Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

histoire et littérature médiévale satirique autour des lombards

lombards_usurier_banquiers_moyen_age_central_litterature_poesie_histoire_medievaleSujet : proverbe, citation, lombard, usurier, banquier, monde médiéval, littérature, poésie, histoire médiévale
Période : moyen-âge central, du XIIe  au XVIe
Auteur  : Gabriel Meurier, Rutebeuf, François Villon, Don Juan Manuel.
Art, Peinture : Quentin Metsys

“Dieu me garde des quatre maisons
De la taverne, du Lombard,
De l’hospital et de la prison.”

Gabriel Meurier  Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique (1568).

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour être tiré d’un ouvrage qui nous porte sur les rives du XVIe siècle, le proverbe que nous publions aujourd’hui pourrait bien, sans anachronisme, trouver sa place dans les deux ou trois siècles qui en précèdent la publication. On le doit à Gabriel Meurier, un marchand qui, dans le courant du XVe siècle, peut-être poussé d’abord par des nécessités professionnelles, finit par se pencher sur les langues et devenir grammairien et lexicographe. Versé en moyen français, comme en flamand et en espagnol, il rédigea quelques traités de conjugaison et de grammaire, ouvrit même, semble-t-il, une école de langues et on lui doit encore quelques recueils de dicts et « sentences » dont ce Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique dont nous avons tiré le proverbe du jour.

usurier_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissanceDans l’ensemble des dictons rapportés dans son ouvrage, il en a, sans doute, écrit quelques uns de sa plume mais comme il dit lui-même les avoir aussi glanés et répertoriés à longueur de temps et en bon lexicographe, pour la plupart d’entre eux, il est bien difficile, au bout du compte, de les dater ou d’en connaître l’origine précise. L’affaire se complique d’autant qu’il a aussi traduit des proverbes en provenance d’autres berceaux linguistiques. Quoiqu’il en soit, cet auteur a eu au moins le mérite de les répertorier, tout en en passant un certain nombre de l’oral à l’écrit pour la postérité. En dehors de sa valeur historique, l’ouvrage reste, par ailleurs, plutôt divertissant et agréable à feuilleter.

Comme nous le disions plus haut et pour en revenir au proverbe du jour, même si l’on n’en trouve apparemment pas trace avant cet ouvrage, il pourrait fort bien lui être antérieur  avec sa défiance affichée envers ces quatre maisons que sont  la prison, la taverne, l’hôpital et l’officine du « lombard ». Et si l’on comprend bien pourquoi on devrait se garder des trois premières, nous voulons parler plus précisément ici de la dernière, puisque ces « lombards »  reviennent en effet souvent dans la littérature médiévale où ils font l’objet de satires et de critiques directes de la part de bien des auteurs. Mais avant de passer à quelques exemples pris dans ce champ, revenons un peu sur leur origine et leur histoire médiévale, guidé par un article exhaustif du professeur d’histoire et médiéviste Pierre Racine de l’Université des sciences humaines de Strasbourg sur ces questions (1)

Les Lombards, marchands banquiers
du moyen-âge central

M_lettrine_moyen_age_passionalgré les interdictions religieuses et politiques de l’usure depuis Charlemagne, sous la pression des besoins en numéraire et de la croissance économique, la société commerciale et civile du moyen-âge central inventera bientôt des formes de prêts à intérêts contournant les interdits. Les juifs, bien sûr, non soumis aux contraintes que font peser les institutions chrétiennes sur leurs ouailles, les pratiqueront, mais ils ne seront, comme nous allons le voir, pas les seuls.

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Dans les débuts du XIIe siècle, période de forte expansion commerciale, les marchands génois mettront en place un système de contrat de change qui masquera les notions d’intérêt par un habile jeu de chiffres et d’arrondis. Les marchands itinérants italiens en provenance de la région utiliseront ces contrats à leur avantage pour investir et s’enrichir sur les grandes foires de Champagne et sur le pourtour oriental de la méditerranée. Leurs affaires florissantes leur permettront bientôt de devenir, à leur tour, marchands-banquiers et ils commenceront bientôt à s’organiser en véritables compagnies bancaires et commerciales.  Dans le courant du XIIe siècle, le modèle gagnera d’autres régions italiennes et, loin d’être confinée à la Lombardi actuelle, l’appellation de « lombards » commencera à désigner, au sens large, ces marchands et préteurs venus d’Italie du Nord.

Un peu plus d’un siècle plus tard, dans le milieu du XIIIe, toujours bien implantés dans les foires de champagne, ces pourvoyeurs de marchandises luxueuses et d’argent trébuchant gagneront Paris et la cour royale. Par la suite, leur activité se répandra rapidement sur d’autres provinces. A la faveur du marché, ils auront alors délaissé les marchandises pour se spécialiser sur le « commerce » de l’argent et les prêts aux nobles, mais aussi en direction de toute personne, en milieu urbain ou rural, en mal de liquidités. Sous la pression de la usurier_banquiers_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissancedemande, les taux d’intérêt deviendront vite prohibitifs et des premières réglementations seront mises en place. Inutile de dire que l’église, de son côté, n’aura de cesse de lutter contre ces pratiques, même si à quelques reprises on prendra quelques uns de ses dignitaires la main dans la sac.

« Leurs tables de prêt ou casane s’établissaient jusqu’au milieu des campagnes et dès lors ces financiers « lombards » devaient acquérir une mauvaise réputation  à leur tour près des populations ayant recours à leur service. »
Les Lombards et le commerce de l’argent au Moyen Âge – Pierre Racine

En l’absence de choix et outre la condamnation morale que le moyen-âge chrétien fait de l’usure, cette « mauvaise réputation » dont les lombards hériteront, semble aussi s’être fondée sur de sérieux écarts:

« Une enquête, provoquée par des habitants de Nîmes qui se sont plaints en 1275 près du sénéchal révèle que certains d’entre eux avaient été victimes d’une telle pratique (prêts de courte durée avec un système d’intérêts composés), aboutissant pour l’un d’entre eux à un intérêt s’élevant à 256 %. » Opus Cité

A l’évidence, même les tentatives officielles de réglementation ne parviendront pas totalement à encadrer ce trafic et ses abus.  Au sortir, de marchand préteur, le terme de lombard deviendra bientôt synonyme d’usurier, honni du côté du peuple et attaché de toute une ribambelle de « qualités » assorties dans les satires. Bien sûr, de leur côté les puissants et même la couronne y auront largement recours, sachant les utiliser et usant même quelquefois d’un brin d’arbitraire pour confisquer leurs biens.

Pour conclure sur ses aspects historiques, on suivra avec intérêt dans l’article cité, les suspicions ou accusations auxquelles  certaines de ces compagnies bancaires furent sujettes durant la guerre de cent ans, notamment pour leur rôle dans le financement des efforts de guerre des ennemis d’alors. Comme s’il était déjà devenu difficile, dès le courant du XIVe siècle, de mener efficacement des guerres sans l’intervention des banquiers.  Quelle drôle d’idée…

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Le préteur et sa femme, Quentin Metsys (1466-1530) peintre primitif flamand des XVe, XVIe

L’image du lombard
dans la satire et la littérature médiévale

D_lettrine_moyen_age_passionans un monde chrétien qui ne goûte pas l’usure et même si l’on a recours à leurs services, cette mauvaise réputation collera longtemps à la peau des « lombards » et leur vaudra bien des satires  par les auteurs médiévaux du fin fond du  XIIIe  jusqu’au coeur du XVIe siècle. Pour enfoncer le clou, donnons-en quelques exemples, pris dans la littérature médiévale et dans les siècles antérieurs, en commençant par quelques vers de Rutebeuf datant du XIIIe siècle :

« …Là Loi chevaucha richement
Et decret orguilleusement
Sor trestoutes les autres ars,
Moult i ot chevalier lombars
Que rectorique ot amenez 
Dars ont de langues empanez
Por percier de cuers des gens nices
Qui vienent jouster à lor lices,
Quar il tolent mains héritages
Par les lances de lor langages »

Rutebeuf – Oeuvres Complètes. A Jubinal.

Dans la continuité de cet exemple, dans lequel Rutebeuf nous parle de don pour la parole et pour embobiner les personnes naïves (nices) et « voler » « ôter »(toler) maintes héritages, on peut encore valablement citer un ouvrage castillan du XIVe siècle, qui se présente comme un petit traité de moral avec des exemples à valeur pratique : le comte Lucanor, apologues et fabliaux du XIVe de Don Juan Manuel, traduit par Jean Manuel Puybusque (1854). On y trouvera notamment une parabole assez édifiante sur ce même thème de « mauvaise presse » du Lombard, jusqu’au sort (peu chrétien) que lui réserve ici son insatiable soif de possession.

banquier_quentin_metsys_lombards_litterature_histoire_poesie_medievale_moyen-age_renaissanceL’histoire a pour titre Du miracle que fit Saint-Dominique sur le corps d’un Usurier. Elle conte l’aventure d’un lombard qui n’avait de cesse que d’accumuler les richesses. Tombé brutalement malade et sur son lit de mort, un ami lui conseilla de faire mander Saint-Dominique. L’homme s’exécuta mais le Saint étant occupé fit envoyer un moine à son chevet. Craignant que le religieux ne persuade le mourant de faire donation de toutes ses richesses au monastère, ses enfants lui firent dire que l’homme était en proie à une crise et n’était pas visible. Suite à cela, le malade perdit totalement l’usage de la parole – la faute à la rapacité de sa progéniture (dont le conte semble nous dire qu’elle serait héréditaire au moins chez le lombard) – et mourut sans confession et donc privé de Salut. Un de ses fils convainquit alors Saint-Dominique de dire, tout de même, l’oraison funèbre pour le mort. Le Saint accepta et dit dans son oraison « où est ton trésor, là est ton coeur ». Et pour montrer à l’assistance la véracité de ces paroles de l’évangile (Ubi est thesaurus tuus, ibi est cor tuum) il commanda qu’on chercha le coeur du défunt là où il devait, en principe, se trouver. Pourtant, en ouvrant la poitrine de ce dernier pour y chercher l’organe, on ne le trouva pas à sa place. Il se trouvait pourrissant et grouillant de vers dans le coffre, là-même où l’homme avait gardé ses richesses. « Si corrompu , si pourri, qu’il exhalait une odeur infecte » nous dit le conte et le narrateur de conclure sur les dangers de vouloir amasser un trésor à n’importe quel prix, au détriment de ses devoirs et des bonnes oeuvres.

Enfin, donnons un dernier exemple si c’était encore nécessaire. On se souvient d’avoir encore trouvé cette figure du Lombard, prêteur et acheteur d’à peu près tout même le plus amoral, sous la plume de François Villon et de sa gracieuse ballade faite à Monseigneur de Bourbon pour lui soutirer quelques écus.

Si je peusse vendre de ma santé
A ung Lombard, usurier par nature,
Faulte d’argent m’a si fort enchanté
Qu’en prendroie, ce croy je, l’adventure.
Argent ne pend à gippon ne ceincture ;

Requête à monseigneur de Bourbon, Oeuvres de Maistre François Villon. JHR Prompsault (1835)

Finalement, près de trois siècles après Rutebeuf et comme l’atteste le proverbe que Gabriel Meurier couchait sur le papier en 1568, les lombards ne semblaient guère avoir redoré leur blason, ni récupéré leur déficit d’image.


Pour ce qui est des toiles qui nous ont servi d’illustrations tout au long de cet article, elles sont toutes tirées de l’oeuvre totalement originale et incroyablement expressive du peintre primitif flamand des XVe, XVIe siècles Quentin Metsys (1466 -1530). Quelques années avant l’ouvrage de Gabriel Meurier, il faut avouer que le traitement artistique caricatural qu’il faisait du sujet de l’argent et de l’usure, allait tout à fait dans le même sens que la satire littéraire et sociale qui l’accompagnait et y renvoyait de manière très claire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-â sous toutes ses formes


(1)L’article de Pierre Racine date de 2002 et se trouve disponible sur le site Clio.fr et sous ce lien : Les Lombards et le commerce de l’argent au Moyen Âge.

Oeuvres complètes de RutebeufTrouvère du XIIIe siècle,
Achille Jubinal Tome Deuxième (1874)

Requête à monseigneur de Bourbon, Oeuvres de Maistre François VillonJHR Prompsault (1835)

Trésor de sentences dorées, dicts, proverbes et dictons communs, réduits selon l’ordre alphabétique, Gabriel Meurier    (1568).

Le Comte Lucanor, apologues et fabliaux du XIVe siècle
de Don Juan Manuel, traduit par Jean Manuel Puybusque (1854).

Huitain à trente-deux manières et vers brisés de Meschinot

manuscrit_24314_jean_Meschinot_poete_breton_medieval_poesie_politique_satirique_moyen-age_tardifSujet : vers brisés, huitain, vers tronqués, réthorique, culte marial, oraison à la vierge.poésie médiévale
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Ouvrage : Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis XI, Arthur de la Borderie, 1896

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour revenir à la poésie de Jehan Meschinot, auteur médiéval breton du XVe siècle, voici un huitain qui peut se lire de bien des façons et dont le poète breton nous dit lui-même :

« Cette Oraison se peut dire par huit ou par seize vers, tant en rétrogradant  que autrement, tellement qu’elle se peut lire en 32 manières différentes et plus, et à chacun y aura sens et rime, et commencera  toujours par motz différentz qui veult « 

Du côté du contenu, cette poésie s’inscrit totalement dans le culte marial puisque c’est une oraison à la vierge,  Du point de vue de son intérêt, elle reste reste plus à inscrire au titre des « amusements » , voire des curiosités rhétoriques et littéraires qu’au panthéon de l’œuvre de Jean Meschinot. Ce dernier, comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir, excelle largement mieux dans les poésies morales, satiriques ou politiques.

poesie_medievale_jean_meschinot_poete_breton_moyen-age_XVe_huitain_vers_brises_culte_marialCe sont donc des vers brisés, autrement dit des vers qui, une fois  tronqués et séparés en deux colonnes après leur premier hémistiche (la moitié d’un ver à césure donc, eg : six pieds pour un alexandrin ), peuvent être également lus de haut en bas. On n’en connait des exemples qui recèlent de véritables sens cachés (1). Ce n’est pas le cas de celui-ci qui reste une éloge dans tous les sens du terme et quelque soient les sens de lecture qu’on en fait.

D’ailleurs, si vous voulez faire un jeu (assez vite lassant j’en conviens) avec vos amis,  vous pourriez même écrire chacun des 16 hémistiches sur des bouts de papiers différents, les mettre dans un grand chapeau ou un bocal et les tirer dans le désordre. Vous obtiendrez toujours une poésie qui se tient. Comme l’indique d’ailleurs Arthur de la Borderie dans son ouvrage Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis XI, en reportant les propos d’un tiers. Plus que 32 manières, il y en a en réalité 16 puissance 16, mais, on le sait bien et c’en est encore une preuve s’il en était besoin, on ne saurait résumer la poésie aux mathématiques, ni au comptage de pieds. Curiosité au programme donc aujourd’hui, plus qu’œuvre d’anthologie.

Oraison à la Vierge

D’honneur sentier                   Confort seur et parfait
Rubi chéris                    Safir très précieux
Cuer doulx et chier                   Support bon en tout fait
Infini pris                    Plaisir mélodieux
Ejouy ris                    Souvenir gracieux
Dame de sens                    Mère de Dieu très nette
Appuy rassis                    Désir humble joyeux
M’âme déffens                    Très chière pucelette.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

(1)  sortons un peu  du cadre médiéval pour illustrer les vers brisés dans leurs formes les plus intéressantes, avec cet exemple d’une poésie d’époque, écrite à la gloire de l’empereur, à la première lecture, mais tout cela bien sûr, sans compter les césures.

Que Vive à jamais                  l’Empereur des français
La famille royale                     est indigne de vivre
Oublions désormais              la race des Capets
La race impériale                    est celle qui faut suivre
Soyons donc  le soutien        de ce Napoléon
Du Comte de Chambord     chassons l’âme hypocrite
C’est à lui qu’appartient      cette punition
La raison du plus fort            a son juste mérite 

Chanson médiévale du XVe, une bonne année à la façon de Guillaume Dufay

musique_medievale_ancienne_guillaume_dufay_XV_moyen-age_tardifSujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, rondeau, chants polyphoniques.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474)
Titre : bon jour, bon mois.
Interprète : Ensemble Unicorn
Album :  DUFAY, chansons (1995)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn cette fin de semaine de reprise, alors que les agapes du réveillon et leurs bulles semblent déjà bien loin, nous profitons d’être encore dans le temps des voeux pour publier une chanson médiévale d’un des musiciens et compositeurs les plus prisés du XVe siècle:  Guillaume Dufay.

C’est donc un rondeau, une chanson de voeux pour célébrer la nouvelle année. Elle est tirée du manuscrit ancien référencé MS Canonici 213, précieux témoin de la musique de l’école franco-flamande et de l’école bourguignonne de la première moitié du XVe siècle,  qui se trouve  conservé à la Bodleian Library de Oxford.

Cinquante compositions du Moyen Âge  retranscrites depuis le MS Canonici 213

S’il n’existe pas de version consultable en ligne de l’original du codex MS Canonici 213, les plus curieux d’entre vous mais aussi les musiciens qui nous suivent, désireux d’approcher dans le détail quelques partitions de Guillaume Dufay, seront heureux d’apprendre qu’une version du XIXe est tout de même disponible en ligne.  Elle comprend une cinquantaine de partitions retranscrites depuis le manuscrit de la Bodleian Library. En voici le lien : Dufay and his contemporaries _ fifty compositions,  Fac similé du Canonici 213 chanson_poesie_medievale_guillaume_dufay_moyen-age_tardif_rondeau_voeux_nouvel_anpar  Sir John Stainer  et John Frederick Randall Stainer, 1898. 

Pour la chanson du jour et pour vous simplifier la vie , nous avons crée un document plus accessible et facilement imprimable au format pdf. Il contient la partition complète, ainsi que les paroles détaillées et commentées :  télécharger les paroles et la partition de la chanson médiévale « bon jour, bon an » de Guillaume Dufay.

Bon jour, bon an, l’interprétation de l’ensemble Unicorn

Les chansons de Guillaume Dufay par l’ensemble Unicorn

La version que nous vous proposons aujourd’hui de cette pièce du Moyen Âge tardif est tirée d’un album de l’Ensemble Unicorn sorti en 1995 et dédié entièrement aux chansons de Guillaume Dufay.   Nous l’avions déjà  évoqué ici, on y trouve 17 pièces prises dans le registre « profane » de l’oeuvre du compositeur. Elles vont de l’amour courtois à des pièces plus festives, en passant par quelques pièces plus graves. L’album est toujours disponible à la vente en ligne au format CD ou même au format MP3 dématérialisé, sous le lien suivant : Dufay – Chansons – The Unicorn Ensemble.

chansons_musique_medievale_amour_courtois_guillaume_dufay_ensemble_unicorn(vous pouvez également cliquer sur la pochette ci-contre pour accéder au   lien).

Pour une présentation plus détaillée de cette  très sérieuse formation qui, depuis 1991, se  consacre au répertoire des musiques médiévales et anciennes, voir l’article  l’amour courtois mis en musique par un grand maître du XVe.

Bon jour, bon mois : les paroles
dans le verbe de Guillaume Dufay

Cette pièce en moyen-français soulève peu de difficultés de compréhension, mais nous vous fournissons tout de même quelques clés, à toutes fins utiles. Ajoutons que si « l’estraine » désignait un cadeau effectué au jour de l’an, et dont la tradition remontait aux romains, l’expression bonne estraine voulait aussi dire « bonne chance ». (petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire Van Daele). Au vue du contexte, c’est sans doute plutôt au cadeau que  Guillaume Dufay faisait ici référence.

Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine
Vous doinst* (donne) celuy qui tout tient en demaine (1)
Richesse, honnour, sainté, joye sans fin,
Bonne fame* (renommée), belle dame, bon vin,
Pour maintenir la creature saine.

Apres vous doint qu’en joye on vous demaine* (conduise, tienne)
Et lyesse* (joie) tantost* (aussitôt, sans attendre) on vous ameine;
Ainsi pourrez avoir, soir et matin,
Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine;
Vous doinst celuy qui tout tient en demaine,
Richesse, honnour, sainté, joye sans fin.

Et puis vous doint esperance certaine
Sans tristesse, sans pensee villaine;
Tous voz desirs acomplir de cueur fin.
Sans contredit soyez en la parfin* (à la toute fin)
Lassus* (là-haut) logee en gloire souveraine.

Bon jour, bon mois, bon an et bonne estraine
Vous doinst celuy qui tout tient en demaine,
Richesse, honnour, sainté, joye sans fin,
Bonne fame, belle dame, bon vin,
Pour maintenir la creature saine.

(1) demaine : de domaine, possession seigneuriale, en l’occurrence, il fait  référence ici à Dieu. « Celui qui tient tout en ses possessions. »

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Saadi, Marot, contes et poésies croisés sur l’Erémitisme médiéval

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse, poésie politique, morale, persane, citation médiévale. ermite, érémitisme. epigramme, conte persan
Période : moyen-âge central à tardif.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291), Clément Marot (1496-1544)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nour partageons une nouvelle historiette de Mocharrafoddin Saadi, tirée de son célèbre Gulistan et, contre toute attente, nous la croisons même avec d’autres vers de Clément Marot, à près de trois siècles d’intervalles.

Ces vers du conteur persan sont cités dans le cadre d’une parabole sur l’amitié et sur la séparation, mais ce qui nous intéresse ici c’est qu’il nous parle de la figure de l’ermite retiré dans ses montagnes et de ses motivations à fuir les tentations du monde (notamment celles de la chair et de l’amour), en nous gratifiant au passage d’une jolie métaphore.

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J’ai vu dans un endroit montagneux un grand personnage, qui, de toutes les choses de ce monde, se contentait d’une caverne :
 
 » Pourquoi, lui dis-je, ne viens tu pas a la ville? Car tu enlèverais de dessus ton coeur le fardeau qui le tient captif. »

Il répondit :

 » Il y a là des beautés à visage de fée et gracieuses : quand la boue est épaisse, les éléphants glissent. »

Autre temps, autre culture et religion, autres moeurs, quelques siècles plus tard, dans l’Europe du moyen-âge tardif et de la renaissance, on retrouvera deux épigrammes de Clément Marot faisant étonnamment écho au conte de Saadi. A la manière habituelle du poète de Cahors, le ton sera nettement plus vert, pourtant le fond restera le même au moins quant à la motivation de ses ermites. Sur le versant moral, rien n’est moins sûr, il est difficile de mesurer l’humour dans les vers de Saadi, mais, dans le contexte, il semble tout de même plutôt mettre en exergue une forme de sagesse de la part de son ami que de moquer le sérieux de ses motivations.

Sans bien sûr vouloir limiter à cette seule idée commune aux deux poètes, les raisons de coeur ou d’esprit qui ont pu  et peuvent encore pousser les hommes à se retirer du monde et sans non plus prétendre tirer ici de grandes et profondes déductions de ce rapprochement, il demeure amusant de mettre en miroir ces deux textes qui se renvoient l’un à l’autre à travers les siècles. Au passage, on pourrait sans nul doute trouver de semblables paraboles du côté du bouddhisme et de sa tradition d’érémitisme.

Pour une mommerie de deux hermites. Clément Marot

LE PREMIER HERMITE.

Sçavez vous la raison pourquoy
Hors du monde je me retire
En un hermitage à recoy ?
Sans faulte je vous le veulx dire :
Celle que tant j’ayme et desire,
En lieu de me reconforter,
Toujours ce cul arriere tire ;
Le diable la puisse emporter.

L’AUTRE HERMITE.

Je m’en voys tout vestu de gris
En un boys ; là je me confine
Au monde aussi bien j’amaigris ;
M’amye est trop dure ou trop fine ;
Là vivray d’eau et de racine,
Mais, par mon ame, il ne m’en chault ;
Cela me sera medecine
Contre mon mal, qui est trop chauld.

Clément Marot  – Epigrammes

La figure de l’ermite
dans l’occident médiéval

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour en dire deux mots, si la figure (également biblique) de l’ermite a largement alimenté l’occident chrétien médiéval et sa littérature, l’église s’est rapidement élevée contre ces solitaires difficilement contrôlables et qui, de surcroît, mettaient quelquefois leur vie en jeu, en s’exposant, par leur choix de s’isoler, dans un monde médiéval loin d’être sûr et sécurisé, aux dangers du brigandage et autres intolérances, meurtres même quelquefois, etc, . Durant la période  mérovingienne, nombre d’homicides commis notamment à l’encontre de femmes ermites pousseront même Rome à leur en interdire formellement la pratique. L’émergence des récluses et réclusoirs, cette forme d’isolement volontaire en cellule,  contre l’érémitisme au grand air et ses dangers en est une des conséquences.

Qu’ils soient femmes ou hommes, si l’église a lutté pour en contrôler et même en prohiber la pratique, en tentant notamment de les intégrer dans des structures, des institutions, des réclusoirs ou des monastères, la littérature et la culture populaire semble, quant à elle, avoir apprécié les ermites. Il reste au fond une figure biblique deco_medieval_moyen-age_chretiensynonyme de renoncement, de sagesse et d’un certain courage. Du côté des textes religieux et des hagiographies, la vie des saints n’est non plus exempte d’expériences de ce type. Même s’il demeure difficile de mesurer la réalité du phénomène et encore moins de le quantifier, le haut moyen-âge semble en avoir connu un grand nombre. Il en existe des sédentaires ou des errants et on trouve encore des moines qui se retirent de la vie collective pour des périodes d’isolement « relatives » et plus ou moins longues.

Dans de nombreux cas encore, l’ermite ne vit pas seul et on le retrouve entouré ou en petits groupes qui quelquefois enflent avec le temps. Disant cela, on ne peut s’empêcher de penser à l’ironie de l’histoire de Saint-Benoit dérangé dans sa retraite solitaire par des disciples désireux de le suivre et qu’il finit par accepter, pour se voir bientôt tenter d’être empoisonné par eux.

« Sous les Carolingiens, la force du pouvoir politique s’était assuré le contrôle de la société, mais quand cette puissance se désintégra, les peuples fraîchement (et superficiellement) convertis retournèrent à leurs pratiques, dans le même temps que la vie morale du clergé sombrait dans la luxure, la simonie et le nicolaïsme… »
L’ermite au Moyen Age : Erémitisme et anachorèse,  par Marie-Geneviève Grossel, Maître de conférence à l’Université de Valenciennes

deco_medieval_moyen-age_chretienDans le courant des IXe et Xe siècle, au morcellement de l’empire carolingien et suivant cette déliquescence dont nous parle l’historienne médiéviste Marie-Geneviève Grossel dans un excellent article sur le sujet qui nous sert ici de guide, le phénomène de l’érémitisme reculera  pour connaître un nouveau regain dans le courant des XI et XIIe siècles.

« Pourtant devant la décadence qui avait frappé les plus prestigieux établissements religieux en raison de la mainmise des puissants, devant le relâchement du clergé, la violence, la misère des temps, le temps des réformes et du renouveau allait être annoncé par une véritable floraison d’ermites. » Opus cité

On renouera alors notamment avec le monachisme bénédictin des origines et pour un nombre choisi d’ermites, l’isolement sera même une étape pour fonder de nouveaux ordres religieux.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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