Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

Eustache Deschamps: une ballade sur la voie du juste milieu et la médiocrité dorée

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, morale, satirique, politique et réaliste, ballade, vieux français
Période : moyen-âge tardif, bas moyen-âge
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. » ou « Aurea Mediocritas »

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passion‘espère que ce dimanche d’octobre vous trouve en joie. De notre côté, nous sommes de retour au moyen-âge tardif et nous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle ballade de « Moralitez » tirée de l’oeuvre poétique d’Eustache Deschamps.

eustache_deschamps_morel_poesie_medievale_auteur_bas_moyen-age_ballades_de_moraliteDans la publication des oeuvres de cet auteur du moyen-âge tardif par le marquis de Queux Sainte Hilaire, à la fin du XIXe siècle (1878), cette ballade est titrée: « Eloge de la médiocrité ». Au sens moderne, c’est un titre qui la dessert relativement et, même au delà, puisqu’il pourrait en faire méprendre le sens. La médiocrité dont il s’agit là n’a, en effet, pas le sens large qu’elle a de nos jours, sauf à la débarrasser (à grand peine) d’un certain nombre de connotations péjoratives dont elle a hérité avec le temps. Pour l’appliquer à cette ballade poétique,  il faudrait user de manière restrictive de cette partie de définition qu’en donne le Littré : « État de fortune, position qui tient le milieu entre le haut et le bas dans la société » mais encore partir aux sources de l’étymologie latine et retrouver le sens de « Mediocritas » tel que l’emploie le poète latin Horace, quelques décennies avant notre ère.

Cet autre exemple en provenance du Littré et du XVIIIe siècle vient encore éclairer les valeurs qui sous-tendent  ce mot de médiocrité tel qu’il est compris ici: « Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorants…. vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages, [Courier, Lett. à l’Acad. des inscr.] Il y était alors question de « Juste milieu, Modération juste tempérament » et d’une valeur qu’on rangeait même depuis le moyen-âge central et même l’antiquité du côté de la sagesse. 

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Il est donc question avec cette médiocrité de ne pas chercher à s’élever démesurément dans les richesses ou le prestige matériel, pas d’avantage que dans les démonstrations ostentatoires de ses possessions, mais il ne s’agit pas non plus de vivre dans la misère et le dénuement complet. Comme le dit ici Eustache Deschamps, non sans une certaine ironie chrétienne à l’égard de ses contemporains et de leur manque de charité:  « Car povreté est reprouche certaine. Et si n’est homs qui vueille au povre aidier ».(1)

Cette éloge d’une voie du juste milieu « bénie de Dieu lui-même » suivant l’auteur puise d’un côté ses racines dans une conduite sociale et morale à la fois « chrétienne » (mais finalement plutôt « bourgeoise » en ce qu’elle n’est pas celle du dépouillement christique complet des évangiles). De l’autre, elle emprunte aussi à l’antiquité et justement à la poésie d’Horace, poète latin du 1er siècle avant J-C qui, de fait, n’était pas chrétien.

D’Horace à Eustache Deschamps
ou de l’antiquité au moyen-âge tardif

Dans une version antérieure des œuvres d’Eustache Deschamps publiée par Prosper Tarbé en 1849, cette ballade de moralité y est titrée « Aurea Mediocritas« : Médiocrité dorée. Dans l’édition plus tardive du Marquis de Queux de Saint-Hilaire, on la retrouve sous le titre : « éloge de la médiocrité« .

Pour comprendre cette expression et ce titre, il faut aller chercher dans une œuvre antique, celle du poète italien Horace qui, dans ses odes, sous-titrait justement son chapitre VII, dédié à Licinius: « Eloge de la Médiocrité » ou encore (chez d’autres traducteurs): « Qu’il faut se tenir dans la médiocrité et conserver un esprit toujours égal« . Nous en citons le début ici pour que l’on comprenne mieux la référence à laquelle s’attache Eustache Deschamps dans sa poésie  :

poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_horace_mediocrite_eclairee_moyen-age_ballade_de_moralité« Pour vivre heureux, Licinius, il ne faut pas toujours voguer en pleine mer, ni aussi par une crainte excessive de la tempête. se tenir trop près du dangereux rivage. Celui qui sait goûter une précieuse médiocrité, se garde, pour sa propre sûreté et pour son repos, d’habiter les réduits de l’avare ou les palais qui attirent l’envie. Les plus hauts pins sont les plus tourmentés par les vents. Les hautes tours sont celles qui s’écroulent avec le plus d’éclat. Enfin c’est sur les plus hautes montagnes que tombe la foudre. »

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Encore une fois, tout cela n’évoque en rien la médiocrité au sens où nous l’entendons, mais bien plus la mesure, la voie médiane, dans la possession comme (et peut-être même surtout) dans le paraître. Finalement, le vers le plus proche de l’esprit original semble encore celui qui est scandé régulièrement par Eustache Deschamps dans cette poésie : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. »  (Béni de Dieu est qui tient le moyen). Nous sommes au moyen-âge la référence à l’antiquité est réintégrée dans un corpus, autant qu’une représentation du monde, chrétiens.

Vers une interprétation historique

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Eustache Deschamps au coeur des jeux de cour et de pouvoir de son temps

I_lettrine_moyen_age_passion copial faut se souvenir, en lisant Eustache Deschamps, qu’étant issu de petite noblesse et ayant officié une grande partie de sa vie à la cour des rois (cour qu’il finira d’ailleurs par exécrer et déserter), la grande majorité de ses ballades s’adresse aux nobles et aux puissants qu’il y côtoie. De par sa situation, le poète médiéval se trouve également au milieu des enjeux poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_charles_VI_folie_moyen-age_ballade_de_moralitéde pouvoir ou, à tout le moins, les observent.

Dans son ouvrage Oeuvres inédites de Eustache Deschamps, Prosper Tarbé interprète cette ballade à la lumière du contexte historique de l’année 1392 durant laquelle Eustache Deschamps l’aurait écrite. Cette année là, le roi Charles VI déjà affaibli par son état de santé se trouve frappé d’une crise de démence (enluminure ci-dessus Charles VII et son médecin 1470, bnF). S’en suivront des jeux de pouvoirs entre les Ducs de Bourgogne et de Berry pour chasser les favoris du prince et les priver de leurs places comme de leur pensions (op cité).  Dès lors, les jeux politiques ne cesseront de faire changer de mains le pouvoir et Tarbé voit donc également dans certaines lignes de cette poésie d’Eustache Deschamps, la leçon qu’il en tire pour aviser les puissants, comme ceux tombés en disgrâce, de la sagesse qu’il y a à se tenir dans la fraîcheur de l’ombre, plutôt que dans les lieux élevés et exposés du pouvoir où l’on peut tout perdre d’un instant à l’autre.

Pour conclure, il faut encore ajouter que ce thème du juste milieu, illustré parfaitement ici, est récurrent chez Eustache Deschamps et même à ce point central qu’une thèse lui a été consacrée: voir Miren Lacassagne, « Rhétorique et poétique de la médiocrité chez Eustache Deschamps ».

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Ballade d’Eustache Deschamps
en vieux-français du XVe siècle

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison édifier,
Que li grant vens ne la gaste (dévaste) et souspraingne; (surprenne)
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier :
Car par eaues pourroit amolier  ( mouiller)
Le fondement et périr le merrien* ; (bois de construction)
Nulz ne se doit ne hault ne bas fier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Es grans estaz est haulte honeur mondaine
Qu’Envie tend par son vent trebuchier; 
Et la s’endort chascuns en gloire vaine,
Mais en ce cas chiet honeur de legier ;
Du hault en bas le convient abaissier.
Et lors languist quant il dechiet du sien ;
c Telz haulz estas sont de foible mortier : 
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Ou lieu trop bas qui est assis en plaine
Ne se doit nulz tenir pour mendier.
Car povreté est reprouche certaine.
Et si n’est homs qui vueille au povre aidier;
Fay ta maison en un petit rochier
Ne hault ne bas, et la vivras tu bien :
En tous estas vueil dire et enseignier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien,

En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

(1) On peut sans trop de risque parler d’ironie sur cette question, connaissant d’autres ballades du poète du XIVe siècle sur la cupidité et le manque de charité de ses contemporains – bourgeois, nobles et gens de pouvoir qui sont les gens auxquels il s’adresse principalement dans ses poésies, à l’égard des pauvres ou des petites gens.

Saadi : poésie et sagesse persane du moyen-âge

“Quiconque n’a pas pitié des petits
mérite d’éprouver la tyrannie des grands.”
Gulistan ou le jardin des roses –  Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), poète et conteur persan du moyen-âge central.

Lady Greensleeves: une version vocale de la célèbre chanson anglaise

musique_ancienne_renaissance_medievale_viole_de_gambe_greensleeves_jordi_savalSujet : musique ancienne, folk, chanson traditionnelle anglaise, version vocale
Période : XVIe, début de la renaissance, toute fin du moyen-âge.
Titre : Lady Greensleeves, Greensleeves to a Ground, Greensleeves
Groupe : Estampie, Graham Derrick
Album : Under The Greenwood Tree (1997)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avons longuement parlé de l’histoire de la chanson anglaise Greensleeves dans un précédent article. Nous vous présentions alors, pour l’illustrer, une version instrumentale interprétée par Jordi Saval et Hespèrion XXI.

Aujourd’hui, pour faire suite à l’adaptation-traduction que nous vous avions alors proposé des paroles de cette chanson, vraisemblablement née sous le règne des Tudors et dont la popularité ne s’est pas démentie dans le monde anglo-saxon depuis près de quatre cents ans, nous vous en proposons une version vocale. On la doit  à une formation anglaise, du nom d’Estampie dans un  album de 1997, dédié aux musiques médiévales et anciennes intitulé ; Under The Greenwood Tree.

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Même si les paroles de Greensleeves furent, à l’évidence, écrites par un homme pour (ou à propos) d’une femme, la version du jour est interprétée par une très belle voix féminine mezzo soprano, celle de Anne Falloon. Pour de nombreuses chansons médiévales, il n’est pas rare que l’art  ou le chant lyrique s’en soient emparé, et de fait les chanteurs masculins semblent plus rares que les chanteuses sur le répertoires des troubadours.

Dans les interprétations vocales masculines que vous pourrez trouver à la ronde, de nombreuses sont polyphoniques et tirent un peu plus cette Lady Greensleeves du côté des chants de noël, ce qu’elle est aussi devenue avec le temps mais comme cela l’éloigne encore plus de ses origines, nous leur avons largement préféré la version du jour. Pour suivre les paroles et tout savoir sur cette chanson n’hésitez pas à consulter le précédent article sur le sujet!

 

En vous souhaitant une bonne écoute et une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

Clément Marot : du concentré d’humour noir dans une épitaphe.

humour_monde_medieval_poesie_satirique_citation_clement_marot_moyen-ageSujet : poésie médiévale satirique, épitaphe, humour médiéval, humour noir, mots d’esprit.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur : Clément Marot (1496-1544)
Titre : « De Frère Jehan L’evesque Cordelier Natif D’Orléans », épitaphe (1520)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous invitons à découvrir, aujourd’hui, un peu de l’esprit caustique et satirique de Clément Marot en partageant une de ses épitaphes pleine d’humour, qui se comprend très bien sans traduction.

clement_marot_epitaphe_poesie_citation_medievale_satirique_humour_noir_moyen-age_tardif

« Cy gist, repose et dors léans
Le feu Evesque d’Orléans,
J’entends l’Evesque en son surnom,
Et frère Jehan en propre nom,
Qui mourut, l’an cinq cens et vingt,
De la verolle qui luy vint.
Or affin que sainctes et anges
Ne prennent ses boutons estranges.
Prions Dieu qu’au frère Frappart
Il donne quelque chambre à part. »
Clément Marot (1496-1544),
poète, auteur de la toute fin du moyen-âge, début de la renaissance.

Une excellent journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.