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D’un coq découvrant une gemme, une fable de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’un coc qui truva une Gemme…
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous irons chercher notre inspiration médiévale du côté de la poésie de Marie de France. Cette première écrivaine en langue vernaculaire française et, plus précisément, en anglo-normand, nous a laissé une œuvre fournie, connue pour ses lais mais aussi ses fables inspirées des auteurs antiques.

De l’indifférence d’un coq face au diamant

Une fois de plus, c’est donc une fable qui nous donnera l’occasion de nous rapprocher de l’auteur(e) médiéval. Il y sera question d’un coq, d’une gemme et, en définitive, pour le dire de manière triviale, d’une morale assez voisine du dicton populaire qui parle de « confiture donnée aux cochons ».

Dans le récit, il ne s’agit pas, toutefois, de complète ignorance de la part du coq. Ayant débusqué une pierre précieuse dans un tas de fumier, il ne s’intéresse simplement pas à la valeur du trésor exhumé. Il sait qu’il s’agit d’une gemme. Il est même conscient qu’entre des mains plus expertes, la pierre précieuse se trouverait sublimée. Sertie d’or, elle brillerait alors de mille feux mais cela ne change rien pour lui. Il ne la trouve absolument d’aucune utilité et lui préférerait largement un peu de pitance.

Peu vif, l’animal passera donc à côté de la valeur réelle de sa trouvaille, ne daignant même pas la remuer, et la poétesse médiévale étendra la morale de sa fable à toute chose de valeur (bien, honneur) que, selon elle, nombre de ses contemporains dédaignent, pour leur préférer des choses plus triviales ou bien pires.

La fable du coq et de la perle de Marie de France, illustrée d'une enluminure.

D’un coc qui truva une Gemme sor un Fomeroi
dans la langue d’oïl de Marie de France

Du coc racunte ki munta
Sour un fémier, è si grata
Selunc nature purchaceit,
Sa viande cum il soleit:
Une chière jame truva,
Clère la vit, si l’esgarda;
Je cuidai, feit-il, purchacier,
Ma viande sor cest fémier,
Or ai ici jame travée,
Par moi ne serez remuée.
S’uns rices hum ci vus travast,
Bien sei ke d’or vus énurast;
Si en creust vustre clartei,
Pur l’or ki a mult grant biautei
Qant ma vulentei n’ai de tei
Jà nul hénor n’auraz par mei.

Autresi est de meinte gent,
Se tut ne vient à lur talent,
Cume dou Coc è de la Jame;
Véu l’avuns d’Ome è de Fame:
Bien, ne hénor, noient ne prisent,
Le pis prendent, le mielx despisent.

Une adaptation en français actuel

NB : cette fois-ci, nous avons choisi d’une adaptation plutôt qu’une traduction mot à mot. C’est un premier jet perfectible mais il a au moins le mérite d’être maison.

Juché sur un tas de fumier
Un coq s’affairait à gratter
Y cherchant, avec insistance,
Suivant son instinct, sa pitance.
Une belle gemme il exhuma,
De grand valeur et l’observa :
« Je pensais, fit-il, débusquer
De quoi manger dans ce fumier,
Et c’est toi, pierre, qui m’est échu,
Pas question que je te remue…
Qu’un riche homme t’ait découvert
Et d’or il t’aurait recouvert.
Ton éclat ressortirait mieux
Mis en valeur par l’or précieux.
Mais je ne veux rien de tout cela

Point d’honneur, tu n’auras de moi. »

Il en va ainsi de beaucoup
Si tout ne tombe à leur goût,
Comme du coq et son diamant,
Hommes et femmes sont ressemblant,
ni bien, ni honneur, ils ne prisent,
Le pire prennent, le meilleur méprisent.

Aux origines de cette fable médiévale


En remontant le fil de cette fable, on la retrouve chez les fabulistes antiques bien avant Marie de France, Esope d’abord puis Phèdre dans son sillage. Dans les deux cas, elle y avait déjà, un sens assez voisin que celui que lui donne Marie de France, même s’il faut reconnaître que le propos originel de cette fable est si général que le symbole de la perle peut recouvrir bien des choses suivant le sens qu’on veut bien lui donner : valeurs morales, science, savoir, éducation, etc…

Le Coq et le diamant d’Esope

Le coq sur un fumier grattoit , lorsqu’à ses yeux parut un diamant : « Hélas, dit-il ! Qu’en faire ? Moi qui ne suis point lapidaire (artisan joaillier) Un grain d’orge me convient mieux. »

Les Fables d’Esope mises en françois avec le sens moral
en quatre vers et des figures à chaque fable (1775).

On peut trouver un commentaire en vers de cette fable dans l’ouvrage en question :

Ce trésor qu’un coq mal habile
Rebute & vois ici d’un œil indifférent
C’est Homère ou Virgile
Entre les mains d’un ignorant.

Le contenu de la fable d’Esope est assez laconique et succinct mais comme on le voit, l’auteur du XVIIIe siècle penchait de son côté pour une valeur culturelle, philosophique et éducative du symbole quand Marie de France l’avait plus résolument tiré du côté des valeurs morales.

Le poulet à la perle de Phèdre

Au premier siècle de notre ère et près de six siècles après Esope, Phèdre a repris cette fable à son compte, en restant dans un esprit sensiblement identique à celui d’Esope.

Pullus ad margaritam : In sterquilino pullus gallinaceus dum quaerit escam, margaritam repperit. “Iaces indigno quanta res”, inquit, “loco! Hoc si quis pretii cupidus vidisset tui, olim redisses ad splendorem pristinum. Ego quod te inveni, potior cui multo est cibus, nec tibi prodesse nec mihi quicquam potest.” Hoc illis narro, qui me non intellegunt.

Un jeune Coq, en cherchant sa nourriture sur un tas de fumier, trouva une Perle.  » Précieux objet, dit-il, tu es là dans un lieu indigne de toi ! Si un avide connaisseur t’apercevait, il t’aurait bientôt rendu ton premier éclat. Pour moi qui t’ai trouvé, le moindre aliment me serait meilleur ; je ne puis t’être utile et tu ne peux rien pour moi. « 
J’adresse cette fable à tous ceux qui ne peuvent me comprendre.

Fables de Phèdre, traduction nouvelle
par Ernest Panckoucke (1839).

Le coq confesse encore ici son incapacité à exploiter le trésor et on y ressent presque une pointe de fatalisme. Pour le gallinacé, la pierre précieuse (devenue au passage une perle) n’est définitivement pas à sa place dans ce tas de fumier. Sa valeur ne sera pas honorée et le volatile restera frustré de ne pas trouver de nourriture. En guise de conclusion, Phèdre adresse plus spécifiquement sa morale à tous ses détracteurs ou ceux qui ne savent apprécier ses écrits. On est donc, une fois encore, dans la valeur littéraire et philosophique ou la connaissance, mais sur une morale un peu plus ciblée.

Le Coq et la perle de Lafontaine

En faisant un bond dans le temps par dessus le Moyen Âge, cinq siècles après Marie de France, on retrouvera encore ce coq et sa perle chez Jean de Lafontaine. Le fabuliste moderne procédera même à une mise en miroir pour être bien certain que ses lecteurs en comprennent le sens qui reste, là encore, littéraire, éducatif et culturel :

Un jour un Coq détourna
Une perle qu’il donna
Au beau premier Lapidaire :
« Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire. »


Un ignorant hérita
D’un manuscrit qu’il porta
Chez son voisin le Libraire.
« Je crois, dit-il, qu’il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire. »


Pour finir, notons qu’en un temps contemporain de Lafontaine, se trouvait dans les jardins de Versailles, une fontaine du coq et du diamant, en hommage à cette fable antique d’Esope.

Daté de 1673, ce monument arborait un petit bassin au centre duquel figurait un coq tenant une pierre précieuse dans une de ses pattes et recrachant l’eau de la fontaine par son bec tourné vers le ciel. Cette fontaine était l’œuvre de Étienne Le Hongre (1628-1690). A ce jour, il ne nous en reste plus rien qu’une gravure présente dans un ouvrage daté la fin du XVIIe siècle (Labyrinthe de Versailles, Charles Perrault, 1677)


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le coq utilisé en premier plan de nos illustrations provient du manuscrit médiéval côté BM ms 399, actuellement conservé à la Bibliothèque Municipale d’Amiens. Cet ouvrage ancien, daté de la dernière partie du XVe siècle, contient le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais. Je vous propose de découvrir ce superbe livre ancien sur le catalogue de manuscrits illuminés Initiale. Quant au reste de notre enluminure du coq de Marie de France, il s’agit d’un montage original à partir d’extraits d’autres enluminures et illustrations.

Une poésie médiévale sur des puissants en perdition et leurs actes contre-nature

Sujet : poésie satirique, poète breton, ballade, satire, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, oïl, moyen français.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Pource que l’œuvre en est desnaturelle
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrages :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT , édition 1493 et édition 1522.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons en direction de la Bretagne médiévale, non point celle du roman arthurien et de sa « matière de Bretaigne » mais celle, politique et satirique du poète et soldat Jehan Meschinot.

Nous sommes au cœur du XVe siècle, dans une France troublée, sous la main de Louis XI. Entre grogne du peuple et révolte des barons, un certain nombre d’auteurs et poètes d’alors gronde contre les abus de la couronne. Ce fut notamment le cas du chroniqueur flamand Georges Chastelain, officiant à la maison de Bourgogne. A la suite de ce dernier, Jehan Meschinot, lui-même au service des ducs de Bretagne, rédigea 25 ballades satiriques contre le pouvoir central français et son roi. Il se servit notamment du texte « Le Prince » de Georges Chastelain, pour lui emprunter les envois de ses poésies.

On peut retrouver ces 25 ballades médiévales sans concession de Meschinot à la fin de certaines éditions des Lunettes des Princes, ouvrage le plus célèbre de Meschinot, sur les bons usages du pouvoir politique et les exactions de ce dernier. De nature fortement critique, elles pointent donc du doigt les abus que faisait peser le règne de Louis XI sur le peuple d’alors, autant qu’elles entendent souligner la corruption et les vices du souverain. On y retrouve aussi clairement le mépris et la haine qu’inspire alors ce dernier au poète breton.

La ballade politique de Meschinot avec une enluminure du Ms français 24314 de la BnF
Une ballade de Meschinot contre une nouvelle classe de puissants bien peu vertueux

Pouvoir abusif & valeurs en chute libre

La ballade du jour apparaît comme la 22ème de la série. Cette fois, c’est la dimension contre-nature ou dénaturée du pouvoir que Meschinot met en exergue. En opposant l’héritage des bons et vertueux princes du passé, il dénonce une « valeur » des puissants et des gens de pouvoir en chute libre.

Menteurs, corrompus, convoiteux, à l’inverse de ceux qui les ont précédés, ces nouveaux seigneurs que voit œuvrer Meschinot lui apparaissent comme sans foi ni loi, ne pensant qu’à piller et guerroyer entre eux. Fats et imbus d’eux-mêmes, ils s’autoproclament « parfaits ». Pourtant pour l’auteur médiéval, le verdict est sans appel : ils ne sont même pas les ombres ou les reflets des pères de passé, mais bien plutôt des antithèses grossières et contrefaites.

Entre les lignes de cette ballade, on trouvera encore l’idée d’une classe de lourdauds, héritiers du pouvoir et qui ne recherchent que ses avantages. Pour le poète breton, cette classe s’oppose, là aussi, clairement aux vertueux anciens qui eurent à conquérir les honneurs par leurs actes et ne les possédaient pas à la naissance. Pour finir, le poète exhortera tout de même ces pâles copies de pouvoir, criblées de vices et qui n’ont de seigneurs que le nom, à se retourner en arrière, en formant l’espoir qu’ils y trouvent quelque inspiration auprès de l’exemplarité des grands du passé, Au passage, il pourra ainsi se consacrer à des choses plus agréables à écrire que ces diatribes que la médiocrité des gens de pouvoir le force à coucher sur papier.

Aux sources anciennes de cette poésie

La Ballade satirique de Meschinot 'Pource que l'oeuvre en est desnaturelle" dans le  Manuscrit médiéval MS Français 24314
La ballade satirique du jour dans le Manuscrit Français MS 24314, de la BnF

Vous pourrez retrouver cette ballade dans le manuscrit Français 24314 de la BnF. Cet ouvrage médiéval qui contient l’œuvre de Jean Meschinot est en libre consultation sur Gallica.fr. Nous concernant, pour la retranscription de la ballade du jour, nous nous sommes appuyés sur deux éditions différentes des Lunettes des princes : celle de 1522 de Nicole Vostre et une autre datée de 1493, imprimée à Nantes.

Si le sujet vous intéresse et en fouillant un peu, vous pourrez également débusquer un certain nombre d’éditions modernes contenant les Lunettes des Princes de Meschinot , suivies de ses 25 ballades contre Louis XI. Certains ouvrages ont été édités, ces dernières années, 0qui les proposent. Attention toutefois, toutes les éditions du marché ne les contiennent pas. Aussi, si vous décidez d’acquérir Les lunettes des princes assurez-vous que ces poésies de l’auteur breton s’y trouvent ; il serait dommage de passer à côté.


Pour ceux que l’œuvre en est desnaturelle
Une ballade satirique de Meschinot

NB : bien qu’en apparence assez proche du français actuel, le moyen français de Meschinot peut réserver quelques difficultés. Nous vous fournissons donc quelques clefs de vocabulaire pour mieux le saisir.

Ou sont les bons qui aultrefois vesquirent
Et qui vertus en leur beaulx jours acquirent
O dieu, fay tant qu’aulcun d’iceulx ressourde
Pour voir comment les honneurs qu’ils conquirent,
Qu’eulx n’eurent pas, dès le jour que nasquirent,
Sont a présent venus en gent beslourde
(grossiers, lourdauds).
Bien leur seroit a porter pesant fais,
Quand ils verroient les deshonnestes fais
Commis par ceulx que seigneurs on appelle,
Qui ne tiennent vérité en langage
Ne fermeté en faict : c’est cas saulvage
Pour ce que l’œuvre en est desnaturelle
(dénaturée, contre-nature).

Les prudes
(probes, sages) gens en leur temps ne s’enquirent
Fors de bonté et sagesse qu’ils quirent
(quérir)
Dont les meschans d’aujourd’hui tiennent bourde
(considèrent sottise).
Eureusement en aise se cheviren
t (s’exécuter, s’en acquitter),
Et, a la fin, plains de grans ans se virent :
Qui ne l’entend, de simplesse
(simplicité), se hourde (se pare, se drappe)
Doncques prince qui vous nommez parfaicts
Et ne voulez ensemble vivre en paix
Par union et amour fraternelle
Mais l’autruy bien voulez et l’heritage
C’est tres grant mal s’enrichir de pillage,
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.

A tous seigneurs je supply que se mirent
(mirer)
Aux vertueux qui, a bonté, se mirent
(mettre)
Et non a ceulx qui font la lime sourde
(ignorent sournoisement).
Leurs grans deffaulx et malice remirent
Et facent tant que plus contre eulx ne m’irent
(me mette en colère)
Dont il faille que de mon lit ne sourde
(ne me lève, sorte)
Pour escrire de leurs vices jamais
Ce me seroit ung dolent entremais
(un divertissement douloureux).
Mieux me plairoit raconter chose belle
Que d’un seigneur ou homme de parage
(de noble naissance)
Qui n’a valeur emplus ou moins qu’ung page
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.

Prince qui porte et soustient les maulvais
Contre les bons, l’honneur de son palais
Et en perverse et honteuse querelle
Celui conduyt un criminel ouvrage
Qui amatist
(abattre, flétrir) main noble et hault courage
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.


Pardon encore de ce rapprochement mais, en la relisant dans le contexte social et politique actuel troublé, cette ballade ne nous semble guère avoir vieilli. Par delà son contexte historique et comme toute bonne poésie morale, elle résonne de la trahison des puissants sur leur peuple et des exactions politiques qui, des temps les plus reculés jusqu’aux plus récents, ont porté le visage de la tyrannie, de la corruption et de l’oppression.

En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que la belle enluminure de l’auteur qui trône au début de cet ouvrage du XVe siècle.

Découvrez toute l’actualité 2022 du poète François Villon avec Robert D Peckham

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Sujet :  bibliographie, auteur médiéval, médiévalisme, actualité, éducation, littérature médiévale.
Période : du Moyen Âge (XVe) à nos jours.
AuteurFrançois Villon (1431-1463)
Contributeur/Editeur  :   Robert Dabney Peckham,   Société François Villon, Université du Tennessee. 38e bulletin

Bonjour à tous,

yez, oyez ! Amis de François Villon, de son œuvre et de son actualité, le dernier bulletin de la Société François Villon signé de la plume de Robert D Peckham vient de paraître. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, depuis près de 4 décennies, ce professeur émérite de littérature médiévale et bibliophile américain s’est efforcé de traquer et de répertorier toutes les parutions autour du poète du XVe siècle, à travers le monde.

Robert Peckham, créateur de la Société François Villon, un érudit passionné de musique médiévale et de poésie

Si cet universitaire passionné de Moyen Âge, tout autant que de poésie et de littérature en langue française, coule désormais des jours heureux , en savourant une retraite bien méritée, il n’en est pas pour autant moins actif. Désormais, il se consacre, en effet, presque entièrement à sa passion pour les musiques anciennes et la poésie, et a déjà donné de nombreux concerts, accompagné de son autoharpe, dans le Tennessee où il est installé.

L’actualité brûlante de l’œuvre
de François Villon et sa postérité

Actualité, comics, BD et parutions modernes autour de François Villon

Quant au bulletin de la Société François Villon, Robert D Peckham continue, gracieusement, de le maintenir et comme rien n’échappe à sa sagacité, vous y débusquerez les informations les plus variées au sujet de l’actualité villonnesque, en de nombreuses langues. Il peut s’agir d’ouvrages et de livres que des experts modernes ont fait paraître, mais aussi de séminaires, de conférences, ou encore de documents et d’articles en ligne. Enfin, vous y verrez également mentionnés des performances et spectacles et tout un tas de données touchant l’iconographie culturelle et les représentations plus actuelles autour de François Villon ( comics, BD, etc..). Il s’agit là de la 38ème édition.

Une Illustration de François Villon par Jean Giraud dit Moebius. BD Ballate (1995)
Une rencontre Villon & Moebius Ballate. Ed Nuages, Milan (1995).

En bref, ce bulletin (comme le site très complet qui le sous-tend) est une invitation à découvrir l’actualité de l’un de nos plus grand poète médiéval sous toutes ses formes, des plus érudites aux plus profanes. Comme nous nous intéressons, ici, au Moyen Âge historique et littéraire autant qu’à ses manifestations plus récentes et au médiévalisme, vous comprendrez mieux en quoi cette approche peut nous séduire. Pour le reste, voila longtemps que nous n’avons rien publié sur Villon, mais nous avions trouvé bonne place dans les bulletins précédents (notamment le numéro 33 et le 35).

Vous pourrez retrouver le dernier bulletin de la société François Villon (lien alternatif de téléchargement). Il faudra encore attendre pour espérer revoir en ligne le site très complet réalisé par Robert Peckham qu’hébergeait l’Université du Tennessee à Martin. L’institution a, en effet, décidé de le fermer pour de raisons liées à des choix techniques et de maintenance. L’immense travail de compilation effectué par le biographe de Villon a pu être préservé mais il attend encore de trouver un hébergement en ligne pour reprendre vie. Quoiqu’il en soit, si vous vous intéressez à l’œuvre de Villon, aux productions qu’elle a suscitée et à son influence jusqu’à nos jours, le travail de Robert Peckham est unique et ne peut être ignoré. C’est une véritable mine que nous espérons pouvoir explorer à nouveau en ligne, dans toute sa richesse et dans un proche futur.

Voir nos articles précédents au sujet de ce Bulletin : Le travail bibliographique de R Peckham sur François ViIlonUne Belle découverte sur François Villon à la British Library.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’illustration de l’image d’en-tête est un détail de la couverture du dernier opus de Bande Dessinée que le talentueux Luigi Critone a consacré au Villon de Jean Teulé : Je, François Villon, tome 3 : Je crie à toutes gens merci, Delcourt (2016).

Une poésie satirique de Jehan Meschinot sur l’indifférence envers la pauvreté

Sujet : poésie satirique, poète médiéval, poète breton, ballade satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale, pauvreté, Français 24314, ballade médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Bonjour à tous,

u XVe siècle, Jean Meschinot, seigneur breton de petite noblesse, officie comme écuyer au service du duché de Bretagne. Il servira militairement sous plusieurs ducs mais connaîtra, toutefois, quelques déboires et notamment, une période compliquée qui le laissera désemparé financièrement et en grand désarroi : sa charge d’écuyer ne lui sera, en effet, pas renouvelée au moment de l’accession de François II de Bretagne au duché, le 5eme duc qu’il sert.

Après cet épisode marquant, on retrouvera notre homme d’armes et poète médiéval, occupant différentes positions dans ce même duché ainsi qu’à la maison du comte de Laval : capitaine du château de Marcillé, maître des monnaies et en charge de grands ateliers monétaires bretons, il sera encore, vers la toute fin de sa vie, maître d’hôtel pour le compte d’Anne de Bretagne.

Une œuvre critique et satirique


En matière poétique, Jean Meschinot nous a légué des textes engagés sur la morale du pouvoir autant que sur les exactions et les abus de celui-ci. Son œuvre majeure Les lunettes des Princes sera imprimée post-mortem. Le poète breton y imposera un style incisif et l’ouvrage connaîtra un succès important, en son temps, avec près d’une trentaine d’éditions. Pour en mesurer l’impact, c’est plus que ce qui fut réservé au Testament de Villon.

Nous avons déjà eu l’occasion d’en étudier quelques-unes ici, mais, entre autres productions, le poète breton léguera encore 25 ballades caustiques contre le pouvoir de Louis XI en s’appuyant pour leurs envois, sur Le Prince de Georges Chastelain, autre grand poète et chroniqueur du XVe siècle. Ces poésies satiriques suivent, assez souvent, les premières éditions des Lunettes des Princes.

Dans le courant du siècle suivant, Clément Marot rendra lui-même un hommage explicite à Jean Meschinot dans un épigramme en forme d’éloge aux plus grands poètes français. Le ver est demeuré célèbre : « Nantes la Brette en Meschinot se bagne. » Le Breton y trouvera bonne place, en compagnie de noms aussi prestigieux que Jean de Meung, Alain Chartier, Georges Chastelain, Octovien de Saint-Gelais, ou encore François Villon (1).

"Gens sans argent" la ballade satirique de Meschinot accompagnée d'une enluminure du poète Breton du XVe siècle,

« Gens sans argent… » : une poésie amère
sur l’indifférence envers les plus démunis

La ballade du jour est une autre belle pièce de poésie morale de Meschinot. Comme on le comprendra, sa propre détresse financière en est indubitablement la cause. Si le poète y fait un constat amer sur son temps, il ne s’agit donc pas d’une grande envolée sociale, comme on pourrait être tenté de l’interpréter, mais d’abord d’un témoignage sur sa propre condition et sur l’indifférence que ses propres difficultés suscitent aux yeux de la haute aristocratie bretonne.

Pour autant, comme d’autres auteurs avaient pu le faire dans le courant du Moyen Âge tardif (par exemple, Eustache Deschamps qui lui est antérieur ou Henri Baude qui lui est contemporain), Meschinot déplorera ici que l’avoir et les deniers en soient venus à supplanter les « mérites véritables » : ceux de classe, d’instruction ou encore ceux issus de valeurs et qualités morales.

Ainsi, il opposera les clercs instruits, les hommes bien nés, les humbles, les sages, les pauvres et les vertueux à tous ceux que la société et l’aristocratie de son siècle leur préfèrent, avec la complicité ouvertes des princes : autrement dit, les riches et les nantis, dussent-ils être renégats, voleurs, beaux parleurs ou même encore blasphémateurs. Meschinot ira même plus loin en déclarant que, depuis les temps bibliques, on ne connut de princes et de pouvoir plus permissifs envers les vices et les méfaits.

De ceux qui n’ont rien à « ceux qui ne sont rien »

« Dans la ploutocratie naissante du XVe siècle » comme la qualifiait, au fin du XIXe siècle, Arthur de la Borderie, historien français, biographe du poète breton (2), Mechinot relèvera donc, avec dépit, que celui qui n’a pas d’argent n’existe pas au regard du pouvoir et des jeux mondains : « Gens sans argent, ressemblent corps sans âme ». Totalement Invisibilisés, les miséreux sont condamnés à « n’être rien » aux yeux des princes que de pauvres enveloppes vides. Autrement dit, quand l’avoir se confond avec l’être, on finit par considérer, dans les hautes sphères, que « ceux qui n’ont rien, ne sont rien » : cela devrait rappeler quelques mauvais souvenirs à certains.

Pour conclure, dans sa grande détresse, Jean Meschinot en viendra même à souhaiter sa propre mort ce qui, en dehors des nombreuses allégories courtoises dont le Moyen âge est pavé (cf : je muir d’amourette) est assez peu commun dans la littérature médiévale et dans un tel contexte : Prince, ce mest a porter pesant fais, et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame, écrira-t-il. Autrement dit « Il me faut porter ce triste fardeau et je désire plus que jamais rejoindre les bons qui gisent sous la terre« .

Sources manuscrites médiévales

Jean Meschinot meurt à la toute fin du XVe siècle, moment où l’on entre à plein dans l’air de l’imprimerie. Pour les éditions « modernes », à partir de la première, datée de 1493, vous aurez donc l’embarras du choix. En cherchant un peu, vous en trouverez même un certain nombre en ligne datées de la fin du XVe et du XVIe siècles, que vous pourrez même vous amuser à déchiffrer.

Gens sans argent, la ballade de Jean Meschinot dans le Ms Français 24314 de la BnF.
La ballade satirique du jour dans le manuscrit ms Français 24314 de la BnF

En ce qui concerne des sources plus anciennes et manuscrites, vous pourrez vous reporter utilement au Manuscrit Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’oeuvre de l’auteur breton sur quelques 146 feuillets. De notre côté, pour la transcription complète de cette ballade en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’édition des œuvres de Meschinot par Nicole Vostre (1522) : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , ainsi que sur l’édition d’Étienne Larcher, « poésies de Jehan de Meschinot », Nantes (1493).

Une réédition récente des œuvres de Meschinot

Couverture d'un livre et d'une réédition récente des œuvres du poète médiéval Jean Meschinot

Si vous êtes intéressés par les œuvres de cet auteur médiéval, dans un format imprimé récent, il vous faudra être vigilant à ce que l’édition choisie contienne bien les additions originales des Lunettes des Princes de Meschinot et notamment les 25 ballades et autres textes de l’auteur.

En 2017, les éditions Len ont réédité un ouvrage qui semble correspondre à ces critères. Il se base sur une première édition de 1501 par le libraire Michel le Noir, ayant pour titre : « Les lunettes des princes avec aucunes balades et additions nouvellement composées par noble homme Jehan Meschinot et escuyer, en son vivant grant maistre dhostel de la Royne de France ». Vous devriez pouvoir commander ce livre broché chez votre libraire habituel. A défaut voici un lien utile pour le trouver en ligne.


Gens sans argent, ressemblent corps sans âme
dans le moyen français de Meschinot

Fy d’estre fils de prince ou de baron
Fy d’estre clerc ne d’avoir bonnes moeurs !
Ung renoyeurs
(renégat), ung baveux, ung larron,
Ung rapporteur ou bien grans blasphemeurs,
Plus sont prisez aujourd’hui, — dont je meurs,
Voyant ainsi les estats contrefaits
(3)
Qui a de quoy est en dicts et en faicts.
Sage nommé et sans aucun diffame ;
Mais les povres vertueux et parfaitz,
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Depuis le temps que Moyse et Aaron
firent a dieu prieres et clameurs
Pour évader l’ire du roy pharaon
Et de ses gens de leur peuple opprimeurs
Ne furent moins les princes reprimeurs
Des grans vices regnans et des meffais
Tels qu’ils se font ne furent jamais fais.
Raison pourquoi on n’ayme honneur ne fame
Qui a le bruyt
(la réputation, renommée), les riches et reffais
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Or conviendra qu’a la fin reparon
Les gras exces dont emplissons nos coeurs,
D’autant que brin vault mieulx que reparon
Et le bon fruict que les feuilles ou fleurs
Valent vertuz plus que ces vains honneurs,
Tresors mondains qui sont biens imparfaictz
Les princes dont deussent heyr torsfaicts
(haîr les meffaits, les forfaits)
Aymer bonté donner aux maulvais blasme
Mais tout ainsi qu’on bannist les infaitz
(corrompus)
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.

Prince, ce mest a porter pesant fais
(triste fardeau),
Et desir estre plus que jamais,
Avec les bons qui gisent soubz la lame
(4),
Puisqu’aujourd’hui entre bons et maulvais,
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Notes

(1) Epigramme des poètes françois, à Salel
De Jean de Meun s’enfle le cours de Loire
En maistre Alain Normandie prend Gloire,
Et plaint encore mon arbre paternel :
Octavian rend Cognac éternel :
De Molinet, de Jan le Maire et Georges
Ceux de Haynault chantent à pleines gorges ;
Villon, Cretin ont Paris décoré,
Les deux Grebans ont le Mans honoré.
Nantes la brette en Meschinot se baigne ;
De Coquillard s’esjouyt la Champaigne ;
Quercy, Salel, de toi se vantera,
Et (comme croy) de moi ne se taira.

Clément Marot – Œuvres complètes

(2)« Un mal toutefois sur lequel sa satire (celle de Meschinot) est abondante, verveuse, empressée, c’est la ploutocratie, dont le règne commençait déjà. » Arthur de la Borderie, “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).

(3) « Les estats contrefaits », la condition de chacun est jugée contre toute raison et à l’envers de toute bienséance (ou plutôt préséance).

(4) Avec ceux qui sont en terre, qui sont morts.