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Un chant royal contre la vanité et la convoitise des puissants

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, chant royal, vanité, convoitise, poésie morale, poésie politique, satire.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Toy mort, n’aras fors que .VII. piez de terre»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T III   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1882)

Bonjour à tous,

chaque fois que nous abordons l’œuvre d’Eustache Deschamps, nous ne cessons de le dire : cet homme d’armes, employé à la cour et qui fut au service des rois, dans diverses fonctions, a écrit sur pratiquement tous les sujets, au cours de sa vie.

Une œuvre colossale de plus de 80000 vers

Si l’on trouve mentionnés, dans l’œuvre d’Eustache Deschamps, les misères du peuple, la cruauté des jeux de cours, les affres de la peste ou de la guerre de cent ans, son amour de la France, ses comptes-rendus de voyage, ses poésies sentimentales et courtoises, ses poésies morales mais encore ses réflexions sur la vie, la mort et sur le sens de l’existence, ou ses déroutes (les souffrances de l’âge, de l’indifférence ou de la maladie), les sujets ne sont pas tous de haut vol.

Tout, Eustache a presque tout couché en rimes, de manière presque systématique. L’écriture est inégale, pas toujours très digeste mais, au final, il nous a laissé plus de 80000 vers sur ses états d’âme, ses goûts, ses aversions, ses attractions, bref ses réactions à tout et sur tout. Avec une telle abondance, il ne faut pas toujours s’attendre à une grande profondeur de vue. Ainsi, on y trouvera plus d’un chose triviale : son goût pour les petits pâtés ou pour la moutarde, son vœu de ne plus jamais prêter de livres parce qu’on ne lui rend pas, son agacement pour avoir été mal reçu ou mal traité, et une bonne dose de détails qui pourraient nous paraître bien insignifiants avec le recul du temps, mais qui peuvent aussi nous le rendre plus réel, plus proche et plus attachant.

Le chant royal d'Eustache Deschamps dans le Manuscrit médiéval Français 840 de la BnF
Le chant royal d’Eustache Deschamps dans le Ms Français 840 de la Bnf

Les découvreurs & historiens du XIXe siècle

Dans le courant du XIXe siècle, l’un des premiers auteurs à opérer un tri dans ce gigantesque corpus pour le mettre à la lumière fut Georges Adrien Crapelet. Autour de 1832, il sélectionna dans l’œuvre d’Eustache des ballades de moralité qu’il fit publier : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, écuyer, huissier d’armes des rois Charles V et Charles VI, châtelain de Fismes et bailli de Senlis.

D’autres auteurs, à sa suite, s’essayeront à des sélections. Prosper Tarbé fut notamment l’un de ceux-là avec ses Œuvres inédites d’Eustache Deschamps en 2 tomes, datées de 1849. Un peu plus tard, c’est au Marquis de Queux de Saint-Hilaire relayé par Gaston Raynaud que l’on doit la publication es œuvres complètes d’Eustache, publiées sur pas moins de 11 volumes (1878-1903). L’histoire ne s’arrêtera pas là et on retrouvera l’auteur médiéval mentionné dans d’autres anthologies. Bien connu des historiens, des philologues et des médiévistes, sa célébrité n’atteindra pourtant jamais celle d’un Villon, ni d’un Charles d’Orléans auprès du grand public.

Plus près de nous

Aujourd’hui encore, les médiévistes, philologues et érudits exploitent l’œuvre d’Eustache sous des angles différents, soit pour aborder l’histoire du temps de cet auteur, soit encore à l’occasion de recherches spécifiques ou d’études thématiques transversales sur sa poésie : la table chez Eustache Deschamps, les jeux de cour, les âges de la vie, etc… En 2017, son œuvre a également fait l’objet d’une Anthologie dans l’esprit de mieux la faire connaître et de fournir un point de départ utile à son étude : Eustache Deschamps ca. 1340–1404 : Anthologie thématique de Laidlaw James et Scollen-Jimack Christine, Editions Classiques Garnier, 2017.

Nous concernant, nous parcourons les nombreuses poésies d’Eustache, en dilettante, pour y suivre les inspirations de l’auteur et pour y retrouver un peu de l’esprit de son temps. Inutile de dire que les aspects les plus moraux et politiques sont ceux qui nous séduisent le plus ; l’homme a le privilège de ne pas être un poète de cour. Il ne vit donc pas de sa plume, ni n’en dépend pour vivre. De fait, il souffle un vent de liberté sur certains de ses écrits et il n’hésite pas à se montrer caustique ou satirique par instants, ce qui est, de notre point de vue, plutôt rafraîchissant.

Aux sources de l’œuvre d’Eustache Deschamps

Concernant cette œuvre massive et les sources manuscrites d’époque, le manuscrit médiéval Français 840 du département des manuscrits de la BnF, est un incontournable dans lesquels on n’imagine que plus guère de paléographes ne doivent mettre le nez depuis le travail de transcription de Auguste-Henry-Édouard Queux de Saint-Hilaire et de Gaston Raynaud.

De notre côté, nous le faisons pour aller chercher la source ancienne et historique à chaque nouvelle étude de texte. C’est un peu, pour nous, comme une façon de remonter au premier trait de plume médiéval, celui qui, il y a plus de 500 ans et dans le courant du XVe siècle, a permis d’immortaliser ce corpus impressionnant et l’œil de l’homme sur son temps ; une façon, en somme, de réconcilier le passé et le présent. Pour le reste, ce manuscrit ancien est consultable sur Gallica. A noter que la poésie du jour y apparait deux fois, à quelques feuillets d’intervalle. L’œuvre est si grande que sur 1200 pages, on conçoit que même les copistes aient pu quelquefois s’y perdre.

Eustache contre la convoitise & la vanité

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Le texte d’Eustache Deschamps que nous vous proposons, aujourd’hui, est un chant royal. On peut le retrouver dans le tome III des Œuvres Complètes de l’auteur par le marquis de Queux de Saint-Hilaire. On y retrouvera un Eustache en réflexion sur la convoitise et la vanité, notamment celles des hommes de pouvoir et de leurs guerres.

C’est, donc, une fois de plus une poésie politique et morale que nous vous invitons à découvrir. L’auteur médiéval se placera du côté du peuple victime des guerres et contre le sang versé et son discours ira aux princes insatiables de terre, d’avoirs et de conflit.

Certes, l’enfer est évoqué et leur sera promis. Pourtant, l’exhortation que leur fait Eustache de rechercher la paix et de mettre fin à leur convoitise touche non pas tant, ici, leur salut dans l’au-delà, que la vacuité de leur vanité et leur orgueil face à l’évanescence de la vie. Si puissants soient-ils, ils mourront comme les plus grands. L’envoi viendra encore le souligner en mêlant héros antiques, héros arthuriens et héros médiévaux. Mais où sont les neiges d’Antan ? chantera un peu plus tard François Villon, peut-être en écho à ces questionnements.

« Toy mort, n’aras fors que VII piez de terre« 
dans le moyen-français d’Eustache

PS : à l’habitude, pour faciliter la compréhension de cette poésie en français ancien, nous vous indiquons quelques clefs de vocabulaire.

O convoiteus de l’avoir (de possessions) de ce monde,
Que tu ne puez un certain jour tenir;
Des que tu nais, la mort en toy habonde :
Voy que tu muers et te convient fenir
(finir),
Et ne scez quant, et sur le mieulx venir
(dans le meilleur des cas)
N’as le terme fors que de soixante ans ;
Et si lairas les richesces mourans,
Ou te lairont par fortune de guerre ;
Pour quoy veulz tu estre si acquerans ?
(1)
Toy mort, n’aras fors que .VII. piez de terre.

Par convoitier voy que guerre se fonde
Entre les roys pour terres acquérir ;
Le sang humain font espandre a grant onde,
Les vaillans cuers et le peuple mourir,
Clercs et marchans, et l’Eglise périr,
Crestienté, frères participans
De foy, de loy, un baptesme prenans,
Pour le vain nom d’autrui pais acquerre;
Désiste toy, tes frères delaissans ;
Toy mort, n’aras fors que .VII. piez de terre.

Tu qui es faiz a l’assemblance ronde
Du firmament et de Dieu, puez veir
Que tout créa, et tout homme redunde
A s’ymaige ; pour ce dois tu cremir
(craindre)
De deffaire, par convoiteux désir,
Ce qu’il forma a ta forme semblans ;
Car le corps mort, les esperis
(esprit, vie, âme) tremblans
Seulent
(de soloir : ont l’habitude) a Dieu de toy vengence querre (réclamer);
Se tu es bien ces choses remembrans
(souvenant),
Toy mort, n’auras fors que .VII. piez de terre,

Tu auras bien ta fosse plus parfonde,
Et grant tombel pour icelle couvrir,
Mais la convient que ton convoiter fonde,
Et de .VII. piez te fault content tenir
(il te faudra te contenter),
Estre oublié et cendre devenir.
Ton nom pervers yert au monde manans
(2),
Ton esperit aura divers tourmens;
Pour ses péchiez seras mis soubz la serre
Des infernaulx ; es tu au monde grans ?
Toy mort, n’auras fors que .VII. piez de terre.

Chascuns doubter doit vie et mort seconde,
Et de s’ame lui doit bien souvenir,
Qui tousjours vit, et plustost c’une aronde
(hirondelle)
Du corps mortel la convient départir
(se séparer).
Et lors la fault selon ses faiz merir
(être payé en retour)
Ou bien ou mal, car c’est drois jugemens ;
Roys, faictes paix, ne soiez guerrians
Sur vostre loy, alez paiens requerre
(attaquer, livrer bataille) (3),
Car dire puis
(je puis) a chascun des tirans :
Toy mort, n’auras fors que .VII. piez de terre.

L’Envoy
Prince, ou est or Oliviers et Rolans,
Alixandres, Charles li conquerans,
Artus, César, Edouard d’Angleterre ?
Ilz sont tous mors et si furent vaillans.
Et se tu es bien ce considerans,
Toy mort, n’auras fors que .VII. piez de terre.

(1) Pour quoy veulz tu estre si acquerans ? Qu’est-ce qui te pousses à vouloir posséder autant ?
(2) Ton nom pervers yert au monde manans : ton nom détruit n’est plus de ce monde, ton nom disparu n’habite plus ce monde. A vérifier. Dans la recopie du feuillet 114 sur le manuscrit 840 : on peut lire « Le nom » et pas « Ton nom ». Du reste, je ne lis pas « pervers » mais « puers » ou « puezs » dans les deux cas : « Ton nom puers yert au monde manans » (108) et « Le nom puers ert au monde manans » (114)
(3) Si l’on se fie à l’analyse de Miren Lacassagne (Présence de l’épopée dans l’œuvre d’Eustache Deschamps, dans Études de littérature médiévale offertes à André Moisan, Presses universitaires de Provence 2000), Eustache fait ici, un clair appel pour la paix franco-française.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure utilisée pour l’image d’en-tête comme pour l’illustration est tirée du Ms Royal 20 C VII : Chroniques de France ou de St Denis. Le manuscrit médiéval, daté de la fin du XIVe siècle (vers 1380) et contemporain d’Eustache Deschamps, est actuellement conservé à la British Library. Vous pouvez le consulter ici. L’enluminure de la mort triomphant dans le coin inférieur de l’illustration est, quant à elle, tirée du Livre d’heures à l’usage de Rome. Référencé Rés 810367, ce manuscrit du début du XVIe (1510) et actuellement conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon.

Agenda : Début septembre, Vienne célèbrera son histoire médiévale pour deux jours de fête

Sujet : agenda médiéval, fêtes médiévales, fêtes historiques, patrimoine, animations, marché médiéval, Moyen Âge festif, animations médiévales.
Evénement : la 10e fête historique de Vienne
Lieu :  Vienne, (Civitas Sancta), Isère,  Auvergne-Rhône-Alpes
Dates : les 2 et 3 sept 2022

Bonjour à tous,

es samedi 2 et dimanche 3 septembre prochain, l’histoire vivante investira à nouveau les murs de la cité de Vienne, en Auvergne Rhône-Alpes. Comme chaque année, à la fin août, on y célébrera, durant un week-end complet et à grands renforts d’animations, la ville du temps de ses évêques et de son Moyen Âge.

10e édition de la fête historique de Vienne

Annulées en 2020, ces célébrations historiques qui attirent, chaque année, près de 25000 visiteurs avaient échappé, de peu, au même sort, l’année dernière, pour se tenir, finalement, dans un contexte encore incertain et des mesures sanitaires changeantes. Pour cette 10e édition, elles reviennent, cette fois, au mieux de leur forme et dans la sérénité. De fait, l’organisateur de cet événement, l’Association Vienne Historique, compte bien renouer avec la tradition et faire oublier les aléas des deux années passées ; le programme est là pour en témoigner.

500 bénévoles et de nombreuses compagnies

Fête historique de Vienne - Affiche officielle de ces animations médiévales

Si la fête historique de Vienne est très fréquentée, sa réussite tient aussi beaucoup à l’implication de ses organisateurs et des habitants de la cité historique. Pour donner la mesure du nombre d’acteurs locaux engagés dans sa réussite, il est question de plus de 500 bénévoles auxquels viendront s’ajouter pour cette 10eme édition, de nombreuses artistes, bateleurs, musiciens et compagnies médiévales.

Sur le thème « Les Templiers – de Calixte II à Clément V« , le voyage dans le temps s’envolera en direction du Moyen Âge central, pour évoquer l’histoire des templiers, de Calixte II, premier pape à les avoir placés sous sa protection à Clément V, celui qui scella tristement leur sort ; la cité vit même ce dernier événement passer en ses murs, lors du Concile de Vienne qui, entre 1311 et 1312 vit s’associer le roi Philippe le Bel et le Pape Clément V pour mettre fin à l’ordre des moines chevaliers.

Animations médiévales permanentes

Pour l’occasion, le monde médiéval sera donc à l’honneur dans tout le centre historique de Vienne, mais aussi dans ses hauts lieux patrimoniaux comme le jardin de Cybèle et le théâtre antique. Des campements animés par les troupes et compagnies médiévales invitées, y proposerons des démonstrations et passes d’armes, mais aussi divers ateliers à la découverte de la vie quotidienne médiévale. Déambulations, musiques et spectacles de rue seront aussi de la partie.

Toujours apprécié des visiteurs pour dénicher quelques pièces d’artisanat ou quelques gourmandises, la marché médiéval viendra également compléter le tableau avec ses échoppes.

Fête historique et compagnies médiévales à Vienne en Auvergne-Rhône-Alpes
Compagnies médiévales attendues

Les gueux de Volonnes – Celva Tereï – Les Tanarücks – Compagne Faï – Sylvain le magicien – Compostelle – Maître Scavino – La conteuse Doune – Compagnie Bric à Brac – Les pennons de Baraban – La Mesnie de Kallungen – Le courtil des courils – L’ost du Lyon – Midir et Etoile – Equid’Events -Antéa classica – La petite Flambe – Les Goliards – Cantamen – Marina Lys – Merwenn -le Quintette Vocal – Cie Escossor – La Piedtailhe – Le Cercle d’armes du Dauphiné – Les chevaliers des terres d’Occitanie – Les petits Pédestres – La petite Ferme.

Spectacles et temps forts

Du point de vue des temps forts, on pourra compter sur de grands spectacles équestres à la façon des tournois de chevalerie. Ils se tiendront au théâtre antique, à 3 reprises durant le week-end (voir programmation pour ne pas les manquer.) Dans la journée, la place de l’hôtel de ville verra aussi s’affronter les troupes d’infanterie dans de spectaculaires mêlées en armure et de grandes batailles. Autre moment attendu de la fête, le samedi soir s’ouvrira sur un bal médiéval suivi d’un défilé aux flambeaux et de spectacles de magie et de feu, en nocturne.

Pour ceux qui veulent en apprendre plus sur le thème des templiers entre les deux papes, notez qu’une conférence sera donnée, en avant première de la fête, le vendredi 2 septembre à 19h00.

Festival de musiques anciennes

L’ensemble Merwenn

Cette 10e fête historique hébergera également, en son sein, un festival de musiques anciennes. Il se tiendra en la Chapelle Saint Théodore, le samedi et le dimanche. Les auditeurs auront l’occasion d’y assister à 11 concerts sur les deux jours avec les ensembles musicaux Cantamen, Marina Lys Duo, La Petite Flambe, Merwenn, le Quintette Vocal et Antea classica. Assez riche et éclectique, le programme couvre un répertoire qui va de chants polyphoniques et de madrigaux à des chants de gospel, en passant par de la musique baroque et renaissante, des chants vikings ou de la musique celte, en fonction des concerts. Tous les détails sont sur le site de Vienne-Historique.

Voir le programme sur le site de l’organisateur (lien alternatif)

Voir nos articles précédents sur cette fête & sur l’Histoire de Vienne : Edition 2019Edition 2017Vienne et son histoire médiévale

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Monde Médiéval sous toutes ses formes.

Agenda : Aigues-Mortes la belle camarguaise revient au temps de Saint Louis.

Sujet  : animations médiévales, fêtes  historiques, compagnies médiévales, cité médiévale, marché médiéval, marché artisanal.
Evénement  : Fête de la Saint-Louis
Période : moyen-âge festif, XIIIe siècle.
Lieu  : Aigues-Mortes (Gard, Camargue, Occitanie)
Dates : du 27  au 28 août 2022

Bonjour à tous,

e week-end prochain, comme chaque année à la fin aout, Aigues-Mortes célébrera sa fête de la Saint-Louis, en souvenir du bienfaiteur de la cité et des grands aménagements qu’il y conduit dans le courant du XIIIe siècle. A l’époque, le port de Marseille n’est pas sous la main de Louis IX. Il est contrôlé par Charles d’Anjou, roi de Naples et de Sicile. Or, le souverain français avait besoin d’un débouché sur la méditerranée et un port qui permettent d’organiser directement les croisades sans avoir à dépendre d’autres provinces, ni de leurs vaisseaux.

Au programme de cette nouvelle
Fête historique de la Saint-Louis

Affiche de la Fête de la Saint-Louis d'Aigues-Mortes, Occitanie - réalisation Patrick Granier

La vérité est qu’il en faut peu pour voyager dans le temps et au Moyen Âge quand on se rend à Aigues-Mortes. Bordée de ses salins aux mille reflets, la belle cité médiévale avec ses remparts, ses vieilles bâtisses et ses ruelles pavées est, à elle seule, une invitation suffisante. Mais que dire quand ce joyau camarguais si bien préservé convoque en ses murs son histoire médiévale et qui pourrait résister à cette invitation ?

Après une annulation due à la Covid, la fête de la Saint-Louis se réinvite, donc, à Aigues Mortes, comme elle l’a fait depuis plus de 35 ans. Ces célébrations très attendues auront lieu les 27 et 28 août prochain et on y fêtera dignement le retour de Saint Louis avec quantités d’animations médiévales, dans la ville et au pied de ses remparts.

Temps forts : présence de Saint-Louis et tournois

A Aigues-Mortes, la fête Saint Louis est prise très au sérieux et les organisateurs font toujours un effort particulier pour privilégier le réalisme historique et la reconstitution. Pour cette édition, on peut encore s’attendre à ce que cet esprit soit conservé.

Saint-Louis à Aigues-Mortes

Des mesnies de chevaliers et de reconstituteurs, passionnés d’histoire vivante, viendront y installer leur camp ; on y croisera des ateliers variés (calligraphie, tissage, frappe de monnaie, gastronomie médiévale, jeux variés, …) mais aussi des démonstrations de combats en armure, d’archerie et des expositions d’armures et d’armes variés. Tous ces campements devraient fournir l’occasion de découvrir la vie quotidienne et militaire au Moyen Âge central, mais aussi d’échanger avec des férus de cette périodes.

Du point de vue des temps forts, les deux jours inviteront les visiteurs à revivre le départ de Louis IX pour la 7e croisade. Tout au long de ces célébrations, on le retrouvera donc dans les moments les plus symboliques de sa présence à Aigues-Mortes : défilé historique, remise des clefs de la cité, grand tournoi donné en sa présence, et enfin embarquement du roi de France pour les croisades, à la fin de la fête, couronné par un grand spectacle pyrotechnique et symphonique.

Tournoi de chevalerie et spectacle équestre

En ce qui concerne le tournoi de chevalerie, il se tiendra dans l’après-midi du samedi et promet force joutes, cascades et émotions fortes. Pour qui souhaiterait y assister, son entrée est tarifée mais ce n’est pas non plus tous les jours qu’on a l’occasion de s’asseoir sur les tribunes du roi et en sa présence. De plus, le spectacle s’annonce épique.

Compagnies et animations médiévales Fête de la Saint-Louis, Aigues-Mortes, Occitanie

Animations de rues et marché médiéval

Pour le reste, toute la fête est gratuite et les animations ne manqueront pas dans les rues d’Aigues-Mortes entre saynètes, déambulations costumées, festives et musicales, mais encore bateleurs et saltimbanques. On pourra aussi trouver, sur place, un marché médiéval et artisanal et, comme on s’en doute, les tavernes de la cité se feront un plaisir d’accueillir les nobles visiteurs, comme les roturiers, pour y faire ripaille.

Compagnies médiévales et artistes invités

Les blancs manteaux – Le Chevalier d’Algues – – Cie Djinjols – Douves & Donjons – Drakonia – Gruppo Storico Sbandieratori y Musici Ducato di Parma fornavo taro – Animaléa – Les Gueux de Volonne – Merces – Osco Musique – Les Sans Terre de Regordane – Turba Musica – Nostradamus.

Pour les passionnés d’histoire, une exposition sur le thème de Saint-Louis est prévu à partir du vendredi et tout au long de l’événement. Une conférence viendra également la compléter le dimanche sur le thème de Louis IX sur la route des croisades.

Voir le programme sur le site officielTéléchargement alternatif.

Voir nos articles précédents sur les fêtes médiévales d’Aigues-Mortes :
Edition 2019Edition 2018Les tournois 2018Edition 2017 Les tournois 2017 Edition 2016 & histoire détaillée d’Aigues-mortes.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Manuscrit de bayeux : Un épérvier pour un loyal amant

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, renaissance, courtoisie, amour courtois, épervier, symbole, manuscrit médiéval, fauconnerie, autourserie, fine amor, fin’amant
Période  : Moyen Âge tardif, Renaissance,
Auteur : Anonyme (XVe siècle)
Titre : Ung espervier venant du vert boucaige
Manuscrit : Manuscrit de Bayeux (1505-1510) et version de Théodore Gerold pour la graphie moderne (1921)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partons pour les tout débuts du XVIe siècle et l’aube de la renaissance pour y découvrir une chanson courtoise tirée du manuscrit de Bayeux.

Nous avons déjà eu l’occasion de partager, ici, un certain nombre de chansons issues de ce bel ouvrage d’époque. Réalisé pour Charles III, duc de bourgogne, ce manuscrit ancien contient plus de 102 chansons notées en provenance d’auteurs anonymes et que l’on rattache généralement au siècle du manuscrit, voir même au siècle précédent pour certaines d’entre elles.

Sous une copie élégante et de très belle faction, ce véritable mémento des premiers âges de la chanson ancienne française de la renaissance réunit un mélange de pièces variées :on y trouve des chansons populaires au côté de pièces plus courtoises, ou même encore de vers plus satiriques, politiques auxquelles viennent s’ajouter également des chansons à boire.

L’amant, l’épervier et la belle

La chanson du jour dans le MS FR 9346, chansonnier ou manuscrit de Bayeux de la BnF

La pièce que nous vous présentons, aujourd’hui, du Manuscrit de Bayeux est donc une nouvelle chanson courtoise. On y croisera un amant empressé de conter fleurette à sa belle. Pour parvenir à ses fins, il invoquera l’image d’un épervier sauvage qu’il espère capturer et utiliser comme subterfuge. L’oiseau de proie, prisé de la fauconnerie et même plutôt de l’autourserie au Moyen-âge, lui servira de prétexte pour tenter de ravir les faveurs de sa belle, mais aussi pour tromper les envieux.

Comme on le verra, en effet, même si nous ne sommes plus au temps des premiers troubadours, ni même des premiers trouvères, loin s’en faut (deux ou trois bons siècles nous en séparent) les envieux, les jaloux et les médisants que nous avons déjà croisés, abondamment, dans les pièces courtoises des siècles précédents, sont toujours là pour compromettre les plans des amants courtois et leur mettre des bâtons dans les roues.

Épervier, amour et courtoisie

Dans le courant du Moyen Âge, l’épervier est utilisé à la chasse au même titre que le faucon, par les hommes comme par les dames, même si le faucon semble rester l’apanage de la classe noble. Au delà de l’autourserie, ce rapace reste assez fréquemment évoqué, du Moyen Âge central au tardif, comme un symbole de courtoisie.

Enluminure ancienne d'un épervier, Bibliothèque Royale des Pays-Bas
Enluminure d’un épervier (Accipiter) dans le Manuscrit KB, KA 16 : Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant, Bibliothèque royale des Pays-Bas (Koninklijke Bibliotheek)

Dans le roman de la violette

Voici un premier exemple de son rôle dans le Roman de la violette de Gerard de Nevers. Dans un contribution de 2009, l’historien Matthieu Marchal conduisait l’analyse comparée entre la version originale versifiée de ce roman, datée de 1228 et la version en prose du XVe siècle sous l’angle de « l’Espreveterie » :

« L’oiseau de vol, associé à la vie de cour et au loisir, acquiert dès lors une fonction d’apparat ; il est « le compagnon précieux d’une élite sociale ». L’épervier est ainsi dans la violette un attribut du fin’amant.
(…) L’épervier appartient aux oiseaux de poing, ce qui signifie qu’il revient sur le poing de son maître après avoir chassé. La présence de l’épervier – qui, dans la tradition iconographique, est tenu sur le poing gauche – participe de toute évidence au maintien de Gérard, à son port et ajoute à sa séduction. Dès sa première apparition à la cour, Gérard tient son épervier sur le poing et provoque l’émoi d’une noble dame

(…) L’identité de Gérard est en relation étroite avec l’épervier qui lui sert d’emblème et témoigne aux yeux de tous de sa courtoisie, à la cour comme en exil. Dès lors, Gérard ne peut se défaire de son oiseau de vol qu’il tient le plus souvent sur le poing. »

L’art de la chasse à l’épervier ou espreveterie, du Roman de la Violette à sa mise en prose Gérard de Nevers, Matthieu Marchal, Déduits d’Oiseaux au Moyen Âge, direction Chantal Connochie-Bourgne, Presse universitaire de Provence (2009)

Enluminure d'un épervier retouchée
La même enluminure, tirée du même bestiaire médiéval et légèrement rafraichie au niveau des couleurs par nos soins

Dans Erec et Enide et chez Chrétien de Troyes

On retrouvera encore l’épervier dans le premier roman arthurien de Chrétien de Troyes (Erec et Enide, vers 1164). Erec déclarant que l’élue de son cœur est la plus belle gagnera en retour un épervier et les deux amants seront accueillis à la cour d’Arthur avec une grande liesse :

« Au terme de ce parcours dans Érec et Énide, force est de constater d’une part la récurrence du motif des oiseaux de chasse, d’autre part, sa charge significative et son rôle crucial dans le récit. Loin de ressortir au registre des détails anecdotiques, les oiseaux de vol, et en particulier l’épervier, sont porteurs d’une charge sentimentale et symbolique forte. »

De l’épervier à l’émerillon : images de la chasse au vol dans les romans de Chrétien de Troyes, Baudouin Van den Abeele, Pour l’Amour des mots, sous la direction de Martine Willems, Presses de l’Université Saint-Louis (2019)

Chez Giraud de Bornelh à François Villon

Pour en prendre deux autres exemples à des moments différents du Moyen Âge. Tout d’abord, revoyons la chanson médiévale « No posc sofrir c’ a la dolor » de Giraud de Bornelh (fin XIIe, début XIIIe siècle). Le troubadour nous contait alors le songe d’un épervier venu se poser, spontanément, sur sa main. Après que le poète ait confié son rêve au seigneur qui lui est proche, ce dernier l’interprétera, sans hésitation, comme un signe de sa future réussite en amour. Là encore, l’épervier vient évoquer le sentiment amoureux ou en être le signe.

Enfin, on évoquera la ballade faite, au début du XVe siècle, par le maître de poésie François Villon pour un gentilhomme désireux de témoigner son amour à sa belle. Une nouvelle fois, l’épervier est évoqué, dès les premiers vers de cette ballade médiévale qui ouvre sur la strophe suivante :

« Au poinct du jour, que l’esprevier se bat,
Meu de plaisir et par noble coustume,
Bruyt il demaine et de joye s’esbat,
Reçoit son per et se joint à la plume:
Ainsi vous vueil, à ce désir m’allume.
Joyeusement ce qu’aux amans bon semble.
Sachez qu’Amour l’escript en son volume,
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble. »

François Villon Voir la ballade entière de Villon ici


Ung espervier venant du vert boucaige
Dans le français du manuscrit de Bayeux

Ung espervier venant du vert boucaige :
Il est jolis et de noble façon;
Se je le puis tenir et mectre en caige,
Je l’iray voir,
Je l’iray voir, car c’est droict et raison


J’yray voller si tres parfaictement
Que les jalloux en seront esbahiz :
Et se je trouve nulle maulvaise gent,
Je leur diray que je quiers la perdrix.
Mais je querray la belle au cler visaige,
Celle qui tient mon cueur en sa prison ;
A la servir mectray cueur et couraige :
Par mon serment j’ay bien droit et raison.

Ung espervier…

Tous ces jalloux si puissent enrager :
Notre Seignour les veuille conjurer,
Et trestous ceulx qui les pourront tromper
Puissent chanter et bonne vye mener !
J’en congnois ung, a bien peu qu’il n’enraige
Quant il me voit auprès de sa maison :
Mais s’il debvoit mourir de malle raige,
Si convient il qu’il en viengne a raison.

Ung espervier…


Partition, notation moderne : chanson 42 - Un Espervier du Manuscrit de Bayeux

Pour l’instant, nous n’avons pas encore trouvé de version en musique de cette chanson. Si vous en connaissez une, n’hésitez pas à nous le faire savoir dans les commentaires ou par email. Autre option qui nous ferait plaisir : si un musicien (ils sont nombreux parmi nos lecteurs) voulait se dévouer et proposer sa propre version, nous la partagerions volontiers ici.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de l’épervier, vous trouverez la chanson du jour telle qu’elle apparait dans le manuscrit de Bayeux. Encore une fois la Bibliothèque Nationale de France auprès duquel il est conservé, a fait la faveur de digitaliser cet ouvrage ancien à l’attention du public. Vous pouvez donc le consulter en ligne sur Gallica. Pour les enluminures plus décoratives, on retrouvera le Traité de la Fauconnerie de Frédéric II,  traduction française ou Ms Français 12400. Lui aussi consultable sur gallica.fr