Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, Champagne, amour courtois, trouvère, biographie, oil Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Titre: Biaus m’est estez quant retentist la brueille Auteur : Gace Brulé (1160/70 -1215) Interprète : Ensemble Gilles Binchois Album: Les escholiers de Paris, Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous explorons la poésie courtoise champenoise de la fin du XIIe siècle avec le trouvère Gace Brûlé (Bruslé). Avec cet auteur, nous nous situons dans les premières oeuvres de lyrique courtoise en langue d’Oil.
Eléments de biographie
Trouvère, poète et chevalier de petite noblesse, Gace Brulé a vécu quelque part entre la fin du XIIe siècle (1160-1170) et le début du XIIIe siècle (1215).
Au titre des documents historiques fiables mentionnant Gace Brûlé, on a pu trouver dans le comté de Dreux la trace d’un contrat passé en 1212 pour deux arpents de terres entre un certain Gatho Bruslé et les templiers. Pour les historiens, il s’agit sans aucun doute de notre trouvère ce qui atteste des origines noble de l’homme (chevalier, ayant son propre sceau, quelques terres). Pour le reste, comme pour bien d’autres artistes et poètes du XIIe siècle, et même si quelques autres sources le mentionnent, il faut lire entre les lignes de sa poésie pour en déduire quelques éléments de biographie supplémentaires .
D’origine champenoise et de la région de Meaux, il vécut quelque temps en Bretagne, sous la protection sans doute du Comte Geoffroi II, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor. Il semble aussi s’être tenu un temps sous la protection de Marie de Champagne. La fille de Louis VII et Aliénor de Guyenne s’entoura, en effet, à cette époque, de quelques brillants auteurs, dans lesquels on pouvait encore compter Chrétien de Troyes. En cette fin du XIIe siècle, sa cour était un devenu le berceau de l’art poétique du Nord de la France et l’on s’y inspirait grandement des thèmes chers aux troubadour du sud. Son petit fils, Thibaut de Champagne,connu encore sous le nom de Thibaut le Chansonnier était, en ces temps, déjà né. Il allait d’ailleurs reprendre le flambeau et poursuivre cet élan culturel et artistique dans lequel Gace Brûlé s’inscrivait résolument.
Relations avec Thibaut de Champagne ?
Pour être contemporains l’un de l’autre, on a longtemps affirmé que les deux hommes s’étaient côtoyés et au delà qu’ils avaient même peut-être composé ensemble quelques poésies et chansons. La source en provenait des Grandes Chroniques de France de 1274 et d’une phrase qui suivant la lecture qu’on en faisait pouvait sembler même affirmer qu’ils avaient composé ensemble quelques chansons.
« … S’y fist entre luy (Thibaut de Champagne) et Gace Brûlé les plus belles chançons et les plus delitables et mélodieuses qui onque fussent oïes en chançon né en vielle… »
Dans un ouvrage dédié aux chansons à Gace Brûlé (Chansons de Gace Brûlé, 1902), Gédéon Huet, biographe spécialiste du trouvère champenois des débuts du XXe avait finalement rejeté l’hypothèse de relations ou de compositions communes. En croisant les sources indirectes, il avait en effet déduit que l’activité poétique de Gace Brûlé avait été antérieure à celle de Thibaut le Chansonnier et se serait plutôt située avant 1200. En se fiant aux simples dates, il est vrai que le futur roi de Navarre et comte de champagne n’était encore qu’un enfant tandis que Gace Brûlé avait déjà écrit des chansons qui avaient déjà largement conquis ses contemporains.
Près d’un demi-siècle après Gédéon Huet, un autre médiéviste, l’historien Robert Fawtier s’évertua à démonter ce raisonnement ou au moins à y apporter un bémol, en réhabilitant du même coup l’auteur des Grandes Chroniques de France : selon lui, les deux hommes auraient très bien pu se connaître et pourquoi pas se côtoyer même si l’un avait alors 13 ans et l’autre un peu plus de 25 ans. (voir article de Robert Fawtier sur persée).
La composition conjointe de chansons dans ce contexte reste tout de même improbable. Tout cela montre bien à quel point la rareté des sources peut quelquefois sur une simple phrase, faire place à la spéculation et aux débats qui lui sont associés. La chose n’est pas dénuée d’intérêt, pourtant, et dépasse la simple dimension anecdotique puisqu’elle permet de supputer ou non de l’influence directe qu’aurait pu avoir Gace Brûlé sur Thibaut de Champagne. L’Histoire a pour l’instant emporté avec elle ce secret. Ils évoluaient à la même cour et s’y sont peut-être croisés à une période où le trouvère était déjà largement populaire et reconnu.
Biaus m’est estez… parl‘Ensemble Gilles de Binchois
Oeuvres et popularité
Prisé de son époque, on retrouvera des chansons de Gace Brûlé cité dans le Roman de la Rose, mais aussi dans le Roman de la Violette de Gilbert de Montreuil. Le Guillaume de Dole confirmera encore la popularité de notre trouvère en le citant et on retrouvera encore des parodies de quelques unes de ses pièces dans d’autres ouvrages de chansons pieuses. Pour que tant d’auteurs y fassent référence, on ne peut que supposer que le trouvère champenois est alors largement reconnu et ses chansons largement populaires.
Du côté des manuscrits anciens, on retrouve les compositions de Gace Brulé dans un nombre varié d’entre eux. Nous n’entrerons pas ici dans la large étude de cette question et ceux qui voudront s’y pencher pourront trouver de nombreux détails dans l’introduction de l’ouvrage de Gédéon Huet disponible en ligne.
Dans cet article, nous vous proposons deux images tirées du beau chansonnier Clairambault de la Bnf consultable sur Gallica.bnf.fr
Le legs de Gace Brûlé reste également important en taille, même si là encore, les zones de flous ont compliqué un peu les analyses historiques; les frontières étant quelquefois ténues de l’oeuvre au corpus pour certains auteurs du moyen-âge. En suivant les pas de Gédéon Huet (opus cité), on devait au poète près de 33 pièces de manière certaine et 23 autres demeuraient d’attribution plus douteuse. Près d’un demi-siècle plus tard, un autre expert de la question, Holger Petersen Dyggve, grandspécialiste finlandais de philologie romane, lui en attribuait, cette fois, plus de 69 de manière certaine et une quinzaine d’autres plus sujettes à caution (Gace Brulé, trouvère champenois, édition des chansons et étude historique, 1951). Les travaux de ce dernier ont, depuis lors, fait autorité et c’est encore grâce à lui qu’on a pu situer plus précisément l’origine du célèbre trouvère du côté de Nanteuil-les-Meaux où l’on retrouve à la même époque, le patronyme « Burelé ».
Pour en conclure avec ce portrait et cette biographie de Gace Brûlé , ce « trouveur, auteur » médiéval est, avec Thibaut de Champagne, un des premier à avoir chanté l’amour courtois en langue d’oil. Son répertoire se calque sur une lyrique courtoise à la mode du temps qui, pour de nombreux médiévistes, explique sans doute plus son succès que ne pourrait le faire une grande innovation ou révolution dans le genre poétique.
Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle de l’ensemble Gilles de Binchois
Avec cet album sorti en 1992, Dominique Vellardet son Ensemble médiéval Gilles de Binchois rendait hommage à la musique médiévale française du XIIIe siècle et en particulier au genre polyphonique du motet. Au delà, c’est aussi la dynamique culturelle, artistique et musicale autour des universités et des collèges de la fin du XIIIe siècle et d’un Paris étudiant alors en pleine effervescence que la formation voulait ainsi saluer. Chansonnier Cangé, Manuscrit de Montpellier, Manuscrit Français 844 entre autres sources célèbres, l’Ensemble présentait ici une vingtaine de pièces sélectionnés parmi les fleurons de cette période.
Dans le vert sous-bois, inspiré par le chant des oiseaux, le noble chevalier, en bon « fine amant », souffre en silence. Prisonnier, victime sacrifiée sur l’autel d’un amour impossible. il aime une dame de si haute condition et tellement mieux (née) que lui qu’il n’est pas juste qu’il le fasse et pourtant qui peut-il ? Rien. Nous sommes avec cette chanson médiévale, dans les thèmes classiques du Fine amor et de la lyrique courtoise.
Biaus m’est estez, quant retentist la brueille* (*bois)(1),
Que li oisel chantent per le boschage,
Et l’erbe vert de la rosee mueille
Qui resplendir la fet lez le rivage* (*près de la rivière).
De bone Amour vueil que mes cuers se dueille,
Que nuns fors moi n’a vers li fin corage ;
Et non pourquant trop est de haut parage* (*rang,lignage)
Cele cui j’ain; n’est pas droiz qu’el me vueille.
Fins amanz sui, coment qu’amors m’acueille,
Car je n’ain pas con hons* (*homme) de mon aage,
Qu’il n’est amis ne hons qui amer sueille
Que plus de moi ne truist* (*de trover : trouve) amor sauvage, Ha, las! chaitis! ma dame qui s’orgueille
Ver son ami, cui dolors n’assoage* (*n’apaise) ?
Merci, amors, s’ele esgarde a parage, Donc sui je mors! mes panser que me vueille.
De bien amer amors grant sens me baille,
Si m’a trahi s’a ma dame n’agree ;
La volonté pri Deu que ne me faille,
Car mout m’est bel quant ou cuer m’est entrée ;
Tuit mi panser sunt a li, ou que j’aille,
Ne riens fors li ne me puet estre mée* (*médecin. fig : guérir)
De la dolor dont sospir a celée* (*en secret) ;
A mort me rent, ainz que longues m’asaille.
Mes bien amers ne cuit que riens me vaille,
Quant pitiez est et merciz oubliée
Envers celi que si grief me travaille
Que jeus et ris et joie m’est vaée.
Hé, las! chaitis! si dure dessevraille* (*séparation)!
De joie part, et la dolors m’agrée,
Dont je sopir coiement* (*doucement, secrètement), a celée ;
Si me rest bien, coment qu’Amors m’asaille.
De mon fin cuer me vient a grant mervoille,
Qui de moi est et si me vuet ocire,
Qu’a essient en si haut lieu tessoille ;
Dont ma dolor ne savroie pas dire.
Ensinc sui morz, s’amours ne mi consoille ;
Car onques n’oi per li fors poine et ire* (*peine et colère) ;
Mais mes sire est, si ne l’os escondire :
Amer m’estuet (*estoveir-oir :falloir), puis qu’il s’i aparoille.(2)
A mie nuit une dolors m’esvoille,
Que l’endemain me tolt* *(tolir : ôter) joer et rire ;
Qu’adroit conseil m’a dit dedanz l’oroille :
Que j’ain celi pour cui muir* (*meurs) a martire.
Si fais je voir, mes el n’est pas feoille
Vers son ami, qui de s’amour consire.
De li amer ne me doi escondire,
N’en puis muer* (*changer), mes cuers s’i aparoille.
Gui de Pontiaux, Gasses ne set que dire:
Li deus d’amors malement nos consoille.
(1) Brueil : Bois, « bois taillis ou buissons fermés de haies, servant de retraite aux animaux. » (Littré). « Et chant sovent com oiselet en broel », Thibaut de Champagne.
(2)Amer m’estuet, puis qu’il s’i aparoille : à l’évidence, il me faut aimer, je n’ai pas d’autres choix.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : humour médiéval, littérature médiévale, fabliaux, vilains, paysans, satire, conte satirique, poésie satirique, conte moral, moyen-âge chrétien. Période : moyen-âge central Titre : Du Vilain qui conquist Paradis par plait Auteur : anonyme Ouvrage : Les Fabliaux, Etienne Barbazan. Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe, Anatole Montaiglon et Gaston Raynaud.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous avons le plaisir de vous présenter un très célèbre fabliau en provenance du moyen-âge central. Nous en sommes d’autant plus heureux que nous nous vous proposons, à coté de sa version originale en vieux-français, son adaptation complète en français moderne par nos soins.
Un vilain « exemplaire » et pourtant
Pour faire écho à notre article sur le statut du vilain dans la littérature médiévale, ce conte satirique réhabilite quelque peu ce dernier. Comme nous l’avions vu, en effet, « l’homologue » ou le « double » littéraire du paysan sont l’objet de bien des moqueries dans les fabliaux et, d’une manière générale, dans la littérature des XIIe au XIVe siècles. Ce n’est donc pas le cas dans le conte du jour, puisque l’auteur y accorde même l’entrée du Paradis au vilain, contrairement à Rutebeuf qui ne lui concède pas dans son « pet du vilain« .
Pour le conquérir, le personnage aura à lutter en rendant verbalement coup pour coup et en démontrant de véritables talents oratoires, mais ce n’est pas tout. Entre les lignes, ce fabliau nous dressera encore le portrait d’un paysan qui a mené une vie exemplaire de charité et d’hospitalité. C’est donc un « bon chrétien » qui nous est présenté là et il possède aussi une parfaite connaissance des écritures bibliques qu’il retourne d’ailleurs à son avantage. Pour autant et comme on le verra, la question de cette nature chrétienne, si elle jouera sans doute indirectement un rôle, ne sera pas ce que le conte nous invitera finalement à considérer en premier.
Du Vilain qui conquit le Paradis en plaidant en vieux-français, adapté en français moderne
oncernant cette traduction/adaptation et pour en préciser l’idée, nous avons plutôt cherché, autant qu’il était possible, à suivre au plus près le fil de la traduction littérale tout en conservant le rythme et la rime du texte original. Pas de grandes envolées lyriques ou de révolution ici donc, on trouvera même sans doute quelques coquilles de rimes, mais cette adaptation n’a que la prétention d’être une « base » de compréhension ou même, pourquoi pas, une base de jeu pour qui prendrait l’envie de s’essayer à sa diction ou de monter sur les planches. La morale serait sans doute à retravailler pour la rime mais, pour être honnête, je n’ai pas eu le coeur à la dénaturer.
Pour des raisons de commodité et pour l’étude, nous vous proposons également une version pdf de cette adaptation. Tout cela représente quelques sérieuses heures de travail, aussi si vous souhaitiez utiliser cette traduction, merci de nous contacter au préalable.
Avant de vous laisser le découvrir, j’ajoute que les césures entre les strophes ne sont que l’effet de notre propre mise en page, destiné à offrir quelques espaces de respiration dans la lecture. Ce fabliau se présente, en général, d’une seul traite.
Nos trovomes en escriture Une merveilleuse aventure ! Qui jadis avint un vilain, Mors fu par .I. venredi main; Tel aventure li avint Qu’angles ne deables n’i vint; A cele ore que il fu morz Et l’ame li parti du cors, Ne troeve qui riens li demant Ne nule chose li coumant. Sachiez que mout fu eüreuse L’ame, qui mout fu pooreuse; Garda à destre vers le ciel, Et vit l’archangle seint Michiel Qui portoit une ame à grant joie; Enprès l’angle tint cil sa voie. Tant sivi l’angle, ce m’est (a)vis, Que il entra en paradis.Seinz Pierres, qui gardoit la porte, Reçut l’ame que l’angle porte; Et, quant l’ame reseüe a, Vers la porte s’en retorna. L’ame trouva qui seule estoit, Demanda qui la conduisoit : « Çaienz n’a nus herbergement, Se il ne l’a par jugement : Ensorquetot, par seint Alain, Nos n’avons cure de vilain, Quar vilains ne vient en cest estre. Plus vilains de vos n’i puet estre, Çà, » dit l’ame, « beau sire Pierre ; Toz jorz fustes plus durs que pierre. Fous fu, par seinte paternostre, Dieus, quant de vos fist son apostre; Que petit i aura d’onnor, Quant renoias Nostre Seignor ; Mout fu petite vostre foiz, Quant le renoiastes .III. foiz; Si estes de sa compaignie, Paradis ne vos affiert mie. Alez fors, or tost, desloiaus, Quar ge sui preudons et loiaus ; Si doi bien estre par droit conte.»Seins Pierres ot estrange honte ; Si s’en torna isnel le pas Et a encontré seint Thomas ; Puis li conta tot à droiture Trestote sa mesanventure, Et son contraire et son anui. Dit seinz Thomas : « G’irai à lui, N’i remanra, ja Dieu ne place! » Au vilain s’en vient en la place : « Vilains, » ce li dist li apostres, «Cist manoirs est toz quites nostres, Et as martirs et as confès; En quel leu as tu les biens fais Que tu quides çaienz menoir? Tu n’i puez mie remanoir, Que c’est li osteus as loiaus. Thomas, Thomas, trop es isneaus* De respondre comme legistres; Donc n’estes vos cil qui deïstes As apostres, bien est seü, Quant il avoient Dieu veü Enprès le resuscitement ? Vos feïstes vo sei rement Que vos ja ne le querriez Se ses plaies ne sentiez; Faus i fustes et mescreanz. » Seinz Thomas fut lors recreanz De tencier, si baissa le col;Puis s’en est venuz à seint Pol, Si li a conté le meschief. Dit seinz Pols : « G’irai, par mon chief, Savoir se il vorra respondre. » L’ame n’ot pas poor de fondre, Aval paradis se deduit : « Ame, » fait il, « qui te conduit ? Où as tu faite la deserte Por quoi la porte fu ouverte ? Vuide paradis, vilains faus ! « Qu’est ce ? dit il, danz Pols li chaus, Estes vos or si acoranz Qui fustes orribles tiranz ? Jamais si cruels ne sera ; Seinz Etienes le compara, Que vos feïstes lapider. Bien sai vo vie raconter ; Par vos furent mort maint preudome. Dieus vos dona en son le some Une buffe de main enflée. Du marchié ne de la paumée N’avon nos pas beü le vin ? Haï, quel seint et quel devin ! Cuidiez que ge ne vos connoisse? « Seinz Pols en ot mout grant angoisse. Tornez s’en est isnel le pas, Si a encontré seint Thomas Qui à seint Pierre se conseille ; Si li a conté en l’oreille Du vilain qui si l’a masté : « En droit moi a il conquesté Paradis, et ge li otroi. » A Dieu s’en vont clamer tuit troi. Seinz Pierres bonement li conte Du vilein qui li a dit honte : « Par paroles nos a conclus ; Ge meïsmes sui si confus Que jamais jor n’en parlerai.»Dit Nostre Sire : « Ge irai, Quar oïr vueil ceste novele. » A l’ame vient et si l’apele, Et li demande con avint Que là dedenz sanz congié vint : « Çaiens n’entra oncques mès ame Sanz congié, ou d’ome ou de feme ; Mes apostres as blastengiez Et avilliez et ledengiez, Et tu quides ci remanoir ! Sire, ainsi bien i doi menoir Con il font, se jugement ai, Qui onques ne vos renoiai, Ne ne mescreï vostre cors, Ne par moi ne fu oncques mors ; Mais tout ce firent il jadis, Et si sont or en paradis. Tant con mes cors vesqui el monde, Neste vie mena et monde ; As povres donai de mon pain ; Ses herbergai et soir et main, Ses ai à mon feu eschaufez ; Dusqu’à la mort les ai gardez, Et les portai à seinte yglise ; Ne de braie ne de chemise Ne lor laissai soffrete avoir ; Ne sai or se ge fis savoir ; Et si fui confès vraiement, Et reçui ton cors dignement : Qui ainsi muert, l’en nos sermone Que Dieus ses pechiez li pardone. Vos savez bien se g’ai voir dit : Çaienz entrai sanz contredit ; Quant g’i sui, por quoi m’en iroie ? Vostre parole desdiroie, Quar otroié avez sanz faille Qui çaienz entre ne s’en aille ; Quar voz ne mentirez par moi. Vilein, » dist Dieus. « et ge l’otroi ; Paradis a si desresnié Que par pledier l’as gaaingnié ; Tu as esté à bone escole, Tu sez bien conter ta parole ; Bien sez avant metre ton verbe. »Li vileins dit en son proverbe Que mains hom a le tort requis Qui par plaidier aura conquis ; Engiens a fuxée droiture, Fauxers a veincue nature ; Tors vait avant et droiz aorce : Mielz valt engiens que ne fait force.Explicit du Vilain qui conquist Paradis par plait
On trouve dans une écriture Une merveilleuse aventure Que vécut jadis un vilain Mort fut, un vendredi matin Et telle aventure lui advint Qu’ange ni diable ne vint Pour le trouver, lors qu’il fut mort, Et son âme séparée du corps, Il ne trouve rien qu’on lui demande Ni nulle chose qu’on lui commande. Sachez qu’elle se trouvait heureuse L’âme, un peu avant, si peureuse; (1) Elle se tourna vers le ciel, Et vit l’archange Saint-Michel Qui portait une âme à grand(e) joie; De l’ange elle suivit la voie. Tant le suivit, à mon avis, Qu’elle entra jusqu’au paradis.Saint-Pierre, qui gardait la porte, Reçut l’âme que l’ange porte; Et quand elle fut enfin reçue, Vers la porte, il est revenu. Trouvant seule l’âme qui s’y tenait il demanda qui la menait : « Nul n’a ici d’hébergement, S’il ne l’a eu par jugement (jugé digne) D’autant plus par Saint-Alain,
Que nous n’avons cure de Vilain. Les vilains n’ont rien à faire là, Et vous êtes bien un de ceux-là. « ça, dit l’âme, Beau Sire Pierre; Qui toujours fût plus dur que pierre. Fou fut, par Saint Pater Nostre, Dieu, pour faire de vous son apôtre; Comme petit fut son honneur, Quand vous reniâtes notre seigneur. Si petite fut votre foi, Que vous l’avez renié trois fois. Si vous êtes bien de ses amis, Peu vous convient le Paradis, Tantôt fort, tantôt déloyal moi je suis prudhomme et loyal Il serait juste d’en tenir compte. »Saint-Pierre pris d’une étrange honte, Sans attendre tourna le pas Et s’en fut voir Saint-Thomas; Puis lui conta sans fioritures Tout entière sa mésaventure Et son souci et son ennui Saint-Thomas dit : « j’irai à lui Il s’en ira, Dieu m’est témoin ! Et s’en fut trouver le vilain « Vilain, lui dit alors l’apôtre, « Cet endroit appartient aux nôtres Et aux martyres et aux confesses En quel lieu, as-tu fait le bien Pour croire que tu peux y entrer ? Tu ne peux pas y demeurer C’est la maison des bons chrétiens. » « Thomas, Thomas, vous êtes bien vif A répondre comme un légiste ! N’êtes vous pas celui qui dites Aux apôtres, c’est bien connu, Après qu’ils aient vu le seigneur Quand il fut ressuscité, Faisant cette grossière erreur, Que jamais vous ne le croiriez Avant d’avoir touché ses plaies ? Vous fûtes faux et mécréant. » Saint-Thomas perdit son allant à débattre et baissa le col.Et puis s’en fut trouver Saint-Paul, Pour lui conter tous ses déboires. Saint Paul dit « J’irai le voir, On verra s’il saura répondre. » L’âme n’eut pas peur de fondre, A la porte elle se réjouit (jubile). « Ame » dit le Saint, qui t’a conduit? Ou as-tu juste eu le mérite D’avoir trouvé la porte ouverte ? Vide le Paradis, vilain faux! » « Qu’est-ce? dit-il, Don Paul, le chaud! Vous venez ici, accourant, Vous qui fûtes horrible tyran ? Jamais si cruel on ne vit, Saint Etienne lui s’en souvient, Quand vous le fîtes lapider. Votre vie, je la connais bien, Par vous périrent maints hommes de bien. Dieu vous le commanda en songe, Un bon soufflet bien ajusté, Pas du bord, ni de la paumée. (2) N’avons-nous pas bu notre vin ? (3) Ah ! Quel Saint et quel devin ! Croyez-vous qu’on ne vous connoisse? » Saint-Paul fut pris de grand angoisse Et tourna vite sur ses pas, pour aller voir Saint-Thomas, Qui vers Saint-Pierre cherchait conseil; Et il lui conta à l’oreille Du vilain qui l’avait maté : « Selon moi, cet homme a gagné Le paradis je lui octrois » A Dieu s’en vont clamer tous trois, Saint-Pierre tout bonnement lui conte Du vilain qui leur a fait honte : « En paroles il nous a vaincu ; J’en suis moi-même si confus Que jamais je n’en parlerai. »Notre Sire* (le Christ) dit, « Alors j’irai Car je veux l’entendre moi-même » Puis vient à l’âme et puis l’appelle Lui demande comment il se fait Qu’elle soit là sans être invitée « Ici n’entre jamais une âme, Sans permission, homme ou femme, Mes apôtres furent outragés Insultés et (puis) maltraités, Et tu voudrais encore rester ? « Sire, je devais bien manoeuvrer Comme eux, pour obtenir justice Moi qui ne vous renierai jamais Ni ne rejetterai votre corps (personne) Qui pour moi ne fut jamais mort; Mais eux tous le firent jadis, Et on les trouve en paradis. Tant que j’ai vécu dans le monde J’ai mené (une) vie nette et pure Donnant aux pauvres de mon pain Les hébergeant soir et matin, A mon feu je les réchauffais Jusqu’à la mort, je les gardais (aidais) Puis les portais en Sainte Eglise. De Braie pas plus que de chemise, Ne les laissais jamais manquer, Et je ne sais si je fus sage, Ou si je fus vraiment confesse. Et vous fis honneur dignement. Qui meurt ainsi, on nous sermonne Que Dieu ses péchés lui pardonne Vous savez bien si j’ai dit vrai. Ici, sans heurt, je suis entré Puisque j’y suis, pourquoi partir ? Je dédierais vos propres mots Car vous octroyez sans faille Qu’une fois entré, on ne s’en aille, Et je ne veux vous faire mentir. » « Vilain », dit Dieu, « je te l’octroie : Au Paradis, tu peux rester Puisque qu’en plaidant, tu l’as gagné. Tu as été à bonne école, Tu sais bien user de paroles Et bien mettre en avant ton verbe. »Le vilain dit dans son proverbe Que maints hommes ont le tort requis Au plaidant qui conquit ainsi
son entrée dans le paradis. (4) L’adresse a faussé la droiture (5) Le faussaire (a) vaincu la nature ; Le tordu file droit devant et le juste part de travers : Ruser vaut mieux que force faire. (6)Explicit du Vilain qui conquit le Paradis en plaidant
NOTES
isneaus* ; vif, habile (1) « L’âme qui moult fut peureuse » : l’âme qui avait eu très peur au moment de se séparer du corps.
(2) Pas du bord ni de la paumée : pas du bout des doigts, ni du plat de la main. Pour le dire trivialement : toute la tartine.
(3) N’avons-nous pas bu notre vin ? Allusion à l’évangile de Saint-Thomas. « N’ais-je pas accompli mes devoirs de bon chrétien? » (4) littéral : à celui qui aura conquis en plaidant.
(5) Sur l’ensemble de l’explicit, certains termes employés sont assez larges au niveau des définitions, il a donc fallu faire des choix. Engiens : ruse, talent, adresse. Nature : ordre naturel, loi naturelle. Droiture: raison, justice.
(6) La ruse vaut mieux que la force.
Profondeur satirique & analyse
n se servant de la distance au personnage, l’auteur semble à première vue, conduire ici une réflexion profonde et acerbe sur la légitimité des intermédiaires (en l’occurrence les apôtres), pour accorder l’entrée au paradis et juger de qui en a le privilège ou non. En mettant l’accent sur la dimension humaine des Saints et leurs faiblesses, on pourrait même vraiment se demander à quel point l’auteur n’adresse pas ici vertement la reforme grégorienne. On se souvient que par certains aspects, cette dernière avait confisqué, en effet, aux chrétiens le dialogue direct avec Dieu ,en faisant des personnels épiscopaux les intermédiaires nécessaires et incontournables pour garantir aux croyants, le Salut de son âme.
Travers humains
& légitimité des intermédiaires
Au fond, si les Saints et apôtres eux-même, pour leurs travers humains ou leurs erreurs passées, n’ont pas la légitimité de refuser à notre joyeux et habile paysan l’entrée en paradis, que dire alors du personnel de l’église ? On sait que par ailleurs les fabliaux nous font souvent des portraits vitriolés de ces derniers (cupidité, lubricité, etc).
Sous les dehors de la farce, il est difficile de mesurer l’intention de l’auteur ou la profondeur véritable de la satire, mais on ne peut pas faire l’économie de cette lecture de ce fabliau. Le conteur y adresse-t-il la légitimité des hommes, aussi « Saints » ou canonisés soient-ils, à tenir les portes du paradis et juger du Salut des âmes ? Est-ce une lecture trop « moderne » pour le moyen-âge ? Bien que ce conte satirique paraisse soulever clairement la question, ses conclusions et sa morale nous tirent au bout du compte, en un tout autre endroit, de sorte qu’il est difficile de savoir si l’auteur n’a fait ainsi que se dégager de la forte satire présente sur ces aspects ou si son propos n’était simplement pas là.
Talent oratoire plus que valeurs chrétiennes ?
out d’abord et par principe finalement, le vilain n’est pas autorisé à entrer au Paradis. « Il ne peut être un bon chrétien ». Le fabliau s’évertuera à nous démontrer le contraire, mais d’emblée, c’est un fait entendu qui a force de loi. Dès le début du conte, nous sommes dans la conclusion du « Pet du vilain » de Rutebeuf. : aucun ange, ni diable ne viennent chercher l’âme défunte. Personne ne veut du vilain; ni l’enfer ni le paradis ne sont assez bons pour lui. S’il veut sa place, il lui faudra la gagner, faire des pieds et des mains. Autrement dit dégager, un à un, tous les intermédiaires et leurs arguments – en réalité ils n’en ont pas, il ne font qu’opposer une loi – en remettant en cause leur légitimité à juger de ses mérites.
A-t-il démontré au sortir de cette joute qu’il est un bon chrétien ? En réalité non. La conclusion s’empêtre dans quelques contradictions dont il est permis, encore une fois, de se demander, si elles ne sont là que pour atermoyer la question de fond par ailleurs bien soulevée : « Beaucoup d’hommes donneront tort au vilain d’avoir ainsi gagné son entrée au paradis« , et pourtant finalement il n’est pas ici question d’affirmer que le vilain l’a gagné par sa parfaite connaissance des écritures, et encore moins par une certaine « exemplarité chrétienne » de sa vie : « Le faussaire a vaincu la nature (l’ordre naturel, la loi)… Le tordu file droit et le juste part de travers… «
Au fond, c’est son talent à argumenter qui est explicitement mis à l’honneur, dusse-t-il être considéré comme « tordu ». Les Saints ont eu affaire à plus grand orateur qu’eux et ce vilain là n’a gagné son entrée au paradis que par sa propre habilité. Il demeure donc une exception et celle-ci ne doit rien à son respect des valeurs chrétiennes: « la ruse, le talent triomphe de la force, du juste, de la loi ». Ce qui fait que le fabliau est drôle (au sens de l’humour médiéval), c’est que le vilain a réussi finalement à berner les Saints. Les questions de fond sur la légitimité de ces derniers à détenir les clefs du paradis, comme celle plus large des hommes, de leurs travers et de leur bien fondé à juger du Salut d’un des leurs, vilain ou non, se retrouvent bottées en touche. Après avoir été soulevées, leur substance satirique est en quelque sorte désamorcée ou en tout cas amoindrie.
D’ailleurs, le Christ en personne (« nostre Sire ») n’accordera aussi son entrée au vilain que sur la base de son talent oratoire et sa capacité à « gloser » sur le fond des évangiles: « Tu as été à bonne école, tu sais bien user de paroles et bien mettre en avant ton verbe ». CQFD : les actions du vilain de son vivant, chrétiennes ou non, ne sont pas adressées. Elles ne sauraient semble-t-il, en aucun cas, fournir une raison suffisante à son entrée en Paradis. La loi reste la loi. Pour que l’humour fonctionne, il faut, semble-t-il, que ce vilain reste une exception et ne soit qu’à demi réhabilité.
Pour parenthèse et avant de nous séparer, veuillez noter que les photos ayant servi à illustrer cet article sont toutes des détails de toiles du peintre bolognais du XVIe/XVIIe siècle, Guido Reni (1575-1642): dans l’ordre, le Christ remettant les clefs du Paradis à Saint-Pierre, suivi d’un portrait de Saint-Pierre et de Saint-Paul.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie médiévale, Angleterre, chanson médiévale, lyrique courtoise, amour courtois. Période : XIIIe, moyen-âge central Source : MS Muniment Roll 2, King’s College, Cambridge. Titre: Bird on a Briar, Bryd one brere (breere), Auteur : anonyme Interprète : Ensemble Belladonna Album: Melodious Melancholye(2005) The sweet sounds of medieval England
Bonjour à tous,
ujourd’hui, pour faire écho à la chanson de Colin Muset, « En may quand le Rossignols« , nous passons de l’autre côté de la manche, en Angleterre, pour une chanson médiévale du même siècle. Nous sommes donc au moyen-âge central et vers la fin du XIIIe.
Conservé au King’s College de Cambridge, sur un rouleau de parchemin référencé MS Muniment Roll 2, cette pièce, demeurée anonyme, conte parmi les plus anciennes chansons qui nous soient parvenues de l’Angleterre médiévale. Elle a été retrouvée, copiée au dos d’une bulle papale datant de 1199 mais elle lui est postérieure et on la date usuellement au XIIIe siècle. Etranges méandres suivis par les sources historiques pour traverser le temps, il est assez cocasse de penser que cette chanson profane ait pu être retranscrite au dos d’un document religieux officiel qui datait déjà alors de près de cent ans. On s’imagine mal aujourd’hui griffonner les paroles d’une chanson ou d’une poésie, si jolie soit-elle, sur un manuscrit daté.
Amour, espoir, douleur et renouveau :
une jolie pièce de Lyrique courtoise
Oiseau sur une branche de bruyère ou de rosier églantier : Bryd one brereen anglais ancien ou Bird on a Briar en anglais moderne, cette chanson nous conte l’histoire d’un poète épris d’une servante. Inspiré lui aussi par un oiseau, comme beaucoup de ses contemporains chanteurs et artistes de l’Europe médiévale, le chanteur lui demandera d’intercéder en sa faveur pour lui attirer l’amour de la belle convoitée. Si elle lui offrait son coeur, il serait enfin libéré de sa douleur et même « renouvelé »: loye and blisse were were me newe;la joie et le bonheur le vêtiraient d’habits neufs, autrement dit, ferait de lui un homme neuf. Pour nous situer dans l’Angleterre médiévale, nous sommes bien ici dans la lyrique courtoise chère à nos trouvères et troubadours des XIIe et XIIIe siècle.
Au passage, on notera que la variante de Bird, « Bryd », associé au « Brere », « Briar » de la fin du vers évoque indéniablement avec ses R roulés, le roucoulement de l’oiseau ou peut-être encore le bruissement de ses ailes. Sur le plan métaphorique, il incarne ici pour le poète la belle désirée ou même ou peut-être même encore amour lui-même.
Bird on a Briar, Bryd one brere par l‘Ensemble Belladonna
Les doux sons de l’Angleterre médiévale
par l’ensemble Belladonna
On peut trouver, en ligne, de nombreuses versions et reprises de cette chanson qui avec Miri(e) it is while sumer ilast fait partie des pièces les plus célèbres du répertoire médiéval ancien anglais.
Aujourd’hui, c’est l’interprétation de l’Ensemble Belladonna que nous avons choisi pour vous la présenter. C’est la deuxième pièce que nous partageons ici de leur album Melodious Melancholye, les doux sons de l’Angleterre médiévale,daté de 2005, mais il faut avouer que, par bien des aspects, cette production du trio de musiciennes venues d’horizons et de pays divers, est une véritable merveille de justesse et de sensibilité.
Bird on a Briar, une chanson du XIIIe siècle en anglais ancien et sa traduction en Français
ur le plan métaphorique, on peut se demander à quel point cette poésie fait aussi référence au registre religieux ou même au culte marial : lumière, salut, renouveau, blancheur, fleur des fleurs etc… C’est une hypothèse que l’on trouve notamment creuser dans un article du Guardian. Vue sous cet angle, la chanson prendrait bien évidemment un tout autre tour et hériterait d’un double-sens assez subtil. Cela reste plausible même s’il nous semble tout de même qu’elle appartienne au fond plus clairement au registre courtois et profane.
Bryd one brere, brid, brid one brere, Kynd is come of love, love to crave Blythful biryd, on me thu rewe Or greyth, lef, greith thu me my grave.
Oiseau sur la bruyère, Oiseau, Oiseau sur la bruyère (1) L’homme ( mankind, l’humanité,) est né de l’amour, ainsi l’amour nous assoiffe (nous en avons soif) Oiseau joyeux, aie pitié de moi Ou creuse, amour, creuse pour moi ma tombe.
Hic am so blithe, so bryhit, brid on brere, Quan I se that hende in halle: Yhe is whit of lime, loveli, trewe Yhe is fayr and flur of alle.
Je suis si joyeux, si inondé de lumière, oiseau sur la bruyère Quand je vois cette servante dans la salle A la peau si blanche, si charmante et pure* (true : vraie, authentique) Elle est si juste, fleur de toutes les fleurs.
Mikte ic hire at wille haven, Stedefast of love, loveli, trewe, Of mi sorwe yhe may me saven Ioye and blisse were were me newe.
La pourrais-je jamais conquérir Ferme en son amour, charmante et sincère, Pour qu’elle puisse me sauver de ma douleur, Et me revêtir d’une joie et d’une félicité nouvelles (la joie et le bonheur ferait de moi un homme neuf)
(1) Nous traduisons ici Brere, en anglais moderne « Briar » par Bruyère. Le mot désigne aussi le rosier églantier. La tentation est bien sûr grande de changer l’oiseau en rossignol. S’il s’agissait d’une adaptation, nous n’aurions pas hésité une seconde.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : contes moraux, sagesse, poésie morale, poésie persane, citation médiévale. conte persan, patience. jeunesse, Période : moyen-âge central à tardif. Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici un nouveau conte persan de MocharrafoddinSaadi. Il est extrait d’un chapitre du Gulistan, qui touche aux choses de la jeunesse et de l’âge.
Un jour, dans l’orgueil de la jeunesse, j’avais marché vite et la nuit venue, j’étais resté épuisé au pied d’un montagne. Un faible vieillard arriva à la suite de la caravane et me dit :
– Pourquoi dors-tu ? Lève-toi, ce n’est pas le lieu de sommeiller »
Je répondis :
– Comment marcherais-je puisque je n’en ai pas la force ? »
– N’as-tu pas appris, repartit-il, que l’on a dit : » Marcher et s’asseoir valent mieux que courir et être rompu. »
Vers : O toi qui désire un gîte, ne te hâte pas, suis mon conseil et apprends la patience : le cheval arabe parcourt deux fois avec promptitude la longueur de la carrière, le chameau marche doucement nuit et jour. »
Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan, le jardin des roses.
Dans la littérature médiévale occidentale, la vieillesse a bien souvent deux visages. D’un côté, on retrouvera cette figure de l’ancien expérimenté, le sage, l’ermite, le conseiller, quelquefois encore, le vieux chevalier aguerri qui éduque le jeune. De l’autre, plus fréquent, on trouvera l’ancien fatigué que l’oisiveté autant que la faiblesse ou le manque de moyens peut même miner. Il déplorera alors sa jeunesse perdue, on l’a vu avec Michault Taillevent dans son passe-temps, mais on le retrouve aussi chez Eustache Deschamps et d’autres auteurs médiévaux. On pourra pour en citer un autre exemple se souvenir encore ici des regrets de la belle heaulmière de François Villon.
Dans un autre registre, viennent s’ajouter encore des images plus moqueuses et plus satiriques. On trouvera ainsi le vieux pingre, ou encore le vieillard argenté et lubrique qui cherche à marier une jeune fille ou à s’en attirer les faveurs.
Dans une certaine mesure, ces deux visages-là seront présents dans les contes de Saadi sur la jeunesse et sur la vieillesse. L’âge n’y est pas toujours synonyme de sagesse et la figure de l’ancien oscille, chez lui aussi, entre les deux extrêmes, expérience et raison d’un côté et « travers » de l’autre : avarice, pingrerie, vantardise, lubricité, etc… Sur ce dernier aspect, le poète persan mettra même les vers suivants dans la bouche d’une jeune fille pressée par un prétendant bien plus âgé qu’elle : « Si une flèche se fixe dans le côté d’une jeune fille, cela vaut mieux pour elle que la cohabitation d’un vieillard ».
Dans une autre historiette, qui rejoindra la précédente sur le fond moral, on retrouvera, cette fois l’image d’un vieillard auquel on demandera pourquoi il ne prend pas de jeune épouse et qui s’en défendra justement : « Moi qui suis vieux je n’ai aucune inclination pour les vieilles femmes, comment donc la femme qui sera jeune pourra-t-elle éprouver de l’amitié pour moi qui suis vieux? ». Comme celui du conte du jour, cet autre là portait en lui, à l’évidence, quelques graines de sagesse et parlait, à tous le moins d’expérience.
Pour le reste et encore une fois, pour Saadi comme pour les auteurs médiévaux de l’Europe chrétienne, la sagesse n’est pas une qualité intrinsèque et systématique provenant de l’âge. Pardonnez-moi, mais je n’y resiste pas, finalement, il semble bien que tous auraient pu chanter en choeur et d’égale manière avec Brassens que « le temps n’y fait rien à l’affaire« .
Pour en revenir au moyen-âge occidental, au positif ou au négatif, au masculin comme au féminin, la vieillesse n’est, en général, pas une figure centrale de la littérature médiévale et encore moins des romans chevaleresques. Ces derniers restent basés sur des valeurs mettant en scène plutôt la jeunesse, dans l’action, comme dans l’apprentissage ou l’initiation.
Le mythe moderne du héros en a-t-il hérité ? Sans doute dans de grandes proportions, même s’il est possible qu’avec les glissements de la pyramide des âges et l’allongement de la durée de vie, la fourchette d’âge qui le définit se soit tout de même un peu élargie. Jusqu’à récemment, le cinéma américain, pour ne parler que de lui, nous a d’ailleurs gratifié de quelques productions mettant en scène ses acteurs favoris devenus largement seniors (Sylvester Stallone, Morgan Freeman, Arnold Schwarzenegger, etc…), dans des rôles encore très orientés sur l’action.
En vous souhaitant une belle journée !
Fred
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Sur ce sujet, on trouvera quelques compléments utiles dans les sources suivantes :