D’un dragon et d’un vilain : une fable médiévale de Marie de France sur la cupidité

dragon-moyen-age-fable-ysopets-marie-de-franceSujet  : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’oïl, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval,   vilain, dragon, convoitise,   cupidité
Période  : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre :  Dou Dragon è d’un Villain    
Auteur    :   Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage    :    Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui,  pour le XIIe siècle avec une fable de Marie de France. Il y sera question de vilenie, de trahison, mais aussi d’un œuf de dragon renfermant bien des trésors dont la confiance d’un animal mythique et l’utilisation qu’il en fera pour mettre à l’épreuve un faux ami.

Un autre vilain littéraire « archétypal »

On  reconnaîtra, dans cette poésie sur le thème de la défiance et de la cupidité,  ce « vilain archétypal » de la littérature médiévale  du XIIe siècle. Nous voulons parler de celui qui porte,  si souvent, tous les  travers   : rustre,   « convoiteux »,   avare, indigne de confiance,  malicieux ou, selon, un peu crétin sur les bords (cf de Brunain la vache au prêtre de jean Bodel).

deco-dragon-medievale-bestiaireDans ces premiers usages, dans la littérature médiévale, le terme de vilain finira par désigner souvent autant le travailleur de la terre que  celui sur lequel la société des valeurs et de la bienséance n’a aucune prise :  une profession  de tous les défauts et tous les préjugés, qu’elle cristallise sans doute d’autant plus que le monde médiéval tend à s’urbaniser (opposition « campagne/monde civilisé »  ou encore « nature/culture »  ?).

Avec le temps et au cours des XIIIe et XIVe siècles, cette image viendra se nuancer largement pour donner lieu à des archétypes plus variés du vilain : sagesse populaire, bon sens,  espièglerie même (voir le vilain qui conquis le paradis en plaidant). Le terme sera aussi dissocié, par certains auteurs médiévaux, du statut social et de la fonction paysanne pour devenir un trait qui ne réside que dans les actes : « Nus n’est vilains, se de cuer non. Vilains est qui fet vilonie. » (des chevaliers, des clercs et des vilains  le vilain dans les fabliaux et la littérature du moyen-âge).

Quant au dragon,  s’il a représenté  plutôt, dans les premiers temps du moyen-âge central, une créature maléfique, ici et sous la plume de Marie de France, il incarne la raison. Il se fait même le représentant des hommes (éduqués, fortunés, nobles ?) pour les aider à tirer une leçon de sagesse :  à défaut d’avoir le choix,  méfions-nous toujours de ceux à  qui nous confions nos avoirs.

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Dou Dragon è d’un Villain

Or vus cunterai d’un Dragun
K’un Vilains prist à compaignun ;
E cil suvent li prometeit
Qe loiaument le servireit.
Li Dragons volut espruvier 
Si se purreit en lui fier,
Un Oef li cummande à garder ;
Si li dit qu’il voleit errer.

De l’Uef garder mult li pria
E li Vilains li demanda
Pur coi li cummandeit enssi :
E li Draguns li respundi
Que dedenz l’Uef ot enbatu
Tute sa force et sa vertu,
Tut sereit mort s’il fust brisiez.

Qant li Draguns fu eslungiez
Si s’est li Vileins purpenssez
Que li Hués n’iert plus gardez ;
Par l’Oues ocirra le Dragun
S’ara sun or tut-à-bandun.
E qant li Oës fu despéciez
Si est li Dragons repairiez ;
L’eschaille vit gésir par terre,
Si li cummencha à enquerre
Purquoi ot l’Oef si mesgardé.
Lors sot-il bien la vérité
Bien aparçut la tricherie ;
Départie est lur cumpaignie.

MORALITÉ

Pur ce nus dit icest sarmun,
Q’à trichéour ne à félun
Ne deit-l’en cummander sun or,
N’abandunner sun chier thrésor ;
En cunvoitex ne en aver
Ne se deit nus Hums affier.

Traduction   adaptation en français moderne

Or (à prèsent) vous conterai d’un dragon
Qui vilain prit pour compagnon
Et qui, souvent, lui promettait
Que toujours il le servirait.
Le Dragon voulut éprouver
S’il pourrait   vraiment s’y fier.
Et d’un œuf lui confia le soin 
Pendant qu’il  partirait au loin.

De garder l’œuf,   tant le pria
Que le
  vilain lui demanda,
Pourquoi   il insistait autant.
Lors,  le dragon lui répondit
Que  dedans l’œuf il avait mis
Toute sa force et sa vertu
Et qu’il mourrait s’il fut brisé.

Quand le dragon fut éloigné
Le  vilain se mit à penser
Que l’œuf   il n’allait plus garder
Mais qu’avec  il tuerait le Dragon
Pour lui ravir  ses possessions.
Une fois l’œuf   dépecé
Voilà  dragon qui reparaît.
Voyant  les coquilles à terre

Il  interroge  le compère
Sur les raisons  de sa mégarde.
A découvrir  le vrai ne tarde

Et mesurant la tricherie
Il  met fin à leur compagnie.

MORALITÉ

La  morale de notre histoire
Est qu’à tricheur  ni à félon,
On ne doit laisser son or,
Ni   ne  confier  son cher trésor,
Qu’ils soient avares ou convoiteux
Tout homme doit se défier d’eux.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

1er avril 2020 – Aquarium médiéval

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Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passionuste un peu d’humour en forme de bestiaire aquatique médiéval, pour vous accompagner en ce 1er avril 2020. Pas grand chose à ajouter. Tous les poissons utilisés pour    cet étrange aquarium sont tirés de miniatures  de divers manuscrits d’époque.

Une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.

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« Mos cors s’alegr’ e s’esjau », une chanson de Peire Vidal, troubadour itinérant du XIIe siècle

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
TitreMos cors s’alegr’ e s’esjau
Interprètes : Gérard Zuchetto, Patrice Brient, Jacques Khoudir
Album : Gérard Zuchetto chante les   Troubadours des XIIe et XIIIe siècles, Vol. 1    (1988)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, au pays d’oc et en Provence médiévale. Nous sommes à la fin du XIIe siècle pour y  découvrir une nouvelle chanson du troubadour Peire Vidal, au sujet de ses pérégrinations. Cette fois-ci, ce n’est pas en Espagne que nous le retrouverons mais, ayant séjourné à l’ouest de Carcassonne, dans le département de l’Aude actuel et s’apprêtant à rejoindre Barral, son protecteur marseillais.

Récit d’un séjour en Languedoc
sur fond  de valeurs courtoises

Au menu de cette poésie, on retrouve un Peire Vidal  un peu plus « sage », ou en  tout cas, un peu moins grandiloquent qu’à l’habitude, mais tout aussi désireux de défendre les valeurs de la courtoisie.   Pour preuve, elles lui sont si chères que même un ennemi farouche qui en porterait le flambeau pourraient devenir  pour cela   un ami.

Source : le chansonnier occitan H

peire-vidal-chanson-medievale-courtoisie-troubadour-chansonnier-occitan-H-moyen-age-sOn peut retrouver cette pièce du troubadour occitan dans le manuscrit médiéval connu sous le nom de Chansonnier Occitan H et référencé Vatican Cod. 3207, à la bibliothèque apostolique du Vatican où il est conservé.

Avec ses 61 feuillets à l’écriture tassée, cet ouvrage, daté de la fin du XIVe siècle, contient des chansons, sirventès et pièces poétiques de  troubadours du Moyen Âge central. Si vous en avez la curiosité, vous pourrez le consulter en ligne  ici.

Pour la traduction de la pièce du jour, de l’Occitan vers le Français moderne, si nous continuons de nous servir de   l’ouvrage de Joseph Anglade :  Les poésies de Peire Vidal (1913), nous  l’avons toutefois largement reprise et remaniée, en nous servant d’autres sources et dictionnaires.  Pour son interprétation, voici la belle version que Gérard Zuchetto en proposait   à la fin des années 80.

 Mos cors s’alegr’ e s’esjau de Peire Vidal par Gérard Zuchetto


Gérard Zuchetto Chante les
Troubadours des XIIe et XIIIe siècles (vol 1)

C’est en 1988 que Gérard Zuchetto, accompagné de  Patrice Brient  et Jacques Khoudir, allait partir à la conquête des plus célèbres troubadours   du pays d’Oc.

troubadours-musique-medieval-peire-vidale-gerard-zuchetto-album-moyen-ageAvec 9 titres, ce premier volume, sorti chez Vde-Gallo, allait faire une large place à Raimon de Miraval. Cinq pièces  de cet album y sont, en effet, consacrées à cet auteur médiéval. Quant aux autres titres, on en retrouve deux de  Arnaud Daniel, un de Raimbaud d’Orange et enfin, la pièce du jour, tirée du répertoire de  Peire Vidal.  Les deux opus suivants de cette série « Gérard Zuchetto Chante les troubadours… » sortiraient quelques années plus tard, en 1992 et 1993. D’une certaine manière, ils ne feraient qu’ouvrir le bal de l’oeuvre prolifique que le musicien, chercheur et compositeur  allait consacrer, par la suite, à l’art des troubadours et à la   « Tròba »,

Ce volume 1 est encore disponible à la vente. Il a été réédité en 2013 et on peut  en trouver quelques exemplaires CD sur internet. Il est également accessible au format MP3 : Troubadours Des Xiie Et Xiiie Siècles, Vol. 1 (Minstrels Of The 12th And 13th Centuries)


Mos cors s’alegr’ e s’esjau

I
Mos cors s’alegr’ e s’esjau
Per lo gentil temps suau
E pel castel de Fanjau
Que -m ressembla paradis ;
Qu’amors e jois s’i enclau
E tot quant a pretz s’abau
E domneis verais e fis.

Mon cœur    est joyeux et se réjouit
Pour ce temps agréable et doux
Et pour le Château de Fanjeaux,
Qui me semble être le paradis :
Puisque amour et joie s’y enclosent
Et tout ce qui sied à l’honneur (valeur, mérite),
Et courtoisie sincère et parfaite (véritable).

II
Non ai enemic tan brau,
Si las domnas mi mentau
Ni m’en ditz honor e lau,
Qu’eu nol sia bos amis.
Et quar mest lor non estau,
Ni en autra terra vau,
Planh e sospir e languis.

Je n’ai pas d’ennemi si farouche (dur, brave)
Qui, s’il me parle des dames
Et m’en dit honneur et louange,
Ne devienne un ami loyal.
Et comme je ne suis pas parmi elles
Et que je vais sur d’autres terres
Je me plains et soupire et languis.

III
Mos bels arquiers de Laurac,
De cui m’abelis e*m pac,
M’a nafrat de part Galhac
E son cairel el cor mis ;
Et anc mais colps tan no’m plac,
Qu’eu sojorne a Saissac
Ab fraires et ab cozis.

Mon bel archer de Laurac,
Auprès duquel j’éprouve tant de plaisir et de joie  à me tenir
M’a blessé du côté de Gaillac
Et m’a percé le cœur  de son carreau d’arbalète    :
Et jamais coup ne me fut si doux
Puisque j’ai séjourné à Saissac
Avec ses frères et ses cousins.

IV
Per totz temps lais Albeges
E remanh en Carcasses,
Que-l cavalier son cortes
E las domnas del païs.
Mas Na Loba a -m si conques,
Que, si m’ajut Deus ni fes,
Al cor m’estan sei dous ris.

Pour toujours je quitte l’Albigeois,
Et je reste dans le Carcassonnais,
Puisque les chevaliers
Et les dames du pays y sont courtois.
De plus, Dame Louve m’a si bien conquis
Qu’avec l’aide de Dieu et ma foi (si Dieu me prête  soutien et foi)
Je garde, dans mon cœur, ses doux rires.

V
A Deu coman Monrial
E-l palaitz emperial,
Qu’eu m’en torn sai a’N Barral,
A cui bos pretz es aclis ;
E cobrar m’an Proensal,
Quar nulha gens tan no val,
Per que serai lor vezis.

A Dieu, je remets Montréal
Et le palais impérial,
Car je m’en retourne, à présent, vers Barral*
Que la gloire accompagne (auquel   mérites,  grande valeur est acquise) ;
Les provençaux me recouvriront (retrouveront) bientôt,
Car nulle gens n’a tant de valeur
Et pour cela je serai des leurs (littéral : leur voisin).

* Barral : Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, protecteur du troubadour 


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Conférence monde médiéval : les procès faits aux animaux avec Michel Pastoureau

conference-moyen-age-monde-medieval-proces-animauxSujet   : procès, animaux, monde médiéval, anthropologie histoire, histoire médiévale, Moyen Âge chrétien
Période : Moyen Âge et  siècle suivants
Vidéo-conférence : Les procès faits aux animaux (du XIIIe au XVIIe siècle)
Intervenant : Michel Pastoureau
Conférence : Archives départementales de la Vienne,    avril 2019

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionmateur d’histoires insolites, cette vidéo-conférence de Michel Pastoureau sur les procès faits aux animaux, du Moyen Âge central aux siècles suivants, pourraient bien vous distraire. Attention, toutefois, l’historien donne  très vite le ton ici : s’il peut nous faire sourire, le sujet doit être pris très au sérieux.  Il fait partie, des mots même du médiéviste, de la grande Histoire et, sous l’apparente trivialité, pas question de laisser l’anecdotique, ou pire,  un deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonssensationnalisme à la mode,  prendre le pas. Ces questions interrogent, en profondeur, les sociétés médiévales et renaissantes dans leurs rapports à la justice, dans leurs rapports homme animal et dans leurs représentations, ,…

Vous l’aurez compris, nous sommes bien au cœur d’une anthropologie historique et culturelle moderne qui vise à approcher le monde médiéval et ses mentalités dans toute leur complexité. Bien sûr,  nous l’avons dit, le sujet autorise tout de même, quelques sourires entendus dont l’historien lui-même, qui ne manque pas d’humour, ne se privera pas au long de sa conférence.  Voici un digest de cette dernière.

Les procès faits aux animaux.

Du XIIIe au XVIIe siècle (de 1250 à 1650), on juge les animaux pour divers crimes en France. Selon Michel Pastoureau, cette vague de procès pourrait correspondrait, en partie, au développement d’une forme de justice ecclésiastique  ayant tendance à se généraliser à la même époque. Dans le même temps,  il reconnait, toutefois, que cette dernière n’est alors pas la seule  à rendre des jugements :  durant la même période, les justices royales et civiles en produisent aussi.

Pour ce qui est de la fin du phénomène, dans le courant du XVIIe siècle, elle  semble toucher, tout à la fois, le souci d’optimiser l’utilité des actions de justice (en les réservant aux hommes), mais encore des raisons ayant trait aux représentations concernant les animaux (non souffrance, inutilité des supplices, …).

Vidéo-conférence de Michel Pastoureau  – les procès aux animaux

Différentes catégories de procès

Le chercheur médiéval distingue   différentes catégories de procès menés a l’encontre des bêtes.

1/ Les procès faits aux animaux pris en groupe,
principalement par la justice ecclésiastique

proces-hanneton-moyen-age-chretien-excommunication-monde-medievalRongeurs, batraciens, vermine, insectes, … Dans cette première catégorie, se  rangent  principalement les petits animaux, comme ces hannetons que l’évêque de Troie sommera, en 1516, de quitter son diocèse sous peine d’excommunication ou encore, quelques années plus tôt, ces anguilles du lac Léman ayant eu l’outrecuidance de se reproduire à l’excès. C’est, cette fois, l’évêque de Lausanne qui s’en mêlera pour tenter de ramener les anguilles à la raison. Que les bêtes laissent un peu de place aux feras,  perches et autres blancs dont vivent les hommes et les pécheurs autour du lac ! Peine perdue. Ce sera l’escalade… Et comme les anguilles resteront sourdes aux demandes de l’homme d’église, il se verra lui aussi contraint de les excommunier,  les expulsant ainsi et sans délai, de la communauté chrétienne.

2/ Les procès faits aux animaux domestiques et de plus grande taille par la justice royale ou civile

Ici, les animaux jugés seront de plus grande taille : cochons (en quantité), ânes, bœufs ou chiens, ayant causé des accidents ou s’étant rendus outrageusement coupables de vandalisme ou autres crimes et délits.  Dans quelques cas, il semble qu’ils puissent  être simplement coupables de ne pas avoir accepté, de bonne grâce, la charge de travail qui leur incombait ? Et on aura peut-être, une pensée (moderne)  émue pour ce bœuf de Toulouse qu’on  décapita, en 1415, pour avoir « démérité ». Quoiqu’il en soit et pour divers motifs, on conduit ces animaux, individuellement, aux tribunaux civils et, une fois leur cause « entendue » et jugée, on les châtie : on peut les exécuter sans ambages ou même d’autres fois, les gracier.

3/Les procès en hérésie, sorcellerie et bestialité

Comme on le sait (ou comme on l’ignore), la sorcellerie et les procès dans cette matière sont des affaires bien plus renaissantes que médiévales : sabbats, histoires d’adoration d’animaux en manière d’adoration du diable, mais encore bestialité et commerce contre-nature entre hommes et bêtes, tout cela donnera lieu à des condamnations qui frappent les uns et les autres, hommes et bêtes  (fréquemment sous couvert de délation). Ces affaires forment le dernier type de procès faits aux animaux que Michel Pastoureau identifie sur la partie la plus tardive de la période étudiée.

Géographie et fréquence

deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonsAprès nous avoir présenté ces catégories, l’historien détaillera ses sources, du côte de leur répartition géographique. Les Alpes semblent alors un foyer privilégié bien que non exclusif de ces actes judiciaires qui peuvent nous paraître, aujourd’hui, si étranges. Étonnamment, on notera que, quelque temps plus tard, les procès en sorcellerie suivront, en partie, cette même géographie en s’accrochant aux montagnes et aux mêmes provinces.

Contrairement aux idées reçues pourtant, en nombre, ces  procès faits aux animaux resteront relativement rares. En suivant le chercheur, peut-être faudrait-il y voir une démonstration symbolique ? Entendons, une forme de théâtralisation de l’action judiciaire ou, au moins, la volonté de mettre en scène une justice toute puissante qui s’exercerait, sur tous, avec une égale magnanimité.

Le porcs au cœur   des procès

Neuf fois sur dix, les animaux concernés sont des porcs. Ils sont alors nombreux à vaquer dans les villes comme dans les campagnes, glanant leur nourriture, en semi-liberté. En milieu urbain, ils aident aussi à éliminer les ordures et les détritus. De fait par cette omniprésence, autant que par leur nature fouineuse et leur régime omnivore, ils finissent fatalement par commettre plus d’actes de vandalisme et sont la cause d’incidents plus fréquents. Michel Pastoureau étendra son raisonnement de la simple statistique à la proximité anatomique et biologique entre le porc et l’homme. Selon lui, le porc aurait été également victime de ce cousinage avec les humains et c’est aussi cela qui lui aurait ouvert la porte des tribunaux. N’étant pas si éloigné de la gente humaine, on  aurait  ainsi pu trouver acceptable qu’il fut jugé.

La  Truie de Falaise

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Illustration représentant l’affaire de la truie de Lavegny, en 1457, qui, avec ses 6 porcelets, aurait dévoré un enfant « The book of days: a miscellany of popular antiquities ( 1869)

Suivant encore, de près, le fil de cette conférence, l’historien nous contera l’histoire, plutôt   gore, de  cette truie de Falaise qui, en  1386,  renversa le   berceau de deux enfants en bas âge, en les tuant sur le coup. Non contente de son forfait, l’animal dévora,  en partie, le cadavre du plus jeune. Condamnée à mort par le bailli de Falaise, après une procès en bonne et due forme, la truie fut traînée par les rues, pendue, puis brûlée, ses cendres dispersées. Étrangement, le supplice lui fut administré après qu’on l’ait vêtu d’habits féminins, sous l’œil d’une foule, sans doute, venue nombreuse y assister. On aurait même alors demandé aux paysans présents à l’événement de s’y présenter avec leurs propres cochons, afin que ceux-ci retiennent à plein la leçon.

Les rapports hommes animaux en tension
dans le Moyen Âge chrétien

Pour conclure ce riche tour d’horizon de son sujet, Michel Pastoureau se penchera sur la, ou plutôt les, pensées chrétiennes et médiévales régissant les représentations homme/animal. Deux courants théologiques et philosophiques coexistent en effet. Le premier différencie clairement le règne de l’homme et de l’animal. C’est le plus classique. Face à lui, un autre courant prône l’idée d’une « communauté des êtres vivants » et celle d’un animal « enfant de Dieu ». Selon le chercheur, ces deux conceptions auraient animé les débats entre juristes et théologiens autour de ces procès  : les animaux peuvent-ils souffrir ? Ont-il une âme semblable à la notre ? deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonsPeuvent-ils différencier le bien du mal ? Y-a-t-il des animaux supérieurs ?

Toutes ces questions vont être en opposition jusque dans les idées d’animaux machines  et il faudra attendre le XVIIIe siècle et l’Ecosse pour voir la naissance des premières sociétés protectrices d’animaux de l’histoire. Ce sera pourtant loin de consacrer nos vues modernes sur ces questions qui, disons le, demeurent, dans la pratique, toujours contradictoires. D’ailleurs, en creusant un peu, cette duplicité de vue médiéval pourrait très bien y  être encore   à l’oeuvre, soit qu’on considère l’homme comme faisant partie du règne animal, soit qu’on le place largement au dessus.

Notion de responsabilité juridique

A défaut de vues philosophiques partagées sur ces questions dans nos sociétés, la seule chose sur laquelle on semble être parvenu à un consensus est juridique et légale. Elle concerne la responsabilité directe du propriétaire de l’animal sur les dégâts que ce dernier pourrait occasionner. Comme on l’aura remarqué, elle  n’est  pas  en question dans ces procès des temps anciens que nous pouvons, aujourd’hui, trouver insolites. Du reste, une certaine littérature satirique d’époque en avait déjà relevé la nature cocasse et ne s’est pas privée de moquer ces actions en justice .  Michel Pastoureau nous le rappellera, ici, en évoquant  le goût du public médiéval pour les fables ou les   ysopets, mais aussi  le procès fait à Goupil dans le   Roman de Renard.

De nos jours, il arrive encore que la justice juge et condamne des animaux.

Voir nos autre articles au sujet de Michel Pastoureau.

En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
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