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Le serventois de Huon d’Oisy à la façon néo-médiévale de l’Ensemble Estampie

chanson_musique_medievale_croisades_enluminures_moyen-age_centralSujet :  chanson médiévale, poésie médiévale, servantois, poésie satirique, trouvère, chanson de croisades, musique médiévale, musiques anciennes.
Période  : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :  Huon d’Oisy  (1145 – 1190)
Titre :  Maugré tous sains et maugré Diu ausi 
Interprète : Estampie
AlbumCrusaders. In nomine domini, ed NaxosofAmerica (1996) 

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite à notre article détaillé sur le serventois d’Huon d’Oisy écrit à l’intention du trouvère Conon de Bethune, nous vous proposons, aujourd’hui, une version musicale de cette chanson.

Elle nous provient de l’Ensemble Estampie que nous en profitons pour vous présenter. On notera, au passage, qu’il existe, à travers l’Europe, plusieurs formations médiévales portant le nom d’Estampie dont notamment une, en Angleterre, sous la direction de Graham Derrick, dont nous avions déjà parlé ici (voir article) ; il convient donc de ne pas la confondre avec la formation du jour qui est d’origine germanique.

« Maugré tous sains et maugré Diu ausi »  Huon d’Oisy par Estampie

L’Ensemble Allemand Estampie

Fondé en Allemagne, dans le courant de l’année 1985, par trois artistes férus de musiques anciennes, l’Ensemble Estampie sous la direction de Michael Popp s’est proposé, dès son origine, de revisiter le répertoire médiéval, en lui ajoutant une touche de sonorités modernes.  Nous sommes donc, ici, dans un moyen-âge revisité musicalement de manière totalement assumée et on peut parler d’un style Néo-médiéval, cher à nombre de musiciens et artistes d’Outre-Rhin.

Très éclectique, son directeur Michael Popp (au premier plan, à droite sur la photo ci-dessous) participe, par ailleurs, à plusieurs autres formations : Qntal, qui explore les rives de la Dark Wave, de « l’électro-médiéval » et du Néo-folk et encore Deine Lakaien qui se classe dans le champ de la World music, de la « Dance » et de l’Easy Listening, avec, là-encore, une touche de Dark Wave.

Albums, productions et projets

ensemble_estampie_musiques_anciennes_neo-medieval_moyen-agePour la petite histoire, la formation s’appelait, au départ,  Münchner Ensemble für frühe Musik (l’Ensemble de Munich pour la Musique Ancienne) et Estampie n’était que le nom de leur premier projet. Avec le temps, les deux se sont confondus et le groupe a fini par s’appeler Estampie.  Depuis sa création, il compte à son actif près d’une quinzaine d’albums (en comptant  les lives et les compilations) sur des thèmes aussi variés que le culte marial, les troubadours, la fine amor, les compositions d’Hildegarde de Bingen, les musiques et légendes d’origine scandinaves et nordiques et même encore un album dvd autour des voyages de Marco Polo.

Au fil de sa longue carrière, on retrouvera cet ensemble néo-médiéval en association avec divers artistes ou formations. Dans le courant des années 2010, il mettra notamment en place un projet autour des musiques de l’Andalousie médiévale en collaboration avec des artistes espagnols et marocains pour revisiter les musiques Séfarades, musulmanes et chrétiennes de l’Espagne de cette période. Ce projet leur vaudra notamment de recevoir en 2012, le « Ruth Price », prix allemand décerné dans le domaine de la musique Folk international.

L’album Crusaders – In nomine domini

En 1996, l’ensemble s’attelait aux musiques et chansons de la période des croisades, en proposant un album ayant pour titre Crusaders. In nomine Domini. Venus en renfort de la formation, on pouvait y apprécier les choeurs polonais de la Schola Cantorum Gedanensis.

chanson_musique_medievale_croisade_moyen-age_ensemble_estampie_album

Entre minnesingers, trouvères et chants liturgiques, l’album Crusaders présentait douze pièces se situant toutes entre le XIIe et le XIIIe siècle.

Du côté la France médiévale et de la langue l’oïl, Guiot de Dijons y côtoyait Thibaut de Champagne, ainsi que Conon de Bethune et Huon d’Oisy. On y retrouvait également  des pièces anonymes dont certaines en latin, et même une en langue d’oc. Le célèbre chant de croisades  Palästinalied  de Walter von der Vogelweide y était également repris et encore une chanson du très reconnu poète médiéval allemand Wolfram von Eschenbach.

Pour plus d’informations sur Estampie, vous pouvez retrouver ici leur site officiel (en anglais et allemand).

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Serventois : quand le seigneur et trouvère Huon d’Oisy raillait vertement les croisades de Conon de Bethune

chanson_musique_medievale_croisades_enluminures_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie médiévale, servantois, satire, poésie satirique, chevalier, trouvère, chanson de croisades, musique médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : Huon d’Oisy  (1145 – 1190)
(Hues, Hugues d’Oisy)
Titre : Maugré tous sains et maugré Diu ausi
Ouvrage : « Les chansons de Croisades », Joseph Bédier et Pierre Aubry (1909)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionontemporain du XIIe siècle, Hugues III, seigneur d’Oisy, châtelain de Cambray et vicomte de Meaux, plus connu encore sous le nom d’Huon ou Hues d’Oisy est considéré comme l’un des premiers trouvères du nord de France.

Du point de vue de son oeuvre, il n’a laissé que deux chansons. L’une, plutôt étonnante, conte par le menu un tournoi de nobles dames, dont il nous explique que ces dernières l’avaient organisé pour savoir ce que produisaient les coups que recevaient leurs doux amis lors de tels affrontements. La deuxième chanson est deco_medievale_enluminures_trouvere_un servantois dirigé par le seigneur d’Oisy contre celui qui fut son disciple en poésie : le trouvère Conon ou Quesnes de Bethune. Pour rappel, on trouve une référence explicite à cela dans une chanson de ce dernier  :

Or vos ai dit des barons ma sanblance;
Si lor an poise de ceu que je di,
Si s’an praingnent a mon mastre d’Oissi,
Qui m’at apris a chanter très m’anfance.
Conon de Bethune   « Bien me deüsse targier »
Les Chansons de Conon de Bethune par Axel Wellensköld

A l’occasion du portrait que nous avions fait de ce trouvère (voir biographie de Conon de Bethune ici), nous avions mentionné sa courte participation à la 3ème croisade. Après s’être enflammé et avoir vanté la nécessité des expéditions chrétiennes et guerrières en Terre Sainte auprès de ses contemporains, fustigeant ceux qui ne voulaient s’y rendre, le poète croisé n’eut pas l’occasion d’y briller puisqu’il rentra à la hâte.

trouvere_huon_oisy_poesie_satirique_chanson_medievale

Il faudra attendre la 4ème croisade pour que Conon de Bethune prenne à nouveau la croix et fasse montre alors de plus d’allant mais quoiqu’il en soit, le premier retour rapide de sa première expédition lui valut, comme nous le disions, une verte critique sous la plume d’Huon d’Oisy. Ce dernier prit même pour référence et modèle la chanson « Bien me Deüsse targier » de son homologue, afin de mieux le railler.

Pour mieux comprendre le fond politique et satirique de ce texte, plein de causticité et de ce « roi failli » auquel il est fait ici allusion, il faut ajouter que le châtelain de Cambray s’était, de son côté, rangé sous la bannière de Philippe Iᵉʳ de Flandre, dit Philippe d’Alsace contre le parti de Philippe-Auguste, choisi par Conon de Bethune.

Huon d’Oisy dans les Manuscrits anciens

On retrouve cette chanson dans les deux manuscrits que nous citons souvent ici, le Français 844Manuscrit ou Chansonnier du Roy et le  Français 12615 (MS fr 12615), connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles. Elle est attribuée dans les deux à Mesire(s) Hues d’Oisy.

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Ci-contre Huon d’Oisy dans le Manuscrit du Roy, MS Français 844 de la BnF, consultable sur Gallica au lien suivant.

Eléments chronologiques

Les dates de ce servantois ont été sujettes à débat entre médiévistes, au point de mettre quelquefois en doute, (contre les manuscrits et leurs copistes), l’attribution de cette chanson au seigneur et trouvère d’Oisy. Si la chanson est bien de sa plume, ce qu’on a, en général, fini par convenir, il a dû l’écrire, peu de temps avant sa mort.

Il faut, du même coup, en déduire que cette rentrée de la 3eme croisade de Conon de Bethune se serait située deux ans avant que Philippe-Auguste n’en revienne lui-même, même si à la première lecture, on pourrait être tenté de supposer que le retour du trouvère avait coïncidé avec celui plutôt précipité et décrié du roi de France, fournissant ainsi à Huon un double motif pour les railler tout deux. Le seul problème est que si Conon était rentré en même temps que Philippe-Auguste en 1191, Huon d’Oisy aurait été dans l’impossibilité d’écrire cette chanson puisqu’il avait supposément trépassé près d’une année auparavant.

Mesire Hues d'Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF - consultez ici
Mesire Hues d’Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF – A consulter sur Gallica ici

Suivant Joseph Bédier, ce retour anticipé des croisades de Conon aurait donc des raisons totalement indépendantes de celui du roi et serait même intervenu bien avant, dans le temps. (si vous souhaitez plus de détails sur ces aspects, nous vous renvoyons à l’ouvrage cité en tête d’article).

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Maugré tous sains et maugré Diu ausi

Maugré* (malgré) tous sains et maugré Diu ausi
revient Quenes* (Conon), et mal soit il vegnans!* (malvenu)
… … … … … … … … … …

… … … … … … … … … …
Honis soit il et ses preechemans* (prédications),
et honis soit ki de lui ne dist: «fi»!
Quant Diex verra que ses besoins ert grans* (qu’il sera dans le besoin),
il li faura, car il li a failli* (il lui faillira comme il lui a failli).

Ne chantés mais, Quenes, je vos em pri,
car vos chançons ne sont mais avenans;
or menrés* (de mener) vos honteuse vie ci:
ne volsistes pour Dieu morir joians, (1)
or vos conte on avoec les recreans* (les lâches, ceux qui ont renoncé),
si remanrés* (resterez) avoec vo roi failli;
ja Damedius, ki sor tous est poissans *(Dieu tout puissant),
del roi avant et de vos n’ait merci!* (n’ait plus pitié ni du roi, ni de vous)

Molt fu Quenes preus, quant il s’en ala,
de sermoner et de gent preechier,
et quant uns seus* (seul) en remanoit decha,
il li disoit et honte et reprovier* (reproches, affronts);
or est venus son liu recunchiier, (il est revenu souiller son nid)
et s’est plus ors* (sale, malpropre) que quant il s’en ala;
bien poet* (de pöeir, pouvoir) sa crois garder et estoier(ranger, remiser),
k’encor l’a il tele k’il l’emporta.

(1) Vous n’avez pas voulu « mourir joyeux » pour Dieu

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En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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« De la joie que désir tant », la lyrique courtoise du trouvère Gace Brulé par l’ensemble médiéval Oliphant

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français,  manuscrit du Roy, fine amant,
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: De la joie que désir tant 
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Oliphant
Album: Gace Brûlé  (Alba Records, 2004)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons aux trouvères des XIIe, XIIIe siècles avec une chanson médiévale de l’un des plus célèbres d’entre eux : Gace Brûlé. C’est une pièce de lyrique courtoise et l’interprétation que nous vous proposons, ici, nous provient de l’Ensemble Oliphant, dont nous aurons l’occasion de dire un mot.

Attribution dans les manuscrits

Dans son ouvrage de 1902 sur les Chansons de Gace Brûlé, Gédéon Huet classait l’attribution de la pièce au trouvère comme « douteuse », tout en la définissant, tout de même, comme « très probablement authentique ». Elle est, du reste, généralement admis depuis, gace_brule_chanson_trouvere_medievale_manuscrit_du_roy_fr-844_moyen-centralcomme  telle.

(ci-contre la chanson « A la joie que désir tant » dans le Français 844 de la BnF –
( consultez-le sur Gallica ici )

Du côté des manuscrits anciens, on la retrouve notamment attribuée au trouvère (« Messire Gasse ») dans le Français 844 (MS fr 844 ou Manuscrit du Roy) et encore dans le Français 12615 (MS fr 12615, connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles ), tous deux consultables sur le site de la BnF.

Gace Brûlé « De la joie que désir tant » par l’ensemble Oliphant

L’Ensemble Oliphant,  le  moyen-âge des trouvères français en Finlande

D’origine finlandaise, l’ensemble médiéval Oliphant s’est formé dans le courant de l’année 1995. Il compte, à son bord, des musiciens spécialisés dans le répertoire des musiques anciennes et s’est donné comme champ d’exploration un répertoire qui va du XIIe siècle et ses moyen-age_musique_chanson_ensemble_medieval_oliphantchants de trouvères ou même de Minnesangers allemands aux chants polyphoniques de l’Ars Nova et du moyen-âge tardif.

Après un premier album consacré aux chants de croisades,  largement salué par la critique, lors de sa sortie, en 2000, la formation médiévale se proposait, en 2004, de faire redécouvrir l’oeuvre de  Gace Brûlé avec un album qui portait comme titre le nom du trouvère champenois et qui comportait 14 chansons de ce dernier, servie par la voix de la soprano Uli Kontu-Korhonen.

Pour l’instant et du côté import, il semble que les enchères soient sérieusement montées sur cet album même si l’on en trouve quelques exemplaires d’occasions à des prix plus abordables. Pour l’obtenir, le plus raisonnable serait, sans doute, d’attendre un peu ou de se le faire adresser directement depuis le site de son distributeur.

chanson_musique_medievale_trouvere_gace_brule_ensemble_oliphant_moyen-age_centralAprès cette production, dans le courant de l’année 2006, l’ensemble finlandais sortit un nouvel album sur les  trouvères  de la France médiévale et, un peu plus tard, en 2010, leur quatrième et dernier album (à ce jour) voyait le jour. Il prenait, cette fois, pour thème les Minnesängers et des chansons de l’Allemagne médiévale.

Du côté de l’actualité d’Oliphant, on ne trouve guère, depuis, de quoi se mettre sous la dent, Leur site web officiel n’a, en effet, pas été actualisé depuis fort longtemps et du côté album, à tout le moins, l’ensemble est en sommeil, s’il ne s’est pas simplement dissolu.

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De la joie que désir tant
Chanson XLIV

De la joie que désir tant
D’Amors qui m’a a soi torné,
Ne puis lessier* (renoncer) que je ne chant
Puis que ma dame vient a gré,
En cui j’ai mis cuer et pensé,
A trestote ma vie;
Mes trop me font ennui de lé* (de laier abandonner, laisser)
Cil cui Deus maleïe* (de malaier : maudire).

A tel fes* (de faire) joie sens talant,
Por s’amor, que de mon cuer hé* (de haîr) :
Félon, losengier* (calomniateur), mesdisant
Dont deable font tel planté
Que trestote lor poësté* (puissance)
Tornent en félonie,
Qu’ainçois sont de mal apensé
Que l’amor soit jehie.* (de gehir : avouer, confesser)

Petit puet lor guerre valoir
Quant ma dame voudra amer,
Et s’ele a talent ne voloir
Du plus loial ami trover
Qui soit, dont me puis je vanter
Qu’a haute honor d’amie
Ne porroit nus amis monter
Por nule seignorie.

Se longue atente et bon espoir
Ne me font joie recovrer,
Donc m’a Amor traï por voir,
Qui toujours la me fait cuider;
Mes uns vis m’en doit conforter
Qui mainte ame a traie ;
Et si sai qu’en désespérer
A orgueil et folie.

Bele douce dame, merci
De moi qui onc mes ne fu pris
D’Amors, mais or m’en est ainsi,
Qu’a toz amans m’en aatis* (de aatir : défier):
De cuer vos pri volenteïs
Qu’en vostre compaignie
M’acueilliez, ainz qu’il me soit pis,
De felenesse envie.

Dame, moût ai petit servi,
A tel don com je vos ai quis* (de querre : démandé) ;
Mes mes cuers vers vos a plevi* (de plévir, a promis, s’est engagé)
D’estre li plus leaus amis
Dou mont; si le serai toz dis ;
Qu’Amor n’ai pas lessie* (de laissier, abandonner, renoncer),
Ains est tote en moi, ce m’est vis,
Tant qu’a loial partie.

Odin (1) pri et mant et devis
Que ceste chanson die
A ceus qu’il savra ententis* (soucieux)
D’amer sens tricherie.

(1) Gace Brûlé fait référence dans quelques unes de ses chansons à ce Odin. Il s’agit d’un de ses contemporains dont l’identité demeure inconnue, à ce jour. Selon Gédéon Huet (opus cité), il pouvait peut-être s’agir du jongleur du trouvère. Le dernier paragraphe de cette chanson pourrait, en effet, le suggérer.

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Dame, vostre doulz viaire », un virelai de Guillaume de Machaut, par l’Ensemble Gilles Binchois

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, chanson médiévale, chant polyphonique, maître de musique, chanson, amour courtois, virelai
Titre  : Dame, vostre doulz viaire
Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période  : XIVe siècle, Moyen Âge
Interprètes  :  Ensemble Gilles Binchois
Album  : Guillaume de Machaut,  le vray remède d’amour (1988)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale de Guillaume de Machaut. C’est un virelai composé par le maître de musique pour sa dame et il s’inscrit dans la lyrique courtoise à laquelle ce dernier s’est beaucoup exercé.

La chanson et sa partition
dans le MS français 1586 de la BnF

On trouve l’oeuvre de Guillaume de Machaut dans un grand nombre de manuscrits anciens, mais nous avons choisi ici de vous présenter le virelai du jour d’après le MS Français 1586 (1350-1355). D’après sa datation, ce manuscrit a été exécuté du vivant du compositeur et on pense que ce dernier a très certainement été impliqué dans sa réalisation. Très complet, cet ouvrage se trouve être également, à date, le manuscrit illustré le plus ancien de l’oeuvre de Machaut.

Pour revenir au contenu de cette chanson, son auteur y fait l’éloge de sa mie, de son doux visage mais aussi de son caractère et de ses belles manières, et c’est en fine amant « servant » et comblé qu’il se présente ici. Comme à l’habitude, en plus des paroles, nous vous proposons quelques clés de compréhension de cette chanson ; en l’occurrence, nous nous sommes même fendus de sa traduction, adaptation littérale en français moderne avec les réserves que suppose la « trahison » » inhérente à l’exercice et, étant entendu, que sept siècles nous séparent de ce virelai du XIVe siècle en moyen-français.

  Dame, vostre doulz viair, Guillaume de Machaut par Gilles Binchois

Guillaume de Machaut, Le Vray remède d’Amour, par l’Ensemble Gilles Binchois

En 1988, le très sérieux Ensemble Gilles Binchois (voir présentation de cette formation médiévale ici), sous la direction de Dominique Vellard, proposait une large sélection de chansons et de pièces tirées de l’oeuvre du compositeur médiéval, autour du sentiment amoureux, dans un album intitulé Guillaume de Machaut, le Vray remède d’Amour. On pouvait ainsi trouver 21 compositions prises dans les ballades, rondeaux, virelais et motets du maître de musique. La sélection fait toujours partie des programmes proposés par l’Ensemble sur son site web.

chanson_musique_medievale_chants_polyphoniques_ars_nova_guillaume_de_machaut_ensemble_gilles_binchois_album_moyen-age_tardif_XIVeL’album est toujours disponible chez Cantus Records au format CD ou MP3. En voici le lien: « Guillaume de Machaut: Le vray remède d’amour » par l’Ensemble Gilles Binchois

A noter que cette production n’est pas la seule que la formation médiévale ait consacrée à Machaut. Nous avions, en effet, déjà parlé ici de l’album Le jugement du roi de Navarre, paru au début des années 2000 et il faut encore lui ajouter la Messe de Notre Dame datée de 1999.

« Dame, vostre doulz viaire », dans le
moyen-français de Guillaume de Machaut

Dame, vostre dous viaire
Debonnaire
Et vo sage meinteing coy
Me font vo service faire,
Sans meffaire,
De fin cuer, en bonne foy.

Dame votre doux visage
aimable et plaisant
Et votre maintien sage et tranquille
Me tiennent à votre service
Sans faillir (Sans mal faire)
De fin coeur, en bonne foi.

Dame, et bien faire le doy;
Car anoy,
Griété, doleur ne contraire
Onques en vous servant n’oy,
Eins congnoy
Que riens ne m’i puet desplaire
Et qu’adès miex me doit plaire,
Sans retraire,
De tant com plus m’i employ,
Car tant estes debonnaire
Qu’exemplaire
De tous les biens en vous voy.
Dame, vostre dous viaire…

Madame, et je dois bien le faire;
Car ennui,
Peine, douleur ou contradiction
Jamais n’ai eu en vous servant.
Mais je sais plutôt
Que rien ne m’y peut déplaire.
Et que cela me plaira toujours
Sans réserve.
D’autant plus que je m’y engagerai (emploierai).
Car vous êtes aussi charmante
Qu’exemplaire
Et je vois en vous toutes les vertus.

Quant je remir vostre arroy
Sans desroy,
Où raisons maint et repaire,
Et vo regart sans effroy,
Si m’esjoy
Que tous li cuers m’en esclaire;
Car il le scet si attraire
Par son traire
Qu’en vous maint; et je l’ottroy.
Si ne vueilliés pas deffaire
Ceste paire,
Dame; humblement vous en proy.
Dame, vostre doous viaire…

Quand je contemple vos manières (maintien, mise)
Sans désordre,
Où la raison habite et vit
Et votre regard que rien ne trouble.
Oui, je me réjouis tant
Que mon cœur tout entier s’illumine
Car il sait (votre regard) si bien comment l’attirer (mon cœur) à lui
Par ses attraits (son attraction, ses façons)
Qu’en vous il demeure, et j’y consens (je l’accorde).
Aussi, n’essayez pas de séparer
Cette paire.
Dame, je vous en prie, humblement.

Car mis l’avés en tel ploy
Qu’il en soy
N’a riens n’ailleurs ne repaire
Fors en vous, et sans anoy;
N’il ottroy
Ne quiert merci ne salaire
Fors que l’amour qui le maire
Vous appaire
Et que tant sachiez de soy
Qu’il ne saroit contrefaire
Son affaire.
C’est tout. Mon chant vous envoy.

Car vous l’avez mis (mon cœur) en tel état
Qu’il n‘a rien ailleurs,
Ni place, ni demeure
Qu’en vous et sans peine (sans que cela lui cause de);
Pour autant, il ne s’octroie,
Ni ne demande merci, ni récompense
Excepté que l’amour qui le gouverne (le conduit)
Vous apparaisse
Et que vous sachiez si bien de cela
Que rien ne saurait contrefaire (à vos yeux)
Ses dispositions 
C’est tout. Je vous envoie ma chanson.

Dame, vostre dous viaire
Debonnaire
Et vo sage meinteing coy
Me font vo service faire,
Sans meffaire,
De fin cuer, en bonne foy.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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