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« Ne m’oubliez mie », une chanson polyphonique courtoise du XIIIe siècle par l’Ensemble médiéval La Rota

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl,  chants polyphoniques, motets, manuscrit médiéval
Période :  XIIe siècle,  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Ne m’oubliez mie
Auteur :  Anonyme

Interprète :  Ensemble La Rota
Album : Heu, Fortuna  (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, vers l’amour courtois avec un chant polyphonique médiéval, daté de la deuxième partie du XIIIe siècle. Cette pièce est demeurée anonyme et on peut la retrouver dans un beau manuscrit ancien dont nous vous dirons un mot ici. Nous partagerons également sa belle interprétation par l’Ensemble La Rota, ensemble médiéval québécois crée au début des années 2000.

Le Chansonnier ou codex de Montpellier H196 : trésor de la polyphonie médiévale

manuscrit-montpellier-chanson-poesie-medievale-amour-courtois-moyen-age-central-XIIIe-siecle_sAvec 336 oeuvres polyphoniques et motets, le Codex de Montpellier H196, connu encore comme Chansonnier de Montpellier est un précieux témoin de la musique polyphonique du moyen-âge central. Pour son contenu, autant que ses enluminures et l’état de sa conservation, il est, à juste titre, considéré comme un véritable trésor patrimonial. Les pièces présentées dans ce manuscrit médiéval, daté de 1300, s’étalent, dans leur grande majorité, sur la deuxième moitié du XIIIe siècle.

Vous pouvez consulter le manuscrit original en ligne ici. Vous trouverez également toutes ses pièces retranscrites dans l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles, de Gaston Raynaud (1881)

Ne m’oubliez mie chanson médiévale anonyme par l’Ensemble la Rota

L’ensemble médiéval la Rota

Installés originellement au Québec, le quatuor La Rota s’est spécialisé, dès sa création, dans le répertoire des musiques médiévales. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le nom  qu’ils ont choisi pour leur formation, fait référence à une danse du moyen-âge, mais surtout et de leurs propres mots, à la roue de la fortune médiévale dont nous vous avons souvent parlé ici.

ensemble-medieval-la-Rota-musiques-chansons-moyen-ageFondé en 2002, l’ensemble a vu ses efforts récompensés quelques années plus tard ; en 2006, il a, en effet, été primé, outre atlantique, pour son travail dans le domaine des musiques anciennes et médiévales par la Early Music América. Un an plus tard, la formation sortait un premier album qui, sauf erreur, n’a pas été suivi d’autres productions à ce jour.

Actualité

Après des débuts très prometteurs sur la scène musicale médiévale, l’Ensemble La Rota ne nous a plus laissé grand chose à nous mettre sous la dent depuis les années 2011-2012. De fait, du point de vue de leur actualité, il semble bien que la formation soit totalement en sommeil, On peut, toutefois, retrouver certains de ses membres toujours affairés dans des projets autour des musiques anciennes et du moyen-âge, notamment outre-atlantique.

Membres de l’ensemble Sarah Barnes (chant, soprano), Tobie Miller (flûte, vièle à roue, soprano), Baptiste Romain (Vielle),  Esteban La Rotta (luth, harpe gothique)

Heu Fortuna, l’album

En 2007, avec son premier album, l’Ensemble La Rota a choisi de mettre en exergue les musiques de la France médiévale de la deuxième partie du XIIIe siècle. Enregistré en l’église Saint-Augustin de Mirabel, au Québec), l’album propose vingt-une pièces de choix puisées dans différents manuscrits médiévaux dont le Codex de Montpellier.

ensemble-la-rota-musique-medievale-moyen-ageLes compositions anonymes de cette période (chansons, estampies,  rondeaux, jeu parti,…) y côtoient des œuvres d’auteurs plus célèbres comme Philippe de Vitry, Blondel de NesleGuiot de Dijon,  Gillebert de Berneville, Jehan de Lescurel.  On peut encore trouver cet album à la vente, au lien suivant :  Heu, Fortuna / la Rota.

« Ne m’oubliez mie » : chant d’amour courtois

Dans cette courte pièce anonyme du XIIIe siècle, l’amant courtois, loin de sa dame, lui chante son amour et sa loyauté, en ne tarissant pas de louanges sur les valeurs tant physiques que morales de cette dernière. Il n’en aimera jamais d’autres et il se tient dolent et affligé, dans la douleur de cet amour de loin qui est le lot coutumier des fine(s) amants médiévaux.

Le vieux-français en usage dans cette chanson ne pose pas de difficultés particulières mais nous vous en proposons, tout de même  une traduction simple et sans prétention. Pour les musiciens qui souhaiteraient s’essayer à cette partition, nous l’avons trouvée retranscrite par Han Tischler dans un ouvrage de 1978 (The Montpellier Codex, Fascicles 6, 7 and 8) et nous vous la livrons donc ici.

chanson-medievale-partition-amour-courtois-codex-chansonnier-montpellier-manuscrit-ancien-moyen-age

Les paroles de cette chanson médiévale
dans le vieux français du XIIIe siècle

Ne m’oubliez mie,
Bele et avenant :
Quant je ne voz voi, s’en sui plus dolens,
Car je n’oubli mie
Vostre grant valour
Ne la compaignie
A nul jour.
N’avré mes envie
D’amors
D’autre feme née.
C’est la jus en la ramée,
Amours ai ! Marions i est alée !
Bone amour ai qui m’agrée !

Ne m’oubliez pas,
Belle juste et agréable !
Quand je ne vous vois plus, j’en suis d’autant plus affligé
Car je n’oublie jamais
Votre grande valeur
Ni votre compagnie, 
A chaque jour qui passe.
Et je ne désirerai jamais
D’amour
D’une autre femme.
C’est là-bas, sous le buisson,
Je suis amoureux ! Marion y est allée :
J’ai bel amour qui m’agrée.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Le Festival Voix et Route Romane 2019

festival-musique-medievale-alsace-voix-et-route-romane-2019Sujet : événement, festival médiéval,  musiques anciennes, musiques médiévales, patrimoine, églises romanes, Ars Nova, chants polyphoniques, Cantigas de Santa Maria, Trobairitz, églises médiévales
Période : Moyen Âge central à tardif
Evénement : Festival Voix et Route Romane, « l’Alpha et l’Omega, une Histoire du Temps »
Dates : du  30 août au 22 septembre 2019
Lieu : Alsace, itinérant,  (route, romane)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passion partir du 30 août et jusqu’au 22 septembre 2019, le beau Festival Voix et Route Romane sera de retour, sur les routes d’Alsace, pour sa 27eme édition. Pour ceux d’entre vous qui seraient passés à côté de notre article sur l’édition 2018 de ce bel événement, le projet original de ses organisateurs est à la croisée du monde musical et patrimonial. Il s’agit, en effet, de faire découvrir à ses auditeurs des églises médiévales et romanes de la région alsacienne, tout en leur proposant des concerts issues du répertoire du Moyen Âge et interprétés par les plus grandes formations du moment.

Une édition 2019
sur les traces du Merveilleux au Moyen Âge

festival-musique-medievale-patrimoine-voix-et-route-romane-2019Dans un monde médiéval perçu par ses contemporains comme empli de mystères, de magie et de miracles, la frontière est ténue et se brouille, quelquefois, du naturel au surnaturel ; du point de vue thématique, l’édition 2019 du Festival Voix et Route Romane ne se contentera pas de vous entraîner sur les routes. Elle porte, en effet, en elle, de belles promesses de voyages spirituels et imaginaires puisqu’elle se propose de vous inviter sur les traces du Merveilleux au Moyen Âge avec ses bestiaires, ses miracles, ses étranges métamorphoses, ou encore ses sortilèges et ses philtres d’amour.

Pour accompagner cet itinéraire que mêlera plus que jamais patrimoine, histoire, imaginaire et musiques médiévales, onze dates clefs, étalées sur quatre week-end sont à retenir sur vos agendas. De Strasbourg à Saint-Dié-des-Vosges, en passant par Eschau, Marmoutier, Haguenau et bien d’autres sites encore, elles vous entraîneront, du XIIe au XVe siècle, sur les terres de l’Europe médiévale et même au delà.

Ensembles de musique et thèmes abordés

Le Miroir de Musique (l’étonnement amoureux dans la Bourgogne du XVe siècle)  – Mora Vocis (les compositrices du Moyen Âge) – Peregrina (musique et miracles autour de Saint Nicolas, du XIIe au XVe) – Ordo Virtudum (Chants grégoriens et rivalités monacales de Cluny à Cîteaux) – La Fonte Musica  (Mythes antiques et métamorphoses dans l’Ars Nova) – Hesam Naseri et l’Ensemble Novak (mélodies persanes du XIIIe) – Cum Jubilo (l’Amour et l’émerveillement amoureux médiéval au Féminin)  – Canticum Novum (les Miracles dans les Cantigas de Santa Maria)Trio Mediaeval  (itinéraire musical et chants anciens d’Islande, Italie, Norvège et Angleterre) – Ars Choralis Coeln (sur les traces du culte marial Cantigas d’Alphonse X et llibre vermeil de Montserrat) – Alla Francesca (bestiaire médiéval des IIIe et XIVe)

Pour les dates précises, les réservations ainsi que le détail complet des lieux et programme des concerts, merci de vous reporter au Site officiel du Festival Voix et Route Romane (vous pouvez également le télécharger au format pdf sur ce lien alternatif).

En vous souhaitant une belle journée.
Fred

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La Quinte estampie réale par l’ensemble Aëlis & un portrait de cette jeune formation

chanson_musique_danse_medievale_manuscriit_ancien_français_844_chansonnier_du_roi_moyen-ageSujet :  danses médiévales, musique médiévale,  estampie,  manuscrit ancien, chansonnier du Roy,, Français 844, chansonnier du Roy.
Période :  moyen-âge,  XIIIe siècle.
Auteur :  anonyme
Titre  : la quinte estampie royale
Interprètes    :   Ensemble Aëlis
Album : Aëlis (2015)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionombreuses sont les formations musicales, des plus  classiques aux plus folk(s), qui se sont frottées aux danses médiévales du XIIIe siècle : estampies. saltarelles, ductia, trotto, etc… autant de mélodies mesurées ou plus enlevées qui évoquent un certain Moyen-âge festif.

Aujourd’hui, à la faveur d’un interlude musical, nous revenons sur une de ces pièces : la Quinte Estampie Reale (ou royale). Elle est tirée du MS Français 844, manuscrit ou Chansonnier du Roy. La grande majorité des estampies connues du Moyen-âge nous provient de ce manuscrit ancien conservé à la BnF, mais aussi du Add 29987 ou Manuscrit de Londres de la British library.

Cette fois-ci, c’est à l’Ensemble Aëlis,  une formation originaire de France que nous devons son interprétation et nous profiterons de cet article pour vous la présenter.

La quinte estampie par l’Ensemble Aëlis

L’ensemble Aëlis

Des musiques médiévales et anciennes
aux musiques traditionnelles d’ici & d’ailleurs

L’ensemble Aëlis s’est formé au début de l’année 2015, autour de cinq artistes confirmés venus d’horizons divers (musique classique, médiévale, celtique, folk, pop-rock, …), mais ayant tous en commun un grand intérêt pour les musiques anciennes et traditionnelles. Cette diversité s’est retrouvée dans l’ambition très large de la formation ; elle s’est ainsi donnée le Moyen-âge comme une partie seulement de ses terrains d’exploration, tout en entendant bien élargir son répertoire à des périodes plus récentes, mais aussi à d’autres horizons culturels.

Aux musiques et chansons de la France médiévale, Aëlis a ainsi ajouté à son champ des possibles : Cantigas, musiques séfarades, musiques et chansons de la renaissance, ou même encore pièces vocales et instrumentales, en provenance d’un registre plus récent et plus folklorique. A tout cela,  devaient aussi pouvoir venir s’ajouter des compositions originales. Un vaste programme donc.

musiques-medievales-anciennes-ensemble-Aelis

Activités et actualités

De 2015 à 2017, on retrouve Aëlis plutôt actif sur la scène musicale et l’ensemble a eu l’occasion de présenter un échantillon de son travail et de son positionnement artistique au public, à travers plusieurs programmes : musiques et chansons médiévales, Carmina Burana, chansons traditionnelles françaises, mélodies et chansons séfarades,  airs anciens de noël, etc… Les années suivantes (fin 2017 et 2018) consacrent une période où la formation semble nettement moins active côté scène, ou à défaut, être passée sous les radars.

Que son public s’en réjouisse toutefois, l’ensemble s’apprête à donner un concert, preuve qu’il est toujours en activité. Il sera sur scène, le 6 août prochain, au soir, à l’Abbaye-Nouvelle  de Léobard, pour un concert  sur le thème Musiques médiévales d’aujourd’hui & d’Ailleurs : Voir le site de l’événement – Page FB d’Aëlis (peu actualisée à date de cet article)

Aëlis : l’album

ensemble-aelis-album-musiques-chansons-medievales-moyen-age-centralLa formation a produit, dès la fin 2015, un album, titré Aëlis. Avec un total de 12 pièces, ce dernier ouvrait sur la chanson de bele Aelis, composée par le trouvère Baude de la Quarière, du milieu du XIIIe siècle. En plus de l’estampie du jour on y retrouvait encore d’autres pièces en provenance du moyen-âge central : « Aussi comme l’unicorne sui » de Thibaut de Champagne,  « la belle se sied au pied de la tour » de Guillaume Dufay, ou encore pour ne citer que ces trois là La complainte des tisseuses de soie, tirée originellement du chevalier au Lion de Chrétien de Troyes.  Fidèle à l’intention du groupe de proposer des titres allant de l’ancien au plus folklorique et traditionnel, ses titres médiévaux côtoyaient sur l’album  des chansons plus récentes comme la Péronnelle ou Quand je menai mes chevaux à boire  (que l’ensemble folk Malicorne avait rendu célèbres en son temps) ou encore El testament d’Amèlia, chanson traditionnelle et folklorique catalane.

Les membres de la formation Aëlis

Myriam Krivine  (chant, riqq, tambour)
Jean-Michel Deliers  (vielle à roue, cornemuse, psaltérion, chalumeau, percussions, chant)
Jean-Luc Lenoir (luth, harpe médiévale, guitare-lyre, chant)
Aliocha Regnard  (vièle à archet, nyckelharpa, chant)
Denis Zaidman  (flûtes, hautbois à capsule, chalémie, chant)

En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Découvrir d’autres Estampies médiévales

La Septime estampie Reale et l’Istampitta in Pro par  Voices of Music
La Sexte Estampie par Le Albion Dance Band

La Sexte Estampie par le Eurasia Consort
La Quinte Estampie  de Anne Azema avec Shira Jammen
La Quinte Estampie par le Early Music Consort de Londres 
La Quarte estampie Royale par Hespèrion XXI
La Tierce Estampie avec le Dufay Collective
La Prime Estampie Royale du Manuscrit du roy avec Hespérion XXI

Parlamento ; Une Estampie du MS 29987 avec ArteFactum
Ghaetta, une estampie du Manuscrit de Londres avec ArteFactum
La plus vieille chanson anglaise connue, avec l’Ensemble Belladonna
Le Lamento di Tristano e rotta avec Hespérion XXI
Kalenda Maya sur un air d’estampie, avec le Clemencic Consort

Autres pièces dansées du Moyen-âge :
ductia, saltarelles, trotto, …

Un Saltarello du Manuscrit de Londres par Voices of Music
Un Saltarello du MS 29987 de Londres version Dead Can Dance
Le même saltarello par l’ensemble Musica Vagantium
La   Rotta della Manfredina  du Manuscrit de Londres avec Micrologus
Une Ductia du XIIIe siècle  avec le Dufay Collective
Une Ductia Medievale sous la direction des andalous de Artefactum
Un Trotto du MS 29987 à la façon du Lyrebyrd Consort

Marcabru : « L’autrier, a l’issida d’abriu », un départ de pastourelle pour une poésie satirique

troubadour_moyen-age-central_musique_chanson_poesie_medieval_occitan_oc_occitanie_MarcabruSujet  : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale,  chant de croisade. poésie satirique, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :   Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « L’autrier, a l’issida d’abriu»
Interprète : Ensemble Tre Fontane
Album
Le Chant des Troubadours v1 (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le pays d’Oc médiéval et ses premiers troubadours, avec une nouvelle chanson de Marcabru (Marcabrun). Au menu, sa traduction de l’occitan vers le français moderne, quelques réflexions sur son contenu, et sa belle interprétation par l’Ensemble Tre Fontane.

Quelques réflexions
sur la chanson médiévale du jour

« L’autrier, a l’issida d’abriu » est une pièce satirique qui débute de manière « conventionnelle », entendez courtoise, avec même de claires allures de pastourelle. Aux portes du printemps, le poète occitan se tient en pleine nature et un chant d’oiseau va l’inspirer. Il croise ainsi une jeune fille, tente de la séduire, mais bientôt les vers de cette dernière se font satiriques et désabusés. La demoiselle se détourne de lui, son cœur est ailleurs, lui dit-elle : prix, jeunesse et joie déchoient. A qui se fier dans un siècle où les nobles valeurs se perdent ? Même les puissants seigneurs s’y associent aux pires goujats. Croyant éviter les trahisons adultérines en confiant à ces derniers la garde de leurs épouses, ils se fourvoient grandement et sont deux fois trahis.

marcabru_poesie-satirique-chanson-medievale_manuscrit-medieval-ancien-français-12473-s« L’autrier, a l’issida d’abriu » de Marcabru, Chansonnier K, Chansonnier provençal ou Français 12473, de la BnF    (consultez sur Gallica)

Au delà d’une première approche de traduction, peut-être faut -il renoncer à comprendre totalement la poésie de Marcabru pour la goûter pleinement ? Cette question n’en finit pas d’être posée à travers les vers tout en allusion de ce troubadour qui semblent, si souvent, se référer à des réalités connues, seules, de ses contemporains, quand ce n’est pas seulement de lui-même.

Le texte du jour n’échappe pas à la règle. Avec cette image de l’épouse cadenassée et sous bonne garde, Marcabru fait-il référence, sans le nommer, au cas d’un noble en particulier, en prenant soin, au passage, de le noyer dans une catégorie : celles des « hommes puissants et des barons » ? Le phénomène est-il si généralisé qu’il a l’air de le dire ?  N’est-ce là qu’un prétexte fourni au grand maître de cette forme de poésie hermétique qu’est le trobar clus, pour critiquer indirectement la toile de fond courtoise et ses fréquents appels à l’adultère ? On le sait, les valeurs qu’affectionne le poète occitan sont chrétiennes et les amours cachées et interdites mises en exergue par la courtoisie ne sont pas pour lui, ni de son goût « moral ».

« L’autrier, a l’issida d’abriu » Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Chant des Troubadours d’Aquitaine
par l’Ensemble Tre Fontane

Nous avons déjà mentionné ce bel ensemble médiéval qui a dédié une large partie de sa longue carrière à l’interprétation des chansons de troubadours occitans du Moyen-âge central. A cette occasion, nous avions même détaillé la production dont est issue la pièce du jour aussi nous vous invitons à vous y reporter: Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine Amorchanson-musique-medievale-troubadours-occitan-medieval-tre-fontane

L’album en question est toujours édité et disponible à la vente  en ligne. Voici un lien utile pour en savoir plus : Le chant des troubadours volume 1 par l’Ensemble Tre-Fontane.


« L’autrier, a l’issida d’abriu »,
de l’occitan médiéval au français moderne

Pour la traduction nous avons suivi partiellement celle de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Le reste est le fruit de croisements et de recherches personnelles.

I
L’autrier, a l’issida d’abriu,
En uns pasturaus lonc un riu,
Et ab lo comens d’un chantiu
Que fant l’auzeill per alegrar,
Auzi la votz d’un pastoriu
Ab una mancipa chantar.

L’autre jour, au sortir d’avril,
Dans  des pâturages, au long d’un ruisseau,
Et, alors (la chanson) commence un (d’)chant
Que font les oiseaux pour se réjouir,
J’entendis la voix d’un pastoureau
Qui chantait avec une jeune fille.

II
Trobei la sotz un fau ombriu
 « Bella, fich m’ieu, pois Jois reviu
…………………………………………..
Ben nos devem apareillar. »
—  « Non devem, don, que d’als pensiu
Ai mon coratg’ e mon affar. »

Je la trouvais sous un hêtre ombreux.
— « Belle, lui dis-je, puisque Joie revit.
……………………………………………..
Nous devrions bien nous mettre ensemble.»
— « Nous ne le devons pas, Sire, car ailleurs
Sont tournés mon coeur et mes préoccupations.» (« pensées & désirs ». Dejeanne) 

III
— « Digatz, bella, del pens cum vai
On vostre coratges estai? »
—  « A ma fe, don, ieu vos dirai,
S’aisi es vers cum aug comtar,
Pretz e Jovens e Jois dechai
C’om en autre no’is pot fiar.

— « Dites-moi, belle, de ses pensées qui ainsi,
occupent votre cœur? »
— « Par ma foi, sire, je vous dirai,
S’il est vrai comme je t’entends conter,
Prix, Joie et Jeunesse déchoient,
De sorte qu’on ne peut se fier à personne.

IV
D’autra manieira cogossos,
Hi a ries homes e baros
Qui las enserron dinz maios
Qu’estrains non i posca intrar
E tenon guirbautz als tisos
Cui las comandon a gardar.

D’autre façon (dans un autre registre) sont cocufiés les maris.
Et il est des hommes puissants et barons
Qui enferment leurs femmes dans les maisons,
Afin que les étrangers ne puissent y entrer,
Et qui tiennent des goujats aux tisons
Auxquels ils donnent ordre de les garder.

V
E segon que ditz Salamos,
Non podon cill pejors lairos
Acuillir d’aquels compaignos
Qui fant la noirim cogular,
Et aplanon los guirbaudos
E cujon lor fills piadar. »

Et selon ce que dit Salomon,
Ceux-là ne peuvent accueillir de pires larrons
Que ces compagnons
qui abâtardissent les rejetons (1),.
Et ils caressent les  goujats
En s’imaginant ainsi couvrir leurs propres fils d’affection.»  (2)

(1) La traduction que nous avons utilisée ici de « noirim » comme bouture, rejeton, nourrain  provient du Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours: comparée avec les autres langues de l’Europe latine, P Raynouard (1811) De son côté JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909)  traduit : « abâtardissent la race ».  Pour information, on trouve le même terme traduit comme « nourriture » dans le Dictionnaire d’Occitan Médiéval en ligne.

(2) Raynouard : rendre leur fils plus affectueux


En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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