Sujet : Graduel de Fontevrault, chants liturgiques, musique médiévale Période : XIIIe, moyen-âge central Conservé à : Bibliothèque de Limoges Type : chants polyphoniques et grégoriens. Titre: « Kyrie: Orbis factor » Interprètes: Ensemble Organum Album: « Le chant de la Mémoire »
Un Codex exceptionnel du XIIIe siècle
ujourd’hui, nous publions un chant grégorien qui a donné des frissons à plus d’un. Il est tiré d’un ouvrage médiéval : le Graduel de Fontevrault. C’est un codex de plus de trois cent feuillets qui est, comme tous les graduels, un livre de chant de messes et un guide pour les messes au quotidien sur une année entière. La copie de l’ouvrage date du XIIIe siècle mais il aurait été légué au XIVe siècle à l’église de Saint-Junien, située dans la Haute Vienne (Limousin) et se trouve maintenant conservé à la bibliothèque de Limoges.
Par son contenu iconographique et musical unique, ce codex reste, encore à ce jour, une source exceptionnelle pour l’étude de la pratique liturgique et des chants grégoriens du moyen-âge central. Il est encore connu sous le nom de Graduel d’Alienor de Bretagne du nom de l’abbesse de Fontevrault (1302-1342) dont le blason figurait sur la tranche de l’ouvrage. Les études ont toutefois permis de montrer depuis que le codex avait été copié autour du milieu du XIIIe siècle dans un atelier de Paris.
Consulter l’ouvrage en ligne
a bibliothèque municipale de Limoges nous a fait la grâce de l’avoir mis en ligne afin que nous puissions apprécier la qualité de sa conservation autant que l’iconographie de ce manuscrit et pour ceux qui savent lire la musique pouvoir la décrypter. En voici les liens :
L’ensemble « Organum »,
à la recherche des musiques anciennes
« Il ne s’agit pas seulement de prendre une partition et de la jouer, il faut comprendre aussi le monde auquel cette musique fait référence » Marcel Pérès – Le chant de la mémoire
Sous la férule de Marcel Pérès, l’ensemble Organum , qui interprète ce chant grégorien ici, fait partie de ces groupes qui sont à la fois en quête de musique et d’histoire. Depuis 30 ans, ils fouillent, cherchent, s’interrogent et finalement livrent au public autant leur interprétation que le fruit de leurs recherches artistiques sur l’histoire des musiques anciennes et à travers elle, sur l’art et le sacré. C’est un long travail, ambitieux et patient, celui d’artistes animés par la passion de tenter de « reconstruire l’histoire du chant sacré« , comme ils le disent eux-même, Pour en savoir plus et mesurer toute leur ambition dans ce champ des musiques anciennes et sacrées, autant que pour en savoir plus sur leurs concerts, leurs productions et les encourager, je vous invite à visiter leur site web qui se trouve ici: : organumcirma.com
Pour le reste, le mystère d’une musique qui vous touche ou ne vous touche point, quelque soit son origine, son époque, les croyances qui la font naître où les instruments dont elle use, reste et restera toujours entier. Il ne me semble pas en tout cas qu’il faille nécessairement être chrétien, ni même peut-être croyant, pour se laisser transporter par ce chant grégorien et par son interprétation par les très belles voix de l’ensemble Organum.
Le Kirie « Orbis factor »
Du point de vue de son contenu, le Orbis Factor est une prière appelant la miséricorde divine et la lumière christique. Comme toutes les litanies religieuses, qu’elles soient chrétiennes, juives, musulmanes, bouddhistes, etc, etc, les paroles de cet orbis factor font appel à la répétition, en l’occurrence ici « eleison » (Kirie Eleison : « Seigneur aie pitié ») qui traduit l’insistance dans l’évocation. Il y a sans nul doute également dans la force vibratoire même du chant et de cette répétition, la recherche d’une élévation comme d’une purification. C’est une technique que les indiens et les bouddhistes connaissent bien aussi et pratiquent à travers le « mantra ».
Orbis factor rex aeterne, eleison Pietatis fons immense, eleison Noxas omnes nostras pelle, eleison Christe qui lux es mundi dator vitae, eleison Arte laesos daemonis intuere, eleison Conservans te credentes confirmansque, eleison Patrem tuum teque flamen utrorumque, eleison Deum scimus unum atque trinum esse, eleison Clemens nobis adsis paraclite ut vivamus in te, eleison.
Une belle journée à vous!
Fred
Pour moyenagepassion.com « A la recherche du monde médiéval sous toutes ses formes »
e récidive avec le poète et trouvère Rutebeuf, en vous proposant, cette fois-ci une lecture audio du fabliau « Li testament de l’asne » (« le testament de l’âne ») dont nous parlions, il y a quelques jours, ici, et que nous avions alors traduit ou adapté plutôt en vers et en français moderne (article ici).
Après avoir cherché la musicalité de Rutebeuf dans le ver en français moderne, je vous convie, cette fois, toute à la fois à une expérience auditive et un voyage dans le monde médiéval, puisque nous tentons, de faire revivre ce célèbre fabliau médiéval dans la langue de son auteur. C’est un français ancien, vous y trouverez peut-être des accents de terroir, tant les R ne se roulent plus que dans certaines de nos campagnes et chez certains de nos anciens. Bien sûr, il n’y a, ici, pas d’autres prétentions que celle de faire des expérimentations dans notre petit laboratoire verbal et alchimique,
en l’occurrence pour ce qui est de l’expérience d’aujourd’hui de mesurer si nous sommes capables de comprendre au moins un peu de ce fabliau et de ce verbe qui a fait l’histoire de notre langue, à plus de cinq cent ans de son écriture par Rutebeuf. N’hésitez pas à nous donner vos impressions. Il me semble tout de même que l’oreille aide un peu, même si elle ne permet pas de tout percer (dommage! pour une fois qu’une occasion lui était donnée de prendre sa revanche.)
uoiqu’il en soit, je le dis, quand même, Fabrice Luchini n’a qu’à bien se tenir! Mais je plaisante bien sûr, je n’en ai ni le talent ni la prétention, et je le disais en pensant à ses lectures et notamment à celles qu’il a fourni sur les textes de Jean de Lafontaine. Notez bien, par ailleurs, que pour ce qui est de tenir Fabrice Luchini, il demeure évident que personne n’y parvient véritablement, et c’est bien justement comme ça qu’on l’aime aussi, créatif, inspiré, débridé, drôle et libre! Mais ceci est un autre sujet, ne commençons pas à nous disperser (percer?)
Allons, place à Rutebeuf et à son testament de l’âne dans le texte!
Longue vie à tous.
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
« Maintenant nous allons travailler à rendre pure et parfaite la matière imparfaite »
Petit Traité d’Alchimie, intitulé « Miroir de l’Alchimie ».
Citation médiévale prêtée au « Doctor Mirabilis » Roger Bacon, savant, philosophe et alchimiste du XIIIe siècle, (1214-1292) mais qui à l’évidence ne lui appartient pas.
Gravure Portrait du savant, médécin, alchimiste et astronome Roger Bacon, XVe siècle (recolorisé et retraité par nos soins)
Quand les auteurs se changent en corpus
ous avons déjà évoqué, ici, dans un article, du phénomène qui s’est souvent produit consistant à attribuer à un auteur ancien tout un ensemble de textes qui ne lui appartenait, en définitive, pas du tout. (voir article sur les Goliards et l’Archipoète). Outre les possibles erreurs d’archivage qui peuvent expliquer cela, il faut y voir encore les erreurs des lecteurs de textes non signés, convaincus de bonne foi de leur paternité quand les ouvrages ou les productions ne sont pas eux-même signés faussement de la main des auteurs originaux. L’affaire n’est donc pas simple mais de fait, les auteurs célèbres du monde médiéval, savants, poètes comme alchimistes (Albert le Grand, Arnaud de Villeneuve, etc, …), ont eu souvent tendance à se voir changer, malgré eux, en « corpus ».
Concernant cette citation que nous vous livrons ici et le fait qu’elle aurait été écrite par Roger Bacon, les mêmes flottements ont existé même si l’hypothèse semble en être, aujourd’hui, définitivement écartée. L’ouvrage, pas d’avantage que la citation présente en tête de cet article, ne sont de lui. Cette dernière est, en revanche, réellement tirée de l’ouvrage que l’on appelle le Miroir de l’Alchimie (Speculum alchimiae) qui aurait été écrit, en réalité, au XVe siècle et ne peut donc être contemporain du vrai Roger Bacon décédé, quant à lui, près de 300 ans avant, sauf à croire qu’il ait, en secret, découvert la pierre philosophale et l’immortalité. Mais ce sont des légendes qui courent pour l’instant plus sur Nicolas Flamel que sur le célèbre « Doctor admirable » du XIIIe siècle.
Alchimie & mystique de la transformation
Quoiqu’il en soit, cette citation résume, en une ligne, l’objet autant ambitieux que fascinant de l’Alchimie. Pour en avoir une vision plus juste et plus complète de cette science médiévale, il faudrait encore ajouter que la perfection recherchée était, bien sûr, une perfection divine. Je dis que cet objet est fascinant parce que, même si l’Alchimie a souvent pris, sous des odeurs de souffre, les dehors de la recherche obscure et quelquefois obsessionnelle de l’or ou de l’immortalité, et même si elle a été, il est vrai, noyauté par une ribambelle d’imposteurs qui lui ont fait du tord, dans sa Maestria, son ambition réelle était bien plus profonde et spirituelle. A la faveur des incompréhensions qu’elle a suscité, il faut encore ajouter l’hermétisme de son langage autant que de ses processus de transmission comme autant de facteurs aggravants pour la faire méjuger. Science et discipline ancienne incomprise ne faisant, dans sa forme, pas l’effort de se mettre à portée du commun et même, tout au contraire, cultivant l’hermétisme, l’Alchimie était, d’abord et avant tout une mystique de la transformation, une quête du divin et du sacré jusque dans le coeur de la matière. A travers ses actes de transmutation et ses opérations tant symboliques que matérielles, c’était la quête d’un chercheur solitaire, en recherche pour devenir un agent du divin, pour se bonifier, se purifier et finalement transcender sa propre nature dans une quête initiatique dont on disait qu’une vie entière ne suffisait souvent pas à l’épuiser ou à l’atteindre. Y-a-t’il quête plus fascinante ou plus merveilleuse que celle d’un homme qui cherche à dépasser les imperfections de sa propre nature pour s’élever? Le débat est, bien sûr, ouvert pour qui pense que l’univers manque de sacré ou pour qui , au contraire, soutient que nous lui en prêtons encore trop.
Une chose demeure certaine, que le but soit ou non atteint et que l’on tende l’oreille aux mystérieuses légendes de ses grands ayant trouvé la pierre philosophale, devenu riche et peut-être immortel comme on le dit d’Hermès Trismégiste (encore un corpus!) à Nicolas Flamel, cette science médiévale aura favorisé de nombreuses découvertes qui sont venues, au fil des manipulations de la matière, comme les conséquences accessoires ou les accidents d’une recherche bien plus vaste et ambitieuse : découverte de quantité de solutions acides, citrique, sulfurique, chlorhydrique, acétique, …, et encore, gaz carbonique, potasse, phosphore, eau de vie, sans parler des applications cosmétiques et médicinales, etc, La liste est longue.
Une définition parmi d’autres du mot Alchimie, dictionnaire des inventions et découvertes, XIXe siècle.
L’alchimie, ancêtre de la Chimie ?
« L’alchimie, aussi bien que l’astrologie et la magie, doit être considérée comme une science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s’est développée. Il faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à nos systèmes. » René Alleau, historien des sciences, (voir article ici sur universalis)
L’Alchimie était-elle « simplement » l’ancêtre de la chimie ? Peut-on simplement la réduire à cela ? C’est ue définition commode et souvent entendue. Je ne le crois pas. Factuellement, elle a, certes, donné naissance à la chimie mais les sciences modernes sont nées dans une rupture matérialiste et rationaliste d’avec leurs aïeules. L’Alchimie n’est pas simplement la Chimie, une fois Dieu « ôté » ou quelques croyances soustraites. Bien sûr, à l’évidence, cette science médiévale, pour peu qu’on veuille avec René Alleau, encore lui prêter ce caractère de science, date d’un temps où l’objet de la science n’était pas dissocié de la recherche du divin et où, dans les mystères de l’univers, c’est toujours, au bout du compte, le divin que l’on cherchait, que l’on voyait à l’oeuvre et que l’on finissait, invariablement, par trouver, dedans les découvertes comme face aux mystères. Mais quand je dis que la Chimie n’est pas simplement « l’Alchimie moins Dieu », en dehors de la complexité des opérations auxquelles elle se livrait et de l’intentionnalité qui les sous-tendait et qui en font bien plus qu’une Chimie balbutiante, il demeure aussi évident que la pratique de la science moderne n’a pas évacué, tout à fait, certains questionnements chez l’ensemble de ses chercheurs.
Gravure de Michael Maier, médecine et alchimiste allemand, XVIIIe siècle,
Il aura fallu sans doute quelques siècles pour que la jeune science matérialiste et rationaliste, né d’un « schisme » et ayant commencé à faire le deuil de ses vieilles luttes au corps à corps avec les institutions religieuses, s’ouvre à nouveau et admette que la question du divin n’est toujours pas tranchée de manière irrévocable par son exercice. Cette question continue d’appartenir, au fond, à chacun de ses chercheurs et depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les sciences de la nature ne peuvent plus tout à fait se contenter de l’hégémonie du seul matérialisme. Albert Einstein, repensant la matière dans l’espace quantique et les mystères de la lumière et du temps, nous parlait de Divin, mais il n’est pas le seul de tout ceux qui cherchent à prêter à la marche de l’univers quelques mystères ou quelques lois à l’oeuvre, qui relève d’autre chose que de
la simple mécanique hasardeuse. De la même façon, une certaine biologie née récemment tente de repenser les lois de la vie en s’affranchissant de la physique matérialiste des origines.
(ci-contre gravure du XIXe, (colorisée par nos soins) qui représente le Faust de Goethe créant un Homunculus)
Au fond, on pourrait dire que Dieu reste dans la chimie, s’il est dans le chercheur, à quoi un croyant me répondrait sans nul doute: « Mon jeune ami, que le chercheur y prête foi ou non , Dieu est dans chaque chose et n’attend pas que l’homme croit en lui pour être », mais ceci est un autre débat. En tout cas, pour toutes ces raisons, on ne peut plus simplement réduire à la fois la Chimie et l’Alchimie à des définitions matérialistes et rationalistes: la chimie n’est pas l’Alchimie moins Dieu, pas d’avantage que la vieille science médiévale n’est simplement la Chimie enrobée d’une couche de foi.
Pour en revenir à cette citation du Miroir de l’Alchimie et concernant le grand Roger Bacon, il a également comme de nombreux savants et érudits du monde médiéval pratiqué l’Alchimie. On ne prête toujours qu’aux riches.
En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publilius Syrus Ier s. av. J.-C