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Un rondeau fataliste d’Eustache Deschamps sur la chance et le sort

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, rondeau, malheur, malchance, chance.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Eur et meseur, a tout considerer»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T IV,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous retrouvons Eustache Deschamps, le temps d’un rondeau. Cette courte pièce fera écho à quelques autres ballades déjà croisées chez ce poète et officier de cour du Moyen Âge tardif, sur le thème de la fortune : « eur », « heur » (la chance, le sort, la bonne fortune) et son opposé « meseur » (le malheur, le mauvais sort, la malchance).

Roue de fortune et fatalisme

Comment échapper à la roue de fortune ? Dans les mentalités médiévales, elle tourne inexorablement entrainant, sans distinction, les plus puissants comme tous les autres dans la chute au moment où ils s’en croyaient prémunis, ou faisant, au contraire, monter au pinacle (mais pour combien de temps ?) ceux qui se pensaient condamnés à rester indéfiniment déshérités et malchanceux.

Cette roue du sort aurait-elle arrêté de tourner pour le pauvre Eustache Deschamps ? A maintes reprises dans son œuvre, il nous aura conté ses misères et ses déboires, qu’ils siègent dans l’ingratitude et le manque de reconnaissance de son travail par les puissants, ou encore dans sa pauvreté, son domaine pillé et mis à sac, ou dans la vieillesse qui l’assaille et le trouve sans grand moyen et en santé précaire à l’hiver de sa vie.

Dans le rondeau du jour, on retrouvera notre poète du XIVe siècle résigné et fataliste. L’homme aura beau y faire si fortune ne l’accompagne pas et que le malheur suit ses pas, quoi qu’il entreprenne, il ne fera que se trouver encore plus accablé. A l’inverse, si le sort lui sourit, il aura gagné, quoiqu’il fasse, une sorte d’immunité contre l’adversité. Le propos semble générique mais ne laisse guère de doute sur l’humeur de celui qui tient la plume. Il peut même personnellement témoigner que chacun peut nuire à celui pour lequel le vent de la chance a tourné.

Le rondeau D'Eustache Deschamps accompagné d'une enluminure sur la roue de Fortune tirèe d'un Manuscrit médiéval du XIVe siècle.

Aux sources manuscrites de ce rondeau

Aux sources de cette poésie, nous revenons, une fois encore, au Français 840 de la BnF (consultable sur le site Gallica.fr). Ce manuscrit, daté du début du XVe siècle, est tout entier consacré à Eustache Deschamps. Sans grandes fioritures, il étale sur près de 1200 feuillets, l’œuvre extrêmement prolifique de l’auteur du Moyen Âge tardif.

Pour la transcription moderne de ce rondeau, nous nous dirigeons, à l’habitude, sur le large travail de compilation effectué entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe par le Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Paris. Vous pourrez donc retrouver cette pièce au Tome IV des Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps établies par le bon soin de ces deux auteurs.

La mise en scène de soi dans la poésie d’Eustache

Le rondeau D'Eustache dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF.

Comme les goliards ou un Rutebeuf l’avaient fait avant lui et comme un François Villon ou un Meschinot y souscriront un peu plus tard, dans son œuvre, Eustache Deschamps ne s’est pas privé de mettre en scène ses propres déboires et les revers de sa destinée.

Dans cette posture du poète qui cible un auditoire, en général, plutôt aristocratique (princes, courtisans, gens de cour, etc…), afin de le prendre à témoin de ses malheurs personnels, on est bien enclin d’imaginer que l’auteur force quelquefois le trait pour s’attirer quelques faveurs. A défaut d’en appeler à des jauges psychologiques mal calibrées, il faut au moins faire le constat qu’Eustache Deschamps s’inscrit ici dans une tradition littéraire qu’il prolonge et étoffe à la lumière de son propre chemin de vie (1).

Dans d’autres textes, la mise en scène de ces traits ira même chez lui jusqu’à l’exagération comique et l’auto-dérision. L’humour prendra alors, des tours physiques et burlesques quand il se couronnera, lui-même, « roi des laids ». Ce n’est pas le cas dans le rondeau du jour dont le ton assez fataliste et impersonnel laisse deviner un Eustache plutôt désabusé face à son propre sort.


Eur et meseur, a tout considerer
dans le Moyen Français d’Eustache

Au monde n’a au jour d’hui que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer,
Dont l’un fait bien et l’autre desperer:
Aler partout peu cil qui est eureux
On ne lui peut ne nuire ne grever ;
Au monde n’a au jour d’hui que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer.


Maiz bien se gard toudiz le maleureux
Car il ne peut fors meschance trouver :
Chascuns li nuit si puis dire et prouver ;
Au monde n’a au jour d’uy que ces deux
Eur et meseur, a tout considerer,
Dont l’un fait bien et l’autre desperer:

Traduction en Français actuel

A notre époque, tout bien considéré,
seul importe la chance ou le mauvais sort
l’un fait le bien, l’autre le désespoir.
Celui qui est chanceux peut aller en tout lieu
Nul ne pourra lui nuire ni lui faire du tort ;
De nos jours, tout bien considéré,
Seuls comptent la chance ou le mauvais sort.


Mais qu’il se défie bien de tout, le malheureux,
Car, quoiqu’il fasse, il ne pourra trouver que malchance.

Chacun lui nuira, ainsi puis-je l’affirmer et le prouver ;
En notre temps, tout bien considéré,
Il n’y a que la chance ou le mauvais sort qui comptent
l’un fait le bien, l’autre le désespoir
.


Quelques autres poésies médiévales & articles sur le même sujet :
La roue de fortune, Anonyme
Fortune & ses joies, Christine de Pizan
De Fortune me doit Plaindre, Guillaume de Machaut
La paix de Rutebeuf, sur le je & le jeu du poète médiéval

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

(1) Voir l’article François Villon au miroir d’Eustache Deschamps Florence Bouchet Université Toulouse – Jean Jaurès PLH : Patrimoine, Littérature, Histoire, dans Villon à la lettre, articles réunis par Nathalie Koble, Amandine Mussou, Anne Paupert et Michelle Szkilnik,

NB : l’enluminure de l’illustration (roue de fortune) provient du Manuscrit 0264 de la Bibliothèque de l’Institut de Paris. Daté du XIVe siècle, cet ouvrage contient la Consolation de Philosophie texte demeuré anonyme, ainsi que le testament de Jean de Meun et divers autres textes liturgiques. Vous pouvez consulter quelques-unes de ses enluminures sur le site de la bibliothèque.

« Amours & ma Dame aussi », un rondeau amoureux du trouvère Adam de La Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours et ma dame aussi
Interprète : Ensemble Micrologus
Album: 
Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion (2004)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’une nouvelle pièce du trouvère Adam de la Halle. Cet auteur compositeur prolifique du XIIIe siècle, nous a légué une œuvre abondante et variée qui a fait de lui, plus que « le dernier des trouvères » comme on l’a souvent appelé, un des premiers compositeurs en langue d’oïl de la France médiévale.

Un rondeau courtois à mains jointes

La chanson médiévale du jour a pour titre « Amours et ma dame aussi« . Il s’agit d’un rondeau polyphonique à 3 voix et donc d’une pièce courte. Dans le registre profane, elle nous offre un nouvel échantillon de la lyrique courtoisie du trouvère d’Arras.

Sur le fond, le contenu de ce rondeau reste simple et épuré. Le poète a aperçu la grande beauté d’une dame et son cœur en a été transpercé. Désormais, il est condamné à implorer cette dernière, mais aussi « Amour », autrement dit, le sentiment amoureux personnifié auquel les troubadours et les trouvères ne cessent de s’adresser directement. Que l’un ou l’autre veuillent bien lui accorder miséricorde et le délivrer de cet aiguillon ardent qui l’a enchaîné d’un seul regard, car si la belle n’accepte de lui céder, il lui faudra souffrir le martyre d’amant courtois : incapable de se soustraire à l’emprise de la dame, ce sera alors un bien funeste jour que celui où il aura découvert sa beauté.

Sources manuscrites médiévales

On pourra retrouver ce rondeau avec sa partition ancienne dans le manuscrit médiéval ms Français 25566. Cet ouvrage ancien mêle partitions, chansons et autres pièces littéraires des XIIe et XIIIe siècles. Il est également connu sous le nom de chansonnier W. Daté de la fin du XIIIe ou des débuts du XIVe siècle, il est originaire de la cité d’Arras qui a donné naissance, durant cette période du Moyen Âge central, à de nombreuses vocations artistiques.

L’œuvre d’Adam de la halle tient une place de choix dans ce manuscrit d’époque entre chansons, rondeaux, motets, mais encore pièces de théâtre. Avec plus de 280 feuillets, cet ouvrage enluminé et annoté musicalement permet aussi au trouvère d’Arras de côtoyer un grand nombre d’autres auteurs de cette période dont Jean Bodel, Richard de Fournival, Huon de Méri, Baudouin de Condé.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF.
Le rondeau du jour dans le manuscrit médiéval ms Français 25566 de la BnF (gallica.fr)

Une version de l’ensemble Micrologus

Pour l’interprétation en musique de la pièce du jour, nous avons penché pour la version de l’Ensemble Micrologus et sa belle orchestration.

Depuis sa fondation, dans le courant de l’année 1984, cette formation italienne dont la musicienne et chanteuse Patrizia Bovi est devenue l’une des figures emblématiques, s’est fait une spécialité des musiques du Moyen Âge. En privilégiant une approche ethnomusicologique, l’ensemble a produit pas moins de 36 albums, dont 26 collent au répertoire médiéval, pour une dizaine d’autres plus libres et expérimentaux. A l’occasion d’une carrière exceptionnelle qui fêtera bientôt ses 40 ans, le travail de Micrologus a été récompensé, à de nombreuses reprises, par des prix et mentions.

Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion, l’album

L'album de Micrologus sur Adam de la Halle et le jeu de Robin et Marion

En 2004, l’ensemble médiéval faisait paraître un album sur les pas d’Adam de la Halle. Sous le titre Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion et sur près de soixante minutes d’écoute, on y trouvait un mélange de nombreuses pièces du trouvère.

En terme de sources manuscrites, le ms Français 25566 y tenait une bonne place, aux côtés du codex de Montpellier H196, du codex Bamberg (Staatsbibliothek Bamberg Msc Lit 115) ou même encore du manuscrit du Roy (le ms français 844). A sa sortie, ce bel album fut largement salué par la scène médiévale et les revues spécialisées dans les musiques anciennes. Près de 20 ans après sa sortie, on peut encore le trouver édité chez Harmonia Mundi, à la commande chez votre disquaire préféré ou en ligne au lien suivant.

Membres de Micrologus présents sur cet album

Patrizia Bovi (voix, harpe gothique, instruments à vent), Adolfo Broegg (luth, guiterne), Gabriele Russo (viole, cornemuse, instrument à vent), Leah Stuttard (harpe médiévale et gothique), Goffredo Degli Esposti (chalemie, percussions, flute traversière, instruments à vent), Sofia Laznik-Galves (voix), Olivier Marcaud (voix), Mauro Borgioni (voix), Simone Sorini (voix), François Lazarevic (cornemuse), Luigi Germini (trompette), Gabriele Miracle (percussions).

La partition moderne du rondeau médiéval "Amours et ma dame aussi" de Adam de la Halle
« Amours et ma dame aussi » partition ancienne et moderne de ce rondeau du XIIIe siècle

Amours et ma Dame aussi*,
en langue d’oïl & en français actuel

Amours et ma Dame aussi,
Jointes mains vous proi merchi.
Votre grant biauté mar vi
Amours et ma Dame aussi.


Jointes mains vous proi merchi
Se n’avés pité de mi
Votres grant biautés mar vi
Amours et ma Dame aussi, etc.

Amours et ma Dame aussi,
J’implore votre grâce (miséricorde) à mains jointes
Hélas, pour mon malheur
(1), je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi.

Je vous implore à mains jointes
Si vous ne me prenez en pitié
Hélas, pour mon malheur, je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi, etc.


Notes

(1) mar : par malheur, mal à propos. On comprend bien la nature déguisée et la flatterie sous-jacente de la tournure.

* NB : ce rondeau est à rapprocher d’un autre rondeau très semblable d’Adam de la Halle. La parenté des deux pièces montrent bien la nature littéraire de l’exercice courtois :

A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.
Liés sui quant (je) vous voi.
A jointes mains vous proi,

Ayez merchi de moi
Dame, je vous en pri.
A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.



En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
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Le rondeau joyeux d’un amant amoureux par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Bonne amourete me tient gai
Interprète : Ensemble Sequentia
Album: 
Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.

Un rondeau courtois plein de légèreté

La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.

La chanson Bonne Amourette d'Adam de la Halle dans le Chansonnier médiéval W ou MS Français 25566.

Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.

Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles
par l’ensemble Sequentia

Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia

Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.

Le double-album Trouvères de l'ensemble médiéval Sequentia.

Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.

Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Les partitions anciennes et modernes de la chanson médiévale "Bonne amourette" du trouvère Adam de la Halle.

Bonne amourete me tient gai
dans le vieux français d’Adam de la Halle

Bonne amourete
Me tient gai ;
Ma compaignete
* ;
Bonne amourete,
Ma cançonnete
Vous dirai.
Bonne amourete
Me tient gai.

*compaignete : petite compagne


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Gilles de Binche, rondeau courtois & une esquisse de biographie

Sujet : chanson, poésie médiévale, Amour Courtois, musique médiévale, lyrique courtoise, rondeau, moyen-français.
Auteur-Compositeur : Gilles de Binche, Gilles Binchois (1400-1460)
Titre : De plus en plus se renouvelle
Période :  XVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprètes : Ensemble  Gilles Binchois
Album :  Mon souverain désir, Virgin Classics 1998

Bonjour à tous,

ontemporain de la première moitié du XVe siècle, Gilles Binchois (Gilles de Binche ou encore Gilles de Bins) nous a légué une œuvre musicale d’importance composée de chants polyphoniques représentatifs de l’Ecole Bourguignonne.

Du point de vue thématique, ce compositeur d’origine flamande s’est essayé à des pièces liturgiques comme profanes mais ces dernières demeurent celles qui ont plus connu les faveurs de la postérité. On y dénombre un peu plus d’une cinquantaine de chansons courtoises d’une grande sensibilité dont certaines empruntent leurs textes à des poètes célèbres du temps de Binchois (Charles d’Orléans, Alain Chartier, …). Aujourd’hui, nous vous entraînerons à la découverte d’un nouveau rondeau d’amour de ce compositeur du Moyen Âge tardif, mais avant disons un mot de sa biographie.

Esquisse de biographie

Gilles de Binche est vraisemblablement issu d’une famille bourgeoise originaire de Binche, près de Mons, dans l’actuelle province de Hainaut, en Belgique. Avant d’être le compositeur qui marqua ses contemporains, ce fut, semble-t-il, un homme d’armes. Nous sommes dans le contexte de la guerre de cent ans avec encore une forte présence anglaise en France et des jeux d’alliances changeantes de la part des différentes provinces qui composent le royaume.

Quelques repères scandent la biographie de Gilles Binchois. Ainsi, on le trouve à Paris en 1424, attaché au service de William de la Pole (Guillaume de La Pole), comte, puis marquis et finalement duc de Suffolk et capitaine de la guerre de cent ans, du côté des angloys. Gilles Binchois sert alors encore sous les armes (peut-être comme corps d’archer (1)) mais il est déjà reconnu pour ses talents musicaux et ses compositions. Il compose même un rondeau pour le comte et militaire anglais de Suffolk. S’il vit à Paris, son cœur ne semble jamais très éloigné du duché de Bourgogne. Une anecdote le dépeindra, en effet, aux côtés du comte de Suffolk, en route pour le Hainaut et prenant verbalement la défense de Philippe le Bon.

A la cour de Bourgogne

Autour de 1430, Gilles de Binche a, du reste, rejoint la puissante et riche cour bourguignonne. Entré dans les ordres, entre-temps, il est alors attaché à la chapelle de Philippe III le Bon. Il y demeurera pour le reste de sa vie, occupant les fonctions de second chapelain, puis de chantre. Plus tard, en 1437, il sera aussi ordonné chanoine de Mons, Soignies et Cassel.

Le nom de Gilles Binchois demeure indissociable de celui de Guillaume Dufay dont il est contemporain. Les deux hommes se sont même connus et côtoyés à la cour de Bourgogne. Martin Franc, religieux et poète de ce même XVe siècle en a témoigné dans son ouvrage de 1440 : Le Champion des Dames. Il en est d’ailleurs ressorti une enluminure célèbre que nous ne nous privons pas d’utiliser en tête de cet article ( aux côtés de Dominique Vellard de l’ensemble Gilles Binchois). Elle est tirée du superbe manuscrit médiéval Français 12476 de la BnF ( consultable ici). Aux dires de Martin Franc, Dufay et Binchois ont été clairement influencés par le compositeur anglais John Dunstable (1390-1453) même s’ils ont su enrichir leurs inspirations de leur propre style et talent.

De plus en plus se renouvelle
Un rondeau sur l’amour de loin

La pièce de Gilles de Binche que nous vous proposons aujourd’hui, de découvrir compte parmi les chansons les plus célèbres du compositeur. C’est un rondeau empreint de courtoisie dans lequel le poète partage à la fois sa tristesse et son sentiment amoureux. On y retrouvera un peu du thème courtois classique de l’amour de loin cher au troubadour Jaufré Rudel, trois siècles auparavant. L’ombre de la querelle et de la séparation y plane aussi. La dame est-elle momentanément froissée à l’égard du poète ? A-t-elle décidé de prendre quelques distances ou ne fait-il que l’anticiper et le redouter ? Quoiqu’il en soit, en bon loyal amant, il en saisit l’occasion pour lui renouveler, son engagement et sa fidélité de cœur.

De plus en plus se renouvelle, par l’ensemble médiéval Gilles Binchois

Gilles Binchois : Mon souverain désir,
par l’ensemble Gilles Binchois

Dans cette belle version, on retrouve encore, ici, l’Ensemble Gilles Binchois dirigé par Dominique Vellard. Il faut dire que la formation médiévale a su se rendre incontournable sur la scène des musiques anciennes, au moment d’aborder l’œuvre du compositeur du moyen-âge tardif.

Sur l’album Gilles Binchois : Mon souverain désir, sorti en 1998, Dominique Vellard et ses complices nous proposaient pas moins de 17 pièces profanes du compositeur, pour une durée de 60 minutes. Ce ne sera pas la seule production que l’ensemble dédiera à Gilles de Binche et aux musiques de la cour de Bourgogne. D’autres albums viendront s’y joindre sur le même thème sans pour autant étancher la soif d’exploration de la formation talentueuse. Durant sa longue carrière, l’ensemble Gilles Binchois aura, en effet, l’occasion d’élargir son répertoire à bien d’autres aspects de la musique liturgique et profane du Moyen Âge (voir portrait de l’ensemble Gilles de Binchois). A date, elle a produit pas moins de 51 albums.

En ce qui concerne celui du jour, ce très bel album n’a pas pris une seule ride et on peut toujours le trouver à la vente chez tout bon disquaire ou même en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens présents sur cet album

Anne-Marie Lablaude (voix soprano), Lena-Susanne Norin (mezzo-soprano), Akira Tachikawa (countretenor), Dominique Vellard (tenor, luth), Emmanuel Bonnardot (bariton, vièle), Pierre Hamon (flûte,  instruments à vent, tambourin), Randall Cook (vièle, rebec), Jan Walters (harpe), Miriam Anderson (harpe)


De plus en plus se renouvelle,
dans le moyen français de Gilles de Binche

NB : le moyen français de Gilles Binchois ne devrait guère vous poser de difficultés. Aussi, nous vous le livrons dans sa pureté à une note près.

De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.
Ce me fait le tres grant desir
Que j’ay de vous ouir nouvelle.

Ne cuidiés pas que je recelle
(2)
Comme a tous jours vous estes celle
Que je vueil de tout obeir.
De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.

Helas, se vous m’estes cruelle
J’auroie au cuer angoisse telle
Que je voudroie bien morir
Mais ce seroit sans desservir
En soustenant vostre querelle.

De plus en plus se renouvelle
Ma douce dame gente et belle
Ma volonté de vous veir.
Ce me fait le tres grant desir
Que j’ay de vous ouir nouvelle.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes
(1) Archives de Arts, Sciences et lettres, document inédits publiés et annotés par Alexandre Pinchard (Tome 3), 1881
(2) Ne croyez pas que je cache, que je tiens secret.