Archives par mot-clé : poésie satirique

Jean de Meung : mauvaise conscience et inutilité des possessions au moment de la mort

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Sujet : citation, sagesse médiévale, poésie morale et satirique.
Période : Moyen Âge central
Auteur : Jean de Meung (Clopinel) (1250-1305) et Rutebeuf (1230-1285?)
Ouvrage : le codicille

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, sur le codicille de Jean de Meung, que l’on trouve, la plupart du temps, annexé aux éditions du Roman de la rose dont il fut le co-auteur. Ce texte se présente sous la forme d’un poème critique, un legs moral que l’auteur médiéval fait à ses contemporains : clercs, hommes de religions ou puissants, notamment, et dans lequel il n’hésite pas à les égratigner ou les prendre à partie.

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« Chascun scet que quant l’ame de sa charoigne part,
De ce monde n’emporte avec soy point de part;
Sa desserte l’emmaine, bien ou mal s’en départ,
En aussi pou de temps comme il tonne ou espart.

Pensons que quant ly homs est au travail de mort,
Ses biens ne ses richesses ne luy valent que mort
Ne luy peuvent oster l’angoisse qui le mort,
De ce dont conscience le reprent et remort »
Jean de Meung – Le Codicille

Grand érudit, critique et moraliste, Jean de Meung n’en est pas à son galop d’essai pour ce qui est de manier la satire. Dans ce passage du codicille sur la conscience qui vient tourmenter le mourant sur son lit de douleur, il nous parlera tout à la fois :

  • de la vacuité de l’obsession d’accumuler des biens matériels et des richesses, pire encore quand ils sont acquis de manière malhonnête (« Bien mal acquis ne profite jamais »)
  • de ne pas transmettre à des héritiers de telles richesses mal acquises, au risque de leur empoisonner la vie et de les vouer eux-même « aux enfers ».

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Le thème de la mauvaise conscience et des tourments qui se font jour face à la mort, au sujet de ses propres inconduites, n’est pas nouveau et reste cher au moyen-âge. Nous sommes dans  l’Europe médiévale du XIIIe siècle et il est donc question ici de mettre en pratique les préceptes de morale et de conduite chrétienne, sans attendre qu’il soit trop tard : ce monde n’est qu’un passage et nous n’emmènerons rien dans l’au-delà que notre âme et nos actions passées.

On retrouvera pratiquement ses vers à l’identique chez Rutebeuf, et au vue des dates, Jean de Meung s’est certainement inspiré directement du célèbre jongleur et trouvère. Voici les vers de ce dernier, tirés de son dit de la croisade de Tunis :

« Vous vous moqueiz de Dieu tant que vient a la mort,
Si li crieiz mercei lors que li mors vos mort
Et une consciance vos reprent et remort ;
Si n’en souvient nelui tant que la mors le mort. »
Rutebeuf – Le dit de la croisade de Tunis

« Vous vous moquez de Dieu jusqu’à l’heure de la mort,
et vous lui criez grâce lorsque la mort vous mord,
que dans votre conscience sont reproches et remords;
Nul n’y pense jusqu’au moment où la mort le mord. »
Traduction de Michel Zink

Pour élargir au delà du moyen-âge chrétien occidental, dans nombre de cultures et de pratiques spirituelles, cultiver la conscience de sa propre impermanence et de sa propre mort est considéré, loin de toute forme de pensées négatives ou morbides, comme un guide efficace dans les actions de la vie (leur intensité, comme leur profondeur).

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Clément Marot, mots d’esprit et poésie satirique: à propos d’un curé dévoyé et vantard

poesie_medievaleSujet :  poésie médiévale, satirique, satire, humour, poète, épigramme, poésies courtes.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur :  Clément Marot (1496-1544)
Titre :   D’un curé, épigramme

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons, aujourd’hui, une nouvelle poésie courte, prise dans le répertoire des épigrammes  de Clément Marot. Le  poète et auteur du début de la renaissance nous entraîne, cette fois-ci,  et toujours avec beaucoup d’humour et d’esprit,  dans une moquerie au sujet d’un curé qui, à l’évidence ne cesse de se vanter d’apprécier la gente féminine.

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Nous sommes aux portes de la renaissance ou à l’hiver du moyen-âge comme on préférera, pourtant l’esprit satirique qui courait déjà dans les fabliaux au sujet des curés ou prêtres dévoyés, est toujours bien présent chez Marot qui ne perd pas une occasion d’en rire : cupidité, grivoiserie, sexualité débordante, écarts entre la prêche et les actes, tout y passe. Nous avions déjà publié sa  Ballade sur frère Lubin, voici  donc ici  une autre épigramme sur le même sujet.  Ce ne sont que deux exemples, on en trouvera encore d’autres chez le poète .

D’un curé, Epigramme.

« Au curé, ainsi comme il dit,
Plaisent toutes belles femelles,
Et ont envers luy grand credit,
Tant bourgeoyses que damoyselles;
Si luy plaisent les femmes belles
Autant qu’il dit, je n’en sçay rien;
Mais une chose je sçay bien,
Qu’il ne plait pas à une d’elles. »

Clément Marot, (1496-1544)
En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Jeu video et musique médiévale : quand Sid Meyer rencontre Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique, chanson ancienne, médiévale, musicien, maître de  musique, virelai, amour courtois, fine amour
Titre : « Quant(d) je suis mis au retour »
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprétes, orchestration  : Roland Rizzo,  Geoff Knorr
Jeu vidéo : Civilization  6

Bonjour  à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuand le compositeur Guillaume de Machaut et ses mélodies uniques se réinvitent dans notre modernité, cela peut quelquefois prendre des dehors surprenants.   Cette fois-ci, nous retrouvons deux pièces du maître de musique du XIVe siècle dans un des titres  les plus mythiques de l’histoire  des jeux vidéo : Civilization VI  de Sid Meyer.

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Ces chansons ont, bien entendu, été réarrangées pour l’occasion et ne sont proposées que dans leur version instrumentale. Elles ne forment qu’une infime partie de l’ambiance sonore du jeu qui, par ailleurs, propose plus de quatre heures trente de musique contextuelle, cette dernière variant en fonction de la civilisation choisie, autant que de la période historique traversée par le joueur.  Nous sommes bien loin  du temps où les jeux vidéos ne proposaient que de petits jingles  ou  des bandes son midi  en boucle.

Concernant les pièces issues du répertoire de Guillaume de Machaut, Civilization 6  propose  une reprise de Douce Dame Jolie  et une autre chanson de lui dont cet article nous donne l’occasion de parler et qui s’intitule : Quant je sui mis au retour.

Cette dernière chanson se situe encore dans le registre de la « fine amor » et nous conte le transport et l’émoi de l’amoureux qui s’en revient de voir sa belle et n’en finit plus de conter les louanges de cette dernière. Nous aurons sans nul doute l’occasion d’en partager d’autres versions dans le futur, et nous publions dors et déjà les paroles ici. Cette interprétation du jour nous fournit  l’occasion  de l’anecdote et nous permet aussi de mesurer à quel point la musique et les mélodies du compositeur du Moyen Âge tardif continuent à travers les siècles de servir sa renommée.

Les paroles de la chanson de Guillaume de Machaut

Quant je sui mis au retour
De veoir ma dame,
Il n’est peinne ne dolour
Que j’aie, par m’ame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blame,
De loial amour.

Sa biauté, sa grant douçour
D’amoureuse flame,
Par souvenir, nuit et jour
M’esprent et enflame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blasme,
De loial amour.

Et quant sa haute valour
Mon fin cuer entame,
Servir la vueil sans folour
Penser ne diffame.
Diex! c’est drois que je l’aim, sans blame,
De loial amour.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. Publilius Syrus   Ier s. av. J-C.

La Ballade des menus propos de maître François Villon et l’analyse littéraire de Gert Pinkernell

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, ballade, auteur médiéval, analyse littéraire.
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Ballade des menus propos »
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passionégèreté et profondeur, de la mouche à la mort, peut-être ne sont-ils pas au fond si menus ces propos de François Villon sur la connaissance du monde et des choses, opposée à la difficulté  ou l’impossibilité dérisoire de se connaitre soi-même.

Dans cette ballade  dont le  titre même semble nous inviter à ne pas la prendre au sérieux, cette litanie de celui qui connaît tout mieux qui lui-même qui revient comme une ronde, vient trancher comme un couperet  dans la légèreté du propos. A quelques exceptions, voilà donc une grande liste de connaissances finalement assez peu savantes, pour un narrateur poète  qui, pour finir, confesse se connaître lui-même encore moins.

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Avec cette pirouette ironique, Villon se rit-il seulement de lui-même ou fait-il encore  une allusion  ( narquoise ?)  à un genre poétique connu de son temps et dont on retrouve la trace aussi dans le lointain XIIe siècle, notamment dans la poésie du duc d’Aquitaine , Guillaume IX (1071-1126)  ?

Ieu conosc ben sen et folhor,
E conosc anta et honor,
Et ai ardimen e paor…

Je connais  bien sens et folie
Je connais  la honte et l’honneur
J’ai connu l’audace et la peur

Guillaume IX d’Aquitaine
Ben vuelh que sapchan li pulzor

Une hypothèse plus pragmatique
sur la ballade des menu propos de Villon

D_lettrine_moyen_age_passionans une approche plus pragmatique et plus « factuelle » de la poésie de François Villon et notamment sur la période  qui couvre les années 1457 à 1461, le romaniste et professeur de littérature française allemand Gert Pinkernell (1937-2017) a émis l’hypothèse qu’à l’image de la ballade des proverbes, cette ballade des menus propos  pouvait être une tentative du poète médiéval  pour se réconcilier avec son protecteur Charles d’Orléans. Toujours selon Gert Pinkernell, au moment de l’écrire, Villon avait été chassé de Blois, suite à une querelle entre poètes de cour; le bon Villon aurait pu en effet y égratigné quelque peu un dénommé  Fredet, poète alors en faveur du seigneur d’Orléans. Ce dernier, ainsi que son écuyer, en aurait d’ailleurs  blâmé François Villon par poésie interposée qui, humilié, aurait alors décidé de déserter la cour.

Toujours suivant l’hypothèse de l’auteur allemand, cette  ballade des menus propos prendrait donc plutôt l’allure d’un plaidoyer de Villon sur sa propre ignorance, animé de  la volonté très pratique de se remettre dans les faveurs du noble. Le poète médiéval  y relaierait encore dans un jeu de miroir,  un plaidoyer fait peu avant par Charles d’Orléans pour la défense de Jean d’Alençon et dans lequel  le prince reprenait notamment la phrase suivante empruntée à Saint-Bernard :   « plusieurs congnoissent plusieurs choses et ne se congnoissent pas eulx mesmes »    et  plus loin: « …congnoissant que je ne suis ne sage, ne bon clerc… »

Encore une fois, il est difficile d’être totalement affirmatif sur tout cela et Gert Pinkernell  lui-même prend de grandes précautions  jusque la fin de son propos:  « il pense avoir démontré qu’il est vraisemblable que… » Son approche suscite d’ailleurs quelques polémiques en d’autres endroits, parce que toute théorique et finalement absolument invérifiable même si elle se fonde sur l’ analyse minutieuse des textes, et des rapprochements  et renvois aussi précis que troublants d’une poésie à l’autre.  Au demeurant, ses efforts pour ancrer  les ballades de François  Villon dans le contexte réel de ses relations avec Charles d’Orleans  et la cour restent tout à fait Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyselouables et pour tout dire, sans aucunement les déprécier, plutôt plaisants à suivre.  On y trouve, bien sûr, de nombreux : « Villon a pu » « a dû », « a certainement », mais  on suit avec plaisir les investigations littéraires de G Pinkernell pour mettre à jour les intrigues relationnelles possiblement cachées derrière la  poésie  de Villon, dans le but de la ré-éclairer d’une autre manière. Il faut ajouter que pour un peu, en le lisant, on assisterait presque à une répétition des querelles entre poètes de cour et des règlements de compte par poésies interposées au milieu desquels Clément Marot se retrouvera pris,  un peu moins d’un siècle plus tard.

Si le sujet vous intéresse,  vous trouverez plus de détails sur la  question dans l’ouvrage  du :  François Villon et Charles d’Orléans (1457 à 1461) de Gert Pinkernell. Plus accessible encore, vous pourrez consulter  sur Persée un article détaillé du même auteur, paru en 1983 dans lequel il développe déjà largement cette hypothèse :  une nouvelle date dans  la vie et dans l’oeuvre de François Villon :  4 octobre 1458.

La ballade des menus propos

Je connois bien mouches en lait,
Je connois à la robe l’homme,
Je connois le beau temps du laid,
Je connois au pommier la pomme,
Je connois l’arbre à voir la gomme,
Je connois quand tout est de mêmes,
Je connois qui besogne ou chomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Je connois pourpoint au collet,
Je connois le moine à la gonne,
Je connois le maître au valet,
Je connois au voile la nonne,
Je connois quand pipeur jargonne,
Je connois fous nourris de crèmes,*
Je connois le vin à la tonne,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Je connois cheval et mulet,
Je connois leur charge et leur somme,
Je connois Biatris et Belet,
Je connois jet qui nombre et somme,
Je connois vision et somme,
Je connois la faute des Boemes,
Je connois le pouvoir de Rome,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

Prince, je connois tout en somme,
Je connois coulourés et blêmes,
Je connois mort qui tout consomme,
Je connois tout, fors que moi-mêmes.

* Sur ces fous nourris de crème, c’est encore un article de Persée qui vient à notre secours pour tenter de les expliquer : Note sur la Ballade des menus propos. Gertrude Schoepperle.  Deux hypothèses existent sur l’interprétation de cette expression. La première  y verrait plutôt comme sens que les fous  sont bien nourris à l’inverse des sages et des poètes, La deuxième hypothèse, développée dans cet article,  souligne l’association  fréquente à l’époque du fou et du fromage.

Un  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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