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Amitié contre mauvais conseillers : une fable médiévale de Don Juan Manuel

Don-juan-manuel-lucanor-contes-moraux-moyen-age-espagne-medievaleSujet  : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale,  devoirs des princes, fable
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348)
Titreex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau
Ouvrage  :   Le comte Lucanor, traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque  (1854)


« Ne laisse pas  les dires de  perfides menteurs,
Briser ton amitié avec  gens  de valeur. »

Don Juan Manuel   –  Le comte Lucanor,

« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos
(1)«  
 Don Juan Manuel  –  El conde Lucanor

(1) provechosos  : bons, serviables, loyaux


Bonjour à tous,

R_lettrine_moyen_age_passionetournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs  semblent, souvent, plus redoutés encore que les   princes  dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a  sans doute contribué, dans certains cas, à   mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux,  quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique  directe envers les plus grands  peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages   du   Surveiller et punir de Michel Foucault   )  .

Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore  le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique,  il est à supposer qu’ils sont  mal conseillés ou, même plus perfidement encore,   manipulés.

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 Un conte  politique sur fond  de vécu

Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel    ne pouvait-il s’empêcher,  en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur  du jeune dauphin  Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.

Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette  histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour comte-lucanor-europe-medievale-don-juan-manuel-contes-moraux-politiques-moyen-agetirer leur épingle du jeu.

Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans le comte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation  imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage  ancien ne contient que les œuvres  de Juan  Manuel (consulter ici).

Une fable sur l’alliance du lion et  du taureau

Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de  l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance  que  le  lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur  les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à  ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.

« Il  n’y  aura de sûreté  pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux  oppresseurs  ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »

taureau-fable-medievale-espagne-moyen-age-conte-morale-politiqueSur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il   reste  vigilant, le lion voulait sa peau.

Devant la puissance des délateurs,   les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori  ;  le renard pour le lion, le  mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant.  Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer  et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :

« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et deco_medieval_espagne_moyen-agedu lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite  est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »

En suivant les pas de A  de Puibusque (opus cité), cette  histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable,   trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses  de  Vishnusharman. Enfin,  pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement  mais de belle manière :

« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître,
Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »


 Télécharger cet article sur cette fable médiévale au format pdf

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Cantiga de Santa Maria 384 : le Paradis pour un Miracle en forme d’écriture

cantigas_santa_maria_vierge_marie_sainte_culte_mariale_medievale_amour_lyrique_courtoise_moyen-ageSujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :  Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète :  Esther Lamandier
Titre :  Cantiga  Santa Maria 384,    « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » 
Album :    Alfonso el Sabio.   Cantigas de Santa Maria    (1981)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passione qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction en français des Cantigas de Santa Maria du roi  Alphonse X de Castille. Aujourd’hui, nous vous proposons découvrir la Cantigas de Santa Maria 384 dans le détail et en musique.

Routes des miracles & culte marial médiéval

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Récits de miracles autour de Marie,  témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être retranscrites et reformulées au XIIIe siècle, en langue galaïco-portugaise par le souverain espagnol, nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale. Souvent attachées à des lieux de culte marial reconnus, on les contait  ou les chantait aussi sur les routes des nombreux pèlerinages  du monde médiéval.

Même s’il on en connait des traces dans les siècles précédents, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial. Dans la littérature médiévale, on trouve ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la sainte, chez quantité d’auteurs médiévaux, trouvères, poètes, clercs ou même religieux.

De Rutebeuf à Villon, la vierge Marie est perçue comme cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et écouter. La sainte chrétienne est aussi celle qui, par l’oreille qu’il lui prête, pourra intercéder en faveur du pêcheur ou du dévot auprès de son fils,  le Christ, le Tout Puissant Dieu mort en croix.

Le Salut pour un moine  dévot à la vierge

La Cantiga de Santa maria 384 est un des nombreux miracles que nous propose les chants à Marie d’Alphonse X. Le poète nous contera qu’entre les manières de louer la Sainte, entre imagerie (iconographie, prières,  louanges,… ), celle qui consiste à louer son nom demeure l’une des plus appréciées.

cantigas-santa-maria-esther-lamandier-musiques-medievales-moyen-ageIci, c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. Comme récompense de sa dévotion, le dévot religieux se verra offrir les portes du salut, pouvoir déjà acquis à la sainte dans de nombreux autres Cantigas d’Alphonse X.

Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien si, au bout du chemin de vie, se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans l’exemplarité et le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme  dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du  protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas question de transhumanisme ici et de défi lancé à la longévité dans le monde matériel, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas pour le monde d’ici-bas, mais pour le suivant.

La cantiga  de Santa Maria 384 par Esther  Lamanthier


Esther Lamandier  & les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse le Sage

En 1980, la talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier  décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.

cantigas-santa-maria-384-album-chansone-medieval-culte-marial-alphonse-X-Esther-Lamandier-moyen-ageDédiée aux Cantigas de Santa Maria, l’album fut enregistré à l’Abbaye de  l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, il propose 20 pièces interprétées par l’artiste, accompagnée de son seul talent  vocal et instrumental.

La cantiga de Santa Maria384 ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther  Lamandier.

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La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne

Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Desto direi un miragre, segundo me foi contado,
que aveo a un monge bõo e ben ordinado
e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado,
e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté,
Qui arriva à un bon moine bien ordonné,
Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie
Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Este mui bon clerigo era e mui de grado liia
nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia;
may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria
fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait
Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ;
Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie,
Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté…

A primeyra era ouro, coor rica e fremosa
a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa;
e a outra d’azur era, coor mui maravillosa
que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La première était d’or, couleur riche et belle
Semblable à la Vierge noble et très précieuse ;
L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse
Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.

Celle qui, pour sa beauté…

A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella;
onde cada a destas coores mui ben semella
aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella
nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La troisième, est appelée  rose, car c’est une couleur vermeille ;
Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point
à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais
n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.

Celle qui, pour sa beauté…

Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo
da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo,
beyjando-o ameude por vençer o emigo
diabo que sempre punna de nos meter en errores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint
de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué,
L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi
Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.

Celle qui, pour sa beauté…

Onde foi a vegada que jazia mui doente
da grand’ enfermidade, de que era en possente;
e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente
de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Mais vint un temps  où  il tomba gravement souffrant
D’une grande maladie, qu’il avait contracté.
Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit
De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.

Celle qui, pour sa beauté…

O abade e os monges todos veer-o veron,
e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron
que lle tevesse companna; e pois ali esteveron
un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé et les moines vinrent tous le voir,
Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère
Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent
un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines

Celle qui, pour sa beauté…

Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo,
e viu que ao leyto se chegava passo yndo,
e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo
mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Apparut en rêve au frère qui gardait le moine,
Et il vit qu’elle s’approchait du lit,
Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter
Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).

Celle qui, pour sa beauté…

Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas,
levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas,
e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras
serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs,
Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste
Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures
entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.

Celle qui, pour sa beauté…

Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna.
E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna;
e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna
segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle,
Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet,
Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche
Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.

Celle qui, pour sa beauté…

Mantenente o abade chegou y cono convento,
que eram y de companna ben oyteenta ou çento;
e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento
o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines,
Qui était une communauté de près de 80 ou 100
Et le frère  leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour  le connaître )
Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».

Celle qui, pour sa beauté…

Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito;
e o abade tan toste o fez meter en escrito
pera destruyr as obras do emigo maldito,
que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté;
Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit
Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable)
Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.

Celle qui, pour sa beauté…

E pois souberon o feyto, loaron de voontade
a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade;
e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade,
punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie
La Vierge Saint Marie, dame de Piété ;
Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence,
Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.

Celle qui, pour sa beauté…


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En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Cantiga de Amigo : aux temps médiévaux, la danse d’une jeune fille amoureuse à Vigo

martin_codax_mar_de_vigo_poesie_chanson_medievale_troubadour_moyen-age_central_XIIIe_siècleSujet :  amour courtois, musique, poésie médiévale,  chanson médiévale,   Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur :  Martín (ou Martim) Codax
Titre :  Eno sagrado en Vigo, Cantiga   VI
Interprètes :    The Dufay Collective
Album  :  Music for Alfonso the Wise  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons  sur les  Cantigas de Amigo de l’Espagne et du Portugal du Moyen Âge central.  Nous le faisons même avec un des plus célèbres  compositeurs de ce genre  galaïco-portugais du XIIIe, le jongleur (jogral) et troubadour Martín Codax.

Les Cantigas de Amigo conjuguent l’amour courtois au féminin, en donnant la parole à des jeunes filles  :   espoir, attente de l’être aimé (« l’ami »), joie ou tristesse, les compositeurs de ces chansons médiévales se glissent dans le cœur  des damoiselles pour  nous chanter avec grâce, les émois et les revers du sentiment amoureux.  Au delà de leur contenu, ces poésies se signent par  leur simplicité, leur pureté de style et la présence d’un refrain qui vient créer  une    résonance  sur  l’émotion au centre  de    chaque composition.

Une  belle sur le parvis de l’église de Vigo

eglise-cathedrale-collegial-vigo-chanson-medieval-martin-codax-moyen-ageCette  Cantiga de amigo de Martín Codax est connue sous le titre  Eno sagrado en Vigo (sur la base de son premier vers) : en français, on peut le traduire par  sur le parvis de Vigo. On peut supposer, sans trop de risques, qu’il s’agit là d’une allusion au parvis de  l’actuelle collégiale de Santa Maria de Vigo, en Galice. Datée du XIXe siècle, cette dernière a été reconstruite en lieu et place d’un autre édifice religieux qui, lui même, était venu faire suite, au  XVe siècle, à une église Santa Maria qui se tenait, là, depuis le Moyen Âge central et le XIIe siècle.

Du point de vue du sens de cette composition,  la jeune fille y danse  en chantant  et on l’imagine tournant et souriant, emportée par la joie de l’amour qu’elle porte  en elle.  Pour faire bonne mesure, nous vous en proposerons une traduction  sur laquelle on pourra  d’ailleurs argumenter. La simplicité des vers prête, en effet, à interprétation suivant  les auteurs qui s’y sont penchés et notamment ce refrain :   » Amor ei… » . Faut-il simplement traduire  :  « Oh  Amour » ou « J’ai de l’amour« , autrement dit « Je suis amoureuse » ou  même encore « Je suis  aimé » ?    Nous avons penché, de notre côté, pour « Je suis amoureuse ».

Sources et interprétations

Cette cantiga de amigo, que l’on retrouve dans le Parchemin Vindel, actuellement conservé à la  Morgan Library  de New York, a été reprise par une certain nombre de formations médiévales contemporaines. On pense  notamment  à celle d’Eduardo Paniagua ou encore, plus près de nous,  au groupe   allemand  Triskilian.   Pour vous la faire découvrir, nous avons, pour cette fois, choisi la version des anglais de     The Dufay Collective.

Eno sagrado en Vigo de Martin Codax par The Dufay Collective

Quand  le Dufay Collective chantait
l’Espagne médiévale  d’Alphonse le Sage

En  2005, les artistes du Dufay Collective    décidèrent de consacrer  leur talent aux musiques contemporaines de la cour d’Alphonse X de Castille. Intitulé « Music for Alfonso the Wise » (musique pour Alphonse le Sage), l’album sortit chez Harmonia  Mundi. Il proposait pas moins de 19 pièces pour plus d’un heure d’écoute entre lesquelles de nombreuses Cantigas de Santa Maria (dix compositions) du roi savant d’Espagne. Dans la deuxième partie de l’album, on retrouvait aussi  huit  cantigas de Amigo, signée de la main de  Martín Codax. Enfin, une danse anonyme de la même période venait compléter le tableau de cette production.

musique-medievale-cantigas-de-amigo-martin-codax-album-Dufay-collectiveI-moyen-age-centralAu moment de cet article, l’album n’est pas disponible à la vente en ligne ( en tout cas sur Amazon). Il n’est même pas sûr qu’il ait été réédité.  Nous en avons trouvé un copie d’occasion à la vente, mais le vendeur  en attendait un prix tellement indécent que nous avons préféré ne pas vous en donner le lien ici. En contrepartie, nous mettons  le lien par défaut vers ce produit, en espérant que tôt ou tard,  de nouveaux CD’s fassent leur apparition :    Music for Alfonso the Wise by The Dufay Collective (2005-04-20).


Eno sagrado en Vigo, de Martin Codax
traduite en français moderne

Eno sagrado en Vigo,
Beylava corpo velido
En Vigo, no sagrado,
Beylava corpo delgado
Amor ei…

Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une belle (un joli corps)
Sur le parvis, à Vigo.
Dansait une  jolie fille (un corps fin) :
Je suis amoureuse …

Beylava corpo delgado
Que nunc’ ouver’ amado
Beylava corpo velido
Que nunc’ ouver’ amigo
Amor ei…

Dansait une  jolie fille
Qui n’avait jamais eu d’être aimé
Dansait une   belle
Qui n’avait jamais eu d’ami
Je suis amoureuse …

Que nunc’ ouver’ amigo
Ergas no sagrad’, en Vigo
Que nunc’ ouver’ amado
Ergas en Vigo, no sagrado
Amor ei…

Qui n’avait jamais eu d’ami
Sauf à Vigo, sur le parvis,
Qui n’avait  jamais eu d’aimé
Sauf à Vigo, sur le parvis, 
Je suis amoureuse …


En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

D’un dragon et d’un vilain : une fable médiévale de Marie de France sur la cupidité

dragon-moyen-age-fable-ysopets-marie-de-franceSujet  : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’oïl, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval,   vilain, dragon, convoitise,   cupidité
Période  : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre :  Dou Dragon è d’un Villain    
Auteur    :   Marie de France    (1160-1210)
Ouvrage    :    Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820, 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui,  pour le XIIe siècle avec une fable de Marie de France. Il y sera question de vilenie, de trahison, mais aussi d’un œuf de dragon renfermant bien des trésors dont la confiance d’un animal mythique et l’utilisation qu’il en fera pour mettre à l’épreuve un faux ami.

Un autre vilain littéraire « archétypal »

On  reconnaîtra, dans cette poésie sur le thème de la défiance et de la cupidité,  ce « vilain archétypal » de la littérature médiévale  du XIIe siècle. Nous voulons parler de celui qui porte,  si souvent, tous les  travers   : rustre,   « convoiteux »,   avare, indigne de confiance,  malicieux ou, selon, un peu crétin sur les bords (cf de Brunain la vache au prêtre de jean Bodel).

deco-dragon-medievale-bestiaireDans ces premiers usages, dans la littérature médiévale, le terme de vilain finira par désigner souvent autant le travailleur de la terre que  celui sur lequel la société des valeurs et de la bienséance n’a aucune prise :  une profession  de tous les défauts et tous les préjugés, qu’elle cristallise sans doute d’autant plus que le monde médiéval tend à s’urbaniser (opposition « campagne/monde civilisé »  ou encore « nature/culture »  ?).

Avec le temps et au cours des XIIIe et XIVe siècles, cette image viendra se nuancer largement pour donner lieu à des archétypes plus variés du vilain : sagesse populaire, bon sens,  espièglerie même (voir le vilain qui conquis le paradis en plaidant). Le terme sera aussi dissocié, par certains auteurs médiévaux, du statut social et de la fonction paysanne pour devenir un trait qui ne réside que dans les actes : « Nus n’est vilains, se de cuer non. Vilains est qui fet vilonie. » (des chevaliers, des clercs et des vilains  le vilain dans les fabliaux et la littérature du moyen-âge).

Quant au dragon,  s’il a représenté  plutôt, dans les premiers temps du moyen-âge central, une créature maléfique, ici et sous la plume de Marie de France, il incarne la raison. Il se fait même le représentant des hommes (éduqués, fortunés, nobles ?) pour les aider à tirer une leçon de sagesse :  à défaut d’avoir le choix,  méfions-nous toujours de ceux à  qui nous confions nos avoirs.

dragon-fable-medievale-ysopet-marie-de-france-moyen-age-vieux-francais-oil


Dou Dragon è d’un Villain

Or vus cunterai d’un Dragun
K’un Vilains prist à compaignun ;
E cil suvent li prometeit
Qe loiaument le servireit.
Li Dragons volut espruvier 
Si se purreit en lui fier,
Un Oef li cummande à garder ;
Si li dit qu’il voleit errer.

De l’Uef garder mult li pria
E li Vilains li demanda
Pur coi li cummandeit enssi :
E li Draguns li respundi
Que dedenz l’Uef ot enbatu
Tute sa force et sa vertu,
Tut sereit mort s’il fust brisiez.

Qant li Draguns fu eslungiez
Si s’est li Vileins purpenssez
Que li Hués n’iert plus gardez ;
Par l’Oues ocirra le Dragun
S’ara sun or tut-à-bandun.
E qant li Oës fu despéciez
Si est li Dragons repairiez ;
L’eschaille vit gésir par terre,
Si li cummencha à enquerre
Purquoi ot l’Oef si mesgardé.
Lors sot-il bien la vérité
Bien aparçut la tricherie ;
Départie est lur cumpaignie.

MORALITÉ

Pur ce nus dit icest sarmun,
Q’à trichéour ne à félun
Ne deit-l’en cummander sun or,
N’abandunner sun chier thrésor ;
En cunvoitex ne en aver
Ne se deit nus Hums affier.

Traduction   adaptation en français moderne

Or (à prèsent) vous conterai d’un dragon
Qui vilain prit pour compagnon
Et qui, souvent, lui promettait
Que toujours il le servirait.
Le Dragon voulut éprouver
S’il pourrait   vraiment s’y fier.
Et d’un œuf lui confia le soin 
Pendant qu’il  partirait au loin.

De garder l’œuf,   tant le pria
Que le
  vilain lui demanda,
Pourquoi   il insistait autant.
Lors,  le dragon lui répondit
Que  dedans l’œuf il avait mis
Toute sa force et sa vertu
Et qu’il mourrait s’il fut brisé.

Quand le dragon fut éloigné
Le  vilain se mit à penser
Que l’œuf   il n’allait plus garder
Mais qu’avec  il tuerait le Dragon
Pour lui ravir  ses possessions.
Une fois l’œuf   dépecé
Voilà  dragon qui reparaît.
Voyant  les coquilles à terre

Il  interroge  le compère
Sur les raisons  de sa mégarde.
A découvrir  le vrai ne tarde

Et mesurant la tricherie
Il  met fin à leur compagnie.

MORALITÉ

La  morale de notre histoire
Est qu’à tricheur  ni à félon,
On ne doit laisser son or,
Ni   ne  confier  son cher trésor,
Qu’ils soient avares ou convoiteux
Tout homme doit se défier d’eux.


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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