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« Du tres douz nom », le culte marial de Thibaut IV de Champagne servi par la voix de René Zosso

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet :  chanson médiévale, poésie , culte marial, roi troubadour, roi poète, trouvères, vieux-français, langue d’oïl,  vierge Marie.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur   : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre (Thibaud)
Titre :    « Du tres douz nom a la virge Marie»
Interprète  :   René Zosso
Album :  Anthologie de la chanson française, des trouvères à la pléiade  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons à la poésie et l’art des trouvères avec un des plus célèbres d’entre eux : Thibaut IV de Champagne , roi de Navarre et comte de Champagne, connu encore sous le nom de  Thibaut le Chansonnier. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir et d’à-propos que c’est une  belle et puissante interprétation de René Zosso qui nous permettra de découvrir cette chanson médiévale du XIIIe siècle.

Une chanson du roi de Navarre
en hommage au nom de la vierge

On connait du legs de Thibaut de Champagne, les pièces courtoises ou encore les chants de croisade. Nous en avons déjà présenté quelques-unes issues de ces deux répertoires. Pour varier un peu, la
pièce du jour est dédiée à la dévotion à Sainte Marie, autrement dit
au culte marial, très populaire aux temps médiévaux notamment à partir du Moyen Âge central.

deco-medieval-culte-marialOn le verra, dans cette chanson, le roi et seigneur poète énumère les qualités et les propriétés de la sainte vierge, à partir des cinq lettres composant  son nom :  M A R I A. On notera qu’avant lui,  le moine et trouvère   Gauthier de Coincy (1177-1236) s’était, lui aussi, adonné à un exercice  similaire à partir du nom de la Sainte.  Au Moyen Âge, la seule  prononciation de ce dernier est réputée chargée de hautes propriétés spirituelles, voire « magiques » ou miraculeuses.  Vous pourrez trouver des éléments d’intérêt  sur ces questions dans un article de la spécialiste de littérature médiévale et de philosophie religieuse Annette Garnier : Variations sur le nom de Marie chez Gautier de Coinci, Nouvelle revue d’onomastique, 1997. Egalement, pour élargir sur le culte marial et ses miracles, nous vous invitons à consulter nos publications sur les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. Passons maintenant aux sources de cette chanson  et sa partition .

Sources manuscrites historiques :
le  trouvère K ou chansonnier de Navarre

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On retrouve cette  pièce du comte Thibaut de Champagne dans un certain nombre de manuscrits anciens datant plutôt des XIVe et siècles suivants. On citera le Chansonnier du Roi dit français 844 ou encore les   MS français 846, MS français 12615 et MS français 24406. Ajoutons-y également  le  Manuscrit MS Français 12148, autrement coté, MS 5198  de la Bibliothèque de l’Arsenal (voir photo ci-dessus). C’est un ouvrage d’importance dont nous avons, jusque  là, peu parlé.

Un mot du Manuscrit MS 5198 de l’Arsenal

Daté du   premier quart du XIVe siècle, ce manuscrit ancien contient  pas moins de  392 folios  pour 418 pièces : chansons avec musiques annotées et poésies françaises. Les auteurs sont variés dont une grande quantité de trouvères. L’oeuvre de Thibaut de Champagne y est largement représentée ; sous  le nom de « roi de Navarre« , elle  ouvre même le MS 5198 avec  53 pièces.  Pour avoir une bonne  vision du contenu de ce manuscrit médiéval, nous vous conseillons de vous procurer la Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et  XIVe siècle de Gaston Raynaud (1884). Quant à l’original digitalisé, il est consultable sur Gallica.

« Du trez douz nom » de Thibaut de Champagne par René Zosso

 Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade

musique-medievale-album-trouveres-chansons-francaises-anthologie-moyen-ageNous avons déjà consacré un article à cet album d’Anthologie autour de la musique médiévale et renaissante. Daté du milieu des années 90, il fait partie d’une vaste collection de CDs, sortie chez EPM, qui proposait de découvrir la chanson française à travers les époques. L’opus réservé à la période « des trouvères à la Pléiade » , dont est extraite la pièce du jour, faisait  une belle place à René Zosso.   Ce dernier  y interprétait, en effet, plus de six chansons dont en compagnie de Anne Osnowycz. (Nous vous renvoyons au lien ci-dessus pour découvrir une autre de ces pièces, ainsi que plus d’information sur cet album.)

Ajoutons que sur les 24 chansons présentées dans cette Anthologie, se trouvaient trois chansons tirées du répertoire de Thibaut le chansonnier, toutes interprétées par le musicien et joueur de vièle à roue suisse.


Du tres douz non a la Virge Marie
du vieux français d’oïl au français moderne

NB : une fois n’est pas  coutume, pour cette traduction de l’oïl vers le français moderne, nous avons suivi, à la lettre, celle du critique littéraire et médiéviste français Alexandre Micha dans son ouvrage :   Thibaud IV, Thibaud de Champagne, Recueil de Chansons (Paris, 1991, Klincksieck).

Du tres douz non a la Virge Marie
Vous espondrai cinq letres plainement.
La premiere est M, qui senefie
Que les ames en sont fors de torment;
Car par li vint ça jus entre sa gent
Et nos geta de la noire prison
Deus, qui pour nos en sousfri passion.
Iceste M est et sa mere et s’amie.

Du très doux nom de la Vierge Marie
Je vous expliquerai les cinq lettres clairement.
La première est M, qui signifie
Que les âmes par elle sont délivrées des tourments,
Car par elle descendit parmi les hommes
Et nous jeta hors de la noire prison
Dieu qui pour nous souffrit sa passion.
Ce M représente sa mère et son amie.

A vient après. Droiz est que je vous die
Qu’en l’abecé est tout premierement;
Et tout premiers, qui n’est plains de folie,
Doit on dire le salu doucement
A la Dame qui en son biau cors gent
Porta le Roi qui merci atendon.
Premiers fu A et premiers devint hom
Que nostre loi fust fete n’establie.

A vient après et je dois vous dire
Qu’il est la première lettre de l’alphabet.
Avec cette première lettre, si l’on est sage,
On doit dire dévotement la salutation
A la Dame qui en son beau corps
Porta le Roi de qui nous attendons le pardon.
A fut la première lettre du premier homme,
Depuis que notre religion fut instituée.

Puis vient R, ce n’est pas controuvaille,
Qu’erre savons que mult fet a prisier,
Et sel voions chascun jor tout sanz faille,
Quant li prestes le tient en son moustier;
C’est li cors Dieu, qui touz nos doit jugier,
Que la Dame dedenz son cors porta.
Or li prions, quant la mort nous vendra,
Que sa pitiez plus que droiz nous i vaille.

Puis vient R, ce n’est pas pure fantaisie :
Nous savons qu’erre est digne de respect,
Et nous le voyons chaque jour avec évidence,
Quand le prêtre le tient en son église :
C’est le corps de Dieu qui nous jugera tous
Et que la Dame porta en son beau corps.
Demandons-lui, quand viendra notre mort
Que sa pitié soit plus forte que sa justice.

I est touz droiz, genz et de bele taille.
Tels fu li cors, ou il n’ot qu’enseignier,
De la Dame qui pour nos se travaille,
Biaus, droiz et genz sanz teche et sanz pechier.
Pour son douz cuer et pour Enfer bruisier
Vint Deus en li, quant ele l’enfanta.
Biaus fu et genz, et biau s’en delivra;
Bien fist senblant Deus que de nos li chaille.

I est tout droit, svelte et de belle taille.
Tel fut le corps, riche de toutes les vertus,
De la dame qui se met en peine pour nous,
Beau, svelte, noble, sans tache et sans péché.
Grâce à son doux coeur et pour briser l’Enfer
Dieu était en elle, quand elle l’enfanta.
Il était beau et gracieux et elle eut une heureuse délivrance.
Dieu montra bien qu’il a soin de nous.

A est de plaint: bien savez sanz dotance,
Quant on dit a, qu’on se plaint durement;
Et nous devons plaindre sanz demorance
A la Dame que ne va el querant
Que pechierres viengne a amendement.
Tant a douz cuer, gentil et esmeré,
Qui l’apele de cuer sanz fausseté,
Ja ne faudra a avoir repentance.

A exprime la plainte : vous savez bien
Que quand on dit A, on se plaint amèrement.
Nous devons constamment faire monter nos plaintes
Vers la Dame qui n’a d’autre but
Que de voir le pécheur s’amender
Elle a le cœur si doux, si noble, si généreux
Que si on fait appel à elle,
Il s’ouvrira au repentir.

Or li prions merci pour sa bonté
Au douz salu qui se conmence Ave
Maria! Deus nous gart de mescheance!

Implorons sa merci, confiants en sa bonté,
Avec le doux salut qui commence par Ave
Maria. Que Dieu nous garde de tout malheur !


En vous souhaitant une  fort belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Cantiga de Santa Maria 384 : le Paradis pour un Miracle en forme d’écriture

cantigas_santa_maria_vierge_marie_sainte_culte_mariale_medievale_amour_lyrique_courtoise_moyen-ageSujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :  Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète :  Esther Lamandier
Titre :  Cantiga  Santa Maria 384,    « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » 
Album :    Alfonso el Sabio.   Cantigas de Santa Maria    (1981)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passione qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction en français des Cantigas de Santa Maria du roi  Alphonse X de Castille. Aujourd’hui, nous vous proposons découvrir la Cantigas de Santa Maria 384 dans le détail et en musique.

Routes des miracles & culte marial médiéval

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Récits de miracles autour de Marie,  témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être retranscrites et reformulées au XIIIe siècle, en langue galaïco-portugaise par le souverain espagnol, nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale. Souvent attachées à des lieux de culte marial reconnus, on les contait  ou les chantait aussi sur les routes des nombreux pèlerinages  du monde médiéval.

Même s’il on en connait des traces dans les siècles précédents, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial. Dans la littérature médiévale, on trouve ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la sainte, chez quantité d’auteurs médiévaux, trouvères, poètes, clercs ou même religieux.

De Rutebeuf à Villon, la vierge Marie est perçue comme cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et écouter. La sainte chrétienne est aussi celle qui, par l’oreille qu’il lui prête, pourra intercéder en faveur du pêcheur ou du dévot auprès de son fils,  le Christ, le Tout Puissant Dieu mort en croix.

Le Salut pour un moine  dévot à la vierge

La Cantiga de Santa maria 384 est un des nombreux miracles que nous propose les chants à Marie d’Alphonse X. Le poète nous contera qu’entre les manières de louer la Sainte, entre imagerie (iconographie, prières,  louanges,… ), celle qui consiste à louer son nom demeure l’une des plus appréciées.

cantigas-santa-maria-esther-lamandier-musiques-medievales-moyen-ageIci, c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. Comme récompense de sa dévotion, le dévot religieux se verra offrir les portes du salut, pouvoir déjà acquis à la sainte dans de nombreux autres Cantigas d’Alphonse X.

Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien si, au bout du chemin de vie, se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans l’exemplarité et le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme  dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du  protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas question de transhumanisme ici et de défi lancé à la longévité dans le monde matériel, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas pour le monde d’ici-bas, mais pour le suivant.

La cantiga  de Santa Maria 384 par Esther  Lamanthier


Esther Lamandier  & les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse le Sage

En 1980, la talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier  décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.

cantigas-santa-maria-384-album-chansone-medieval-culte-marial-alphonse-X-Esther-Lamandier-moyen-ageDédiée aux Cantigas de Santa Maria, l’album fut enregistré à l’Abbaye de  l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, il propose 20 pièces interprétées par l’artiste, accompagnée de son seul talent  vocal et instrumental.

La cantiga de Santa Maria384 ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther  Lamandier.

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La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne

Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Desto direi un miragre, segundo me foi contado,
que aveo a un monge bõo e ben ordinado
e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado,
e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté,
Qui arriva à un bon moine bien ordonné,
Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie
Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Este mui bon clerigo era e mui de grado liia
nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia;
may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria
fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait
Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ;
Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie,
Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté…

A primeyra era ouro, coor rica e fremosa
a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa;
e a outra d’azur era, coor mui maravillosa
que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La première était d’or, couleur riche et belle
Semblable à la Vierge noble et très précieuse ;
L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse
Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.

Celle qui, pour sa beauté…

A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella;
onde cada a destas coores mui ben semella
aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella
nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La troisième, est appelée  rose, car c’est une couleur vermeille ;
Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point
à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais
n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.

Celle qui, pour sa beauté…

Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo
da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo,
beyjando-o ameude por vençer o emigo
diabo que sempre punna de nos meter en errores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint
de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué,
L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi
Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.

Celle qui, pour sa beauté…

Onde foi a vegada que jazia mui doente
da grand’ enfermidade, de que era en possente;
e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente
de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Mais vint un temps  où  il tomba gravement souffrant
D’une grande maladie, qu’il avait contracté.
Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit
De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.

Celle qui, pour sa beauté…

O abade e os monges todos veer-o veron,
e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron
que lle tevesse companna; e pois ali esteveron
un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé et les moines vinrent tous le voir,
Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère
Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent
un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines

Celle qui, pour sa beauté…

Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo,
e viu que ao leyto se chegava passo yndo,
e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo
mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Apparut en rêve au frère qui gardait le moine,
Et il vit qu’elle s’approchait du lit,
Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter
Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).

Celle qui, pour sa beauté…

Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas,
levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas,
e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras
serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs,
Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste
Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures
entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.

Celle qui, pour sa beauté…

Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna.
E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna;
e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna
segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle,
Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet,
Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche
Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.

Celle qui, pour sa beauté…

Mantenente o abade chegou y cono convento,
que eram y de companna ben oyteenta ou çento;
e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento
o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines,
Qui était une communauté de près de 80 ou 100
Et le frère  leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour  le connaître )
Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».

Celle qui, pour sa beauté…

Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito;
e o abade tan toste o fez meter en escrito
pera destruyr as obras do emigo maldito,
que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté;
Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit
Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable)
Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.

Celle qui, pour sa beauté…

E pois souberon o feyto, loaron de voontade
a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade;
e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade,
punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie
La Vierge Saint Marie, dame de Piété ;
Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence,
Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.

Celle qui, pour sa beauté…


Cliquez ici pour retrouver tous  nos autres articles et traductions des Cantigas de Santa Maria.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Puisque Belle dame m’eime », un chant polyphonique courtois du XIIIe

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets,
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre:   
Puisque Bele Dame m’eime
Auteur :    Anonyme

Interprète :  Anonymous 4
Album : 
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous avions déjà présenté, il y a quelques semaines, une pièce du Chansonnier médiéval de Montpellier  ( ou   Codex de Montpellier  H196 )  et nous poursuivons aujourd’hui son exploration.

Pour rappel, ce manuscrit ancien des débuts du XIVe fait un immense tribut aux chants polyphoniques et aux motets  du  XIIIe siècle. Il présente, en effet, pas moins de 336 pièces de ce type ( voir article précédent sur le Codex de Montpellier). La chanson médiévale que nous vous présentons, ici, est  àamour-courtois-musique-medievale-motets-chansonnier-montpellier-Moyen-age_s  l’image de la majorité d’entre elles puisqu’il s’agit d’un motet  d’amour courtois ayant pour titre « Puisque Bele Dame m’eime ».   On peut  la trouver interprétée par un certain nombre d’ensembles sur la scène des musiques anciennes et médiévales. De notre côté, nous avons choisi la version de la formation américaine Anonymous 4 pour vous la faire découvrir et nous en profiterons pour vous présenter ce quatuor vocal  à la longue    carrière.

« Puisque Belle Dame m’eime » par L’Ensemble  New-Yorkais Anonymous 4


Anonymous 4 sur les ailes des chants polyphoniques  de  l’Europe médiévale

L’ensemble Anonymous 4 est le fruit de la rencontre de  quatre chanteuses américaines, à l’occasion d’une session d’enregistrement dans un studio new-yorkais, au printemps 1986. Réunies autour d’une même passion pour  les chants polyphoniques et de musique médiévale,   il n’en fallut pas moins pour donner naissance à cette formation.   A plus de  trente ans de là, Anonymous 4  s’est  produit sur scène au cours de plus de 1500 représentations  sur tout le territoire américain. La quatuor a aussi   fait connaître et voyager son art dans la bagatelle de  trente -cinq pays.

amour-courtois-musique-medievale-chants-polyphoniques-anonymous-4Au cours de cette longue carrière qui  a vu son dernier concert en 2015,   Anonymous 4  a fait paraître  près de 30 albums, incluant quatre anthologies pour saluer leur large contribution à la scène des musiques anciennes et médiévales.   La formation ne s’est pas cantonnée au répertoire médiéval et on la retrouve également sur des chants de Noël, des chansons  du temps de la guerre civile américaine ou encore sur des chants celtiques ou anglais plus folkloriques. Du côté du Moyen Âge qui reste tout de même son terrain de prédilection,  Anonymous 4 a eu l’occasion d’exercer son talent sur de nombreux thèmes :  les visions d’Hildegarde de Bingen, les chants dédiés au culte marial médiéval,   le répertoire de Francisco Landini,  et encore bien d’autres  chansons de l’Europe médiévale : France, Angleterre, Hongrie,  Espagne, etc…

Membres de la formation   Anonymous  4

La dernière formation  était composée de   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Jacqueline Horner-Kwiatek.   Au départ, elle fut  fondée par Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Johanna Maria Rose.

Voir le site web de Anonymous  4   (en anglais) – Page FB

Love’s Illusion,   l’illusion de l’amour (courtois) autour  du  chansonnier de Montpellier

En  1993, Anonymous 4   proposait au public un album  intitulé « Love’s Illusion » autour du codex de Montpellier et de ses chants courtois  polyphoniques. Ces pièces étant courtes, le quatuor féminin décidait d’en proposer un bon    chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-age nombre et on en retrouve ainsi pas moins de 29 sur cette production.

Publié chez Harmoni Mundi, on peut encore trouver des exemplaires de cet album à la vente  en ligne. Voici un lien pour en savoir plus  : Love’s Illusion – Motets français des XIIIe et XIVe siècles (CD catalogue). Vous pourrez même y écouter des extraits de chacune des pièces.


Flos filius, « Puisque bele dame m’eime« 

Partition de cette chanson médiévale

On retrouve la partition moderne de cette pièce médiévale  chez Hans Tischler.  En 1978,   le compositeur et musicologue américain  a, en effet, réalisé un excellent travail de transcription musicale sur les pièces du Codex de Montpellier : The Montpellier Codex Fascicles 6,7 and 8.

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« Puisque Bele dame m’eime » – chanson médiévale du Codex de Montpellier. Partition de Hans Tischler

Les paroles en    vieux français
et leur traduction en français moderne

Puisque bele dame m’eime
Destourber ne m’i doit nus;
Quar iere si loiaus drus
Que je n’iere ja tensus
Pour faus amans ne vantanz.
Ja li mesdisant
N’en seront joiant,
Car nul mal ne vois querant;
Mes qu’ami me cleime
Je ne demant plus.

 » Puisque belle dame m’aime
Nul ne doit m’en  empêcher ;
Car j’ai toujours été amant loyal
Et jamais on ne m’a accusé d’être
Faux amant (infidèle) ou vantard.
Désormais, les médisants
Ne pourront plus se réjouir,
Car nul autre mal, je ne cherche ;
Qu’elle me proclame  son ami (amant)
Je ne demande rien de plus. »


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Belle, com loiaus amans », une chanson courtoise de Jehannot de Lescurel

manuscrit-enluminure-medievale-roman-de-fauvel-francais-146-moyen-ageSujet :   musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, compositeur médiéval,   Roman de Fauvel, Manuscrit médiéval,  français 146, vieux -français, langue d’oïl, ballade
Période :  Moyen Âge, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
   Jehannot   de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, à la toute fin du XIIIe siècle, avec le trouvère et compositeur Jehannot de Lescurel. Dans le pure style de la lyrique médiévale courtoise, le poète se déclare, dans cette chanson, le plus loyal et serviable des amants. Il n’attend en retour et pour unique gage, que de pouvoir effleurer les lèvres de la belle et qu’elle lui concède un baiser.

Sources : le manuscrit médiéval français 146

chanson_medievale_courtoise_moyen-age_jeannot-lescurel-trouvere_sComme nous l’avions déjà indiqué, on retrouve les œuvres de Jehannot de Lescurel dans le manuscrit ancien Français 146 de la BnF. Daté des débuts du XIVe siècle (1318-1320) cet ouvrage joliment enluminé, est surtout connu pour contenir  le   Roman de Fauvel de Gervais du Bus et Raoul Chaillou de Pesstain  :  cette copie est même considérée comme une des plus fameuses à ce jour (source Bnf).

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la chanson et sa notation musicale

Outre le Roman de Fauvel et les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel, on peut également trouver, dans ce manuscrit médiéval, des poésies et dits de Geoffroy de Paris (Geoffroi), ainsi que sa chronique métrique : témoignage historique versifié de ce dernier, sur la couronne de France et notamment la politique de Philippe le Bel,  aux débuts du XIVe siècle.

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Belle, com loiaus amans de Jehannot de Lescurel, Ms Français 146, BnF, dépt des manuscrits.

Belle, com loiaus amans
une ballade de Jeannot de Lescurel

Pour la traduction de cette pièce, à quelques variantes maison près, nous nous sommes largement appuyé sur une anthologie de la poésie française qui a comme point le départ le Moyen Âge, comme on en trouve quantité au XIXe siècle, avec les mises à jour croissantes de manuscrits et la systématisation de leur traduction.

Cette anthologie en plusieurs volumes à pour titre « Les Poètes Français, recueil des chefs-d’oeuvre de la poésie française (1861).  Sous la direction de Eugène Crépet (1827-1892), homme politique, bibliographe, romaniste, féru de poésie et de littérature, ami de Baudelaire, elle ouvre son premier tome sur le XIIe siècle et elle a encore comme particularité de mettre à contribution, dans ses notices littéraires, de nombreux auteurs et poètes célèbres du XIXe siècle. Entre autres noms, on retiendra ceux de Théophile Gautier, Charles Baudelaire et Théodore de Banville.


Belle, com loiaus amans
Vostres sui : car soiez moie.
Je vous servirai touz tans
N’autre amer je ne voudroie
Ne ne puis; se le povoie,
N’ i voudroie estre entendans.
Et pour ce , se Dex me voie !
Dame , bon gré vous saroie,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Belle, comme loyal amant
Je suis vôtre, aussi soyez mienne.
Je vous servirai toujours
Et ne voudrais en aimer d’autre
Ni ne le pourrais ; si je le pouvais,
Je n’en serais pas désireux, (je ne voudrais m’y résoudre)
Aussi, Dieu m’en soit témoin î
Dame , bon gré, vous saurais 
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.

Li dons est nobles et grans;
Car, se par vou gré l’avoie,
Je seroie connoisanz
Que de vous amez seroie,
Et mieus vous en ameroie.
Pour ce , biaus cuers dous et fran
Par si qu’aviser m’en doie,
Dame, bon gré vous saroie ,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Le don* (le présent) est noble et grand,
Car, si je l’obtenais de vous,
Je connaîtrais alors (je saurais alors avec certitude)
Que je suis aimé de vous, 
Et vous en aimerais davantage.
Ainsi , beau cœur doux et franc,
Puisqu’il vous faut m’éclairer sur cela,
Dame , je vous saurais bon gré
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.

Vostre vis est si plaisans
Que jà ne me soleroie
D’estre à vo plaisir baisans,
S’amez de vous me sentoie ;
A mieus souhaidier faudroie.
Pour ce que soie sentant
Quelle est d’amer la grant joie,
Dame , bon gré vous saroie,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Votre visage est si ravissant
Que jamais je ne me lasserais
De le baiser à votre plaisir.
Si je me sentais aimé de vous ;
C’est le meilleur souhait que je puisse former.
Afin je puisse éprouver
Ce qu’est la grande joie d’aimer,
Dame, je vous saurais bon gré
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.


En vous souhaitant une  belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour Moyenagepassion.com
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Sources utiles

Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle, Anatole de Montaiglon, (1855), 

Les Poètes Français, recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française, Tome 1,   sous la direction de Eugène Crépet  (1861)