Sujet : art martial, combat médiéval, agenda, marché médiéval, événement médiéval, Béhourd, Championnat de France, Bataille des Nations, HMB Période: moyen-âge central à tardif Evénement : Tournoi de Saint-Dizier Date : 9 et 10 mars 2019 Lieu : Parc du Jard, Saint-Dizier, Haute-Marne., Grand-Est
Bonjour à tous,
our ouvrir, dignement, une nouvelle saison de compétition, le Béhourd se réinvite, chaque année, au début du mois de Mars, à Saint-Dizier.
Organisé par la Fédération Française de Béhourd, ce grand tournoi s’inscrit dans le cadre du Championnat de France de la discipline. Pour cette 3e édition, les organisateurs ont vraiment mis les bouchées doubles puisque près de 25 équipes et plus de 200 combattants en armure sont attendus. Il faut dire qu’en l’espace de quelques années, cet art martial inspiré du Moyen-âge, et semblable à aucun autre, a connu une médiatisation et un engouement grandissants.
Saint-Dizier 2019 : programme et enjeux
A l’issue des échanges, le tournoi permettra de sélectionner les 50 meilleurs compétiteurs pour représenter les couleurs de la France lors des événements d’envergure internationale de Béhourd et, notamment, la prochaine Bataille des nations (Battle of Nations) qui se tiendra en mai prochain, en Serbie. Il s’agira, cette année, d’aller y challenger l’équipe Russe, tenante du titre.
Du côté du programme, on assistera donc, les 9 et 10 mars prochain, à Saint-Nizier, à de nombreux échanges, sous les formes les plus variées : combats 5vs5 tout au long des deux jours, avec des spéciales qui promettent du grand spectacle, le dimanche après-midi : Béhourd féminin en 5vs5 mais aussi nouveautés et formations totalement inédites, avec des mêlées 12vs12 ou même encore 30vs30 (!) pour clore l’événement en beauté. (si je voulais être trivial, je dirais que ça va déménager.)
A côté des combats et pour les grands faims, on trouvera bien sûr de quoi se restaurer et, là encore, la Fédération a redoublé d’effort puisqu’elle nous promet que le marché médiéval qui se tient habituellement sur place, sera cette année plus étoffé que jamais.
Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale, chant de croisade. poésie satirique, occitan Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « Lo vers del lavador» Interprète : Jordi Savall, Hespérion XXI Album: Jerusalem, la ville des deux paix (2014)
Bonjour à tous,
n plein cœur du Moyen-âge central, le troubadour Marcabru exhortait ses contemporains à la croisade, celle d’outre-mer mais plus encore celle, bien plus proche, des terres d’Espagne et de la « Reconquista ». Nous vous proposons, aujourd’hui, d’étudier de près cette chanson médiévale du XIIe siècle, ainsi que de vous en fournir la traduction. Du côté de l’interprétation et pour le temps de ce voyage, nous serons accompagnés de l’Ensemble médiéval Hespèrion XXI et la grande voix de Marc Mauillon, sous la direction de Jordi Savall.
Les vers du lavoir de Marcabru, par Hespérion XXI et Jordi Savall
Jerusalem, la ville des deux paix,
sous la direction de Jordi Savall
En 2008, Jordi Savall et Montserrat Figueiras accompagnés de La Capella Reial de Catalunya, la formation Al-Darwish et l’ensemble Hespèrion XXI, partaient à la redécouverte musicale de Jerusalem. Ils signaient ainsi un livre double-album, riche de 52 pièces, au carrefour de nombreuses influences musicales et civilisationnelles. La virtuosité de l’exercice fut salué par la scène des musiques anciennes et l’album fut primé d’un Diapason d’Or.
Comme à son habitude, Jordi Savall était bien décidé à transcender la simple interprétation musicale, pour se situer dans un message résolument humaniste et pacifiste. Sous sa maestria, Jérusalem devenait ainsi la ville des deux paix, paix céleste et paix terrestre et il déclarait à son sujet:
« Ce projet a été conçu comme un hommage à Jérusalem, la ville construite et détruite à l’infini par l’homme, dans sa quête du pouvoir sacré et du pouvoir spirituel. Par le pouvoir de la musique et des paroles, ce fruit de la collaboration passionnée et engagée de musiciens, poètes , chercheurs, écrivains et historiens de 14 pays, ainsi qu’Alia Vox et les équipes de la Fondation CIMA, est devenu une fervente invocation pour la paix. » Jordi Savall
Au delà de son agencement savant de compositions et chants profanes, chrétiens, juifs ou musulmans, le maître de musique catalan nous proposait ici un véritable appel à la paix, en réunissant aussi autour de lui des musiciens européens, juifs, palestiniens et venus encore du monde arabe. D’un point de vue narratif, l’oeuvre évoquait la cité sainte, à travers les âges, au large d’un périple de plus de 3000 ans : Jérusalem la juive de l’antiquité, Jérusalem la chrétienne et médiévale des pèlerinages, puis l’ottomane et musulmane, pour, finalement, s’ouvrir sur une dernière partie plus contemporaine et qui se voulait porteuse de réconciliation et d’espoirs, envers toutes les cultures en présence,
Pax in nomine Domini,
la chanson du lavoir de Marcabru
Contexte historique, 2e croisade et reconquista
Dans ce Pax in nomine Domini, plus connu encore sous le nom de les vers ou la chanson du lavoir (Vers del lavador), le célèbre troubadour comparait l’engagement aux croisades à un « lavoir » dans lequel tout chevalier et combattant chrétien pouvait et devait même « se laver » (se purifier de ses péchés). Mise à l’épreuve de sa foi véritable mais aussi purification de l’âme avec assurance d’y gagner le Paradis, il y pointait du doigt, au passage, les péchés de luxure et l’absence de foi de certains de ces contemporains.
Au sujet des nobles et seigneurs auxquels le poète médiéval fait allusion dans ce chant de croisade, on peut se risquer avec l’appui des médiévistes à quelques conclusions, même si certains éléments sont encore sujets à débat, Du point de vue datation, il semble que cette chanson ait été composée dans l’année 1149 et sans doute dans sa deuxième moitié.
(ci-contre le Pax in nomine Domini de Marcabru tronqué, mais accompagné de sa partition, Mss Français 844 de la Bnf)
Un an auparavant, la deuxième croisade s’enlisait devant Damas et, au début de l’année 1149, Louis VII levait le siège en mettant fin à la deuxième croisade, expliquant sans doute les critiques que Marcabru adresse aux français, dans sa dernière strophe. Du côté espagnol, et depuis quelques années, le comte de Barcelone Raimond-Berenguer IV avait accumulé les succès dans la reconquête de l’Aragonais contre les Maures. Autour de 1147, il leur avait notamment repris Tortosa, héritant ainsi du titre de Marquis de Tortosa. C’est sans doute de lui dont le troubadour nous parle dans l’avant dernière strophe de cette poésie.
Quant au comte défunt auquel Marcabru souhaite le repos de l’âme, à la toute fin de ce chant de croisade, et bien que les avis soient mitigés sur la question, on peut tout de même avancer qu’il s’agit sans doute de Raymond d’Antioche (1098-1149) (1). Les débats entre experts au sujet de cette identité gravitent principalement autour du fait que le noble était désigné sous le titre de « prince d’Antioche » et non de « comte » (2). Pour le reste, outre le fait qu’il était le second fils de Guillaume IX de Poitiers, lui-même duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, Raymond d’Antioche est justement décédé dans le courant de l’année 1149, lors de la prise d’Antioche par le sultan Nur ad-Din, et durant la bataille d’Inab (29 juin 1149). Dès lors et si c’est bien de lui dont il s’agit ici, on peut supputer que Marcabru rédigea ses vers, peu après avoir appris la nouvelle. Cela, du reste, cadrerait tout à fait avec cette « Antioche » dont « le prix et la valeur sont pleurés par la Guyenne et le Poitou » dans la même strophe.
Concernant le lieu où le troubadour écrivit ses vers, là encore les avis ne sont pas tranchés. Il peut les avoir écrit alors qu’il était à la cour d’Espagne (probablement au service d’Alphonse VII) ou bien, ce que pourrait suggérer son chant, alors qu’il se trouvait encore en Aquitaine.
De l’Oc de Marcabru au français moderne
Pour la traduction de cette chanson, nous nous appuyons, à nouveau, largement, sur l’ouvrage de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909) mais en les croisant avec quelques autres sources (notamment l’article de Silvio Melani(1)) et recherches complémentaires.
Dans l’interprétation musicale proposée plus haut, Jordi Savall a fait le choix de tronquer deux des strophes de la poésie originale (la 3 et la 4). De notre côté, nous vous la livrons dans son entier.
I Pax in nomine Domini Fetz Marcabrus los motz e.l so. Aujatz que di : Cum nos a fait, per sa doussor, Lo Seingnorius celestiaus Probet de nos un lavador, C’anc, fors outramar, no.n fon taus, En de lai deves Josaphas: E d’aquest de sai vos conort.
Pax in nomine Domini Marcabru a fait les paroles et l’air* (la musique) . Écoutez ce qu’il dit : Comme nous a fait, par sa bonté, Le Seigneur céleste, Il a fait près de nous un lavoir tel qu’il n’y en eut jamais, sinon outre-mer, là-bas, vers Josaphat, et c’est pour celui qui est près d’ici que je vous exhorte.
II Lavar de ser e de maiti Nos deuriam, segon razo, Ie.us o afi. Chascus a del lavar legor! Domentre qu’el es sas e saus, Deuri’ anar al lavador, Que.ns es verais medicinaus! Que s’abans anam a la mort, D’aut en sus aurem alberc bas.
Nous devrions nous laver, soir et matin, Si nous étions raisonnables, Je vous l’assure; Chacun peut s’y laver à loisir ! Pendant qu’il est encore sain et sauf, Chacun devrait aller au lavoir
Car c’est pour nous un véritable remède; De sorte que si nous allons à la mort avant cela, notre demeure ne sera pas là-haut, mais nous l’aurons bien bas.
III Mas Escarsedatz e No-fes. Part Joven de son compaigno. Ai cals dois es, Que tuicl volon lai li plusor, Don lo gazaings es enfernaus! S’anz non correm al lavador C’ajam la boca ni·ls huoills claus, Non i a un d’orguoill tant gras C’al morir non trob contrafort.
Mais Mesquinerie et absence de foi Séparent de Jeunesse son compagnon. Ah! quelle douleur c’est Que le plus grand nombre vole là Où on ne gagne que l’Enfer ! Si nous ne courons au lavoir Avant d’avoir la bouche et les yeux clos, Il n’en est pas un si gonflé d’orgueil Qui, dans la mort, ne trouve(ra) son adversaire(3)
IV Que·l Seigner que sap tot quant es E sap tot quant er e c’anc fo, Nos i promes Honor e nom d’emperador. E-il beutatz sera, sabetz caus De cels qu’iran al lavador? Plus que l’estela gallz ignalls Ab sol que vengem Dieu del tort Que’ill fan sai, e lai vas Domas.
Car le Seigneur, qui sait tout ce qui est, Et sait tout ce qui sera et qui fut, Nous y a promis Honneur au nom de l’empereur. Et savez-vous quelle beauté sera celle De ceux qui se rendront au lavoir? Plus grande que celle de l’étoile du matin, Pourvu que nous vengions Dieu du tort Qu’on lui fait ici, et là-bas, vers Damas.
V Probet del lignatge Cai, Dei primeiran home felho, A tans aissi C’us a Dieu non porta honor! Veirem qui.ll er amics coraus! C’ab la vertut del lavador Nos sera Jhezus comunaus! E tornem los garssos atras Qu’en agur crezon et en sort
Proches du lignage de Caïn, De ce premier homme félon, Il y en a tant ici Qui à Dieu ne portent honneur ! Nous verrons qui sera son ami cordial ! Car, par la vertu du lavoir, Jésus sera avec nous tous. Et nous ferons reculer les misérables* (JML Dejeanne : « mauvais garnements ») Qui croient aux augures et aux sorts.
VI C.il luxurios corna-vi, Coita-disnar, bufa-tizo, Crup-en-cami Remanran inz ei felpidor! Dieus vol los arditz e.ls suaus Assajar a son lavador! E cil gaitaran los ostaus! E trobaran fort contrafort, So per qu’ieu alor anta.ls chas.
Ces libertins, cornes-à-vin* (ivrognes), Presse-dîner, souffle-tison, Ces accroupis sur le chemin (4) Resteront dans les souillures* (folpidor, fumier) Dieu veut les hardis et les doux Éprouver à son lavoir ! Et ceux-là guetteront les maisons ! Et trouveront un rude adversaire C’est pourquoi, à leur honte, je les chasse.
VII En Espaigna, sai, Io Marques E cill del temple Salamo Sofron Io pes E.I fais de l’orguoill paganor, Per que Jovens cuoill avollaus. E.I critz per aquest lavador Versa sobre.ls plus rics captaus Fraitz, faillitz, de proeza Ias, Que non amon Joi ni Deport.
En Espagne, ici, le Marquis Et ceux du Temple de Salomon Souffrent le poids Et le fardeau de l’orgueil des païens Par quoi Jeunesse recueille mauvaise louange. Et le blâme, à cause de ce lavoir, Tombe sur les plus puissants seigneurs, Brisés, faillis, vides de prouesse Et qui n’aiment ni joie ni amusements.
VIII Desnaturat son li Frances, Si de l’afar Dieu dizon no, Qu’ie.us ai comes. Antiocha, Pretz e Valor Sai plora Guiana e Peitaus. Dieus, Seigner, ai tieu lavador L’arma dei comte met en paus: E sai gart Peitieus e Niort Lo Seigner qui ressors dei vas
Dépravés sont les Français S’ils se refusent à soutenir Dieu, Car je les ai mis en demeure. Antioche, ton Prix et ta Valeur Sont pleurés ici par Guyenne et Poitou. Dieu, Seigneur, en ton lavoir Donne paix à l’âme du comte, Et ici, puisse garder Poitiers et Niort! Le Seigneur qui ressuscita du Sépulcre.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
Sources
(1)« Intorno al Vers del lavador. Marcabruno e la riconquista ispanica », Medioevo romanzo, XXII (s. iii, ii), 1997, Silvio Melani.
(2)Marcabru: A Critical Edition – Marcabrun, Simon Gaunt, Ruth Harvey and Linda Paterson Brewer, Cambridge, UK, 2000.
(3) « C’al morir non trob contrafort ». Contrafort : adversaire. JML Dejeanne (op cité) traduit : « Qui dans la mort ne trouve un vainqueur » ou « Qui ne soit vaincu par la mort ». Concernant cet adversaire, Silvio Melani (1) y voit plutôt sous-entendu « le diable ».
(4) Crup-en-cami. Là encore divergence de traduction entre JML Dejeanne « Accroupi sur le chemin » et une interprétation de Silvio Melani qui se référera de son côté au « Crup-en-cendres » utilisé par ailleurs par Giraut de Borneil. Autrement dit, ceux qui restent accroupi sur le chemin pour l’un et pour l’autre ceux qui restent accroupi auprès de la cheminée ou de l’âtre, pour se chauffer le dos et ne rien faire.
Sujet : poésie médiévale, amour courtois, troubadours, fine amor, lyrique courtoise, langue d’oc Période : moyen-âge central Auteur : Michel Zink Ouvrage : Les troubadours, une histoire poétique (éditions Perrin, 2013) Programme : Ça Rime à Quoi
Sophie Nauleau, France Culture
Bonjour à tous,
n 2014, l’auteur(e), productrice et animatrice de Radio Sophie Nauleau recevait Michel Zink, sur France Culture, dans le cadre de son programme Ça Rime à Quoi. L’académicien et grand spécialiste de littérature médiévale venait lui présenter son ouvrage, daté de 2013 et ayant pour titre « les troubadours une histoire poétique« .
« C’est le Moyen-âge qui a mis l’amour au centre de la poésie (…) mais il y a quelque de particulier dans la poésie des troubadours, qui est tout à fait délibéré et qui est extrêmement fascinant, c’est que les troubadours considèrent que l’amour est un sentiment essentiellement contradictoire. C’est, à la fois, une exaltation et une dépression, c’est une joie et une souffrance. L’amour c’est le désir, le désir va vers son assouvissement, mais redoute d’être assouvi, parce qu’assouvi, il disparaîtra comme désir. Donc l’amour est en lui-même quelque chose de contradictoire. » Michel Zink extraits entretien France Culture (2014)
Après nous avoir touché un mot de son parcours et sa prédilection pour la poésie médiévale. Michel Zink en profitait pour faire ici, avec sa générosité et sa passion habituelles, une belle incursion dans l’art poétique et l’esprit des troubadours occitans du moyen-âge central, ce « moment où l’amour est devenu la grande affaire de la poésie ». On abordera ainsi, à ses côtés, les particularités de l’Amour Courtois, les liens entre exercice poétique et Fine Amor (fin’amor), entre savoir-faire littéraire et « compétence amoureuse », le rapport au langage et aux sentiments, le tout ponctué de quelques lectures et extraits.
Au passage,le médiéviste philologue nous gratifiera encore de quelques « anecdotes » issues des Vidas et Razos, On sait que leur étude lui a toujours été cher, pour peu qu’on les approche pour ce qu’ils sont : des « objets » littéraires. Si ces récits postérieurs à la vie des troubadours sont, dans bien des cas, demeurés les seules traces « biographiques’ que nous ayons conservées d’un certain nombre d’entre eux, on sait, en effet, qu’ils mêlent sans complexe, détails factuels et extrapolations, pour nous présenter une véritable romance de la vie des troubadours des XIIe, XIIIe siècles.
Ça rime à quoi : Les Troubadours : Une histoire poétique. Michel Zink
Depuis 2017, ce livre de Michel Zink est disponible au format poche chez Tempus Perrin. Voici un lien utile pour vous le procurer : Les troubadours. Une histoire poétique
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : complainte, poésie médiévale, poésie satirique, guerre de cent ans, extraits, moyen-Français, misère, laboureurs Période : Moyen-âge tardif, XVe siècle. Titre : Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France Auteur : anonyme Ouvrage : Les chroniques d’Enguerrand de Monstrelet, (milieu du XVe)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un large extrait d’une poésie satirique du moyen-âge tardif, ayant pour titre la Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France. Du point de vue des sources, cette complainte est tirée des Chroniques deEnguerrand de Monstrelet (1400-1453),
Avec cet ouvrage portant sur l’histoire de la première moitié du XVe siècle (1400-1444). le noble chroniqueur d’origine picarde qui servit entre autres seigneurs, les ducs de Bourgogne, entendait poursuivre le travail engagé par Jean Froissard. S’il influença par ses écrits certains auteurs de son temps, on lui prêta, toutefois, moins de rigueur et de talent que ce dernier. Rabelais écrivit même de lui qu’il était « baveux comme un pot de moutarde » ( Molinier Auguste – L’Histoire de France 1904, T4 ). Quant à son impartialité, notre auteur n’échappa pas à la règle, maintes fois vérifiée, mais encore bien plus manifeste dans le courant du moyen-âge, qui veut que l’Histoire ait toujours un point de vue.
Cela étant dit, ce qui nous intéresse aujourd’hui, n’est pas tant le récit du chroniqueur que cette complainte du pauvre commun qu’il ne fait que retranscrire, sans l’attribuer, et qui n’est pas de sa plume. Dans son ouvrage La Satire en France au Moyen-Âge (1893) Charles Felix Lenient rapproche ce texte, son ton satirique et une part de son inspiration du Quadrilogue Invectif d’Alain Chartier, mais il hésite tout de même à lui en attribuer, de manière certaine, la paternité. Elle demeure, en tout cas, non signée, dans les Chroniques d’Enguerrand.
Misères des laboureurs & temps troublés
Datée du début du XVe siècle, cette poésie réaliste nous conte le triste sort de nombre de paysans saignés par la guerre de cent ans, les pillages, les disettes et les taxes. Sous la pression des événements, certains en furent même réduits à fuir les campagnes, tristes hordes de familles en guenilles, mendiant dans les villes, pour subsister. Cette complainte en est restée le témoin. Ces « pauvres communs et laboureurs » en appelaient alors à la charité de tous, dans l’indifférence générale, s’il faut en croire ces vers. Sous la complainte, la menace planait aussi clairement puisqu’ils y mettaient en garde les seigneurs et le roi des conséquences fâcheuses où cette indifférence pourrait les conduire: effondrement du royaume par sa base, d’abord, mais plus loin menace ouverte de révolte incendiaire ou même encore désertion du pays. Quant à l’Eglise, nos pauvres laboureurs l’appelait aussi à leur rescousse afin qu’elle intercède auprès des nobles pour leur rappeler leur devoir de chrétiens.
Ci-contre les Chroniques deEnguerrand de Monstrelet, ManuscritCod 37 (A,) Bibliothèque bourgeoise de Bern. voir en ligne)
Il faut, avec Charles Felix Lenient, constater que cette clameur du peuple et des pauvres gens demeure une des plus poignantes à nous être parvenue de cette période. Ses accents vibrants de sincérité lui confère une place très particulière dans la poésie satirique et réaliste du moyen-âge.
La complainte du pauvre commun
et des pauvres laboureurs de France
Hélas ! hélas ! hélas ! hélas ! Prélats , princes , et bons seigneurs , Bourgeois, marchans, et advocats, Gens de mestiers grans et mineurs, Gens d’armes , et les trois estats , Qui vivez sur nous laboureurs , Confortez nous d’aucun bon ayde ; Vivre nous fault, c’est le remède.
Vivre ne povons plus ensemble Longuement, se Dieu n’y pourvoye : Mal fait qui l’autruy tolt* (enlève, ôte) ou emble* (dérobe, vole) Par barat* (ruse, tromperie), ou par faulse voye. Perdu avons soulas et joye L’en nous a presque mis à fin , Car plus n’avons ne blé ne vin.
Vin ne froment ne autre blé. Pas seullement du pain d’avoyne , N’avons nostre saoul la moité Une seulle fois la sepmaine : Les jours nous passons à grand’ peine , Et ne sçavons que devenir ; Chacun s’en veult de nous fuyr,
Fuyr de nous ne devez mie, Pensez-y, nous vous en prions. Et nous soustenez nostre vie ! Car, pour certain , nous languissons. Allangouris nous nous mourons, Et ne gravons reméde en nous , Seigneurs , pour Dieu , confortez-nous.
Confortez-nous, vous ferez bien, Et certes vous ferez que saiges : Qui n’a charité, il n’a rien. Pour Dieu , regardez noz visaiges , Qui sont si piteux et si pâlies , Et noz membres riens devenir, Pou nous povons plus soustenir.
Soustenir ne nous povons plus En nulle maniére qni soit : Car, quand nous allons d’huys en huys, Chacun nous dit : Dieu vous pourvoye ! Pain, viandes, ne de rien qui soit, Ne nous tendez nen plus qu’aux chiens , Hélas! nous sommes chrestiens.
Chrestiens sommes-nous voirement* (véritablement) , Et en Dieu sommes tous vos frères , Si vous avez l’or et l’argent Ne sçavez si durera guères : Le temps vous aprestent les biens , Et si mourrez certainement , Et ne savez quand , ne comment.
Comment dictes-vous et pensez Plusieurs choses que de nous dictes , Que ce nous vient par noz péchez , Et vous en voulez clamer quittes. Pour Dieu jà plus ne le dictes , Et autrement nous confortez Pour ce en pitié nous regardez.
Regardez-nous, et si pensez , Que sans labour ne povez vivre , Et que tous sur nous vous courez : ( Long- temps a que chacun nous pille) Ne nous laissez ne croix ne pille, Ne rien vaillant que vous puissiez , De quelque estat que vous soyez.
Soyez, si vous plaist, advisez , Et que de cecy vous souvienne , Que nous ne trouvons que gaigner , Ne nul qui nous mette en besongne. Chacun de vous de nous s’eslongne , Mais s’ainsi nous laissez aller , A tard vous en repentirez.
Repentirez vous si acertes, Que si ainsi nous en allons , Vous cherrez les jambes retraictes , Et au plus prés de voz talons ; Sur vous tumberont les maisons , Vos chasteaulx et vos tenemens* (propriétés) : Car nous sommes voz fondemens.
Voz fondemens sont enfondus, N’y a mais rien qui les soustienne ; Les murs en sont tous pourfondus, N’y a pilier qui les retiengne, N’y estat qui en rien se faingne De nous mener jusque au plus bas : Pource nous fault crier , hélas !
Hélas! prélats et gens d’église, Sur quoy nostre foy est assise, Chiefs estes de chrestienté , Vous nous voyez nuds sans chemise Et nostre face si eslize , Et tous languis de povreté. Pour t’amour Dieu , en charité , Aux riches gens ce remonstrez Et que vous les admonestez. Qu’ils ayent pitié d’entre nous autres , Qui pour eux avons labouré Tant que tout leur est demouré : De noz povretez ils sont causes , Comme leur dirons cy en bas : Pour ce nous fault crier , hélas !
Hélas ! trés puissant roy françois , Nous pensons si bien ravisois , Et tu feusses bien conseillé, Qu’aucun pou nous espargnerois : Tu es le roy de tous les roys , Qui sont en la chrestienté, Dieu t’a ceste grand’ dignité Raillée , pour raison deffendre, Et diligentement entendre Aux complainctes qui vont vers toy ; Et par ce garder nous pourras , De ainsi fort crier , hélas !
Hélas ! trés noble roy de France , Le pays de vostre obéissance Espargnez-le : pour Dieu mercy , Des laboureurs ayez souv’nance, Tout avons prins en patience Et le prenons jusques à icy; Mais tenez-vous asseur, que si Vous n’y mettez aucun reméde, Que vous n’aurez chasteau ne ville, Que tous seront mis à exille , Dont jà sommes plus de cent mille Qui tous voulons tourner la bride , Et vous lairions tout esgaré, Et pourrez cheoir en tel trespas , Qu’il vous faudra crier , hélas !
Hélas ! ce serait grand douleur Et grand’ pitié à regarder, Qu’un si très excellent seigneur Criast , hélas ! Or y pensez , Pas ne serez le premier , Qui par deffaut de raison faire , D’estre piteux et débonnaire Aurait esté mis en exil. Tenu estes de bon affaire , Mais que n’ayez point de contraire Dieu vous garde de ce péril ! Et nous mettez si au délivre, Qu’en paix puissions dessoubs vous vivre Dés le plus haut jusques au bas, Tant que plus ne crions , hélas !
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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