Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central « Auteur » : Alphonse X de Castille, Alphonse le Sage (1221-1284) Interprète :Ensemble Gilles Binchois Titre: Cantiga Santa Maria 139 Album: Alphonse x el sabio : Cantigas de Santa Maria (2005)
Bonjour à tous,
l’occasion d’un article précédent, nous avions abordé, dans le détail, la Cantiga de Santa Maria 139. La version que nous en avions alors présentée était exclusivement instrumentale et nous était proposée par l’Ensemble Perceval et Guy Robert, dans leur album L’art Du Luth au Moyen Âge, datant de 1960.
Aujourd’hui et pour faire bonne mesure, nous partageons une superbe version instrumentale et vocale de cette Cantiga. Cette fois-ci, nous la devons à l’Ensemble Gilles Binchois sous la direction de Dominique Vellard.
La Cantiga de Santa Maria 139 par l’Ensemble Gilles Binchois
L’Ensemble Gilles Binchois
et les Cantigas de Santa Maria
En 2005, l’Ensemble médiéval Gilles Binchois présentait un album dédié tout entier aux Cantigas de Santa Maria etayant pour titre : Alphonse X El Sabio, Cantigas de Santa Maria.
Sous la direction et la voix du tenor Dominique Vellard, les sopranos Anne-Marie Lablaude et Françoise Atlan y étaient encore accompagnées par Emmanuel Bonnardot à la vièle et au luth, et Keyvan Chemirani aux percussions,
L’album contient seize pièces sélectionnées avec soin dans le large répertoire des cantigas médiévales et galaïco-portugaise du roi Alphonse de Castille et interprétées avec une grande virtuosité. La version de la Cantiga 139 présentée ici vous en donne, d’ailleurs, un excellent aperçu. Pour en écouter plus d’extraits ou pour l’acquérir, vous pouvez vous reporter au lien suivant.
La Cantiga 139 et le miracle
de l’enfant, du pain et de la statue
La Cantiga de Santa Maria 139 nous conte encore le récit d’un miracle. L’histoire se déroule dans une église de Flandres. Une femme y était venue portée son enfant pour le confier à la protection de la vierge.
Dans le récit, l’enfant offre spontanément un morceau du pain qu’il était en train de manger, à l’effigie du Christ sur la statue (et on l’imagine dans les bras de la vierge). Après une intercession de la Sainte auprès de son fils Jésus, ce dernier, touché par le geste de partage de l’enfant, répondait en personne et exhaussait directement le vœu de la croyante. Il épargnait ainsi, une vie de souffrance à l’enfant, en le faisant directement entrer au paradis et le refrain de scander :
Maravillosos et piadosos et mui Fremosos miragres faz Santa Maria, a que nos guia Ben noit’ e dia et nos dá paz
Merveilleux, plein de piété
et grandioses sont tes miracles, Sainte-Marie qui nous guide à la perfection
de nuit comme de jour et nous apporte la paix.
Pour retrouver les paroles de cette cantiga et plus de détails la concernant, nous vous invitons à consulter l’article précédent à son sujet.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie. Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 152, le bol d’argent
Tantas nos mostra a Virgen Direction : Eduardo Paniagua (2003) Album : Caballeros, Cantigas de Alfonso X, el sabio
Bonjour à tous,
ous poursuivons ici l’exploration des Cantigas de Santa Maria, chansons médiévales toutes entières dédiées au culte marial et à la vierge, léguées à la postérité par le roi espagnol Alphonse X de Castille, dans le courant du XIIIe siècle. Aujourd’hui, c’est la Cantiga numero 152 que nous vous présentons par le détail.
Culte Marial au Moyen Âge
La bonté d’une Sainte et la bienveillance d’une mère, au secours de l’homme médiéval
On ne peut s’intéresser au Moyen Âge en Europe occidentale, sans se pencher sur ses aspects profondément chrétiens. Impossible non plus d’occulter le culte qui s’y développe autour de la vierge Marie et dont témoigne les Cantigas de Santa Maria.
En Occident, le culte marial s’intensifie autour du VIIe siècle avec l’entrée dans le calendrier de fêtes destinées à célébrer la Sainte incarnée et sa maternité. Cette force s’affirmera encore du IXe au XIe siècle. Au XIIe siècle, les images et les réflexions associées à la « madre dolorosa » accompagnant son fils sur la croix lui conférera plus que jamais un statut unique dans le cœur des croyants.
Entre le ciel et la terre, la mère de Dieu sera alors devenue celle de tous les hommes. Toujours prompte à les secourir, elle peut leur offrir le salut. Mère de miséricorde, le XIIe et le XIIIe siècles la vénéreront intensément à travers de nombreuses productions artistiques et de nombreux récits de Miracles. (1)
Amour et pouvoir d’intercession
Au XIIIe siècle, les Cantigas de Santa Maria sont chantées à la cour d’Espagne. Elles résonnent dans les chants des pèlerins et les accompagnent au long des grandes routes souvent périlleuses du Moyen Âge.
Chez certains prêcheurs de l’Eglise, cet amour pour la Sainte héritera même des formes de la lyrique courtoise. L’émotion qu’elle suscite chez bon nombre d’hommes occidentaux, au cœur du Moyen Âge, nous est aujourd’hui difficile à percevoir dans toute sa profondeur et sa complexité mais elle recouvre une réalité indubitable dont nous gardons encore de nombreux témoignages.
Sainte miraculeuse, mère des mères, dames des dames, touchée par la grâce divine et pleine de miséricorde, icone féminine sublime de bonté et de pureté, cette « notre dame » qui est même devenue le symbole de l’Eglise toute entière est, pour l’homme médiéval, capable plus encore que tout autre Saint d’intercéder efficacement auprès de son fils. Auprès du Christ, le « Dieu mort en croix » qui mieux qu’elle peut obtenir son oreille et sa mansuétude ?
A lui, on n’ose pas toujours d’adresser directement, jamais tout à fait certain d’en être digne, ni d’avoir son écoute. Et comme on crédite Sainte Marie de cette bonté infinie. tout autant que de cette proximité, elle apparaît aussi, souvent et se montre quand on l’appelle, pour peu qu’on le fasse avec une foi sincère. Ainsi, l’histoire de la Cantiga de Santa Maria du jour, la Cantiga 152, est encore celle d’un miracle et d’une apparition.
La Cantiga 152 par Eduardo Paniagua
Eduardo Paniagua et les chevaliers dans les cantigas de Santa Maria
Nous avions déjà dédié à Eduardo Paniagua, un long article à l’occasion de notre présentation détaillée de la Cantiga 23 (celle du miracle du vin). Aussi, si vous désirez en savoir plus sur ce brillant et talentueux musicien espagnol entièrement dévoué au répertoire médiéval, nous vous invitons à le consulter.
Rappelons simplement que dans les nombreuses productions musicales médiévales qu’il a ramené à la lumière et réinterprétées, on doit à Eduardo Paniagua l’immense travail d’avoir recompilé et enregistré l’ensemble des Cantigas de Santa Maria.
Dans un album de 2003 ayant pour titre Caballeros, il proposait une selection des Cantigas d’Alphonse le Sage, sur le thème des chevaliers et de la chevalerie. C’est de cet album qu’est tiré l’interprétation de la Cantiga 152 du jour. Vous le trouverez disponible à la vente en ligne sous ce lien : Caballeros, l’album d’Eduardo Paniagua
La Cantiga 152 Un bol d’argent plein d’amertume pour un chevalier débauché
Petits pèlerins, simples gens, marchands, bourgeois, seigneurs et princes, les miracles des Cantigas de Santa Maria ne font pas d’ostracisme social et la vierge ne distingue pas entre les classes pour accomplir ses prodiges. Bien au contraire, la multiplicité des exemples ne fait que renforcer l’idée que la Sainte est à portée de tous. Le Miracle de la cantiga 152 concerne, cette fois-ci, un chevalier arrogant et enclin à la luxure mais qui sera sauvé.
Como u bon cavaleiro d’armas, pero que era luxurioso, dezia sempr’ «Ave Maria», e Santa Maria o fez en partir per sa demostrança.
Comment un bon chevalier d’armes, mais qui était plein de luxure, disait toujours « Ave Maria » et comment Sainte Marie par sa démonstration lui permis de s’en défaire.
Bien qu’il invoqua souvent le nom de la vierge en disant « Ave Marie », l’homme ne se rendait jamais aux messes, ni aux offices et ne priait guère non plus. Fort talentueux dans les arts de la guerre et doté d’un grand courage, il demeurait aussi arrogant et licencieux, se rendant coupable de tous les péchés de luxure, les plus grands comme les plus petits.
Un jour, l’homme se trouva en grande lutte avec lui-même, désireux de s’amender au fond de son âme mais au dilemme, car son corps ne voulait abandonner les plaisirs de chair qu’il goûtait par ailleurs et auxquels il s’était habitué. Et tandis qu’il était au débat, ne sachant trancher, la « glorieuse » lui apparut, tenant dans sa main un magnifique bol d’argent grand et luisant. A l’intérieur du récipient, se tenait un mets de couleur jaunâtre et abjecte, à la saveur amère et à l’odeur nauséabonde et fétide.
A la vue du liquide, le chevalier fut pris d’une grande peur et somma l’apparition de vouloir se nommer. La Sainte lui répondit : « Je suis Sainte Marie et je viens avec ce bol te décrire ta situation afin que tu les abandonnes tes erreurs. Car, vois-tu, ce bol te montre que tu es beau et doté de très grandes qualités. Et pourtant, comme tu es aussi plein de péchés et sale dans ton âme, tu empestes comme ce mets malodorant et tu iras en enfer, qui est plein d’amertume. »
Ayant prononcé ces mots, la vierge s’en fut, et depuis cet instant, jusqu’à la fin de ses jours, le chevalier s’amenda et vécut dans la droiture. Et quand son âme fut séparée du corps, il s’en fut dans le lieu de Paradis où l’attendait la vierge sainte qui est la dame des dames.
Refrain « La vierge nous montre tant de merci et d’amour Que jamais et pour aucune raison nous ne devons être de mauvais pêcheurs. »
La Cantiga de Santa Maria 152
en galaïco-portugais original
Como u bon cavaleiro d’armas, pero que era luxurioso, dezia sempr’ «Ave Maria», e Santa Maria o fez en partir per sa demostrança.Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
E dest’ un mui gran miragre mostrou por un cavaleiro que apost’ e fremos’ era e ardid’ e bon guerreiro; mas era luxurioso soberv’ e torticeiro, e chẽo d’ outros pecados muitos, grandes e mẽores. Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
Este per ren madodynnos nen vesperas non oya, nen outras oras nen missa; pero en Santa Maria fiava e muitas vezes a saudaçon dizia que ll’ o Sant’ Angeo disse, de que somos sabedores. Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
E un dia, u estava cuidando en ssa fazenda com’ emendass’ en sa vida, e avia gran contenda, ca a alma conssellava que fezesse dest’ emenda, mas a carne non queria que leixasse seus sabores; Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
El estand’ en tal perfia, pareceu-ll’ a Groriosa con ha branqu’ escudela de prata, grand’ e fremosa, chẽa dun manjar mui jalne, non de vida saborosa, mas amarga, e sen esto dava mui maos odores. Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
U a viu o cavaleyro, foi con medo [e]spantado e preguntou-lle quen era. Diss’ ela: «Dar-ch-ei recado: eu sõo Santa Maria, e venno-te teu estado mostrar per est’ escudela, porque leixes teus errores. Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
Ca ves, esta escudela mostra-ti que es fremoso e ás muitas bõas mannas; mas peccador e lixoso es na alma, poren cheiras com’ este manjar astroso, per que yrás a inferno, que é chẽo d’ amargores». Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
E pois ll’ ouv’ aquesto dito, a Virgen logo foy ida; e el dali adeante enmendou tant’ en sa vida, per que quando do seu corpo a ssa alma foy partida, foi u viu a Virgen santa, que é Sennor das sennores. Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores que per ren nunca devemos seer maos pecadores.
Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, Artois, lyrisme courtois, descort Période : Moyen Âge central Auteur : Conon de Béthune ( ?1170 – 1219/20) Titre : «Bele douce dame chiere» Interprètes :Diabolus in Musica Album : La Doce Acordance: chansons de trouvères (2005).
Bonjour à tous,
près avoir présenté le trouvère et chevalier artésien Conon de Béthune et donné quelques éléments de biographie le concernant, voici une de ses chansons interprétée par l’excellent ensemble médiéval Diabolus In Musica.
Bele douce dame chiere, de Conon de Bethune par Diabolus in Musica
Diabolus en Musica
à la rencontre des trouvères
ous avions déjà eu l’occasion de présenter ici cette formation d’origine française, dirigée par AntoineGuerber, ainsi que son travail autour du répertoire médiéval (voir article).
La pièce de Conon de Béthune que nous partageons ici est tirée de l’album La Doce Acordance sortie en 2005 dont nous avions également dit un mot dans un autre article. On se souvient que l’album ayant pour thème les trouvères des XIIe et XIIIe siècles fut largement salué et primé sur la scène des musiques classiques et anciennes. On le trouve encore disponible à la vente en ligne sous forme CD ou même encore sous forme digitalisée et MP3 : La Doce Acordance; Chansons de trouvères.
Actualité et concerts
Toujours très actif depuis sa création en 1992, Diabolus in Musica continue d’explorer, sans relâche, le vaste champ des musiques médiévales et anciennes pour les faire redécouvrir au public. Dans le courant de l’année 2017, la formation a ajouté à son ample programme les requiem(s) de deux grands compositeurs des XVe et XVIe siècles : Johannes Ockeghem et Pierre de la Rue.
En juin prochain, si vous êtes dans la région des Hauts de France, vous pourrez d’ailleurs avoir l’opportunité d’aller entendre ces œuvres d’exception qui comptent parmi les premiers requiem(s) polyphoniques de la fin du Moyen Âge et des débuts de la renaissance. Le concert sera donné le 23 juin 2018, à 20h30, à l’Eglise Saint-Léger de Gosnay. Pour plus de détails sur ce programme ainsi que sur l’agenda de l’ensemble, n’hésitez pas à consulter leur site officiel ici : Diabolus in Musica.
Belle do(u)ce Dame chiere
Belle doce Dame chiere, Vostre grans beautés entière M’a si pris Ke, se iere* (*de estre : si j’étais) em Paradis, Si revenroie je arrière, Por convent* (* à condition) ke ma proiere M’eùst mis
La ou fuisse vostre amis Ne vers moi ne fuissiés fiere, Car aine ens nule manière Ne forfis Par coi fuissiés ma guerrière* (*pour que vous me fassiez la guerre).
Ne lairai ke je ne die De mes maus une partie Come irous. Dehaiz ait* (*maudit soit) cuers covoitos, Fausse, plus vaire*(*changeante) ke pie, Ki m’envoia en Surie ! Ja por vous N’avrai mais les ieus plorous. Fous est ki en vous se lie, Ke vos estes l’Abeïe As Soffraitous* (*aux misérables), Si ne vous amerai mie.
Analyse et interprétation
e titre autant que certaines inspirations de cette chanson semblent clairement dériver du descort en cinq langues de Raimbaut de Vaqueiras : Eras quan vey verdeyar. On trouve, en effet, la strophe suivante chez le troubadour provençal :
Belle douce dame chiere, A vos mi doin e m’otroi; Je n’avrai mes joi’ entiere Si je n’ai vos e vos moi. Mot estes male guerriere Si je muer per bone foi; Mes ja per nulle maniere No.m partrai de vostre loi.
Certaines rimes identiques utilisées par Conon de Béthune viennent encore confirmer cette référence : « entière », « guerrière », « manière » et il semble donc bien que nous soyons ici face à une transposition d’Oc vers Oil aux inspirations non voilées.
Pour ce qui est du sens, dans la première strophe, le trouvère exprime sa loyauté envers celle qui fait l’objet de sa chanson. Ayant loué sa grande beauté, en bon loyal amant et dans la veine de la lyrique courtoise, il affirme ne jamais l’avoir trahi et aurait même renoncé pour elle au paradis (à condition tout de même qu’elle cède clairement à ses avances). Dans la deuxième strophe, le ton est largement plus conflictuel et exprime la discorde. Plus question de grand transport ici et même plutôt le contraire puisque le chevalier déçu y épanche sa colère et sa désillusion.
Les différents manuscrits qui la contiennent proposent des variantes de cette chanson. La version que nous publions ici est celle de Axel Wallenskôld (Les chansons de Conon de Béthune (1921), Honoré Champion). Ainsi, au début de la deuxième strophe, dans certaines variantes, au lieu de :
Ne lairai ke je ne die De mes maus une partie Come irous.
On trouve :
Por une k’en ai haïe ai dit as autres folie, come irous.
Pour une autre que j’ai haïe, j’ai dit des folies de toutes les autres n’écoutant que ma colère.
Le trouvère fait-il référence à un autre de ses déboires amoureux ou s’adresse-t-il simplement à son public ? Quoiqu’il en soit, la suite de la strophe entérine la rupture après une référence quelque peu obscure aux croisades.L’expression « l’Abeïe As Soffraitous » (l’abbaye des misérables) reste sujette à interprétation. Avec quelques réserves, on peut sans doute en déduire que la dame ne filtre pas tellement ses relations (amoureuses?) et qu’elle ne s’est donc pas montrée très fiable ou loyale envers le trouvère. Il est assez difficile de mesurer à quel point l’expression clairement mâtinée d’ironie, prend ou non un tour un peu graveleux (1).
Concernant le dernier vers on trouvera encore comme variante, celle utilisée ici par Diabolus In Musica : « Si ne vous nomerai mie » au lieu de « Si ne vous amerai mie. »
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, oil, biographie, portrait, chants de croisades, lyrique courtoise. Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Auteur : Conon de Béthune ( ?1170 – 1219/20) Biographe : Axel Wallenskôld Livre : Les chansons de Conon de Béthune
Bonjour à tous,
ous poursuivons aujourd’hui notre découverte des trouvères champenois et artésiens des débuts du XIIIe siècle. Après avoir parlé de Gace Brûlé et Blondel de Nesle, nous nous penchons ici sur un autre de leur contemporain : Conon de Bethune.
Eléments de biographie
Les origines de Conon de Bethune sont un plus claires ou certaines que celles des deux sus-nommés. Si sa date de naissance n’est pas connue avec précision – on la situe autour de 1150 -il fait partie du lignage des seigneurs de Bethune, puissante famille artésienne avouée d’Arras depuis les débuts du XIe siècle et qui s’illustra notamment à plusieurs reprises aux croisades.
Conon est ainsi le cinquième fils de Robert V de Bethune, lui-même sixième seigneur de ce lignage. Concernant l’exercice de son art, il se réclame lui-même disciple de Hue de Coicy (Huon III d’Oisi), châtelain de Cambrai, qu’il désigne comme son « maître à trouver ».
« Or vos ai dit des barons ma sanblance; Si lor an poise de ceu que je di, Si s’an praingnent a mon mastre d’Oissi, Qui m’at apris a chanter très m’anfance. »
On rencontrera encore le nom de notre trouvère dans des poésies tierces (sous les formes de Quesnes, Quenes) et notamment sous la plume de Gace Brûlé. Il semble donc qu’il ait côtoyé au moins quelques temps ce dernier ainsi que Blondel de Nesle.
Des traits « d’artois » dans le « françois »
D’après une de ses chansons, Conon de Bethune séjourna à la cour de France au moins une fois. Il y eut même l’opportunité (cuisante) d’y pousser quelques chansons. A cette occasion, il se fit en effet « remballer » par la reine en personne pour les traits d’Artois tintant son François, tout cela en présence de Philippe-Auguste et semble-t-il de Marie de Champagne (ce qui l’a, au passage, le plus affecté). Voici un large extrait de la chanson dans laquelle il témoigne de cette déconvenue.
« Mout me semont Amors ke je m’envoise, Quant je plus doi de chanter estre cois; Mais j’ai plus grant talent ke je me coise, Por çou s’ai mis mon chanter en defois; Ke mon langaige ont blasmé li François Et mes cançons, oiant les Champenois Et la Contesse encoir, dont plus me poise.
La Roïne n’a pas fait ke cortoise, Ki me reprist, ele et ses fieus, li Rois. Encoir ne soit ma parole franchoise, Si la puet on bien entendre en franchois; Ne chil ne sont bien apris ne cortois, S’il m’ont repris se j’ai dit mos d’Artois, Car je ne fui pas norris a Pontoise. »
Maladresse diplomatique ou signe de temps, la langue d’oil de la cour de France de cette fin de XIIe siècle s’imposerait-elle déjà sous le ton qu’on devine narquois de la reine, comme le parler qu’il convient de maîtriser pour prétendre se produire devant la couronne et surtout la séduire ? Si Conon De Bethune, piqué dans son amour propre et laissé à son desarroi, relèvera ici la scène avec une pointe d’ironie, on se souvient qu’un peu plus tard dans le temps et dans le courant du XIIIe siècle, Jean de Meung (Clopinel) confirmera en quelque sorte cette tendance, en s’exprimant sur le même sujet en préambule du roman de la rose et en prenant les devants (peut-être même en forçant un peu le trait?): « Si m’excuse de mon langage – Rude, malotru et sauvage, – Car né ne suis pas de Paris. »
Les croisades
Pour le reste et dans les événements marquants de son parcours, Conon de Bethune se croisa, semble-t-il, deux fois. La première lui valut de se faire railler par ses contemporains poètes. A l’occasion des préparatifs de Philippe Auguste pour la 3ème croisade et devant la tiédeur manifeste de l’entreprise autant que la lenteur des uns et des autres à engager le départ, le trouvère composa, avec grande conviction deux chants de croisades pour ajouter un brin d’allant à cette cause. Las!, une fois parti pour l’Orient, son ardeur fut de courte mèche puisqu’il finit par rentrer de manière anticipée. A son retour, celui que le poète avait reconnu comme son maître dans l’art de trouver, lui servira sur un plateau un sirventes acerbe dans lequel il se gaussera de lui autant que de son roi « failli » (Philippe Auguste).
Pour la deuxième expédition, la quatrième croisade, le noble artésien aura l’occasion de mieux illustrer ses qualités et d’écarter tout doute sur ses motivations. Sur le terrain, il sera, en effet à plusieurs reprises le porte-parole des barons croisés à Constantinople et jouera par la suite un rôle politique et militaire important dans la tenue de l’empire latin d’Orient. On trouve notamment dans les Chroniques de la prise de Constantinople par les Francs, de Geoffroi de Ville-hardouin de nombreuses mentions de ses actions sur le terrain. Avant sa mort que l’on situe autour de l’année 1219 ou 1220, Conon de Bethune fut encore nommé sénéchal sous l’impératrice Yolande de Flandre, puis régent de l’Empire.
Oeuvre, chansons et legs
Le trouvère nous a laissé un peu moins de quinze chansons. Une fois passée au filtre de l’analyse, dix d’entre elles demeurent certaines, les autres sont d’attribution plus contestable. L’ensemble de ce legs se trouve réparti dans dix-sept manuscrits.
A ce jour, un des plus sérieux biographes du trouvère demeure encore Axel Wallenskôld (1864-1933) romaniste, linguiste et philologue finlandais passionné de français médiéval et ancien. Son ouvrage sur les chansons deConon de Bethune qui, en 1921, faisait suite à la thèse qu’il avait publiée quelques années auparavant (1891), a d’ailleurs été réédité jusque dans les années 1981, chez Honoré Champion.
Voilà la liste courte que ce biographe a établi des chansons de Conon Bethune. D’autres médiévistes ou spécialistes de littérature médiévale seront peut-être encore tentés de l’élargir, en en ajoutant quelques-unes supplémentaires, mais l’essentiel est là :
Chançon legiere a entendre – Si voiremant con celé don je chant – Moût me semont Amors que je m’envoise – Ahil Amors, com dure départie – Bien me deusse targier – Se raige et derverie – Belle doce Dame chiere – Tant ai amé c’or me convient haïr – L’autrier un jor après la Saint Denise. – L’autrier avint en cel autre pais.
Les thèmes abordés oscillent entre l’amour courtois et le contexte de la croisade (ralliement, dénonciation, pesance du chevalier tenu de quitter sa dame pour les terres lointaines). Nous aurons dans de futurs articles l’occasion de vous en présenter quelques unes, par le menu.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.