Ecole des Chartes (1). C’est sur cette dernière publication que nous nous sommes appuyés pour vous proposer la transcription de la poésie du jour, en graphie moderne.
Douce be, bon jor vous doinst Le Salut d’amour d’un trouvère & sa réponse
NB : à l’habitude, nous vous proposons quelques clefs de vocabulaire pour mieux comprendre cette poésie en vieux français.
Douce bel, bon jor vous doinst Li sainz Espirs, qui vous pardoinst Les maus que vous me fetes trere. Se vous m’elegiez mon afere Et mon mehaing (souffrance, blessure) et ma dolor Mar vi onques (par malheur je ne vis jamais)votre valor (vertu, mérite) Ne vostre biauté qui m’a mort (touché, atteint) Se de vous n’ai prochain confort (aide, consolation). Confortez moi d’aucune rien, Douce bele, si ferez bien.
Frans cuers, je vous en pri merci (pitié, miséricorde) Por Dieu qui onques ne menti Et qui soufri la trahison Que Judas fist par mesprison. S’aiez pitié de vostre amant Qui por vous sueffre paine grant, Et ferai tant com je vivrai Ne ja ne m’en repentirai.
A ma complainte metrai fin. Que Diex qui de l’eve (eau) fist vin Vous doinst vie, santé et joie, Et que voz cuers au mien s’otroie, Et me gardez ceste escripture, Que Diex vous doinst bone aventure, Si que de moi vous souvendra Ne ja mes cuers n’en mentira. Por Dieu ! bele, merci aiez De moi et si me renvoiez Vostre bon et vostre talent (désir, envie). Diex vous deffende de torment !
Ci parole la demoisele :
Je ne sai por qui vous avez Cel mal de qoi si vous dolez (lamentez, plaigniez). Tant vous remant je bien et di Se vous morez, que monte à mi (en quoi y serais-je lié) ? De vo mort ne m’est lait (funeste) ne bel ; Bien maschiez le putain lordel (vous savez bien faire le sot, l’idiot); Je croi que vous me cuidiez (croyez) beste; Trop vous plaingniez de saine teste, N’estes mie (aucunement) si angoisseus Com vous maschiez le dolereus (vous feignez d’être malheureux). Cist (ces) salut vous coustent petit Et moi refont peu de porfit. Tant vous di je bien et descuevre Je ne les met de riens à oevre, Ainz di que vous fetes folie De ce que me clamez amie ; Si ne sai pas se je vous aim, Je n’aurai le cuer de mon sain Armé si l’aurai esprové, Vrai et fin et loial trové.
Quar amanz doit estre loiaus Et deboneres comme aigniaus, Et douz et simples que coulons (colombes) Et hardiz de cuer de lyons. Ne doit estre de chose clere Ne beobanciere (arrogant, orgueilleux) ne mentere Ne borderes ne mesdisanz Ne orguillex ne despisanz (dédaigneux), Mes ausi bien que quens (comtes) ou rois Soit de cuer larges et cortois, Fame (reconnu, réputé) par tout aime et boneure. Ainsi puet venir au deseure (triompher). M’amor, biau douz, sanz longue broie (sans délai, sans marchander) Ne vous escondi ne otroie (ne vous refuse, ni vous octroie), Mes selonc ce que vous ferez De ma part chier tenez serez ; Adonc (Alors) aurez m’amor conquise Ce sachiez vous tout sans faintise. Dusqu’adonc n’ere vostre amie, Quar ne sai se par blangerie (flatterie) Me saluez ou par buffois (raillerie) Tant que vous eüssiez foi de moi.
« Chanson va-t-en et se li di : Qui por m’amor Sueffre dolore Mes amis bien l’emploie Hastivement A doubles .c. Li doublerai sa joie. »
Explicit complainte d’amors.
Retrouvez d’autres saluts d’amours en vieux français et leur traduction ici :
Sujet : animations médiévales, reconstituteurs, marché médiéval, compagnies médiévales, histoire vivante, guerre de cent ans, Bertrand du Guesclin. Période : Moyen Âge central, XIVe siècle. Evénement : Médiévales de Tiffauges 2024 Lieu : château de Tiffauges, Vendée, Pays de la Loire. Date : 28 & 29 septembre 2024.
Bonjour à tous,
ans la série des animations médiévales à ne pas manquer, l’histoire vivante vous donnera rendez-vous, les 28 et 29 septembre prochain, au château de Tiffauges. En partenariat avec le département de Vendée, l’Association du Roi Uther y fera revivre, en grand, l’effervescence des lieux, en 1373, et peu de temps après la fin des guerres de succession de Bretagne.
Médiévales de Tiffauges 2024 : le programme
Avec près de 15000 visiteurs attendus, on peut, une nouvelle fois, compter sur Gérard Paugam, sa passion de l’histoire et son sens du détail pour proposer là un événement ambitieux qui n’a que peu d’équivalent sur le sol français.
Le président du Roi Uther a démontré, depuis longtemps, qu’il sait s’entourer et son équipe de conseillers historiques, de techniciens et de spécialistes de l’organisation d’événements historiques a, une fois de plus, œuvrer pour concocter un événement unique à Tiffauges.
A l’image des médiévales de Tiffauges de l’an passé mais dans un tout autre contexte, Bertrand du Guesclin sera, à nouveau, l’un des grands personnage central de l’événement.
La reconquête de Du Guesclin
Pour qui s’en souvient, la précédente édition des Médiévales de Tiffauges avait fait revivre aux visiteurs l’année 1372. On y avait alors assisté à la préparation du siège de Thouars, à la toute fin des guerres de succession de Bretagne. Cette édition 2024 nous transportera un an plus tard.
En mars 1373, les armées anglaises ont débarqué en force à Saint-Malo et Charles V n’a eut d’autre choix que de faire appel à son meilleur chef de guerre, le connétable de France et de Castille Bertrand du Guesclin, pour repousser l’assaut ennemi. Ce dernier devra donc, redoubler d’efforts pour mettre de l’ordre dans la région, avec face à lui de belliqueux angloys.
Préparation en vue du siège de Brest
Pour faire échouer la tentative anglaise, Du Guesclin fera feu de tout bois. En ce milieu d’année 1373, il a déjà repris le contrôle de la majeure partie du duché. Les armées ennemies ne tiennent plus que quelques places fortes, dont la ville de Brest. Du Guesclin en a déjà tenté le siège sans y parvenir, faute de matériel approprié.
Pour mieux se préparer à entreprendre un nouvel assaut, il a décidé de se replier vers Tiffauges. Depuis l’endroit, il devra engager la construction d’engins de guerre capables de faire tomber Brest et ses remparts. Le connétable de France connaît bien le sujet et il s’entourera des meilleurs spécialistes pour lancer ces opérations. C’est à ce moment précis de l’histoire que les Médiévales de Tiffauges 2024 transporteront les visiteurs.
Grands campements, manœuvres & reconstitution
A Tiffauges, le connétable a fait appel a un grand ingénieur, maître dans la construction et le maniement de machines de guerre. De nombreux artisans spécialisés sont aussi venus en soutien, ainsi qu’un bouvier et ses bœufs.
Ces nouvelles ressources ont rejoint l’armée présente sur place. On peut aussi compter sur la noblesse bretonne qui s’est déjà enrôlée massivement sous la bannière de Bertrand du Guesclin. Dans une grande effervescence, piquiers, archers, coutiliers, chevaliers, sont là, tous déterminés à en découdre et à bouter l’angloys hors de Bretagne. On retrouvera toutes ces troupes à la manœuvre mais encore des engins de siège et des pièces d’artillerie à l’exercice.
Bien sûr, tout ce monde devra être nourri, logé, entretenu, soigné et tout un village fourmillant d’activités s’est constitué autour des hommes d’armes. Il ne tiendra qu’à vous de vous y émerger. En accord avec ce passionnant scénario, ces médiévales vous réserveront de nombreuses animations riches en émotions, au plus près de la réalité historique. Elles seront l’occasion de découvrir de nombreux aspects de la vie civile et militaire médiévale.
Compagnies médiévales & troupes invitées
Comme à l’occasion des années précédentes, de nombreuses compagnies et mesnies de reconstituteurs sont attendues pour l’événement. On en comptera pas moins de 32 venues des quatre coins de France, mais aussi d’autres pays européen pour faire vibrer l’histoire vivante à Tiffauges.
La Mesnie Enguerran – L’Alliance des Lions d’Anjou – Emptivus Miles – Maisnie de l’Hermine – L’ost du Castel – Les Tards Venus Societas Anglicis – Le Feu Liégeois – Mignoned ar Bro – Ar Soudarded – La guerre des couronnes – Via Historiae – L’Ost du Phénix – Alsaciae Protectores – Elsass Tempora – Oblitis Milites – Les Armoises – La Compagnie Gwesclen – Les Heures de Bedford – les Genz d’Armes 1415 – La Guilde des 3 couronnes – La Grant Compaigne – Les Penthièvres – Cercle d’arme du Dauphiné – Compagnies italiennes – Les écorcheurs Simwé – Totuis Britannae – Milites Nothi – La Volte Gaillarde – Sonj
Marché médiéval et animations permanentes
Sur place les visiteurs pourront encore compter sur un marché médiéval d’artisans sélectionnés et une belle aire de restauration. Des animations musicales seront aussi présentes pour égayer cette ambitieuse médiévale.
Une belle journée en vous remerciant de votre lecture.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : les photos utilisées dans cet article sont issues de l’édition 2023 des Médiévales de Tiffauges. Crédit photo @Barry ‘s photography. Pour l’affiche 2024, elle est, à nouveau, réalisée par le célèbre illustrateur Ugo Pinson.
Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, démon, damnation, blasphème, joueurs de dés. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga de Santa Maria 238 « O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou. » Interprète : Ensemble Alfonsie, Jota Martinez, Instruments pour louer Sainte Marie (2019)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons en direction de l’Espagne médiévale pour découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria du roi Alphonse X. Cette fois-ci, en fait de miracle et de salvation, ce chant marial portera sur le sort funeste réservé à un ménestrel dévoyé et de peu de foi.
Dans le courant du XIIIe siècle, les lieux de pèlerinages à la vierge étaient légion au cœur de l’Europe médiévale, et de nombreux miracles y circulaient. A la cour d’Espagne, Alphonse le savant, souverain de Castille, s’est attelé à leur compilation et même (selon ses propres dires) à leur mise en vers et en musique. Il en est résulté le riche corpus des Cantigas de Santa Maria, soit plus de 420 chants mariaux en Galaïco-portugais, annotés musicalement.
La plupart des Cantigas de Santa Maria sont des récits de miracles, entrecoupés de chants de louanges à la Sainte. Dans cet article, nous partons à la découverte de la Cantiga de Santa Maria 238, et donc, l’histoire d’un ménestrel joueur et blasphémateur qui ne sera pas sauvé.
Miracle et intercession du divin ou du diabolique dans le quotidien
Qu’est-ce que le blasphème ? Quel prix peuvent payer ceux qui s’y aventurent ? Au Moyen Âge, la séparation entre le monde spirituel et le monde matériel est assez ténue. On admet même assez facilement que le surnaturel puisse se manifester, à tout moment, dans le quotidien de l’homme médiéval.
Du haut Moyen Âge au XIIe siècle, des jugements comme l’ordalie montrent bien à quel point on pense que le divin peut intervenir instantanément au soutien du juste, pour empêcher qu’il ne se brûle ou s’ébouillante. De la même façon, le mécréant s’expose au châtiment direct du divin et les portes du salut, comme celles des miracles, lui resteront, le plus souvent, fermées.
Avec les miracles des Cantigas de Santa Maria, nous sortons du registre de l’ordalie judiciaire pour entrer dans le culte marial et la dévotion à la vierge. C’est donc la mère du « Dieu mort en croix » qui viendra intercéder par sa bonté et sa miséricorde en faveur des croyants et des dévots qui l’invoquent.
Certes, le diable ou les démons font aussi quelques apparitions dans le corpus d’Alphonse X. S’ils interviennent sous des formes diverses pour jouer des tours aux protagonistes, les tenter ou les remplir d’effroi, c’est souvent pour mieux être congédiés ou repoussés par la vierge. Face à la puissance de la mère du Christ, ils n’ont, en effet, guère de poids.
Fait intéressant, dans la plupart des miracles des Cantigas de Santa Maria, l’innocent, le malade, ou même encore l’impie ou le pèlerin égaré sur le chemin de la foi trouvent leur rédemption par des travers plus ou moins spectaculaires. La mansuétude et la miséricorde de la vierge restent le trait le plus souvent mis en avant. Quelques cantigas de Santa Maria comme celle du jour y font, toutefois, exception et se soldent par le châtiment cuisant du blasphémateur.
Pas de rédemption pour un ménestrel joueur et blasphémateur
La Cantigas 238 et ses enluminures dans le Banco Rari 20 de la Bibliothèque de Florence
Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 238 nous met en présence d’un ménestrel à la vie plutôt dissolue. Originaire de la ville portugaise de Guimarães, l’homme est un joueur de dés invétéré que rien ne semble pouvoir convaincre de renoncer à son goût du blasphème, ni de respecter la morale chrétienne.
La Cantiga 238 conte comment l’homme conspuait sans cesse Dieu et la Sainte Vierge en les rendant responsables de ses pertes au jeu. Comme un chapelain passait par là, l’audience se courba respectueusement à sa vue sauf le jongleur qui continua de blasphémer et cracha même sur son passage.
Revenu un peu plus tard dans les parages, le chapelain lui conseilla de faire pénitence. Il lui rappela les Saintes Écritures, le rôle de Marie et du Christ, autant que ses devoirs de croyant, en vain. Le ménestrel campa sur ses positions. Il railla même le religieux et continua de le provoquer, demandant même ouvertement qu’on le conduise au châtiment éternel et qu’on le brûle dans les flammes de l’enfer.
Dans la cantiga, son vœu fut exaucé au delà de ses espérances et s’il y eut « miracle », ce fut à ses dépens. L’ecclésiastique le prit, en effet, au mot. Il invoqua la vengeance de Jésus Christ et de la vierge et un démon ne tarda pas à apparaître pour emporter le joueur blasphémateur tout droit en enfer. Et le refrain de ce récit de vengeance céleste et divine de scander tout du long :
« O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou, Se pois del filla vinganç’ a maravilla nono dou »
« Celui qui veut avilir la Vierge qui a donné chair à Dieu, S’il en reçoit, par la suite,la vengeance, il ne faudra pas s’en étonner. »
La Cantiga de Santa Maria 238 en musique
L’ensemble Alfonsi de Jota Martinez : ethno-musicologie et recherche instrumentale
La 238 nous fournit l’occasion de découvrir une nouvelle formation musicale d’origine espagnole. Fondé en 2017 par Jota Martinez, l’ensemble Alfonsí explore le répertoire médiéval avec un parti-pris de restitution sonore et d’ethnomusicologie.
Dès la fin des années 89, son directeur artistique se passionnait déjà pour la restitution d’instruments en usage dans l’Espagne médiévale. En 2004, il forma même le projet ambitieux de reconstituer tous les instruments musicaux représentés dans les manuscrits des œuvres musicales d’Alphonse X de Castille. Quand on connaît un peu les manuscrits médiévaux des Cantigas, on réalise l’ampleur de l’entreprise. Les différents codex qui ont traversé le temps regorgent, en effet, d’enluminures de troubadours et musiciens en action.
La concrétisation d’un ambitieux projet
Quelques années plus tard, le musicologue et médiévaliste a tenu son pari. Une collection unique de soixante-dix instruments a vu le jour qu’il a pu restituer en s’appuyant sur des sources historiques variées, au delà même de l’œuvre d’Alphonse X.
En 2017, cette vaste collection entra, finalement, en action. Elle donna lieu à l’ensemble Alfonsi (ou Alfonsies, soit Alphonsien), une formation musicale ayant pour objectif de s’appuyer sur ce patient travail d’ethno-musicologie et de restitution, pour faire revivre autrement les musiques du temps du roi de Castille et ses cantigas de Santa Maria.
Ajoutons que, depuis le début des années 2000, on a pu retrouver Jota Martinez dans de nombreuses collaborations avec des groupes reconnus de la scène médiévale espagnole dont la célèbre formation d’Eduardo Paniagua ou encore la Capella de Ministrers valencienne.
Autre version de la CSM 238 par Jota Martinez & des instruments médiévaux anciens
Instruments pour louer Sainte Marie, l’album
En 2019, le projet de restitution de Jota Martinez donne donc naissance à un album signature de l’ensemble Alfonsi, centré sur les Cantigas de Santa Maria.
Il a pour titre : Instrumentos para Loar a Santa María et on y retrouve la CSM 238, aux cotés de 10 autres titres pour 63 minutes d’écoute. L’album recevra le prix Carles Santos de l’Institut de la Culture de Valence. Il sera notamment salué comme « Le Meilleur travail de restitution du patrimoine musical ».
Andrés Belmonte (flûte et flûte traversière), Ángel Vallverdú (flûte et percussions), Arturo Palomares (chant), Carles Magraner (rebel), Emilio Villalba (psaltérion), Fernando Depiaggi (ta´arilla), Gloria Aleza (chant et viole), Ismael Cabero (cornemuse espagnole médiévale, flûte et instruments à vents), Joansa Maravilla (percussions, Tabal), Jota Martínez (chant, rebab, maurache, vihuela), Juanma Rivero (chant), Lluna Issa Casterà (chant), Mara Aranda (chant), Mercedes Trujillo (chant), Miguel Ángel Orero (percussions, tabal), Patricia García (viole), Pedro Víctor López Meseguer (chant), Spyros Kaniaris (vieille orientale), Voro García (nafir).
La CSM 238 dans le Codice de los Musicos, Bibliothèque de l’Escurial (consulter en ligne)
La Cantiga de Santa Maria 238 en Galaïco-portugais original
NB : du fait des périodes de vacances, nous avons différé la traduction complète de cette Cantiga de Santa Maria. Dans l’attente, nous espérons que vous saurez vous contenter de son commentaire détaillé (plus haut dans cet article). Merci de votre compréhension.
Como Déus se vingou d’un jograr tafur que jogava os dados e porque perdera descreeu en Déus e en Santa María.
Comment Dieu se vengea d’un jongleur joueur (compulsif) qui jouait aux dés et diffamait Dieu et Sainte Marie parce qu’il perdait.
O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou, Se pois del filla vinganç’ a maravilla nono dou.
Celui qui veut avilir la Vierge qui a donné chair à Dieu, S’il en reçoit la vengeance, il ne faudra pas s’en étonner.
A Sennor que nos adusse salvaçôn e lum’ e luz, e que viu por nós séu Fillo mórte prender ena cruz, des i ten-nos amparados do démo que nos non nuz; en bõo día foi nado quena serviu e honrrou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
E desto vos direi óra ũa vengança que fez Jesú-Crist’ en Guimarães d’un jograr mao rafez, que el e sa Virgen Madre santa e o séu bon prez, per que o mundo foi salvo, ante todos dẽostou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
Aqueste jograr jogava os dados, com’ aprendí, E descreía tan muito, que quantos seían i Foron ên tan espantados que se foron os mais d’ i; Mais el de viltar a Virgen e Déus sól non s’ enfadou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
Non quis catar o maldito como prendeu carne Déus Na Virgen e pois prendeü por el mórte dos judéus, Mais o coraçôn proposo e todos los sisos séus En viltar Santa María, de que Déus carne fillou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
E dezía que non éra Déus nada neno séu ben, E que o da Virgen fora chufa, ca non outra ren. E el est’ e mais dizendo, ei-vos un capelán ven Que levava Córpus Crísti a un que i enfermou
Na vila. E os gẽollos ficaron todos entôn Ant’ aquel que da cadẽa nos foi tirar do dragôn; E o jograr mal-andante cospiu e disse que non Vira gente tan bavéca, e mui mal os dẽostou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
O capelán, quand’ oiü dizer mal do Salvador Do mundo, mui gran despeito houve daquel traedor; E pois se tornou du ía, diss’ entôn: “Ai, pecador D’ hóme, porquê dẽostavas óra o que te formou,
O que te fez de nïente e pois há t’a desfazer, E no día do joízo estarás a séu poder, Cativ’? E non sabes esto, nen t’ar quéres connoscer A aquel que do dïabo per séu sángui te livrou? O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…
E da Virgen grorïosa te nembra, e ben farás, E filla ta pẽedença por aquesto que dit’ hás.” El respondeu escarnindo: “Crérigo, que torp’ estás! O ben, de Déus e da Virgen renégu’, e aquí me dou
Que non hajan en min parte e que xe me façan mal E me metan, se podéren, dentro no fógu’ infernal.” Quand’ est’ o crérig’ oiü, diss’: “Ai, Grorïosa, val! Déus fille de ti vingança, assí como se vingou
Do traedor Simôn Magos, encantador que viltar Foi assí Santa María e séu Fillo desdennar.” Esto diss’ o prést’ e foi-s’; e o démo vẽo travar Eno jograr que vos dixe, e assí o apertou
Que o torceu entôn todo. E assí vingar-se quis Déus por si e por sa Madre, e desto seede fis Que nunca mais falou nada; e porên, pa-San Dinís, Atanto o tev’ o démo ta que ll’ a alma sacou
Do córpo e no inférno a foi lógo sobolir; Ca assí ir devería quen quér que foss’ escarnir Da Virgen e do séu Fillo, que nos vẽo remĩir; Qual sennor ele serviü, assí llo gualardõou. O que viltar quér a Virgen de que Déus carne fillou…