Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, fin’amor rondeau. amour courtois, langue d’oïl. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre :Fines Amouretes ai Interprète : New Orleans Musica da Camera Album : Les Motés d’Arras (2003)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale du trouvère Adam de la Halle. Ce rondeau polyphonique à trois voix qui se classe dans le registre de la lyrique courtoise et de la fin’amor nous fournira l’occasion de vous toucher un mot d’une célèbre formation de musiques médiévales outre-atlantique : leNew Orleans Musica da Camera.
Le New Orleans Musica da Camera
Un demi-siècle de musiques et de scène
Fondé dans le courant de l’année 1966, l’ensemble New Orleans Musica da Camera compte parmi les formations de musiques anciennes américaines à la plus longue carrière. Ils ont, en effet, joué pendant près de 52 ans et donné près de 700 concerts. On doit sa création à l’architecte et passionné de early music Milton G. Scheuermann Jr.
Leur répertoire couvre une période qui s’étend du Moyen Âge central jusqu’au début de la période baroque. Au plus près de l’ethnomusicologie, l’ensemble privilégie les instruments anciens, en tentant de restituer au plus près les techniques d’époque. Visiter le site web de la formation
Les Motés d’Arras, Song of Arras
Enregistré au début des années 2000, l’album Song of Arras ou Les Motés d’Arras du New Orleans Musica da Camera partait à la rencontre du XIIIe siècle et de la prolifique cité médiévale.
De Jean Bodel, à Adam de la Halle en passant par Moniot d’Arras, Gauthier de Dargies, et quelques autres auteurs et compositions anonymes de la période médiévale, l’ensemble proposait ainsi quatorze pièces en provenance du Moyen Âge central. Adam de la Halle y occupait la place principale avec pas moins de cinq titres de son répertoire. On trouve encore cet excellent album à la vente et son éditeur a même eu la bonne idée de le proposer au format MP3, en plus du format CD : The Song of Arras – New Orleans Musica da Camera
Fines Amouretes ai, un rondeau d’Adam de la Halle
Fines amouretes ai , Dieus ! si ne sai Quant les verrai.
Or manderai mamiete Qui est cointe* (coquette, élégante) et joliete Et s’est si savérousete* (savoureuse, délicieuse) C’astenir ne m’en porrai.
Fines amouretes ai , etc.
Et s’ele est de moi enchainte (1) Tost devenra pale et teinte ; S’il en est esclandèle* (blâmée) et plainte Déshonnerée l’arai.
Fines amouretes ai, etc. Miex vaut que je m’en astiengne, Pour li joli* (plaisant, enjoué) me tiengne, Et que de li me souviengne; Car s’onnour le garderai.
Fines amouretes ai , etc.
(1) Littré : XIIIe s. « Enchainte suis d’Ugon, si qu’en leve mes gris (ma robe de gris) », Audefroi le Bastard, Romancero; – XIIe s. « Quant la dame se sent enceinte, Si est forment muée e teinte », Grégoire le Grand, p. 10 –
Partition – Notation moderne
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, pauvreté, richesse, poésie morale, poèsie satirique, vieux français, langue d’Oïl. manuscrit ancien, enluminure, miniatures. Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Titre : Le Roman de la Rose Auteur : Guillaume De Lorris et Jean De Meung
Bonjour à tous,
‘adage ne date pas d’hier : « L’argent ne fait pas le bonheur ». Au XIIIe siècle, l’un des plus célèbres écrit médiéval, le Roman de la Rose, abordait déjà la question des pièges liés à la course interminable aux richesses et aux avoirs. Contre l’avidité, l’avarice, et leur corollaire : la convoitise du bien d’autrui, l’ouvrage prenait ici un tour satirique, en allant jusqu’à montrer du doigt certaines classes de la société particulièrement propices, selon lui, à choir dans ces travers : marchands, usuriers et autres « lombards« , mais encore avocats et médecins.
Eloge de la pauvreté
ou Apologie du contentement ?
« Le Roman de la Rose » G de Lorris et J de Meung,
Français 24392 (XVe siècle) BnF, (à consulter ici)
L’extrait proposé ici et sa traduction en français moderne, (revisitée quelque peu) sont tirés d’un ouvrage de Louis Petit de Julleville : Morceaux choisis des auteurs français, Moyen Age et Seizième siècle (1881). Le normalien et professeur d’université du XIXe siècle, spécialiste de littérature médiévale, disait alors voir entre ces lignes, un « Éloge de la pauvreté ». On pourrait tout autant y percevoir une mise en garde contre la démesure et l’avidité: « Pour autant qu’on ouvre grand la bouche, on ne peut boire toute l’eau en Seine ». Sur le terrain moral de la lutte entre « avoir » ou « être », en littérature et poésies médiévales, c’est souvent ce dernier qui ressort victorieux, plus encore quand la poursuite de l’acquis prend la forme de l’obsession. S’il y a éloge, ici, plus que de pauvreté, c’est sans doute plutôt celle du contentement et d’un contentement finalement plus lié à une disposition d’esprit – une « attitude psychologique », dirait-on aujourd’hui -, qu’à des conditions matérielles : « Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être, qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud. »
En relisant ces lignes du moyen-âge central, il est utile de se souvenir aussi, qu‘entre l’idéal christique du dépouillement et les excès des marchands du temple, les valeurs spirituelles chrétiennes du monde médiéval ont ménagé une bonne place à la voix du milieu : « Benoit est qui tient le moyen », nous dira Eustache Deschamps, un peu plus d’un siècle après le Roman de la Rose, en marchant sur les traces d’Horace.
Si la pauvreté se trouve « glorifiée », par endroits dans les lettres, en dehors de certaines voies monastiques, elle n’est pas non plus souhaitée ou considérée comme un idéal à atteindre, loin s’en faut. La misère véritable ferait même plutôt peur à nombre de clercs et auteurs médiévaux qui, encore au XIIIe siècle, sont presque toujours issus d’une certaine noblesse ou bourgeoisie, fut-elle modeste. Du reste, pour coller à cette thématique de classes, dans la deuxième partie de cet extrait, au sujet de ces ribauds de la place de grève que Rutebeuf a su également si bien mettre en vers, on pourrait être tenté, de ressentir une pointe de condescendance même si, sans doute un tel jugement demeure subjectif, en plus d’être à contretemps. L’auteur semble, en effet, sincère et il met même l’accent sur une certaine « exemplarité » de ces classes déshéritées. Toutefois, en l’imaginant vivant lui-même dans une certaine aisance, quand il nous explique « regardez comme ils sont heureux, s’ils n’ont rien il s’en passe, sinon on les fait porter à l’Hotel Dieu, etc..« , un certain sens critique (sociologique et moderne) pourrait avoir tendance à nous aiguillonner. Finalement, la bonne vieille question « D’où parlez-vous ? » n’en finit jamais d’être posée, même si elle se complique d’autant, quand de nombreux siècles nous séparent de celui qui porte la plume.
« Éloge de la Pauvreté ». (Extrait du Roman de la Rose.)
Si ne fait pas richesce riche Celi qui en trésor la fiche : Car sofîsance solement Fait homme vivre richement : Car tex n’a pas vaillant dous miches Qui est plus aese et plus riches Que tex a cent muis de froment. Si te puis bien dire comment (…) Et si r’est voirs, cui qu’il desplese, Nus marcheant ne vit aese : Car son cuer a mis en tel guerre Qu’il art tous jors de plus aquerre; Ne ja n’aura assés aquis Si crient perdre l’avoir aquis, Et queurt après le remenant Dont ja ne se verra tenant, Car de riens desirier n’a tel Comme d’aquerre autrui cbatel. Emprise a merveilleuse peine, Il bee a boivre toute Saine, Dont ja tant boivre ne porra, Que tous jors plus en demorra. C’est la destresce, c’est l’ardure, C’est l’angoisse qui tous jors dure; C’est la dolor, c’est la bataille Qui li destrenche la coraille, Et le destraint en tel défaut, Cum plus aquiert et plus li faut.
Advocat et phisicien
Sunt tuit lié de cest lien ;
Cil por deniers science vendent,
Trestuit a ceste hart se pendent :
Tant ont le gaaing dous et sade,
Que cil vodroit por un malade
Qu’il a, qu’il en eust quarente,
Et cil pour une cause, trente,
Voire deus cens, voire deus mile,
Tant les art convoitise et guile !..
Non, richesse ne rend pas riche Celui qui la place en trésors. Car seul le contentement Fait vivre l’homme richement. Car tel n’a pas vaillant deux miches Qui est plus à l’aise et plus riche Que tel avec cent muids (1) de froment. Je te puis bien dire comment. Et, il est vrai, à quiconque en déplaise Nul marchand ne vit à l’aise ; Car son cœur, a mis en telle guerre Qu’il brûle toujours d’acquérir plus : Et il n’aura jamais assez de biens S’il craint de perdre ceux qu’il détient, Et court après ce qui lui manque, Et qui jamais ne sera sien. Car tel, il ne désire rien Que d’acquérir d’autrui, les biens. Son entreprise a grande peine ; Il bée pour boire toute la Seine, Quand jamais tant boire ne pourra , Car toujours, il en demeurera. C’est la détresse, c’est la brûlure, C’est l’angoisse qui toujours dure ; C’est la douleur, c’est la bataille Qui lui déchire le cœur Et l’étreint en tels tourments Que plus acquiert et plus lui manque.
Avocats et médecins
Sont tous liés par ce lien.
Ceux-là pour deniers vendent science;
Et tous à cette corde se pendent,
Gain leur est doux et agréable;
Si bien que l’un, pour un malade
Qu’il a, en voudrait quarante;
Et l’autre pour une cause, trente,
Voire deux cents, voire deux mille;
Tant les brûlent convoitise vile.
Mais li autre qui ne se lie Ne mes qu’il ait au jor la vie, Et li soflit ce qu’il gaaingne, Quant il se vit de sa gaaingne, Ne ne cuide que riens li faille, Tout n’ait il vaillant une maille, Mes bien voit qu’il gaaingnera Por mangier quant mestiers sera, Et por recovrer chauceiire Et convenable vesteiire ; Ou s’il avient qu’il soit malades, Et truist toutes viandes fades, Si se porpense il toute voie Por soi getier de maie voie, Et por issir hors de dangier, Qu’il n’aura mestier de mangier ; Ou que de petit de vilaille Se passera, comment qu’il aille, Ou iert a l’Ostel Dieu portés, La sera moult reconfortés; Ou, espoir, il ne pense point Qu’il ja puist venir en ce point Ou s’il croit que ce li aviengne, Pense il, ains que li maus li tiengno» Que tout a tens espargnera Pour soi chevir quant la sera; Ou se d’espargnier ne li cliaut, Ains viengnent li froit et li chaut Ou la fain qui morir le face, Pense il, espoir, et s’i solace, Que quant plus tost definera, Plus tost en paradis ira… Car, si corne dit nostre mestre, Nus n’est chetis s’il ne l’cuide eslre, Soit rois, chevaliers ou ribaus.
Mais cet autre qui ne se lie Qu’à chaque jour gagner sa vie Et à qui suffit ce qu’il gagne, Quand il peut vivre de son gain ; Il ne craint que rien ne lui faille, Bien qu’il n’ait vaillant une maille. Mais il voit bien qu’il gagnera à manger, quand besoin aura De quoi se procurer des chaussures et un vêtement convenable. Ou s’il advient qu’il soit malade, Et trouve toutes viandes fades, Il réfléchit à toute voie, Pour se sortir du mauvais pas Et pour échapper au danger, Qu’il n’ait pas besoin de manger, Ou que la moindre victuaille Lui suffise, vaille que vaille; Ou à l’Hôtel-Dieu, se fera porter Où sera bien réconforté. Ou peut-être ne pense-t-il point Qu’il puisse en venir à ce point. Ou s’il craint que tel lui advienne, Il pense, avant que mal le prenne, Qu’il aura le temps d’épargner Quand il lui faudra se soigner, Et s’il ne se soucie d’épargner, Viendront alors le froid, le chaud Ou la faim, qui l’emporteront, Peut-être, pense-t-il, et s’en console, Que tant plus tôt il finira, Plus tôt en paradis ira. Ainsi, comme dit notre maître, Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être, Qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud.
Maint ribaus ont les cuers si baus, Portans sas de charbon en Grieve ; Que la poine riens ne lor grieve : Qu’il en pacience travaillent Et baient et tripent et saillent, Et vont a saint Marcel as tripes, Ne ne prisent trésor deus pipes *; Ains despendent en la taverne Tout lor gaaing et lor espergne, Puis revont porter les fardiaus Par leesce, non pas par diaus, Et loiaument lor pain gaaignent, Quant embler ne tolir ne l’daignent; Tuit cil sunt riche en habondance S’il cuident avoir soffisance ; Plus (ce set Diex li droituriers) Que s’il estoient usuriers !…
Maints ribauds ont les cœurs si vaillants, Portant sacs de charbon en Grève* (la place de Grève), Que la peine en rien ne leur pèse; Mais ils travaillent patiemment, Et dansent, et gambadent, et sautent; Et vont à Saint-Marceau aux tripes* (en acheter), Et ne prisent trésor deux pipes; Mais dépensent en la taverne Tout leur gain et toute leur épargne ; Puis retournent à leurs fardeaux, Avec joie et sans en gémir, Ils gagnent leur pain avec loyauté, Et ne daignent ravir, ni voler; Tous ceux-là sont riches en abondance, S’ils pensent avoir leur suffisance, Plus riches (Dieu le juste le sait) Que s’ils étaient usuriers ! …
(1)Unité de mesure ancienne.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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Sujet : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, fine amor, vieux-français, lyrique courtoise, amant courtois. chansons bachiques, trouvère Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : Colin Muset (1210-?) Titre : « Il me covient renvoisier.» Ouvrage : Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier & Jean Beck. Paris, Champion, 1938.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous présentons une nouvelle chanson en langue d’oïl. En provenance du moyen-âge central et du XIIIe, elle est traditionnellement rattachée au trouvère Colin Muset, Du point de vue documentaire, elle a pour seule source historique le Chansonnier Cangé, ou Français 846 (consulter sur Gallica). Ce manuscrit médiéval, daté du dernier quart du XIIIe siècle, n’en attribue pas, de manière claire, la paternité au trouvère, mais au vue des similitudes de cette pièce avec le style de ce dernier, ces biographes s’en sont chargés, en particulier Joseph Bédier dans son édition de 1938 sur l’oeuvre de Muset.
Amour, courtoisie et bonne chère
Du point de vue du contenu, on trouve, dans cette chanson, des envolées d’enthousiasme et de joie très courtoises. La belle saison est là, le poète est guilleret et léger. Il pense à la demoiselle chère à son cœur même si, dans la pure tradition de cette lyrique poétique, les médisants ne sont jamais loin pour diviser ou pour empêcher que le tableau ne soit trop simple pour l’amant courtois (voir sur le thème des médisants dans la lyrique courtoise).
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« Il covient de renvoisier »
dans le Français 846 ou Chansonnier Cangé
BnF, dept des manuscrits
Pour le reste, Colin Muset nous a conté souvent son goût de la bonne chère et des bons vins, au point d’en avoir presque fait l’une de ses marques de fabrique et, là encore, sa joie courtoise ne va pas lui nouer l’estomac et certainement pas lui couper l’appétit. Au contraire, elle lui fournit plutôt l’occasion d’une invite à festoyer et ripailler et notre trouvère (s’il s’agit bien de lui et non pas d’un imitateur d’époque) fait ici une pièce qui tient, à la fois, de la lyrique courtoise et des chansons à boire. C’est d’ailleurs dans cette dernière catégorie que Alfred Jeanroy et Arthur Långfors la classeront (sans l’attribuer au trouvère) dans leur ouvrage de 1921 : Chansons satiriques et bachiques du XIIIe siècle.
Au passage et se souvenant de certaines autres des compositions de Muset, et notamment de « Sire Cuens j’ai viélé« , on peut se demander si ce mélange de genres n’est pas aussi destiné à ses nobles hôtes et auditeurs : un peu comme une façon de leur tendre la perche, pour s’assurer qu’ils le gratifient d’un bon repas en retour de ses chansons et de son art.
(Ci-contre la partition musicale moderne de cette chanson médiévale par John E Stevens)
Concernant le vieux français du XIIIe siècle, il ne se laisse pas si facilement saisir aussi, à notre habitude nous vous donnons des clefs utiles de vocabulaire. Elles sont nombreuses, aussi nous espérons qu’elles ne compliqueront pas trop le plaisir de votre lecture.
« Il me covient renvoisier »
dans le vieux français d’oïl de Colin Muset
Il me covient renvoisier (m’égayer, folâtrer) En cest estey Et joer et solacier (me divertir) Et deporter : (me réjouir) J’ai trovey Mon cuer plus que je ne sueil (souloir, avoir l’habitude) enamoré ; Mais grever (me nuire) Me cuident (croire) li mesdisant et dessevrer (compromettre ma liaison). La tousete (jouvencelle) es blans muteaus (mollets), Es chevous lons, Celi donrai mes joiaus Et mes granz dons. Sejornons (reposons-nous, faisons halte), Ensi s’en va mes avoiers (mon chemin) a grand bandon, (sans retenue) Or maingons, Solaçons et deportons ! Bon poissons, Vins poignanz (piquants, de caractère ? ) et bon rapiaux (boisson médiévale à base de vin) et venoisons !
S’ele me done une baisier En receley, (en secret, en cachette) Je n’avroie pas si chier Une cité ; J’en prie Dey : Lors avrai quanque je quier a point mené. (1)
(1) Dès lors j’aurais mené à bien tout ce que j’ai en tête, ce en quoi je crois.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète, lyrisme courtois, trouvères, vieux-français, Oïl. Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre Titre : « De fine amor vient seance et biautez» Interprètes : Alla Francesca, Brigitte Lesne Album : Thibaut de Champagne, le Chansonnier du Roi (2011).
Bonjour à tous,
oilà quelque temps déjà que nous n’avions présenté de chansons du célèbre Thibaut de Champagne. En route donc, pour le XIIIe siècle à la découverte de sa poésie : De fine amor vient seance et biautez. Le titre l’annonce clairement, il s’agit là d’une nouvelle pièce courtoise, comme le comte de Champagne les affectionnait tant.
Sources historiques et manuscrits
On retrouve cette chanson du seigneur et trouvère champenois dans de nombreux manuscrits avec, bien sûr, quelques variantes. En suivant les pas de Gaston Reynaud et sa Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècles (1894), on citera notamment le Manuscrit de Bern 389, le MS Français 12615, le Manuscrit du Vatican 1490, et encore le MS Français 844(voir image ci-dessus), dont nous avons déjà parlé et qui a servi de base à l’interprétation que nous propose ici l’Ensemble Alla Francesca.
« De fine amor vient seance et biautez » par la formation Alla Francesca
Alla Francesca et le Chansonnier du Roy
En 2011, l’Ensemble médiéval Alla Francesca partait à la rencontre de Thibaut de Champagne et avec lui, de « l’amour courtois et la chevalerie au XIIIe siècle« , en se basant sur le MS français 844 conservé à la BnF, plus connu encore sous le nom de Chansonnier ou Manuscrit du Roy,
Avec un total de seize pièces, l’album réalisé sous la direction de Brigitte Lesne proposait de nombreuses chansons du seigneur et roi de Navarre, mais encore quelques pièces instrumentales et danses de la même période, demeurées anonymes. A noter qu’on pouvait aussi y retrouver un servantois d’Hue de la Ferté et dans lequel ce dernier s’en prenait sans ménagement au comte de champagne.
La traduction que nous vous proposons, ci-dessous, de cette chanson en langue d’oïl de Thibaut de Champagne vers le français moderne provient du livret très complet accompagnant l’album. Une fois n’est pas coutume, nous n’en n’avons pas retouché une virgule.
De fine amor vient seance et biautez
Dame, vers vos n’ai autre messagier Par cui vos os mon corage envoier Fors ma cbançon, se la volez chanter.
Dame, je n’ai d’autre messager Par qui j’ose vous envoyer ce que j’ai dans le cœur, Sinon ma chanson, si vous voulez bien la chanter
Et amors vient de ces deus autressi. Tuit troi sont un, que bien i ai pensé, Ja ne seront a nul jor departi. Par un conseil ont tuit troi establi Lor correors, qui sont avant alé. De moi ont fet tout lor chemin ferré, Tant l’ont usé, ja n’en seront parti.
Et l’amour procède lui aussi de ces deux-là. Tous trois ne font qu’un, j’y ai bien réfléchi, Et jamais ils ne pourront être séparés. D’un commun accord, ils ont tous trois désigné Leurs messagers, qui ont pris les devants. Ils ont fait de moi leur grand chemin, Et l’ont tant parcouru qu’ils n’en partiront pas de sitôt.
Li correor sunt de nuit en clarté Et de jors sont par la gent obscurci. Li douz regart et li mot savoré, La grant biauté et li bien que g’i vi, N’est merveille se ce m’a esbahi. De li a Dex cest siecle enluminé: Quant nos aurons le plus biau jor d’esté Lés li serait obscurs de plain midi.
Ces messagers-là sont dans la lumière pendant la nuit Et le jour, à cause des gens, ils sont dans l’obscurité. Le doux regard et les paroles suaves, La grande beauté et les qualités que je vis en elle, Rien d’étonnant si j’en ai été tout ébahi. Par elle Dieu a illuminé ce monde : Si nous avions le plus beau jour d’été, Il serait obscur auprès d’elle, en plein midi.
En amor a paor et hardement. Cil dui sont troi et dou tierz sont li dui, Et granz valors s’est a aus apendanz Ou tuit li bien ont retrait et refui. Por ce est amors li hospitaus d’autrui Que nus n’i faut selonc son avenant. Mès j’ai failli, dame qui valez tant, En vostre ostel, si ne sai ou je sui.
Dans l’amour, il y a crainte et hardiesse. Ces deux-là sont trois, et ils procèdent du troisième ; Une grande valeur s’est attachée à eux, En laquelle se sont réfugiés tous les biens. Amour est le logis qui accueille tous les autres, Car nul ne manque d’y trouver la place qui lui convient. Mais moi, dame qui avez tant de valeur, j’ai échoué à me loger En votre maison, et je ne sais plus où je suis.
Je n’i voi plus mes a lui me conmant, Que toz penserz ai laissiez par cestui. Ma bele joie ou ma mort i atent, Ne sai lequel, desques devant li fui. Ne me firent lors si oeil point d’anui, Ainz me vindrent ferir si doucement Dedens le cuer d’un amoreus talent, Q’encor i est le cox que j’en reçui.
Je ne vois plus que faire, sinon me recommander à elle, Car je n’ai plus d’autre pensée que celle-ci. J’en attends ma belle joie ou ma mort, Je ne sais laquelle des deux, depuis que je me trouvai devant elle. Alors ses yeux ne me causèrent point de contrariété ; Au contraire, ils vinrent me frapper si doucement En plein cœur, d’un amoureux désir, Que la marque du coup que j’en reçus s’y trouve encore.
Li cox fu granz, il ne fet qu’enpirier; Ne nus mirez ne m’en porroit saner Se cele non qui le dart fist lancier, Se de sa main me voloit adeser. Bien en porroit le cop mortel oster A tot le fust, dont j’ai tel desirrier; Mès la pointe du fer n’en puet sachier, Qu’ele brisa deudenz au cap douner. [Dame. vers vos n’ai autre messagier Par cui vos os mon eorage envoier Fors ma chançon, se la volez chanter.
Ce coup fut fort, la blessure ne cesse de s’aggraver. Nul médecin ne m’en pourrait soigner, Sinon celle qui fit lancer la flèche, Si elle voulait bien me toucher de sa main. Elle pourrait bien guérir le coup mortel En ôtant le bois de la flèche, ce que je désire tant ; Mais la pointe de fer, elle ne peut pas la retirer, Car elle s’est brisée à l’intérieur au moment du coup.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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