Sujet : musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl, chants polyphoniques, motets, manuscrit médiéval Période : XIIe siècle, XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Ne m’oubliez mie Auteur : Anonyme Interprète : Ensemble La Rota Album : Heu, Fortuna (2007)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, vers l’amour courtois avec un chant polyphonique médiéval, daté de la deuxième partie du XIIIe siècle. Cette pièce est demeurée anonyme et on peut la retrouver dans un beau manuscrit ancien dont nous vous dirons un mot ici. Nous partagerons également sa belle interprétation par l’Ensemble La Rota, ensemble médiéval québécois crée au début des années 2000.
Le Chansonnier ou codex de Montpellier H196 : trésor de la polyphonie médiévale
Avec 336 oeuvres polyphoniques et motets, le Codex de MontpellierH196, connu encore comme Chansonnier de Montpellier est un précieux témoin de la musique polyphonique du moyen-âge central. Pour son contenu, autant que ses enluminures et l’état de sa conservation, il est, à juste titre, considéré comme un véritable trésor patrimonial. Les pièces présentées dans ce manuscrit médiéval, daté de 1300, s’étalent, dans leur grande majorité, sur la deuxième moitié du XIIIe siècle.
Ne m’oubliez mie chanson médiévale anonyme par l’Ensemble la Rota
L’ensemble médiéval la Rota
Installés originellement au Québec, le quatuor La Rota s’est spécialisé, dès sa création, dans le répertoire des musiques médiévales. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le nom qu’ils ont choisi pour leur formation, fait référence à une danse du moyen-âge, mais surtout et de leurs propres mots, à la roue de la fortune médiévale dont nous vous avons souvent parlé ici.
Fondé en 2002, l’ensemble a vu ses efforts récompensés quelques années plus tard ; en 2006, il a, en effet, été primé, outre atlantique, pour son travail dans le domaine des musiques anciennes et médiévales par la Early Music América. Un an plus tard, la formation sortait un premier album qui, sauf erreur, n’a pas été suivi d’autres productions à ce jour.
Actualité
Après des débuts très prometteurs sur la scène musicale médiévale, l’Ensemble La Rota ne nous a plus laissé grand chose à nous mettre sous la dent depuis les années 2011-2012. De fait, du point de vue de leur actualité, il semble bien que la formation soit totalement en sommeil, On peut, toutefois, retrouver certains de ses membres toujours affairés dans des projets autour des musiques anciennes et du moyen-âge, notamment outre-atlantique.
Membres de l’ensemble : Sarah Barnes (chant, soprano), Tobie Miller (flûte, vièle à roue, soprano), Baptiste Romain (Vielle), Esteban La Rotta (luth, harpe gothique)
Heu Fortuna, l’album
En 2007, avec son premier album, l’Ensemble La Rota a choisi de mettre en exergue les musiques de la France médiévale de la deuxième partie du XIIIe siècle. Enregistré en l’église Saint-Augustin de Mirabel, au Québec), l’album propose vingt-une pièces de choix puisées dans différents manuscrits médiévaux dont le Codex de Montpellier.
Les compositions anonymes de cette période (chansons, estampies, rondeaux, jeu parti,…) y côtoient des œuvres d’auteurs plus célèbres comme Philippe de Vitry, Blondel de Nesle, Guiot de Dijon, Gillebert de Berneville, Jehan de Lescurel. On peut encore trouver cet album à la vente, au lien suivant : Heu Fortuna : Ensemble la Rota.
« Ne m’oubliez mie » : chant d’amour courtois
Dans cette courte pièce anonyme du XIIIe siècle, l’amant courtois, loin de sa dame, lui chante son amour et sa loyauté, en ne tarissant pas de louanges sur les valeurs tant physiques que morales de cette dernière. Il n’en aimera jamais d’autres et il se tient dolent et affligé, dans la douleur de cet amour de loin qui est le lot coutumier des fine(s) amants médiévaux.
Le vieux-français en usage dans cette chanson ne pose pas de difficultés particulières mais nous vous en proposons, tout de même une traduction simple et sans prétention. Pour les musiciens qui souhaiteraient s’essayer à cette partition, nous l’avons trouvée retranscrite par Han Tischler dans un ouvrage de 1978 (The Montpellier Codex, Fascicles 6, 7 and 8) et nous vous la livrons donc ici.
Les paroles de cette chanson médiévale
dans le vieux français du XIIIe siècle
Ne m’oubliez mie, Bele et avenant : Quant je ne voz voi, s’en sui plus dolens, Car je n’oubli mie Vostre grant valour Ne la compaignie A nul jour. N’avré mes envie D’amors D’autre feme née. C’est la jus en la ramée, Amours ai ! Marions i est alée ! Bone amour ai qui m’agrée !
Ne m’oubliez pas, Belle juste et agréable ! Quand je ne vous vois plus, j’en suis d’autant plus affligé Car je n’oublie jamais Votre grande valeur Ni votre compagnie, A chaque jour qui passe. Et je ne désirerai jamais D’amour D’une autre femme. C’est là-bas, sous le buisson, Je suis amoureux ! Marion y est allée : J’ai bel amour qui m’agrée.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
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Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale, chant de croisade. poésie satirique, occitan Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « L’autrier, a l’issida d’abriu» Interprète : Ensemble Tre Fontane
Album : Le Chant des Troubadours v1(1992)
Bonjour à tous,
ous repartons, aujourd’hui, pour le pays d’Oc médiéval et ses premiers troubadours, avec une nouvelle chanson de Marcabru (Marcabrun). Au menu, sa traduction de l’occitan vers le français moderne, quelques réflexions sur son contenu, et sa belle interprétation par l’Ensemble Tre Fontane.
Quelques réflexions
sur la chanson médiévale du jour
« L’autrier, a l’issida d’abriu » est une pièce satirique qui débute de manière « conventionnelle », entendez courtoise, avec même de claires allures de pastourelle. Aux portes du printemps, le poète occitan se tient en pleine nature et un chant d’oiseau va l’inspirer. Il croise ainsi une jeune fille, tente de la séduire, mais bientôt les vers de cette dernière se font satiriques et désabusés. La demoiselle se détourne de lui, son cœur est ailleurs, lui dit-elle : prix, jeunesse et joie déchoient. A qui se fier dans un siècle où les nobles valeurs se perdent ? Même les puissants seigneurs s’y associent aux pires goujats. Croyant éviter les trahisons adultérines en confiant à ces derniers la garde de leurs épouses, ils se fourvoient grandement et sont deux fois trahis.
Au delà d’une première approche de traduction, peut-être faut -il renoncer à comprendre totalement la poésie de Marcabru pour la goûter pleinement ? Cette question n’en finit pas d’être posée à travers les vers tout en allusion de ce troubadour qui semblent, si souvent, se référer à des réalités connues, seules, de ses contemporains, quand ce n’est pas seulement de lui-même.
Le texte du jour n’échappe pas à la règle. Avec cette image de l’épouse cadenassée et sous bonne garde, Marcabru fait-il référence, sans le nommer, au cas d’un noble en particulier, en prenant soin, au passage, de le noyer dans une catégorie : celles des « hommes puissants et des barons » ? Le phénomène est-il si généralisé qu’il a l’air de le dire ? N’est-ce là qu’un prétexte fourni au grand maître de cette forme de poésie hermétique qu’est le trobar clus, pour critiquer indirectement la toile de fond courtoise et ses fréquents appels à l’adultère ? On le sait, les valeurs qu’affectionne le poète occitan sont chrétiennes et les amours cachées et interdites mises en exergue par la courtoisie ne sont pas pour lui, ni de son goût « moral ».
« L’autrier, a l’issida d’abriu » Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane
Le Chant des Troubadours d’Aquitaine
par l’Ensemble Tre Fontane
« L’autrier, a l’issida d’abriu »,
de l’occitan médiéval au français moderne
Pour la traduction nous avons suivi partiellement celle de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Le reste est le fruit de croisements et de recherches personnelles.
I L’autrier, a l’issida d’abriu, En uns pasturaus lonc un riu, Et ab lo comens d’un chantiu Que fant l’auzeill per alegrar, Auzi la votz d’un pastoriu Ab una mancipa chantar.
L’autre jour, au sortir d’avril, Dans des pâturages, au long d’un ruisseau, Et, alors (la chanson) commence un (d’)chant Que font les oiseaux pour se réjouir, J’entendis la voix d’un pastoureau Qui chantait avec une jeune fille.
II Trobei la sotz un fau ombriu —« Bella, fich m’ieu, pois Jois reviu ………………………………………….. Ben nos devem apareillar. » — « Non devem, don, que d’als pensiu Ai mon coratg’ e mon affar. »
Je la trouvais sous un hêtre ombreux. — « Belle, lui dis-je, puisque Joie revit. …………………………………………….. Nous devrions bien nous mettre ensemble.» — « Nous ne le devons pas, Sire, car ailleurs Sont tournés mon coeur et mes préoccupations.» (« pensées & désirs ». Dejeanne)
III — « Digatz, bella, del pens cum vai On vostre coratges estai? » — « A ma fe, don, ieu vos dirai, S’aisi es vers cum aug comtar, Pretz e Jovens e Jois dechai C’om en autre no’is pot fiar.
— « Dites-moi, belle, de ses pensées qui ainsi, occupent votre cœur? » — « Par ma foi, sire, je vous dirai, S’il est vrai comme je t’entends conter, Prix, Joie et Jeunesse déchoient, De sorte qu’on ne peut se fier à personne.
IV D’autra manieira cogossos, Hi a ries homes e baros Qui las enserron dinz maios Qu’estrains non i posca intrar E tenon guirbautz als tisos Cui las comandon a gardar.
D’autre façon (dans un autre registre)sont cocufiés les maris. Et il est des hommes puissants et barons Qui enferment leurs femmes dans les maisons, Afin que les étrangers ne puissent y entrer, Et qui tiennent des goujats aux tisons Auxquels ils donnent ordre de les garder.
V E segon que ditz Salamos, Non podon cill pejors lairos Acuillir d’aquels compaignos Qui fant la noirim cogular, Et aplanon los guirbaudos E cujon lor fills piadar. »
Et selon ce que dit Salomon, Ceux-là ne peuvent accueillir de pires larrons Que ces compagnons qui abâtardissent les rejetons (1),. Et ils caressent les goujats En s’imaginant ainsi couvrir leurs propres fils d’affection.» (2)
(1)La traduction que nous avons utilisée ici de « noirim » comme bouture, rejeton, nourrain provient du Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours: comparée avec les autres langues de l’Europe latine, P Raynouard (1811) De son côté JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909) traduit : « abâtardissent la race ». Pour information, on trouve le même terme traduit comme « nourriture » dans le Dictionnaire d’Occitan Médiéval en ligne.
(2) Raynouard : rendre leur fils plus affectueux
En vous souhaitant une agréable journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, lyrique courtoise, désillusion, rejet Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Pos vezem que l’iverns s’irais Interprète : la Rosa Salvatja, Maurice Moncozet Concert (extrait) : Tenso Electrica (2011)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie occitane du grandiloquent Peire Vidal. Frappé par les affres de la trahison amoureuse, le troubadour nous contera ici toute l’étendue de ses désillusions, mais aussi de sa colère et de son amertume. Cette belle chanson médiévale, empreinte d’émotion, va également nous fournir l’occasion d’approcher, de plus près, le talent d’un grand artiste qui s’est consacré largement au répertoire musical du Moyen-âge. Il s’agit de Maurice Moncozet, en compagnie, ici, de son ensemble médiéval La Rosa Salvatja ( la rose sauvage).
Peire Vidal au prisme de la Rosa Salvatja de Maurice Moncozet
Maurice Moncozet : la passion de la poésie et des musiques occitanes médiévales
Co-fondateur de l’Ensemble Tre Fontane, on doit encore à Maurice Moncozet la création, aux débuts des années 2000, de la formation La Ròsa Salvatja. Il a également participé au groupe Trob’Art de Gerard Zuchetto ou encore à l’ensemble Concert dans l’Oeuf, tous deux dédiés au répertoire médiéval. Rebec, chant, flûte, cet artiste multi-instrumentiste a décidément tous les talents et si sa passion marquée pour les musiques en provenance du Moyen-âge n’est plus un secret pour personne, il s’est aussi ouvert, au fil de sa longue carrière, sur bien d’autres genres musicaux : des musiques de scène au registre des musiques plus contemporaines. On reconnaîtra d’ailleurs, sans peine, cette dernière influence, dans la pièce du jour.
Tenso electrica et la Rosa Salvatja : a la fusion de la musique médiévale et contemporaine
Dans le courant des années 2010, avec son ensemble La Rosa Salvatja, Maurice Moncozet décida, en effet, d’opérer une audacieuse fusion de genres, à travers un programme dénommé Tenso electrica. Cet ambitieux programme se proposait de revisiter le répertoire des troubadours occitans, en y adjoignant la contribution de la musique électronique et contemporaine. Dix pièces étaient ainsi présentées, en provenance des répertoires de Jaufré Rudel, Bertrand de Born, Bernart de Ventadorn et encore Peirol, Raymon de Miraval et Peire Vidal. Que l’on se rassure, rien de froid dans cette interprétation où se mêlent sons modernes et instruments anciens. Le rebec et la voix de l’interprète demeurent au service de l’oeuvre et rien n’y est dénaturé. Au contraire, le troubadour et son envoûtante mélopée renaissent, sous nos yeux, dans une étonnante modernité, qui ne dessert en rien l’émotion de l’amant courtois. Un site web complet a été dédié à ce programme à découvrir ici : Tenso electrica.
L’hiver des sentiments et la colère
d’un troubadour trahi par sa dame.
Comme nous le disions plus haut, bien que prise dans la lyrique courtoise, cette chanson en est en quelque sorte le pendant négatif. A travers les revers d’un amant courtois, ce n’est plus l’attente et l’espoir qu’elle ne nous conte, mais la désillusion et la rupture. Trahi, déçu, après avoir été même vertement critiqué ( on peut le deviner entre les lignes), le troubadour renonce et se retranche dans la colère.
Pour cette traduction d’oc vers le français moderne, nous marchons, avec quelques revisites, dans les pas de Joseph Anglade et l’ouvrage qu’il consacra, aux débuts du XXe siècle à l’oeuvre et aux chansons du troubadour : Les poésies de Peire Vidal, Joseph Anglade, chez Honoré Champion, 1913. Si vous en avez la curiosité, vous pourrez également trouver une autre traduction de cette chanson sur la page du programme de la Rosa Salvatja.
Pos Vezme que l’iverns s’irais
chanson médiévale de Peire vidal
I Pos vezem que l’iverns s’irais E part se del tems amoros, Que non aug ges voûtas ni lais Dels auzels per vergers folhos, Per lo freit del brun temporal Non laissarai un vers a far, E dirai alques mon talan.
Puisque nous voyons que l’hiver s’irrite Et qu’il s’éloigne du temps amoureux, Puisque je n’entends plus ni chants, ni chansons D’oiseaux par les vergers feuillus, Dans le froid du temps sombre Je composerai une poésie Et je dirai quels sont mes désirs.
II Lonc desirier e greu pantais N’ai agut al cor cobeitos Yes cela qui suau me trais ; Masanc ves li non fui greignos, Anz la portava el cor leial ; Molt fui leugiers a enganar, Mas peccat n’aia de l’aman.
Longs désirs et graves tourments (rêves), J’ai eu, en mon cœur avide, Pour celle qui, doucement, m’a trahi, Et cependant jamais je n’ai murmuré contre elle, Mais je la portais dans mon cœur loyal ; Je fus très facile à tromper, Mais qu’elle soit punie à cause de son amant.
III No gens per autr’ orgolh no*m lais De s’amor, don tan sui coitos, E conosc ben corn ben mi pais E fui galiatz ad estros. Las ! remasutz sui del cabal, Qu’anc per autra non vole ponhar Per me ni per mon Drogoman.
Ni pour un autre orgueil je ne m’éloigne De son amour dont je suis si désireux ; Et cependant je sais bien comment elle m’a payé Et comment je fus rapidement trompé. Hélas ! je suis resté en son pouvoir, Car jamais pour une autre, je n’ai voulu me consacrer, Ni pour moi ni pour mon Drogoman.
IV Totz meschavatz, car a gran fais Me teng, dona, quan pens de vos, Et quant n’aug parlar, m’es esglais, Et ja jorn no*n serai gaujos, Qu’eu sui iratz de vostre lau Et ai joi de vostre blasmar E plason me tuit vostre dan.
Tout me peine et c’est un grand fardeau dans lequel, Je me tiens, dame, quand je pense à vous ; Et quand j’entends parler de vous, cela me tue (me mine) ; Et désormais, jamais je ne serai joyeux, Car je suis irrité d’entendre qu’on vous loue, Et suis heureux de vous entendre blâmer, Et je me réjouis de tout le mal qui peut vous advenir.
V Non pose mudar que no – n biais Ves aquel joi tant orgolhos, Qu’anc non vi orgolh non abais ; Quan plus en poja, melhs cai jos ; Et es fols qui ve e qui au, E si non sab son melhs triar ; E n’a el siècle d’aquels tan !
Je ne puis m’empêcher de me détourner de cette joie si orgueilleuse ; Car jamais je n’ai vu d’orgueil qui ne s’abaissât ; Plus il monte haut, plus il tombe bas ; Et il est fou celui qui voit et qui entend Et qui ne sait pourtant choisir le meilleur parti ; Et, dans le monde, il y a tant de ces gens-là !
VI Hui mais s’en fenhan drutz e lais, Cel qui non estan enoios, Qu’a totz l’esfenis e lo lais Per so que nern soi poderos. Pos poder no’i sai ben ni mal, Ben es dreitz qu’om lo desampar ; Et ai ne perdut mon afan.
Désormais, qu’ils s’en occupent, hommes courtois et vilains, Ceux qui ne sont pas ennuyeux ; A tous ceux-là, je l’abandonne et la laisse,
Puisque je n’y puis pas assez puissant
Et que je ne sais rien du pouvoir, bon ou mauvais, Il est bien juste qu’on l’abandonne ; Quant à moi, j’y ai perdu ma peine.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, amour courtois, oc. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Bernart de Ventadorn, (Bernatz) Bernard de Ventadour. (1125-1195) Titre : Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Interprète : Camerata Mediterranea Album : Bernatz de Ventadorn, le fou sur le pont (1993)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie lyrique occitane du Moyen-âge central par la grande porte puisque nous vous présentons une nouvelle chanson de Bernart de Ventadorn ( Bernard de Ventadour).
S’il a compté parmi les nombreux troubadours du XIIe siècle, ce noble limousin est demeuré l’un des plus célèbres et reconnus d’entre eux. On le considère même comme un représentant des formes poétiques les plus abouties de la Langue d’Oc. Pour accompagner cette chanson médiévale, trempée de fine amor (fin’ amor)et de lyrique courtoise, nous nous appuierons sur l’interprétation de la belle formation Camerata Mediterranea.
Bernatz de Ventadorn par la Camerata Mediterranea
Bernatz de Ventadorn : le fou sur le pont
C’est en 1993 que la Camerata Mediterranea de Joel Cohen et de Anne Azéma décida de faire une incursion approfondie dans l’univers de Bernart de Ventadorn. Il faut dire que le legs plutôt prolifique du troubadour offrait l’embarras du choix (de quelques 45 chansons à près de 70, en fonction des biographes et médiévistes). Au sortir, l’ensemble médiéval choisit de présenter 17 pièces. parmi lesquelles on trouvait, bien sûr, des chansons du troubadour, mais également des extraits lus de sa Vita.
Pour l’instant, cet album n’est, semble-t-il, pas réédité, mais on peut tout de même en trouver quelques exemplaires à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le Fou sur le Pont de Joel Cohen.
Sur l’art et la musique des troubadours de langue occitane mais aussi de langue galaïco-portugaise, rappelons que la Camerata Mediterranea n’en était pas à son premier galop d’essai. Trois ans avant cette production dédiée à Bernard de Ventadour, elle avait, en effet, régalé son public d’un album consacré à ce large répertoire. Sous le titre Lo Gai Saber : Troubadours et Jongleurs 1100-1300,on y trouvait déjà deux chansons de Bernart.
Au renouveau,
le fine amant courtois entre joie et détresse
Dans la pure tradition médiévale courtoise, notre fine amant et troubadour s’éveille ici, avec le printemps, aux joies de l’amour et la nature se joint au concert pour lui envoyer comme autant de signes de son émoi intérieur (cf l’homme médiéval et la nature avec Michel Zink). Pourtant, comme le veut la tradition, derrière la joie viendra aussi se nicher, invariablement, la souffrance et, encore, ce qu’on pourrait être tenté d’appeler, de nos jours, la frustration.
Comme nombre de ses contemporains troubadours, Bernard de Ventadour nous chante ici, un amour caché, voilé, silencieux qui, pour le coup, ose même à peine se confesser auprès de l’élue. Hors des conventions et de la bienséance, ce sentiment et ce désir, qui flirtent avec les interdits, emportent aussi avec eux leur lot habituel de jalousie et d’inimitié : ces ennemis, médisants ou délateurs qu’on devine dans l’ombre.
Dans cette pièce, Bernard, transporté par son désir ajoutera même une touche d’érotisme et de sensualité avec un baiser volé à sa dame dans son sommeil. L’aimera-t-elle ? Lui cédera-t-elle ? Feindra-t-elle ? Le destin du désir dans l’amour courtois est de ne pouvoir se poser sur son objet, au risque d’y éteindre sa flamme. Sa sublime et son point culminent se situent dans l’attente, l’incertitude, le doute et il faut que le prétendant de la lyrique courtoise demeure voué à l’inconfort ; sa gloire, sa perfection, sa consécration même en tant que fine amant, étant la force qu’il a de l’accepter ou de s’y résigner.
Notes sur la traduction
Une fois n’est pas coutume, pour cette traduction nous suivons, sans en changer une seule virgule, le travail de Léon Billet, grand spécialiste de Bernard de Ventadorn, dans son ouvrage Bernard de Ventadour troubadour du XIIème siècle, Orfeuil (1974). Chanoine de son état, cet auteur et biographe fut primé à plusieurs reprises pour ses ouvrages. De son vivant, il créa aussi une association autour de Bernard de Ventadour et de son legs, ayant pour nom la Société Historique des Amis de Ventadour. Si vous vous intéressez de près à ce grand troubadour, nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir leur site web. Vous y trouverez une information foisonnante sur l’oeuvre du poète limousin, mais aussi sur les duchés et fiefs rattachés à son nom.
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît
En introduction de cette pièce interprétée par la Camerata Meditteranea et servie par la voix de Jean-Luc Madier, on trouve, comme indiqué plus haut, un extrait de la vida de Bernard de Ventadour:
E·l vescons de Ventadorn si avia moiller bella, joven e gentil e gaia. E si s’abelli d’En Bernart e de soas chansos e s’enamora de lui et el de la dompna, si qu’el fetz sas chansos e sos vers d’ella, de l’amor qu’el avia ad ella e de la valor de leis.
« Le vicomte de Ventadour avait une femme belle, jeune, noble et joyeuse. Et, en effet, elle apprécia Bernart et ses chansons, et s’éprit de lui, et lui de la dame ; aussi fit-il ses chansons et ses « vers » à son sujet, et sur l’amour qu’il avait pour elle et sur ses mérites. »
I
Quan l’erba fresch’ e.ill fuoilla par E la flors boton’ el verjan E.l rossignols autet e clar Leva sa votz e mou so chan Joi ai de lui e joi ai de la flor Joi ai de mi e de midons major Daus totas partz sui de joi claus e sens Mas sel es jois que totz autres jois vens
Quand l’herbe est fraîche et la feuille paraît et la fleur bourgeonne sur la branche et le rossignol haut et clair élève sa voix et entame son chant j’ai joie de lui et j’ai joie de la fleur et joie de moi-même et joie plus grande de ma dame. De toutes parts je suis endos et ceint de joie mais celui-ci est joie qui vainc toutes les autres.
II
Ai las com mor de cossirar Que maintas vetz en cossir tan Lairo m’en poirian portar Que re no sabria que.s fan Per Deu Amors be.m trobas vensedor Ab paucs d’amics e ses autre seignor Car una vetz tan midons no destrens Abans qu’eu fos del dezirer estens
Hélas comme je meurs d’y penser car maintes fois j’y pense tellement des voleurs pourraient m’emporter que je ne saurais rien de ce qu’ils font Par Dieu ! amour tu me trouves bien vulnérable avec peu d’amis et sans autre seigneur pourquoi une fois ne tourmentes-tu pas autant ma dame avant que je ne sois détruit/éteint de désir ?
III
Meraveill me com posc durar Que no.ill demostre mo talan Can eu vei midons ni l’esgar Li seu bel oill tan be l’estan Per pauc me teing car eu vas leis no cor Si feira eu si no fos per paor C’anc no vi cors meills taillatz ni depens Ad ops d’amar sia tan greus ni lens
Je m’étonne comment je peux supporter si longtemps de ne pas lui révéler mon désir quand je vois ma dame et la regarde. Ses beaux yeux lui vont si bien à peine puis-je m’abstenir de courir vers elle et je le ferais ne serait la peur car jamais je vis corps mieux taillé et peint au besoin de l’amour si lourd et tard.
IV
Tan am midons e la teing char E tan la dopt’ e la reblan C’anc de me no.ill auzei parlar Ni re no.ill quer ni re no.ill man Pero ill sap mo mal e ma dolor E can li plai mi fai ben et onor E can li plai eu m’en sofert ab mens Per so c’a leis no.n aveigna blastens
J’aime tant ma dame et je la chéris tant et je la crains tant et la courtise tant que jamais je n’ai osé lui parler de moi et je ne lui demande rien et je ne lui mande rien. Pourtant elle connaît mon mal et ma douleur et quand cela lui plaît, elle me fait du bien et m’honore et quand cela lui plaît, je me contente de moins afin qu’elle n’en reçoive aucun blâme.
V
S’eu saubes la gen enchantar Mei enemic foran efan Que ja us no saubra triar Ni dir re que.ns tornes a dan Adoncs sai eu que vira la gensor E sos bels oills e sa frescha color E baizera.ill tan la boch’ en totz sens Si que d’un mes i paregra lo sens
Si je savais enchanter les gens mes ennemis deviendraient des enfants de façon à ce que même pas un seul sache choisir ni dire rien qui puisse tourner à notre préjudice. Alors je sais que je verrai la plus gracieuse et ses beaux yeux et sa fraîche couleur et je lui baiserais la bouche dans tous les sens si bien que durant un mois y paraîtrait la marque.
VI
Be la volgra sola trobar Que dormis o.n fezes semblan Per qu’e.ill embles un doutz baizar Pus no vaill tan qu’eu lo.ill deman Per Deu domna pauc esplecham d’amor Vai s’en lo tems e perdem lo meillor Parlar degram ab cubertz entresens E pus no.ns val arditz valgues nos gens
Je voudrais bien la trouver seule qu’elle dorme ou qu’elle fasse semblant pour lui voler un doux baiser car je n’ai pas le courage de le lui demander. Par Dieu dame nous réussissons peu de chose en amour le temps s’en va et nous perdons le meilleur nous devrions parler à mots couverts et puisque la hardiesse nous est d’aucun recours recourons à la ruse.
VII
Be deuri’om domna blasmar Can trop vai son amic tarzan Que lonja paraula d’amar Es grans enois e par d’enjan C’amar pot om e far semblan aillor E gen mentir lai on non a autor Bona domna ab sol c’amar mi dens Ja per mentir eu no serai atens
On devrait bien blâmer une dame si elle fait trop attendre son ami car long discours d’amour est d’un grand ennui et paraît tromperie car on peut aimer et faire semblant ailleurs et gentiment mentir là où il n’y a pas de témoins. Excellente dame, si seulement tu daignais m’aimer je ne serais jamais pris en flagrant délit de mensonge.
Tornada
Messatger vai e no m’en prezes mens S’eu del anar vas midons sui temens
Envoi
Messager va et qu’elle ne m’en estime pas moins si je crains d’aller chez ma dame.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
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