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L’amour courtois d’Oc en Oil, Blondel de Nesle, trouvère, poète, adepte et fine amant devenu « légendaire »

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet :  musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, oil, biographie, portrait, historiographie, fine amor, fin’ amor, troubadours
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Auteur :   Blondel de Nesle
Biographe  :  Yvan G Lepage
Livre : L’œuvre lyrique de Blondel de Nesle

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionu point de vue littéraire et artistique, le XIIe et les débuts du XIIIe siècle sont des temps florissants pour l’art des troubadours, mais c’est aussi une période qui voit leur influence s’étendre au delà de leur berceau linguistique, méditerranéen, provençal et languedocien pour atteindre le Nord de la France. Plusieurs cours en Aquitaine et à Poitiers, en Champagne et même en Bretagne favorisent une deco_medievale_enluminures_trouvere_effervescence créatrice certaine par leur mécénat et leur goût de l’art poétique. Des rencontres entre chanteurs et artistes du sud et âmes poètes du nord s’y sont peut-être même tenues. Du point de vue des échanges culturels, la poésie de certains trouvères se trouve alors largement influencée par l’art, la musique autant que les thèmes et les manières des troubadours.

Une poésie « provincialisante » va ainsi naître dans les formes variées de la langue d’oil et au sein des cours seigneuriales du Nord.  Dans cette « école » ou peut-être pourrait-on parler plutôt de mouvement ou d’élan, on trouve le trouvère  Gace Brûlé  dont nous avons déjà parlé ici et sa grande popularité d’alors. Contemporain de ce dernier, on croise encore des noms comme Pierre de Molins, Conon de Bethune, le Châtelain de Couci et encore Biondel de Nesle qui fait l’objet de cet article. Trouvère loué et populaire en cette fin de XIIe siècle, il entrera même un peu plus tard dans la légende.

Blondel de Nesle, éléments de Biographie

Historiographie quand tu nous tiens

Au delà des poésies ou chansons attribuées par les manuscrits à certains des artistes d’Oc ou d’Oil du moyen-âge central, les débats demeurent bon train et ont été incessants chez les médiévistes, romanistes et historiens, autour du peu d’éléments que nous possédons sur nombre de poètes, troubadours ou trouvères médiévaux. Quand les informations ne sortent pas des sources officielles (archives, chartes et documents administratifs, juridiques ou « factuels ») et qu’elles nous proviennent des chroniqueurs – très souvent postérieurs à ceux dont ils « narrent » les faits ou les exploits – le sens critique et encore le fait qu’ils « arrangent » l’histoire à leurs vues ou à celles de leurs commanditaires quand ils en ont, obligent légitimement les historiens à les considérer avec recul. L’expérience et les recoupements ont, par ailleurs déjà largement prouvé que le genre de la « chronique » ou du « récit » médiéval doivent être plus valablement considérées comme des œuvres littéraires que comme des récits fiables; la vérité est donc souvent entre les deux quand elle n’est pas tout simplement ailleurs. Du reste, même pour ce qui est des manuscrits anciens ou « chansonniers », dans une période ou la notion « d’auteur » ne veut pas dire grand chose et corollaire en partie de cela, où la rigueur des copistes est également en cause, ces deco_medievale_enluminures_trouvere_dernières sources se retrouvent elles-aussi passées au crible par les chercheurs et demeurent quelquefois sujet à caution au moment d’attester de l’attribution d’une œuvre ou de démêler l’auteur du « corpus » qu’on lui prête.

Concernant le trouvère du jour,  la  connaissance   que nous en avons, n’échappe pas à la règle et reflète un mouvement qui a suivi les avancées méthodologiques de l’Histoire. Dans les siècles précédent le XIXe et même dans une certaine mesure, jusqu’à lui inclus, on voyait, en effet, souvent le moindre texte d’époque pris pratiquement au pied de la lettre, pour finalement, dans le courant de ce même XIXe et plus encore résolument au XXe, revenir à des constats plus mesurés. On peut en retirer quelquefois l’impression moins confortable que plus rien n’est certain mais elle a au  moins le mérite d’être largement plus objective et salutaire. Sur la question des poètes et artistes du moyen-âge central, on peut observer ce même phénomène à propos des troubadours et des vidas qui furent écrites près de cent ans après eux. On sait aujourd’hui qu’elles doivent être considérées sans doute plus comme des « paraboles » littéraires que comme des « faits » relatés, Michel Zink nous y a aidé. On pourra pourtant trouver encore de nombreux cas où ces récits sont pris pour argent comptant et même affirmés ou repris sans qu’aucun guillemet ne vienne les nuancer ou les sourcer.

Au XXe et XXIe siècle, l’Histoire sérieuse de son côté, a fait la place à sa grande soeur :  l’historiographie et a gagné ainsi largement en recul et en sagesse. Les détours qu’elle prend désormais sont toujours utiles parce qu’ils permettent de déjouer les « certitudes » (qui vont quelquefois jusqu’aux âneries) qui continuent quelquefois de courir alors que les historiens les ont depuis longtemps déconstruites.  Pour revenir au sujet de Blondel de Nesle, afin de démêler l’historique du spéculé, l’hypothétique du certain et finalement le vrai du faux, nous faisons appel ici à un grand connaisseur de littérature médiévale et plus précisément du trouvère : le médiéviste canadien Yvan G Lepage (1941-2005). Il avait notamment fait paraître en 1994, un ouvrage autour de « L’œuvre lyrique de Blondel de Nesle » (Paris, Champion, 1994).

Des origines nobles et picardes  ?

Beau chevalier, blond ?, musicien, poète, amant d’entre les « fine » amants, « compagnon » ou poète proche de Richard Coeur de Lion s’étant croisé héroïquement à ses côtés et l’ayant peut-être même à demi secouru alors qu’il se tenait prisonnier  dans ses geôles autrichiennes, Blondel de Nesle est entré dans la légende sur la foi d’un récit considéré de nos jours comme tout de même plus littéraire qu’historique (Récits d’un ménestrel de Reims 1260).  Comme toute légende reprise au fil du temps, il est venu s’y ajouter encore d’autres « faits » qui, s’ils en sont, sont pour la plupart, plus littéraires qu’avérés.

Biondel de Nesle est contemporain de Gace Brûlé et de Conon de Bethune,  nous le savons d’après ses poésies puisqu’il les cite tous deux et les traite en « compaignon ». Se sont-ils rencontrés à la cour de Marie de Champagne ou de Geoffroy de Bretagne ? Nous ne le savons pas.  Etait-il chevalier, seigneur, noble à tout le moins ? Aucun document ne l’atteste. Certains historiens ont même longtemps deco_medievale_enluminures_trouvere_pensé qu’il ne devait pas l’être puisque les manuscrits ne lui donnaient pas du « Messire », contrairement à d’autres de ses contemporains.

Le fait qu’il nomme des homologues en poésie avec quelque familiarité semble pourtant suggérer  que le trouvère faisait partie d’une certaine noblesse. Pour des raisons d’étiquette et sauf à invoquer une exception à l’intérieur d’une sorte de « confrérie » de poètes, il aurait difficilement pu sans cela les nommer de la sorte. C’est en tout cas l’avis du Médiéviste Holger Petersen Dyggve (Trouvères et protecteurs de trouvères dans les cours seigneuriales de France, 1942). Sur la foi de cette assertion, ce dernier a même établi des rapprochements « possibles » entre « Blondel » qui serait alors un « surnom » et le lignage des seigneurs de Nesle. L’un deux pourrait peut-être se cacher derrière le nom du trouvère : Jehan II ou Jehan I de Nesle ? Le premier,  fidèle de Philippe-Auguste, participa à la bataille de Bouvines et se croisa pour la quatrième croisade. Le deuxième, Jehan 1er prit la croix lui aussi (troisième croisade) mais aux côtés de Richard de Lion auquel il était attaché. Pour des raisons de datation et en songeant aux légendes qui firent plus tard d’un certain Blondel un fidèle du roi d’Angleterre, il pourrait donc s’agir de notre poète, selon Yvan G Lepage,  même si rien n’est certain. Hors de cette hypothèse, le mystère demeure donc autour des origines du trouvère, mais en songeant à l’opposition farouche qui se noua entre Philippe-Auguste et Richard Coeur de Lion, il semble toutefois raisonnable d’écarter l’hypothèse qu’il ait pu s’agir de Jehan II de Nesle.

Naissance d’une légende

On mesure d’autant plus la différence entre notre approche moderne de la notion d’auteur et notre foisonnement documentaire actuel quand on sait que la notoriété de Blondel de Nesle ne faisait pas de doute en son temps. On lui prête en effet les plus belles qualités : artistiques, esthétiques. Adepte authentique de la fine amor (fin’amor), certains auteurs en feront même l’égal du légendaire Tristan dans cette matière. La dizaine de manuscrits dans lesquels on retrouve ses chansons est encore là pour témoigner de sa popularité et son art poétique passera même les frontières de la France pour être imité  jusqu’en Allemagne. Il en fallait peu pour que notre trouvère entre bientôt dans la légende. En 1260, l’ouvrage anonyme d’un ménestrel de Reims se chargea, sur cette question, de lui donner un sérieux coup de pouce.

De belle écriture, l’ouvrage,  écrit plus d’un demi-siècle après les faits, se situe entre la chronique et le récit inventé ou remanié, allant même, par endroits, jusqu’au fantasque. Les exploits respectifs de Richard Cœur de Lion et de Philippe-Auguste durant la croisade y sont notamment et largement revisités à l’avantage de la couronne deco_medievale_enluminures_trouvere_française. Quoiqu’il en soit, suite à l’emprisonnement de Richard en Autriche, un certain ménestrel, « né devers Artois » et dénommé « Blondiaus«  se serait mis à la recherche de l’infortuné. L’ayant retrouvé grâce à une chanson connue d’eux-seuls et qu’ils avaient tous deux composée, le trouvère se serait alors empressé d’aller alerter les gens d’Angleterre de la captivité de leur roi. La légende était née et allait perdurer et même connaître quelques ajouts dans les courants des siècles suivants.

Ce Blondiaus pouvait-il être le trouvère ? S’il était Jehan Ier il avait pu en effet participer à la croisade, être peut-être proche de Richard Coeur de Lion et si, en plus, on le désignait là comme ménestrel, il pouvait s’agir du même homme que Blondel de Nesle ? Au gré des auteurs, la légende fusionna pour en faire une seule et même personne ou s’en dissocia pour prendre son autonomie littéraire, laissant libre cours aux imaginations : beau chevalier, parfait fine amant, fidèle et loyal ménestrel et sujet du non moins légendaire Roi anglais, duc de Normandie et d’Aquitaine, et comte de Poitiers.

De Picardie où Holger Petersen Dyggve le fera naître quelques siècles plus tard sous la foi de ses conclusions, avant lui, on fera même naître le trouvère en Normandie et s’appeler Jehan Blondel (Chronique de Flandre, XIVe siècle). Origine différente donc sous l’influence lointaine des Récits de Reims et de la proximité de Richard Cœur de Lion ?, mais rapprochement troublant toutefois sur le prénom « Jehan » ( même s’il est commun à l’époque)  avec le Jehan Ier de Nesle mentionné plus haut.

Mais alors quoi ?

Pour conclure sur tous ces éléments, les médiévistes tendent à se ranger préférablement sur la théorie de Holger Petersen Dyggve  à propos des origines picardes du trouvère. C’est en tout cas ce que fait avec quelques réserves prudentes, Yvan G Lepage,  le dernier biographe en date de Blondel de Nesle, même s’il s’incline plutôt à penser que le poète médiéval et Jehan 1er de Nesle, croisé lui-même aux côtés de Richard coeur de Lion (plutôt que Jehan II), ont peut-être pu être un seul et même homme. Cela expliquerait en tout cas le fond des « légendes » attribuées au trouvère et pourrait à deco_medievale_enluminures_trouvere_peu près mettre ensemble les pièces du puzzle.

Au passage, du XVIIIe au XXe, entre légendes et créations littéraires, on continuera de trouver sur le compte de Blondel les assertions les plus fantaisistes, y compris dans des ouvrages de vulgarisation (au mauvais sens du terme puisque erronée…). Si vous voulez en avoir le détail, nous vous invitons à consulter directement l’excellent article et les contributions du médiéviste indiquées en pied d’article. Redisons-le, ce grand détour que nous lui devons entièrement, vaut sans doute  autant par sa déconstruction que pour ses affirmations, mais avoir une vision claire de ce que nous ne savons pas mérite quelquefois qu’on l’examine de près et peut s’avérer utile au moment de faire la différence entre une production littéraire et le moyen-âge factuel, ou même pire entre une information « vulgarisée » et une information erronée.

L’œuvre de Blondel de Nesle

Inspirée  des troubadours d’Oc,  l’œuvre de Blondel de Nesle est tout entière dédiée à la lyrique courtoise.  Les pièces vont de vingt-trois (certaines) à un peu plus d’une trentaine suivant les critères retenus par les auteurs.

On les trouve, nous le disions plus haut dans un nombre « important » de manuscrits. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans de futurs articles, ainsi que de publier et commenter pour vous des chansons et poésies de cet auteur.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.


Sources

« Dou lièvre et dou cers », une fable médiévale de Marie de France sur la convoitise

poesie_fable_litterature_monde_medieval_moyen-ageSujet : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’Oil, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poète médiéval, convoitise
Période : XIIe siècle, moyen-âge central.
Titre : Dou lièvre et dou Cers
Auteur : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage : Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour aujourd’hui, voici une nouvelle fable médiévale de Marie de France. auteur et poétesse anglo-normande de la fin du XIIe siècle. A l’image du cheval qui « louchait » sur l’herbe du pré voisin, c’est encore la convoitise qui est, ici, montrée du doigt et la morale élargit même à la cupidité et à l’avidité.

Le lièvre et le cerf

fable_medievale_poesie_ysopet_lievre_cerf_marie_de_france_moyen-age_central_vieux_francais_oilVoyant la belle ramure d’un cerf, un lièvre se prit à rêver d’en posséder une semblable. Ayant étudié son sujet et vu que nul n’était doté, par Mère nature, de tels bois, il alla voir la destinée, pour lui demander quelques comptes et obtenir, à son tour, qu’on lui offre ces beaux atours. La déesse ayant rétorqué qu’il ne saurait, s’il en avait, en faire usage ni les porter, l’animal se montra têtu, et par force persévérance, vit son souhait exhaussé, au sortir de l’entrevue. Las!, il découvrit, un peu tard, qu’il ne pouvait lever le chef, ni même aller par les chemins, tant la ramure était pesante : « car il avait plus qu’il devait et qu’il convenait à sa grandeur« .  Moralité ?

« Par cet exemple on veut montrer
Que l’homme riche et l’homme avide*
Veulent toujours trop convoiter
Et s’ils se voient exhausser;
Ils prennent tant pour leur usage
Que leur honneur en prend dommage. »

* « aver » à le double sens d’avare et d’avide

deco_frise

Dou lièvre et dou Cers

Uns lièvres vit un Cerf ester
Ses cornes se prist à esgarder,
Mult li senla bele sa teste;
Plus se tint vix que nul beste,
Quand autresi n’esteit cornuz,
E qu’il esteit si poi créuz.
A la Divesse ala paller,
Si li cumnece à demander
Pur-coi ne l’ot si huneré,
E de cornes si aturné
Cume li Cers k’il ot véu.
La Destinée a respundu :
Tais toi, fet-ele, lai ester,
Tu nès purreies guverner;
Si ferai bien, il li respunt.
Dunt eut cornes el chief à-munt
Mais nés pooit mie porter,
Ne ne pooit à tot aler;
Qar plus aveit q’il ne déust
E qu’à sa grandur n’estéut.

Moralité

Par cest essample woel mustrer
Que li rique hume et li aver
Vuelent tuz-jurs trop cuvietier,
E si vuelent eshaucier;
Tant emprennent par lor ustraige
Que lor honur turne à damaige.

deco_frise

O_lettrine_moyen_age_passionn ne peut manquer de se souvenir ici de la fable du cerf d’Esope, reprise par Jean De La Fontaine. L’animal se mirant dans l’eau, lamentait la disproportion de ses jambes et tirait gloire de ses bois, pour se voir finalement condamner par eux.

«Quelle proportion de mes pieds à ma tête?
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font point d’honneur.»
Le cerf se mirant dans l’eau, Jean de la Fontaine (1621 – 1695)

Dans notre fable médiévale du jour, ce n’est, cette fois, pas lui qui en sera la victime mais leur beauté excitera la convoitise d’un ambitieux lièvre qui finira par en faire les frais.  On croise de très près le thème de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf.

marie_de_france_lievre_cerf_fable_medievale_litterature_poesie_moyen-ageConvoitise, cupidité, avidité conduisent à l’impasse et même au déshonneur et ces travers viennent encore, dans la morale de cette fable, s’inscrire en miroir du manque de charité.

Quant aux ramures du cerf, sont-elles tout à la fois ici symbole de beauté, de prestige ou de pouvoir ? Remis en perspective sociologiquement, on peut se demander si, à travers la symbolique de ce glorieux « chef », un certain cloisonnement social n’est pas également suggéré entre les lignes, un peu comme c’était le cas entre la fable de la puce et du chameau. La destinée (fortune encore elle ?) a donné à chacun une place « avec raison » et il convient de savoir l’occuper. S’il n’est même pas ici question de dépréciation « à chacun sa grandeur« , une chose demeure certaine, avoirs et pouvoir ne sont pas synonymes, encore moins quand l’avidité s’en mêle.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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La douceur de la belle saison et deux grands maîtres de musique ancienne au service du trouvère Gace Brûlé

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, chansonnier Clairambault
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: A la douçor de la bele saison
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Paul Hillier, Andrew Lawrence-King
Album: Chansons de trouvères (1997) Harmonia Mundi

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de découvrir une autre poésie et chanson médiévale du chevalier trouvère Gace Brûlé auquel nous avons dédié précédemment une biographie détaillée.

Chansons de Trouvères,
de Paul Hillier & Andrew Lawrence King

Cette fois-ci, la pièce est interprétée par le baryton et directeur d’orchestre anglais Paul Hillier dans un album, sorti en 1997, chez Harmonia Mundi,  sur le thème des trouvères français du moyen-âge central.

musique_poesie_medievale_chansons_trouveres_moyen-age_central_Paul_Hillier_Andrew_Laurence_kingLe très célèbre et très primé chanteur londonien, installé depuis longtemps déjà aux Etats-Unis y était accompagné de Andrew Lawrence-King musicien britannique également harpiste, organiste mais  aussi directeur de l’orchestre de Guernesey.  Nous sommes donc, avec cet album, face à deux grands maîtres et experts de la musique ancienne.

Pas de grande orchestration ici, mais une production qui entendait privilégier l’essentiel et restituer au plus près ce que pouvait être l’art des trouvères médiévaux.  On y retrouvait en tout neuf pièces dont deux de Gace Brûlé. Hormis deux chansons anonymes, les autres étaient signés de Thibaut de Champagne, Colin Muset et Moniot d’Arras.

album_chansons_de_trouveres_paul_hillier_moyen-age_poesie_chansons_medievalesCet album se trouve encore en ligne, notamment sur Amazon, sous plusieurs formes : des versions neuves importées  un peu plus onéreuses, mais aussi quelques occasions forcément moins coûteuses. En voici le lien, si vous êtes intéressés: Chansons De Trouvères.

 A la douçor de la bele saison par Paul HillierAndrew Lawrence-King

« A la douceur de la belle saison »
Les paroles de Gace Brûlé en vieux-français

On peut retrouver cette chanson de Gace Brûlé dans le Chansonnier Clairambault (voir image ci-dessous) aux côtés de manuscrit_ancien_chansonnier_clairambault_chanson_poesie_musique_medievale_moyen-age_centralquelques quarante-cinq autres qui lui sont attribuées.

Du point de vue du contenu, c’est encore une pièce de lyrique courtoise. Elle commence par la belle saison et son renouveau. Tous ont laissé l’amour et il est lui, le seul, le véritable amant courtois, qui s’y adonne encore. On l’a accusé faussement, on lui a fait du tort. L’a-t-on conspué pour cet amour auquel il fait allusion ici ou pour d’autres raisons ?  Quoiqu’il en soit, il lui reste l’amour de sa dame et sa loyauté pour elle comme refuge. Et il prie qu’elle continue de lui accorder ses faveurs car il ne pourra lui, tant il en est épris et en parfait amant courtois,  se délier de sa loyauté envers elle.

A la douçor de la bele seson,
Que toute riens* (toutes choses) se resplent en verdor,
Que sont biau pré et vergier et buisson
Et li oisel chantent deseur la flor,
Lors sui joianz quant tuit lessent amor,
Qu’ami loial n’i voi mes se moi non.
Seus vueil amer et seus vueil cest honor.

Mult m’ont grevé* (de grever : nuire) li tricheor felon,
Mes il ont droit, c’onques ne·s amai jor.
Leur deviner et leur fausse acheson* (accusation)
Fist ja cuidier que je fusse des lor ;
Joie en perdi, si en crut ma dolor,
Car ne m’i soi garder de traïson ;
Oncore en dout* (de douter : craindre) felon et menteor.

Entor tel gent ne me sai maintenir
Qui tout honor lessent a leur pouoir :
Tant com je m’aim, les me couvient haïr
Ou je faudrai a ma grant joie avoir.
C’est granz ennuis que d’aus amentevoir* (se remémorer quelqu’un),
Mes tant les hé*  (de haïr) que ne m’en puis tenir ;
Ja leur mestier ne leront decheoir. (1)

Or me dont Deus ma dame si servir
Q’il aient duel de ma joie veoir.
Bien me devroit vers li grant lieu tenir
Ma loiauté, qui ne puet remanoir ;
Mes je ne puis oncore apercevoir
Qu’ele des biens me vuelle nus merir* (*récompenser)
Dont j’ai sousfert les maus en bon espoir.

Je n’en puis mes se ma dame consent
En ceste amour son honme a engingnier* (tromper),
Car j’ai apris a amer loiaument,
Ne ja nul jour repentir ne m’en qier ;
Si me devroit a son pouoir aidier
Ce que je l’aim si amoureusement,
N’autre ne puis ne amer ne proier* (courtiser).

Li quens Jofroiz, (2) qui me doit consoillier,
Dist qu’il n’est pas amis entierement
Qui nule foiz pense a amour laissier.


NOTES

(1) ils n’abandonneront jamais leurs mauvaises manières, habitudes.
(2) on peut supposer que le trouvère fait référence ici à Geoffroi II (Geoffroy Plantagenêt), comte de Bretagne, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Une chanson d’amour courtois du trouvère Adam de la Halle avec l’ensemble Les Jardins de Courtoisie

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, théâtre profane. amour courtois, langue d’Oil.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours m’ont si douchement
Interprètes : Les Jardins de courtoisie
Album : D’Amoureus Cuer Voel Chanter (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui vers la poésie en vieux français et en langue d’oïl du trouvère Adam de la Halle avec une chanson médiévale d’amour courtois monodique du XIIIe siècle. Cette pièce se situe dans le registre « profane »; on se souvient que l’œuvre abondante que nous a laissé ce célèbre auteur, poète, musicien et compositeur du moyen-âge central ne contient pas de pièces et de compositions proprement liturgiques.

L’interprétation que nous en présentons ici nous vient de l’Ensemble français Les Jardins de Courtoisie dont nous allons aussi dire pouvoir dire un mot.

Amours m’ont si douchement par L’ensemble Les Jardins de Courtoisie

 

Les Jardins de courtoisie

Le milieu artistique et la création autour des musiques anciennes en provenance de la région  lyonnaise nous a régalé décidément de bien des surprises. Nous parlions encore récemment de l’Ensemble Céladon mais aussi du jeune ensemble Apotropaïk et c’est aujourd’hui au tour d’une autre formation qui nous vient du même endroit d’être présentée ici. L’ensemble de musiques anciennes Les jardins de courtoisie a en effet été crée à Lyon, en 2004, par la chanteuse soprano Anne Delafosse  Quentin. 

Parcours

Anne_delafosse_quentin_musique_medievale_soprano_ensemble_jardins_de_courtoisieEn dehors de sa participation et de la direction de cette formation, cette artiste passionnée des répertoires médiévaux, renaissants et baroques avait encore cofondé l’Ensemble Musica Nova et également apporté sa pleine contribution vocale à des formations comme l’Ensemble Gilles Binchois ou encore l’Ensemble Céladon de Paulin  Bündgen, pour ne citer que ces deux-là. Devenue enseignante à plein temps au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon depuis quelques années déjà, elle organise encore des ateliers ou des stages dans le domaine des musiques anciennes et donne aussi, à l’occasion, des cours au Centre de Musique Médiévale de Paris. De fait, toutes ces activités ne lui laissent pratiquement plus le temps de se produire sur scène.

Production et « actualité »

D’un point de vue artistique, Les Jardins de courtoisie explore le répertoire des musiques anciennes sur une période allant du moyen-âge central au XVIIe siècle en passant par la Renaissance et avec une prédilection, comme son nom pouvait le laissait présager, pour les pièces issues de la lyrique courtoise.

A l’image de sa fondatrice et de facto, l’ensemble semble avoir arrêté de se produire sur scène depuis les années 2010-2011. Il n’existe pas vraiment de site web actualisé sur leur activité et les dernières ensemble_medieval_poesie_chanson_musiques_anciennes_les_jardins_de_courtoisieinformations sur leur page Facebook datent de 2009. Gageons qu’ils sont donc, pour l’instant, tous occupés en d’autres endroits et réjouissons-nous qu’il nous reste, au moins jusqu’à nouvel ordre, leurs productions passées pour les apprécier.

De ce point de vue, ils ont, à ce jour, produit trois albums, l’un sur les chansons de la cour de bourgogne au XVe siècle, l’autre sur Marguerite d’Autriche et son univers musical au XVIe  et enfin le troisième, celui du jour, autour du trouvère Adam de La Halle. Un quatrième annoncé sur le site web de la chanteuse Soprano et qui semblait faire partie d’un programme du Conservatoire de Musique de Lyon (faisant intervenir Les Jardins de Courtoisie en collaboration avec Paulin Bündgen) n’est, semble-t-il, pas encore paru.

« D’amoureus cuer voel Chanter »
un album autour d’Adam de la Halle

Sorti en 2007, cet album de la formation était tout entier dédié à Adam de la Halle et à sa poésie courtoise. Du point de vue des titres, il abonde littéralement puisqu’il en contient pas moins de dix-sept, pris dans le répertoire des chansons et rondeaux du trouvère artésien.

musique_chanson_poesie_medievale_jardin_de_courtoisie_trouvere_Adam_de_la_Halle_moyen-ageD’un point de vue vocal, aux côtés d’Anne Delafosse Quentin, on pouvait noter la présence du ténor Lisandro Nesis, mais aussi celle du contre-ténor Paulin Bündgen.      

Distribué par le label Zig-Zag Territoires, il ne semble pas, hélas pour l’instant, que l’album ait fait l’objet d’une réédition depuis sa sortie. On en trouve donc quelques exemplaires au format CD et en import mais les prix en sont relativement élevés. Affaire à suivre donc.

Amours m’ont si douchement
Dans le vieux-français d’Adam de la Halle

Amours_si_douchement_chanson_medievale_amour_courtois_trouvere_adam_de_la_halle_moyen-age_XIIIe_siecle
Partition (notation ancienne et nouvelle) prise dans les oeuvres complètes d’Adam de la Halle du musicologue et ethnologue ‎Charles Edmond Henri de Coussemaker (1872)

Amours m’ont si douchement (doucement)
Navré* (blesser) que nul mal ne sench (de sentir),
Si servirai bonnement
Amours et men
douch ami* (douce amie), a cui me rent.
Et fas de men cors present,
Ne jamais, pour nul torment
Que j’aie n’iert (de être) autrement,
Ains voeil user mon jouvent
En amer loialment.

Et si ne m’en caut (chaloir : ne m’importe pas) comment
On m’aparaut laidement,
Puis que j’ai fait mon talent
Et je puis jesir* (m’allonger) souvent
Lès* (près) son cors gent* (beau,noble).
Je ne crieng*  (de craindre) ore ne vent,
Mais bon se fait sagement* (coiement autre MS)
Déduire et si soutieuement* (subtilement  – sagement autre MS) 
C’on n’en puisse entre le gent,
Parler vilainement.

Trop me sistés* (jugez?) longement
Amis, a moi proïier ent.
Se vous m’amiés loialment,
Je vous amoie ensement* (pareillement),
Ou plus forment
Mais femme, au commenchement
Se doit tenir fièrement:
Pour chou, s’ele se deffent,
Ne doit laissier qui i tent
A requerre asprement.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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