Romans récents ou livres anciens, le moyen-âge s’édite et se réédite : fiches de lecture, extraits, impressions, une balade dans l’univers du livre autour du monde médiéval,
Sujet : lieux d’intérêt, librairie, livres, romans, livres d’Histoire, monde médiéval, libraire médiévale, médiéval fantastique Période : Moyen Âge Lieu : La librairie du Roi Lyre, 9, Rue de Jouy,
Provins, Seine-et-Marne, Île-de-France Téléphone : 01.64.00.52.71.
Bonjour à tous,
l’heure des liseuses et des Hi-pads, les amoureux de lecture, ceux qui gardent toujours avec eux ou presque, un bouquin dans leur poche, ceux-là aiment souvent autant les mots que les objets qui les retiennent captifs dans leur petit univers clos, entre une première et une dernière de couverture, O livres et grimoires, gardiens muets des relations charnelles, secrètes ou dévorantes que nous entretenons avec les nourritures spirituelles, les histoires et le verbe, ceux qui ont gardé pour vous un amour indéfectible savent toute la magie que vous retenez en vos filets et ils connaissent aussi tout le plaisir qu’il y a à mettre un pied dans les temples qui vous sont dédiés et où l’on vous chérit.
L’amour des livres
Hors des bibliothèques, il y a, bien sûr, les grands palais généralistes où l’on vous trouve en quantité, un peu de tout, dans tous les genres et, par les inévitables lois du marché, surtout ce qui se vend le mieux. Les amateurs de livres peuvent parfois s’y perdre en d’heureuses errances, mais leurs couloirs demeurent souvent froids et dépourvus de cette âme qui fait le charme des espaces plus intimes. Je veux parler de ces endroits privilégiés où chaque coin d’étagère renferme, en des codes secrets, toute la passion et tout l’amour de celui qui se tient là, au milieu des ouvrages, placide et tranquille, mais souvent prompt, sur une simple question, à emporter le visiteur curieux vers les destinations les plus lointaines. Là encore, les amoureux des livres le savent bien, il n’est rien, absolument rien de comparable, aux trésors d’échanges et aux richesses que l’on trouve dans une librairie à échelle humaine, quand elle s’est formée autour de l’intérêt et de la flamme réelle d’un être, qui, avant d’être un simple vendeur, était d’abord, lui aussi, un lecteur. Il faut de la passion pour faire un vrai libraire, sans doute à notre époque encore plus qu’à tout autre.
Dans ces lieux là, quelque soit le thème de prédilection, il règne une atmosphère particulière que le lecteur aguerri peut reconnaître et que chacun peut ressentir. Ici, le silence a des profondeurs pleines de mystères et de promesses. Ici, chaque menu détail semble être le fruit d’un agencement savant, et tout y est disposé patiemment, comme autant d’indices pour vous inviter à de nouvelles aventures. Et quand on en pousse la porte nous vient encore comme une jubilation mêlée d’humilité face à l’inconnu et face aux rayons chargés de tous ces livres ensommeillés, qui n’attendent que leur lecteur pour découvrir leurs multiples trésors. Ah toi !, mon insatiable soif de découvrir et de m’étonner encore, toi qui m’a poussé, là, au seuil de toutes les destinations, dans l’espoir d’infinis voyages, sur les ailes magiques de l’agencement des mots, permets, je t’en conjure, durant le temps anxieux de cette exploration que le tenant des lieux, l’authentique libraire, le passionné de livres, l’affamé comme moi de s’extasier toujours, me donne quelques clés et sache me guider sur les routes à prendre. Et comme dans le confort rassurant d’une maison amie, les ouvrages sourient déjà et m’invitent, je sais qu’il le fera.
La belle librairie du Roy Lire à Provins
Au cœur de Provins, il est un endroit qui, pour se trouver dans une cité médiévale de prédilection en relation à son sujet, se tient comme hors du temps et de l’espace, au rythme sûr et paisible du savoir et des livres. Dédiée tout entière au Moyen Âge, elle est ouverte depuis près de quinze ans déjà. Abritée sous ses magnifiques voûtes datant du XIIIe siècle, elle se tient en sous-sol dans la tranquillité et le mystère de ses pierres. Au Moyen Âge, l’endroit hébergeait un espace de vente pour une famille de marchands, du temps des grandes foires de Champagne. La cité était alors florissante et elle comptait parmi les plus grandes villes du Nord de la France, la deuxième après Paris en terme de superficie.
Plus de 5000 ouvrages autour du Moyen Âge
Du point du vue du fond, le monde médiéval reste donc de mise dans les sélections et on peut y trouver déjà près de 5000 ouvrages et références sur le sujet, nombre considérable qui devrait encore augmenter dans les temps à venir. Les ouvrages d’Histoire y tiennent une part importante mais on trouve aussi une grande variété de livres sur le Moyen Âge réaliste ou fantastique: : romans, policiers, BD, beaux ouvrages, artisanat, sciences et techniques et savoir-faire médiévaux mais encore des choses plus ésotériques. Une section consacrée consacrée à des ouvrages plus anciens ou même à des occasions devrait également bientôt voir le jour.
Une ouverture sur la ville et la Culture
C’est Max qui fait battre le cœur de la librairie de sa passion pour les livres et pour le monde médiéval. Il y a été longtemps employé, prenant le temps d’apprivoiser l’endroit, de faire sa connaissance, avant de le reprendre et de le faire totalement sien, il y a tout juste quelques mois. Homme de lettres, d’ouverture et d’esprit, il a repris à son compte la devise de Thomas d’Aquin : « il faut craindre l’homme d’un seul livre » et croyez qu’il en a lu bien plus d’un. Créatif, fourmillant d’idées de projets, il s’emploie déjà hardiment à faire découvrir l’endroit à un nombre croissant de curieux, d’amateurs ou de passionnés: l’ouvrir sur le monde, mais aussi mieux l’ancrer dans la cité et l’amener encore un peu plus loin que sa noble vocation touristique en relation au patrimoine de Provins, sur le terrain de l’éducation, la découverte ludique et la Culture. A l’heure où le Moyen Âge est partout, gageons qu’il surpassera ce bel objectif servi par une passion véritable.
Amis, si vous passez du côté de Provins ou si vous comptez parmi les âmes de cette belle cité, bien après que cette dernière ait cessé, comme elle le fait chaque année, de vivre au rythme de ses grandes fêtes médiévales, vous y trouverez un endroit unique qui bat à l’unisson du Moyen Âge en toute saison. Avancez posément, poussez-en doucement la porte, les marches de pierres sont là. Tenez-vous prêts à entrer dans l’aventure.
Sujet : chanson ancienne, complainte, poésie, folk, chanson traditionnelle, romaniste, folkloriste. Période : Moyen-Age tardif XVe, XVIe siècle Auteur : Georges Doncieux (1856-1903) Titre : La complainte du Roi Renaud Ouvrage : Le Romancero populaire de la France, Georges Doncieux (1904)
Bonjour à tous,
uite à de nombreuses questions reçues au sujet de la chanson ancienne La complainte du roi Renaud ou Le roi Renaud de Guerre Revient, nous nous fendons aujourd’hui d’un petit exercice de synthèse sur le sujet. Pour se faire, nous partons d’un article très sérieux paru dans un numéro de la Revue Romania, daté de 1900, sous la plume de Georges Doncieux (1). Dans ce papier de quelques quarante pages, repris également dans l’ouvrage (posthume) Le Romancero populaire de la France, choix de chansons populaires françaises, textes critiques par George Doncieux (1904), l’écrivain et homme de lettres des XIXe et XXe siècles dressait un panorama exhaustif des différentes versions connues de cette célèbre chanson ancienne et tentait aussi d’en reconstituer la possible genèse.
Pour être très clair, nous ne ferons ici que dérouler le fil de ses hypothèses tout en synthétisant grandement ses propos. Pour de plus amples détails (versions par langue, variantes par manuscrit, etc…) nous vous invitons à consulter directement la source.
L’histoire de la Complainte du Roi Renaud
Pour en dire à nouveau deux mots, dans cette chanson, reprise maintes fois par des interprètes des années 50-60 mais aussi, plus tard par des artistes folk, un seigneur revenu de guerre et mourant demande à sa mère que son agonie soit cachée à son épouse. Jusqu’au jour fatal et même après la mise en terre, cette dernière s’alarmera de toutes les manifestations de tristesse et de deuil autour d’elle. Conformément aux vœux du roi défunt, la vérité lui sera pourtant cachée et elle se verra donner de fausses excuses jusqu’au moment où elle découvrira la fatale vérité et choisira d’en mourir.
Versions & datations certaines
A partir de là nous reprenons les éléments fournis par l’auteur cité plus haut.
On connaissait déjà au XIXe siècle plus de soixante versions de cette chanson et il est indéniable que sa popularité y était déjà grande. Débordant les terres françaises, on en trouvait alors des variantes en Catalogne, en Espagne, dans le pays basque ou même encore dans le Piémont ou en région vénitienne. Dans de nombreuses versions, le héros se nommait déjà Renaud sous des variantes linguistiques diverses, dans d’autres, il apparaissait sous des noms totalement différents. Le noble y est tantôt roi, tantôt comte ou infant et, dans quelques rares versions, ce n’est pas de guerre qu’il revient mais de chasse. La partie la plus dramatique, son retour et sa mort tenue secrète aux yeux de sa fiancée ou de son épouse, reste relativement commune à toutes ses variantes.
En remontant l’historique des dernières versions, Georges Doncieux nous apprend que la chanson était déjà connue à la fin du XVIe, sous Henri IV, ce qui le conduit à faire remonter son auteur à la première moitié de ce même siècle. Certaines des tournures employées mais également le fait que les versions les plus complètes du Roi Renaud nous soient parvenues de Bretagne permettent également de supposer que c’est sans doute là que ce texte a trouvé son origine, sous la forme que l’on connait en Français.
Des origines armoricaines ?
En approchant une version armoricaine de cette chanson (un Gwerz breton) Georges Doncieux. en vient à former l’hypothèse que cette dernière aurait pu être à l’origine de la version que nous connaissons. Du point de vue de sa datation (sourcée, documentée, écrite), ce chant breton est lui aussi contemporain du XVIe siècle. Dans ses variantes, il conte l’histoire d’un Comte « Tudor », « Jean » ou « Nann » suivant les versions et contient de troublantes similitudes avec l’histoire du roi Renaud, même si on y trouve aussi quelques divergences. A noter que du point de vue de la versification, cette chanson armoricaine est également écrite en vers octosyllabiques.
L’histoire du Comte Nann
Dans cette version, le seigneur, jeune marié, part à la chasse pour attraper du gibier en guise de présent pour sa femme qui vient de lui donner un héritier. En chemin, il croise une fée qui se dit amoureuse de lui. Comme le noble se refuse à elle et lui résiste, cette dernière décide de l’acculer en lui offrant un choix : l’épouser, être malade et alité durant 7 ans ou mourir sous trois jours. C’est cette dernière option que le Seigneur prendra. En rentrant, il demandera à sa mère de taire son agonie à son épouse jusqu’au jour de ses funérailles. Et l’histoire conte donc qu’on mentit à cette dernière et qu’à chaque fois qu’elle relevait des signes alarmants autour d’elle de la mort de son époux, on lui donnait de fausses explications. Bien entendu, la belle finira, là aussi, par apprendre la vérité et tomber morte.
Une version française remaniée
à partir de la version celte ?
Mise à part le départ fantastique, la suite de l’Histoire, sa fin autant que ses vers, et finalement son grand nombre de similitudes avec la Complainte du Roi Renaud, incline notre romaniste du XXe à penser que la chanson que nous connaissons aurait pu naître d’une certaine simplification de ce chant armoricain.
Pour avancer cette hypothèse, il part du principe que le compositeur de la version qui nous est la plus connue, un poète franco-breton donc, ait pu trouver l’histoire en provenance d’Armorique séduisante. A partir de là, ce dernier aurait fait sur elle un véritable travail de re-création, en décidant notamment de la dépouiller de ses aspects les plus fantastiques, pour ne conserver que sa dimension plus factuelle et dramatique. Ainsi, en lieu de fée et de chasse, le noble sera devenu, au passage, un seigneur revenant de guerre, mais finalement pour le reste, le poète aurait suivi la même mécanique que celle du récit armoricain : on cache à son épouse le décès de son conjoint de diverses manières, et au moyen de diverses excuses pour reculer le moment de la vérité et finalement, en l’apprenant, cette dernière trépasse.
Pour notre homme de lettres du XXe, il demeure logique de pencher pour cette « simplification » plutôt que de supposer qu’à partir de la version française que nous connaissons, un poète armoricain ait décidé d’échafauder toute une histoire de fée, en lui ajoutant une dimension fantastique. L’hypothèse pourrait presque sembler légère si, en la suivant, GeorgesDoncieux n’en venait à rapprocher le contenu du chant armoricain d’un autre texte originaire, cette fois, de Scandinavie, et qui offre également, une certaine parenté avec la Chanson du Roi Renaud.
Une chanson scandinave
Nous partons donc en direction de l’Europe du Nord pour la « Vise » d’un roi, frappé par le sortilège d’un Elfe. On en connait 68 versions dans toute la Scandinavie et elle aurait essaimé à partir du Danemark vers d’autres pays d’Europe. Là encore, du point de vue de la datation, ses variantes sont toutes au minimum renaissantes (XVIe, XVIIe et postérieures). Et si l’on n’a guère de sources documentées du côté scandinave permettant d’en établir l’émergence plus reculée ou même l’appartenance médiévale, notre romaniste la décrit pourtant comme prenant ses sources dans une période bien antérieure au XVIe siècle (nous verrons plus loin pourquoi).
L’histoire du chevalier Olaf
Cette fois-ci, notre Héros et seigneur (un roi) chevauche hors de son domaine, quand il tombe sur des elfes en train de danser. Sortie de la ronde, l’une de ces créatures l’accoste et tente d’entraîner le noble à sa suite en lui promettant de lui faire cadeau d’une paire de bottes en peau de bouc, s’il se joint à la danse. Comme Olaf s’y refuse, l’elfe surenchérit avec d’autres présents tous plus prestigieux à chaque fois. Le roi se dit prêt à les accepter mais sans toutefois vouloir s’acquitter de la danse et devant son refus tenace, l’Elfe finit par prendre la mouche et le menacer d’un sortilège. La forme est ici extrêmement proche de celle utilisée par la fée dans la chanson armoricaine : « mourir demain ou être malade pendant 7 ans ». Et comme le chevalier fait le choix de mourir le lendemain, le sort s’abattra inexorablement sur lui.
Là encore, comme dans la chanson armoricaine, c’est la mère qui accueille le roi, de retour au château et comme ce dernier se sait condamner, il lui demande de cacher à son épouse son décès prochain. A partir de là, le récit rejoint le déroulement déjà évoqué dans les deux versions précédentes. On ment à la jeune femme pour lui cacher la terrible vérité et quand elle se trouve face à la vue de son défunt mari, elle se brise en morceau et meurt.
Similitudes et propagation
Cette vise danoise se serait répandue d’abord à la zone scandinave avant de s’étendre à d’autres terres notamment l’Ecosse. De ce côté ci, l’Elfe s’est retrouvé changé en fée vengeresse. après que le noble, baptisé Colvill, lui ait, cette fois, cédé. En poursuivant son passionnant voyage du côté des terres slaves, l’histoire se trouvera dépouillée (là encore) de sa partie fantastique mais on retrouvera la constante de la mort cachée à l’épouse et qui lui sera fatale au bout du compte (ce qui apporte de l’eau au moulin de notre auteur des débuts du XXe concernant l’hypothèse du modèle d’adaptation de la version armoricaine vers la version française).
Les fées vengeresses du moyen-âge tardif
et les origines germaines ?
Sur la partie qui concerne la vengeance de la fée, on retrouve ce type d’histoire dans des poésies anciennes ou de vieilles croyances scandinaves, anglaises et encore allemandes du XIIIe et du XIVe siècle. Dans la forme la plus commune de ces récits, des hommes auraient connu bibliquement des fées et s’étant mariés par la suite, malgré les mises en garde vengeresses de ces dernières, seraient morts subitement, avant même d’avoir pu consommer leur mariage.
En se penchant sur cet aspect particulier, Georges Doncieux évoque un poème allemand du XIVe siècle : le Chevalier de Staufenberg qui contient justement les germes de cette histoire de fée. Un noble se laisse séduire par une femme superbe qui lui promet de venir le visiter pour le satisfaire, à chaque fois, qu’il sera seul, à la condition qu’il ne se marie jamais. Le chevalier y cède sans compter. Las! sous la pression de l’entourage et d’un évêque à qui il s’était confié, le chevalier finit par prendre une dame en épousailles et se voit, pour sa peine, condamner à mourir le jour même de ses noces.
Comme ce récit présente quelques parentés fantastiques (bien que lointaines) avec le chant armoricain du Comte Nann et la vise danoise du roi Olaf, Georges Doncieux forme encore l’hypothèse que cette partie de l’histoire (disparue dans la version connue de la complainte du Roi Renaud) serait peut-être née sur les rives du Rhin. De là, elle aurait pu voyager jusqu’au Danemark pour donner naissance à l’histoire du chevalier Olaf et ensuite redescendre vers l’Ecosse et les pays slaves et celtes.
Quoiqu’il en soit, pour revenir à la Chanson du Roi Renaud et s’il faut en croire notre érudit du jour, ce que, à date, un grand nombre d’experts a fait, elle aurait trouver ses origines dans un chant armoricain lui même inspiré d’une chanson scandinave, avant de se retrouver traduite et remaniée en langue française pour finir par se décliner vers le Sud, dans d’autres langues encore.
En espérant que ce petit voyage exploratoire vous ait plu. Il est toujours fascinant de suivre les tentatives pour retracer la circulation des « objets » culturels et immatériels dans la France ou l’Europe médiévale et ancienne et c’est encore un des grands intérêts que nous avons trouvé, à partager avec vous cette lecture.
Encore une, fois n’hésitez pas à vous rendre à sa source pour une vision plus détaillée et plus nuancée des versions qu’en présente l’auteur. Si vous optez pour son ouvrage, vous trouverez d’autres récits tout aussi passionnants que celui du jour, sur d’autres chansons populaires anciennes. Pour information, ce livre est réédité au format papier chez Forgotten Books. Voir Le Romancéro Populaire de la France, Choix de Chansons Populaires Françaises: Textes Critiques (Classic Reprint)
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, satirique, jongleur, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction, « trouvère », Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?) Titre : La repentance de Rutebeuf Ouvrage : Rutebeuf, Léon Clédat (1891)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous ne nous sommes aventurés dans le moyen-âge de Rutebeuf et nous le faisons, aujourd’hui, à la faveur d’une adaptation en français moderne de sa célèbre « repentance ».
Comme à chaque fois qu’on entre dans l’oeuvre de ce grand auteur, farceur, jongleur, conteur satirique du XIIIe siècle, en relisant ses « dits » débordant d’un « je » qui nous invective ou nous interpelle, on ne peut faire l’économie de repenser au mystère qui l’entoure. Etait-il un clerc qui occupait son temps à d’autres activités entre ses éclats poétiques et satiriques? En lisant entre les lignes de ses poésies, on serait tout de même bien tenté de supposer que non. Il nous le dit dans plus d’un texte, ressassant à l’envie le tableau de ses misères : privé de ses appuis du côté des puissants, (voir la paix de Rutebeuf article, lecture audio ) ayant emprunté à tous sans jamais rendre, il en est réduit à dormir dans une couche de paille et n’a pas de quoi faire vivre décemment sa « maison » (la pauvreté Rutebeuf article, lecture audio ), et puis, à tout cela, il faut ajouter encore ses déboires de santé, un nouveau-né dont il sait s’il ne pourra le nourrir, etc, etc (la complainte de l’oeil article, lecture audio), Bref, une situation presque toujours inextricable qui, si Dieu lui-même ne l’en sauve, ne pourra trouver remède qu’auprès de quelques mains généreuses, dans son public ou chez les puissants, pour lui faire tomber quelques pièces, en retour de sa poésie.
« Bon clerc est qui mieux sait mentir. » ?
Personnage complexe et multifacette, tout à la fois ou tour à tour, moraliste, satirique, grave, goguenard ou bonimenteur. « Rude ou rustre » comme une excuse à ses mauvaises manières et à « son ignorance », comprenons sa franchise. « Boeuf » tranquille, lent et lourdaud ? Non pas. mais plutôt résolu et qui charge ses cibles pour les renverser de son verbe impitoyable. Rutebeuf est encore ce trouvère qui présente, en permanence, à son public le miroir de ses infortunes et de ses misères, en les invitant même à en rire.
Quelle est la part du vrai et de l’artifice ? Faut-il prendre tous les complaintes de ses « Je » pluriels, au premier degré, comme certains auteurs ont parfois choisi de le faire ? Sous le fard du jongleur, ces misères sont-elles vraiment siennes ? Dans ses jeux littéraires et stylistiques, il les instrumentalise en tout cas, pour les mettre totalement au service de son personnage, une façon de quémander sa pitance pour son art de jongleur, qui lui fournit, peut-être, au passage une nouvelle excuse pour se dégager des implications de ses dits et de leur force satirique : « Ne me punissez pas ou ne me jugez pas trop durement pour mes propos, Je suis un pauvre type, miséreux, « mal foutu », malchanceux, et Dieu le fait déjà. »
« Ci a boen clerc, a miex mentir ! » Rutebeuf nous le dira lui-même dans cette poésie du jour « Bon clerc est qui mieux sait mentir ». Nombre de spécialistes de littérature médiévale et médiévistes contemporains nous enjoindront à la même prudence dans l’approche de ses textes. Même s’il n’est pas non plus question de rejeter comme en bloc tout ce qu’il nous dit pour vrai, ne pas tomber trop vite dans le premier degré, y mettre quelques guillemets. Au sortir, entre mise en scène et vérité, entre complainte et humour, du « je » au « jeu » de ce grand maître du style, bien malin celui qui, aujourd’hui, pourrait dire où est et qui est le véritable Rutebeuf.
Rutebeuf, par Léon Clédat
Dans la lignée des découvreurs du XIXe
Il faut bien l’avouer, sans quelques connaissances solides en vieux français, la langue de Rutebeuf reste relativement opaque, pour ne pas dire totalement. De fait, nous en profitons ici pour vous parler d’un petit livre datant de la fin du XIXe siècle et toujours édité sur lequel nous nous sommes largement appuyés : Rutebeuf par Léon Clédat (1891).
Assez concis, l’ouvrage balaye l’oeuvre du poète médiéval sur un peu plus de 200 pages, en en offrant de larges passages traduits et adaptés en vers, de manière heureuse et agréable, tout en restant assez proche du texte original. Pour les amateurs de la vision de « l’infortuné » Rutebeuf par Léo Ferré, vous y trouverez rien moins que des traductions qu’on retrouve pratiquement reprises telles quelles dans les chansons du vieux lion anarchiste parisien du XXe siècle et qui laissent à supposer que ce livre est peut-être passé dans ses mains.
Du côté de la datation de cette traduction (partielle ) de Léon Clédat, un certain nombre de romanistes ou de médiévistes se sont, me direz-vous, frottés depuis à l’exercice. C’est vrai. Mais ceux qui nous suivent savent que nous cédons souvent aux charmes des grands découvreurs, historiens et paléographes du XIXe siècle et on aurait tord d’y voir, de notre part, une sorte de marotte désuète. Il s’agit pour nous bien plus d’une façon d’avoir les idées claires sur les origines et sur ce que nous devons véritablement à tous ces auteurs. Durant ce siècle, l’Histoire, en tant que science, a connu des bouillonnements sans précédent. Elle y a affirmé d’autant ses méthodes et la littérature médiévale y fut sujette à un véritable fourmillement d’études.
On s’affaire alors autour des manuscrits en s’évertuant à les rendre lisibles au plus grand nombre : attribution, versions croisées des oeuvres dans les différents documents et codex, nouvelles poésies mises à jour, auteurs ressortis de l’ombre dans lequel les tenaient les lettres gothiques et serrées incompréhensibles au profane,…, Au fil du XIXe et jusque même les premiers années du XXe, toutes les raisons sont bonnes pour enchaîner les publications autour des mêmes auteurs médiévaux. Bien sûr, on s’escrime, voire on s’écharpe aussi, sur les sens, les nuances, les interprétations et les corpus, les approches, mais qu’on se rassure, dans une certaine mesure, les historiens, romanistes et médiévistes le font encore.
Bien entendu, sur certains aspects et sur certains faits, on peut aisément convenir que de nouvelles choses ont été découvertes depuis, faits ou documents, affinement de la datation, etc… Notre vision de la littérature et du moyen-âge a changé. Certains experts du XXe ont également beaucoup compté dans l’approche de certains auteurs médiévaux sur la partie biographique quelquefois, sur la façon de nous distancier encore d’avec leurs productions, sur de nouvelles hypothèses qu’ils ont pu mettre à jour, etc. Pour autant, pour revenir à Rutebeuf et concernant son adaptation, sans vouloir sous-estimer les avancées de la linguistique autour du français ancien ou du vieux français, ni minimiser les efforts d’auteurs plus modernes sur ces questions, l’ouvrage de Léon Clédat trouve encore bien sa place dans une bibliothèque autour du jongleur médiéval.
S’il vous intéresse, il est toujours édité et on peut le trouver en ligne au format broché et même au format kindle
En croisant cet ouvrage avec les grands travaux de Michel Zink qui, par humilité sans doute, a fait le choix de privilégier dans son approche le sens, sur les vers, vous pourrez encore enrichir d’autant la lecture de cette poésie satirique et de ses trésors cachés (voir Rutebeuf, Oeuvres complètes en deux tomes, Michel Zink, 1990),
Quant à la question posée plus haut de savoir qui est Rutebeuf (ce qu’on ne sait finalement toujours pas), mais surtout celle de comment approcher ses différents niveaux de lectures, on trouvera encore chez ce brillant chartiste et philologue, expert de littérature médiévale, doublé d’une vraie plume qu’était Léon Clédat, quelques éléments pertinents à ranger au compte de l’Histographie. La question étant complexe et non tranchée, pour en compléter l’approche, on pourra toujours se reporter aux nombreux et brillants auteurs modernes qui continuent d’essayer de démêler son « Je » de ses « jeux ».
La repentance de Rutebeuf
Notes sur l’adaptation en français moderne
Pour cette version de la repentance de Rutebeuf (en vieux-français, Ci coumence la repentance Rutebeuf), nous empruntons donc à Léon Clédat la traduction de la plupart des strophes. Comme il en avait laissé trois en berne, nous nous y sommes modestement attelés en usant pour nous éclairer des travaux de Michel Zink mais aussi de quelques copieux dictionnaires d’époque. Autant vous le dire tout de suite, nous y avons pour l’instant consacré moins d’heures que nous l’aurions souhaité et nos strophes mériteraient largement une repasse. Nous la ferons sans doute plus tard dans le temps, mais à tout le moins vous aurez une première approche de leur sens.
Le code
Vert le vieux français de Rutebeuf, Gris les strophes adaptées de Léon Clédat. Noir notre pâle complément d’adaptation des strophes manquantes.
Ci coumence la repentance Rutebeuf
I Laissier m’estuet le rimoier, Car je me doi moult esmaier Quant tenu l’ai si longuement. Bien me doit li cuers larmoier, C’onques ne me soi amoier A Deu servir parfaitement, Ainz ai mis mon entendement En geu et en esbatement, C’onques n’i dignai saumoier. Ce pour moi n’est au Jugement Cele ou Deux prist aombrement, Mau marchié pris a paumoier.
Renoncer me faut a rimer, Et je me dois moult étonner Quand l’ai pu faire si longtemps! Bien me doit le cœur larmoyer Que jamais ne me pus plier A Dieu servir parfaitement. Mais j’ai mis mon entendement En jeu et en ébattement, Jamais ne daignai dire psaumes. Si ne m’assiste au Jugement Celle en qui Dieu reçut asile, J’ai passé bien mauvais marché.
II Tart serai mais au repentir, Las moi, c’onques ne sot sentir Mes soz cuers que c’est repentance N’a bien faire lui assentir. Coment oserai je tantir Quant nes li juste auront doutance ? J’ai touz jors engraissié ma pance D’autrui chateil, d’autrui sustance: Ci a boen clerc, a miex mentir ! Se je di: « C’est par ignorance, Que je ne sai qu’est penitance ». Ce ne me puet pas garentir.
Tard je viendrai au repentir. Pauvre moi! Point ne sut comprendre Mon fol cœur ce qu’est repentance, Ni à bien faire se résoudre! Comment oserais-je mot dire Quand justes même trembleront ? Tous les jours j’engraissai ma panse Du bien d’autrui, d’autrui substance. Bon clerc est qui mieux sait mentir. Si je dis « C’est par ignorance, Car je ne sais qu’est pénitence »,
Cela ne peut me garantir* (sauver)…
III Garentir ? Diex ! En queil meniere ? Ne me fist Diex bontés entiere Qui me dona sen et savoir Et me fist en sa fourme chiere ? Ancor me fist bontés plus chiere, Qui por moi vout mort resovoir. Sens me dona de decevoir L’Anemi qui me vuet avoir Et mettre en sa chartre premiere, Lai dont nuns ne se peut ravoir Por priere ne por avoir: N’en voi nul qui revaigne arriere.
Me sauver ? Dieu ! De quelle manière ? Dieu, dans sa bonté entière En me donnant sens et savoir (raison et sagesse) Me me fit-il à sa chère image ? Et me fit Bonté d’avantage (celui) Qui pour moi, a reçu la mort. (le Christ) Me donnant le sens (l’intelligence, le bon sens) de duper L’ennemi (le diable) qui me veut avoir Et mettre en sa geôle première Là d’où nul ne peut s’enfuir Contre prières ou contre avoirs. Je n’en vois nul en revenir
IV J’ai fait au cors sa volentei, J’ai fait rimes et s’ai chantei Sus les uns por aux autres plaire, Dont Anemis m’a enchantei Et m’arme mise en orfentei Por meneir au felon repaire. Ce Cele en cui toz biens resclaire Ne prent en cure m’enfertei, De male rente m’a rentei Mes cuers ou tant truis de contraire. Fusicien n’apoticaire Ne m’en pueent doneir santei.
J’ai fait au corps sa volonté, J’ai fait rimes et j’ai chanté Sur les uns pour nus autres plaire Car l’Ennemi m’a enchanté Et rendu mon Âme orpheline Pour la mener au noir repaire. Si celle en qui brille tout bien Ne prend en souci mon affaire, Mauvaise rente m’a valu Mon cœur d’où me vient tel tourment. Médecins ni apothicaires Ne me peuvent donner santé.
V Je sai une fisicienne Que a Lions ne a Vienne Non tant com touz li siecles dure N’a si bone serurgienne. N’est plaie, tant soit ancienne, Qu’ele ne nestoie et escure, Puis qu’ele i vuelle metre cure. Ele espurja de vie oscure La beneoite Egyptienne: A Dieu la rendi nete et pure. Si com est voirs, si praigne en cure Ma lasse d’arme crestienne.
Je connais une physicienne (femme médecin) A Lyon, ni même à Vienne Pas plus que dans le monde entier Il n’est si bonne chirurgienne. Il n’y a de plaie, fut-elle ancienne Qu’elle ne nettoie et ne récure.(désinfecter) Elle expurgea de tout péché La bienheureuse égyptienne La rendant à Dieu, nette et pure Comme elle le fit (Si vrai que), puisse-t-elle soigner Ma pauvre et lasse âme chrétienne
VI Puisque morir voi feble et fort, Coument pantrai en moi confort, Que de mort me puisse deffendre ? N’en voi nul, tant ait grant effort, Que des piez n’ost le contrefort, Si fait le cors a terre estendre. Que puis je fors la mort atendre ? La mort ne lait ne dur ne tendre Por avoir que om li aport. Et quant li cors est mis en cendre, Si couvient l’arme raison rendre De quanqu’om fist jusqu’a la mort.
Comme je vois mourir faibles et forts Où trouver en moi réconfort Qui de mort me puisse défendre ? N’en voit nul, malgré ses efforts Dont elle n’ôte des pieds le support Pour faire, au sol, son corps s’étendre. Qu’y puis-je, sinon la mort attendre ? La mort n’épargne ni durs, ni tendres Peu lui chaut avoirs et apports Et quand le corps est rendu cendre, A l’âme il faut bien raison rendre De ce qu’elle fit jusqu’à la mort.
VII Or ai tant fait que ne puis mais, Si me covient tenir en pais. Diex doint que ce ne soit trop tart ! J’ai touz jors acreü mon fait, Et j’oi dire a clers et a lais: « Com plus couve li feux, plus art. » Je cuidai engignier Renart: Or n’i vallent enging ne art, Qu’asseür est en son palais. Por cest siecle qui se depart Me couvient partir d’autre part. Qui que l’envie, je le las.
J’ai tant fait que plus je ne puis Aussi me faut tenir en paix Dieu veuille que ne soit trop tard! Tous les jours j’ai accru mon fait, Et chacun dit, clerc ou laïque « Plus le feu couve, plus il brûle ». J’ai pensé engeigner * (tromper) Renard Rien n’y valent engins ni arts, Tranquille il est en son palais. Pour ce siècle qui se finit, Il m’en faut partir d’autre part Nul n’y peut rien, je l’abandonne.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : légendes arthuriennes, revue, mystères de l’Histoire, numéro trimestriel, roman arthurien. Période : Haut moyen-âge pour la période de référence, Moyen-âge central pour l’écriture. Média : Revue Trimestrielle Les Mystères de l’Histoire (Juillet/Août/Septembre 2018)
Bonjour à tous,
ertaines mauvaises langues éprises d’Esope, de Phèdre, de La Fontaine ou même encore de fables médiévales à la façon de Marie de France ou d’Eustache Deschamps, diront peut-être que tout cela ressemble à une histoire de ramage, de plumage et de fromage, mais je peux vous assurer qu’aucun renard n’est venu chanter sous nos fenêtres. Aussi, nous ne bouderons pas notre plaisir et nous sommes très heureux d’avoir été cités, à plusieurs reprises, dans le dernier numéro de la revue Les Mystères de l’Histoire, consacré aux Légendes arthuriennes.
Particulièrement bien sourcé et puisant abondamment aux sources médiévales de la légende et de ses premiers grands auteurs ( les Boron, les Monmouth et autre Chrétien de Troyes). ce septième numéro trimestriel de la revue se fixe l’ambition, en quelques 150 pages de confronter mythe, faits et état actuel des connaissances sur les héros de la quête du Graal, en nous offrant ainsi un beau tour d’horizon du sujet.
Disponible en Kiosque, cette édition est également accessible en ligne, au format numérique. Aussi, si tout comme nous, vous êtes amateurs du roman arthurien et de ses mystères, vous pourrez l’acquérir directement sur le site de son éditeur Phoenix-publications.