Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, poésie satirique, servantois, sirvantès, amour courtois, viole de gambe. Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Interprète : Jordi Savall, Hespèrion XXI, Capella Reial de Catalunya Album : Le Royaume Oublié / La Croisade Contre Les Albegeois / La Tragédie Cathare (2009)
Bonjour à tous,
près avoir fourni quelques éléments sur la biographie et l’oeuvre du troubadour Peire Vidal, nous vous proposons, aujourd’hui, de découvrir une de ses chansons médiévales. C’est un texte satirique, un servantois (sirventès) dans la pure tradition des poètes du Sud de la France. L’auteur toulousain y passe en revue, d’un oeil critique, les maux de son temps pour finir, tout de même, sur une note plus distanciée et plus joyeuse.
L’interprétation que nous vous en proposons nous fournit le grand plaisir de retrouver la direction du du maître de musique Jordi Savall, sa viole de gambe et son incomparable talent.
Jordi Savall et la tragédie cathare – Le royaume oublié
Hespèrion XXI et la Capella Reial de Catalunya à la recherche du royaume oublié
En 2009, à la faveur du 800e anniversaire de la croisade albigeoise, Jordi Savall, accompagné de Montserrat Figueras, et de leur deux formations, Hespèrion XXI et la Capella Reial de Catalunya partait, en direction de la Provence médiévale, sur les traces des Cathares.
Sur le concept du livre album, il proposait ainsi un véritable opéra en 3 actes réparti sur 3 CD différents. Avec un total de 61 pièces, le triple album suivait l’épopée cathare de son émergence dans l’Occitanie de la fin du Xe siècle jusqu’à sa diaspora et sa disparition tardive au moyen-âge tardif, en passant bien sûr par sa répression. Pour la première fois dans l’histoire de la chrétienté, ce tragique épisode de la croisade des albigeois qui divise encore quelquefois aujourd’hui les experts, les historiens et les occitans de coeur, jeta les seigneurs de la France médiévale les uns contre les autres, ceux du Nord contre ceux du Sud.
L’appel de l’Eglise Romaine fut long et insistant et s’il tarda à se faire entendre, cette croisade déborda largement la seule répression de l’hérésie et ne manqua pas de servir les ambitions des uns et des autres. Au bout du compte, la couronne de France qui avait tardé à l’entendre en ressortit comme une des grandes gagnantes.
Pour revenir à ce livre-album d’exception, on y retrouve, au titre de contributions vocales, Montserrat Figueras aux cotés de Pascal Bertin, Lluís Vilamajó, Furio Zanasi, et encore Marc Mauillon. Il fut, à juste titre, largement salué sur les scènes dédiées aux Musiques Anciennes d’Europe. Pour prendre un peu de hauteur, il faut dire que, là encore et comme pour tous les sujets qu’il touche, Jordi Savall se situait au delà de la simple évocation musicale, dans une réflexion profonde et spirituelle sur l’histoire des hommes, et toujours empreinte d’un grand humanisme.
Cette production est encore éditée et vous pourrez la retrouver facilement à l’achat, en ligne. Distribuée par Alia-vox, la maison d’édition de Jordi Savall, elle est disponible au format original livre-CD mais vous pourrez aussi y butiner quelques pièces au format digital MP3 avant de vous décider. Voici un lien utile pour la pré-écouter ou l’acquérir : The Forgotten Kingdom
« A per pauc de Chantar no’m lais »
Il s’en faut peu que je renonce à chanter
A l’hiver du XIIe siècle,
une chanson satirique teintée d’amour courtois
Au vue des thèmes abordés, cette chanson a dû être composée entre 1192 et 1194 date de l’emprisonnement de Richard Coeur de Lion au retour de la troisième croisade. Critique directe du roi de France, mentions des conflits nobiliaires en Espagne, et encore dénonciation du Pape et du Clergé qu’il désigne comme seul responsable d’avoir favorisé la propagation de l’hérésie Cathare (la croisade n’interviendra que quelques 10 années plus tard), notre troubadour balaye tous ses sujets sans mâcher ces mots. Il s’en dit si affligé que pour peu il renoncerait à son art, mais malgré tout, dans la dernière partie du texte, il prend ses distances pour nous conter ses états d’âme et sa joie dans un belle élan de courtoisie et de fine amor pour sa dame de Carcassonne.
De l’Occitan au français moderne
Précisons que la traduction en français moderne que nous vous proposons de ce texte occitan colle fortement de celle de Joseph Anglade (Les Poésies de Peire Vidal, chez Honoré Champion, 1913) même si nous l’avons quelque peu revisitée. Nous avons en effet changer quelques tournures mais également quelques vocables à la lumière de recherches personnelles sur l’Occitan ancien et tâchant aussi de croiser un peu la version de Anglade, pour la mettre en perspective avec celle de Veronica Mary Fraser dans son ouvrage The Songs of Peire Vidal: Translation & Commentary (Peter Lang Publishing, 2006). Grande spécialiste de littérature médiévale, cette dernière est professeur(e) de littérature, ainsi que de vieux Français et d’occitan ancien à l’université américaine de Windsor dans l’Ontario.
A per pauc de Chantar no’m lais
I
A per pauc de chantar nom’lais, Quar vei mort joven e valor E pretz, que non trob’on s’apais, Qu’usquecs l’empenh e.l gita por; E vei tan renhar malvestat Que.l segle a vencut e sobrat, Si qu’apenas trop nulh paes Que.l cap non aj’en son latz près.
Il s’en faut peu pour que je renonce à chanter Car je vois morts, jeunesse et valeur Et mérite, qui ne trouvent plus refuge où s’apaiser Quand tous les repoussent et rejettent; Et je vois régner partout la vilenie, Qui a soumise et vaincu le monde Tellement que je ne trouve nul pays Qui n’ait la tête prise dans son lacet
II
Qu’a Rom’ an vout en tal pantais L’apostolis e.lh fais doctor Sancta Gleiza, don Deus s’irais; Que tan son fol e peccador, Per que l’eretge son levat. E quar ilh commenso.l peccat, Greu es qui als far en pogues; Mas ja no volh esser plages.
A Rome, le pape et les faux docteurs, ont mis dans un tel trouble (agitation) La Saint Eglise, mettant Dieu en colère; Ils sont si fous et si pécheurs Qu’ils ont fait se lever les hérétiques. Et comme ce sont eux qui ont commencé à pécher (Rome) Il est difficile pour les autres de réagir autrement Mais je ne veux prêcher à leur place.
III E mou de Fransa totz l’esglais, D’els qui solon esser melhor, Que.l reis non es fis ni verais Vas pretz ni vas Nostre Senhor. Que.l Sépulcre a dezamparat E compr’e vent e fai mercat Atressi coin sers o borges: Per que son aunit sei Frances.
Et c’est beaucoup de France que vient tout l’effroi De ceux qui d’habitude étaient les meilleurs Car le roi n’est ni fiable ni sincère envers l’honneur, ni envers notre Seigneur. Puisqu’il a abandonné le Saint-Sépulcre Et qu’il achète, vend et fait commerce Tel un serf ou un bourgeois; Pour cela ses sujets français sont honnis.
IV
Totz lo mons es en tal biais Qu’ier lo vim mal et oi pejor ; Et anc pos lo guitz de Deu frais, Non auzim pois l’Emperador Creisser de pretz ni de barnat. Mas pero s’oimais laiss’ en fat Richart, pos en sa preizon es, Lor esquern en faran Engles.
Le monde est pris dans un tel biais Que hier nous le trouvions mauvais et aujourd’hui c’est pire : Et depuis qu’il a renoncé à la guidance de Dieu, Nous n’avons pas appris que l’Empereur Ait accru son honneur, ni sa réputation. Mais pourtant si désormais, il abandonne sottement Richard* (*coeur de Lion), qui est dans sa prison Les anglais montreront leur mécontentement (raillerie)
V
Dels reis d’Espanha.m tenh a fais, Quar tan volon guerra mest lor, E quar destriers ferrans ni bais Trameton als Mors per paor: Que lor orgolh lor an doblat, Don ilh son vencut e sobrat; E fora melhs, s’a lor plagues, Qu’entr’els fos patz e leis e fes.
Quant aux rois d’Espagne, ils m’affligent Parce qu’ils veulent tant se faire la guerre entre eux. Et parce que destriers gris et bais Ils envoient aux maures, par peur. En doublant l’orgueil de ces derniers Qui les ont vaincus et surpassés Il serait meilleur, s’il leur plait, Qu’entre eux se maintiennent paix, loi et foi.
VI
Mas ja no.s cug hom qu’eu m’abais Pels rics, si’s tornon sordejor ; Qu’us fis jois me capdela e.m nais Que.m te jauzent en gran doussort; E.m sojorn’ en fin’ amistat De leis qui plus mi ven en grat : E si voletz saber quais es Demandatz la en Carcasses.
Mais ne laissez jamais qu’un homme pense que je m’abaisse Pour les riches, s’ils se mettent à s’avilir (à empirer): Car une joie pure en moi me guide Qui me réjouit en grande douceur Et je me tiens dans la fine amitié (amor) De celle qui me plait le plus: Et si vous voulez savoir qui elle est Demandez-le dans la province de Carcassonne.
VII
Et anc no galiet ni trais Son amie ni.s pauzet color, Ni.l cal, quar cela qu’en leis nais Es fresca com roz’ en pascor. Bel’es sobre tota beutat Et a sen ab joven mesclat : Per que.s n’agrado’l plus cortes E’n dizon laus ab honratz bes.
Elle n’a jamais déçu, ni trahi Son ami, ni ne s’est fardé devant lui Elle n’en a pas besoin car son teint naturel Est frais comme une rose de Pâques Elle est belle, au dessus de toute beauté Et elle a sens (raison, intelligence) et jeunesse à la fois, Qui la rendent agréable aux plus courtois Qui en font l’éloge avec une honnêteté (honneur?) bienveillante.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : hérésie, historiographie, cathares, albigeois, hérétiques, Histoire, méthodologie Média : conférence Titre : Les hérétiques au moyen-âge, approches historiographiques. Période : du moyen-âge central à nos jours Auteur : André VAUCHEZ
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons d’aborder le sujet des « hérésies » et des mouvements hérétiques de l’antiquité au moyen-âge tardif, examiné du point de vue critique et comparatif de l’historiographie.
Repenser les hérésies médiévales
en perspective de l’historiographie
‘il est un sujet entre tous qui a questionné et fasciné nombre d’historiens médiévistes, à travers le temps, c’est bien celui des différentes » hérésies ».
Or, dans le domaine de l’historiographie, ce thème reste privilégié pour une raison particulière. La notion même « d’hérésie » situe, en effet, déjà l’historien du côté de l’autorité ecclésiastique puisque c’est cette dernière qui nomme et qualifie ce qui est « hérétique » de ce qui ne l’est pas. Pour des raisons de neutralité, on serait donc plutôt enclin de nos jours, et de nombreux historiens le font, à plutôt utiliser le terme de dissidence pour désigner ces pratiques religieuses qui se différenciaient de la ligne officielle de Rome, tout en prônant tout de même souvent un retour à un christianisme des origines.
Au delà du simple fait qui a longtemps consisté à prendre, en quelque sorte « au comptant », une « hérésie » qui stigmatisait socialement des catégories de pratiques sur des bases théologiques mais aussi forcément idéologiques, un autre problème auxquels les historiens ont dû faire face dans l’étude de ces mouvements et Jean-Louis Biget le souligne bien dans ses travaux sur « l’hérésie » cathare, c’est que les sources qui permettent de les analyser sont, bien souvent, des documents laissés par les tribunaux d’inquisition eux-même. De fait, sans totalement les remettre en question, un certain nombre d’historiens nous invite aujourd’hui à les manier avec précaution.
A quel point les questions soumises aux accusés ne les piégeaient-ils pas dans une grille de réponses déjà pré-construites ? A quel point encore, les « hérésies » dualistes et manichéennes auxquelles s’était frotté Saint Augustin durant l’antiquité sont-elles venues servir de modèles aux clercs et religieux du moyen-âge central pour être mises au service de visées politiques ? Jugements biaisés ou stratégies calculées ? Une fois qualifiée et nommée, l’hérésie n’était-elle qu’un instrument idéologique au service d’intérêts « corporatistes » ? Voilà les questions que tout historien sérieux soulève nécessairement, aujourd’hui, face à ce délicat objet d’étude.
Au delà, penser « l’hérésie » en historiographie pour tenter de la reconstruire de manière objective est un exercice qui permet de bien comprendre le mouvement et les avancées de la science historique dans son approche méthodologique comme dans son nécessaire recul critique. A travers son analyse critique des mouvements hérétiques, Andre Vauchez nous invite à une belle leçon d’Histoire sur l’Histoire.
Conférence: hérésies et hérétiques
dans l’Occident médiéval
a conférence sur l’historiographie n’étant plus disponible pour des raisons inconnues, depuis ce jour sur le site de l’Ecole nationale des Chartes et en espérant que cela soit temporaire, nous vous présentons ici une autre conférence donnée par André Vauchez sur le même sujet. Nous laissons tout de même temporairement le lien vers la conférence que proposait alors l’ENC en espérant qu’il soit restauré dans le temps.
Lien initial conférence ENC André Vauchez pour l’instant non fonctionnel : https://www.youtube.com/watch?v=nyl-zFiD3fU
Conférence alternative, la Marche de l’Histoire France inter Les hérétiques du Moyen-âge (nov 2014) avec André Vauchez,
André Vauchez, portrait d’un historien médiéviste et d’un académicien français
ormé à l’école normale supérieure, reçu premier à l’agrégation en Histoire, André Vauchez a fait de sa spécialité l’histoire de la spiritualité et de la Sainteté au moyen-âge, et de manière plus large, le christianisme médiéval. Depuis sa thèse sur l’histoire de la canonisation et de la sainteté à la fin du Moyen Âge, on lui doit un certain nombre d’ouvrages sur le sujet dont un sur Saint François d’Assise qui lui a valu le prix chateaubriand en 2010. Il a aussi contribué à des ouvrages d’ordre plus général sur le monde médiéval et son histoire du moyen-âge, coécrit avec le médiéviste Robert Fossier(1927-2012), lui a également valu le prix Balzan en 2013.
Sur le sujet de l’hérésie, il a publié en 2014, « les hérétiques au Moyen Age : Suppôts de satan ou chrétiens dissidents ? ». Il y revisitait l’histoire des mouvements hérétiques pour y faire tout à la fois le portrait de l’église et de ses intentions, mais aussi celui des mentalités médiévales sous-tendues par ces mouvements.
Professeur émérite des universités, André Vauchez a également été directeur de l’Ecole Française de Rome et est encore membre, depuis 1998, de l’Académie des inscriptions et des belles lettres, dont il fut même le président en 2009.
Sa participation et ses travaux dans le domaine de l’histoire médiévale et l’histoire du christianisme lui ont valu de recevoir le titre d’officier de la légion d’honneur, celui de commandeur de l’ordre des palmes académiques et encore celui d’officier de l’ordre national du mérite. Hors de France, ses contributions et ses publication sont largement reconnues. Il est en effet Docteur Honoris Causa de l’université de Genève, Commandeur de l’ordre national du mérite de la république italienne et membre de plusieurs académies à l’étranger (Italie, Tunis, Vatican, Belgique). Très actif dans son domaine, il y fait autorité et il est encore membre de la British Academy et correspondant de la Medieval Academy of America. Ajoutons pour finir qu’il dirige la revue Mabillon, revue internationale consacré à l’histoire et la littérature religieuse.
Vous l’avez compris, il s’agit là d’un prestigieux intervenant qui maîtrise parfaitement son sujet et c’est un grand plaisir de vous faire découvrir ici cette conférence, autant que son parcours autour de l’histoire médiévale.
En vous souhaitant un excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
« L’enfer est vide. Tous les diables sont ici-bas. » William Shakespeare (Hell is empty All the devils are here)
Bonjour à tous,
ous poursuivons aujourd’hui notre article au sujet de la croisade albigeoise et du siège de Montségur. La dernière fois, nous en étions restés à la population qui occupe le château à partir des années 1230, moment où le seigneur des lieux Raymond de Péreille en fait le haut lieu du catharisme sur la demande de l’évêque cathare Guilhabert de Castres, ce même religieux qui, avant que la croisade ne soit déclarée en l’an 1207, avait débattu avec l’homme qui allait devenir bientôt Saint-Dominique, sans que ce dernier parvienne à le persuader de reculer sur ses croyances. Au moment où cette demande est faite au Seigneur Raymond de Péreille, une communauté cathare se tient déjà à Montségur depuis plus de vingt ans (1210). Il est probable qu’elle vivait jusque là, hors de son enceinte ou au pied du Pog et il est alors question de pouvoir l’abriter au sein la deuxième ligne de remparts du château, tout autant que de permettre à plus de cathares de s’y abriter.
Comme nous l’avions vu, à partir de la fin officielle de la croisade militaire et des accords de Meaux, la forteresse de Montségur, située à trente kilomètres au sud est de Foix et prise dans les contreforts des Pyrénées, reste alors relativement éloignée des grands foyers de tension. A l’abri de son piton de calcaire de plus de 1200 mètres de haut, elle deviendra un refuge pour un certain nombre de cathares, autant que pour une partie des chevaliers faydits languedociens, menée par .
Dans l’article précédent, nous avions terminé sur le faidiment et sur ces seigneurs du sud de la France qui, au sortir de l’année 1229, se retrouvaient privés de leurs fiefs et de leurs titres sur ordonnance royale. Une partie d’entre eux en avait même été dépossédée dès les premières opérations militaires menées par Simon de Montfort, et même s’ils avaient, entre temps, pu reprendre leur château, le pouvoir royal, associé à l’église, les en avait privé à nouveau au sortir de la croisade militaire, achevant de les frustrer et signant aussi clairement sa volonté de garder la main sur la province du Languedoc. Pierre-Roger de Mirepoix était dans ce cas, et le seigneur de Montségur, lui offrit donc l’asile et même, plus tard, sa fille en mariage, tout en lui confiant l’organisation militaire de la place forte. Le faidiment n’étant pas une mesure définitive, on pouvait se poser la question de savoir pourquoi les seigneurs du Languedoc ne s’étaient tout simplement pas désolidarisés des cathares, avant ou même pendant la croisade, acceptant de marcher contre eux. Au fond, la grand majorité de ces nobles était restée chrétienne et ne s’était pas convertie. Pourquoi ne s’étaient-ils pas ralliés au vue de Rome?
Plusieurs raisons peuvent l’expliquer mais avant d’aborder ces questions qui touchent à la classe des nobles languedociens, nous allons, dans cette article, faire un détour pour tenter d’approcher le contexte politique et historique du pays d’Oc au moment des faits.
Catharisme aujourd’hui : du symbole culturel multi-facette au revival « évangélisateur »
On ne peut s’avancer sur l’étude de l’épisode Cathare et la croisade contre les albigeois sans ignorer que ces sujets cristallisent encore aujourd’hui sur les terres du Languedoc et même au delà, un ensemble de représentations complexes. Plus qu’un triste épisode de l’Histoire politico-religieuse du moyen-âge, le catharisme – où plutôt les courants et les différentes réalités qu’il regroupait – est devenu, en effet, un véritable symbole multiples facettes.
Après qu’il ait été instrumentalisé par l’église et le pouvoir royal pour prendre possession des terres du Languedoc au niveau politique, économique, autant qu’en assurer la domination confessionnelle, le catharisme s’est retrouvé souvent lié, huit cents ans plus tard, à d’autres problématiques « identitaires » régionales qu’il est parfois difficile de démêler: symbole d’une période qui consacra la perte de l’indépendance des terres du Sud contre celles du Nord, d’une lutte pour la liberté de culture et de conscience, d’une certaine forme de résistance et/ou encore du martyre collectif de pratiquants d’une religion dans laquelle on lit tous les possibles. En bref, cette pratique religieuse médiévale en marge s’est retrouve intriquée dans une problématique culturelle provinciale identitaire dont il est devenu, quelquefois un symbole élevé au rang d’un véritable mythe.
On alléguera peut-être, avec Michel Roquebert, (voir article) que ces problématiques sont quelque peu dépassées et que le Languedoc a fait, depuis les écrits des premiers « provincialistes », son deuil de certaines confusions de genre. Il ne fait pas de doute que cela soit le cas chez les historiens régionalistes et il serait outrecuidant de mettre en question leur objectivité simplement parce qu’ils proviennent de leur propre champ d’observation, même si l’on peut concevoir que cette proximité de leur objet d’étude ait pu quelquefois les conduire à prendre certaines positions affectives sur le sujet du catharisme. Pour l’anecdote, je me souviens d’un ami sénégalais, sur les bancs de la faculté d’anthropologie, qui voulait s’en aller étudier des pratiques culturelles et ethniques en Casamance et auquel l’anthropologue Jean Métral avait répondu qu’il ferait mieux de profiter de sa venue en France pour aller se confronter à l’altérité des campagnes françaises, plutôt que de céder à la facilité et au biais possible d’une étude sur son propre terrain de naissance. Ce clin d’œil amical étant fait à l’observateur participatif et la déformation possible de son champ d’observation (qui est une donnée épistémologique avec laquelle tout chercheur en sciences humaines doit composer), qu’il suffise de lire un peu à la ronde pour se rendre compte que du côté des credo populaires, les choses n’ont pas tellement changé. Et comme il y a toujours un temps de retard entre l’Histoire telle qu’on la pratique dans les laboratoires et les représentations du grand public, de nombreux sites web se font encore aujourd’hui l’écho de certaines idées déjà un brin obsolètes quand elles ne sont pas simplement biaisées. Classiquement, il s’y mêle tout à la fois, régionalisme, défense de la langue et « pro-catharisme » (nommons-le ainsi pour bien le distinguer). Nous pourrions même citer ici une liste longue comme le bras sur ces questions : de sites web gentiment partisans à de petits jugements placés, ici ou là, de la part de certains historiens du cru, la frontière demeure toujours ténue de l’interprétation historique au jugement de valeur ou à la petite note affective.
Pour donner la mesure de cette actualité, au hasard de nos recherches, nous sommes tombés sur un petit groupe de croyants animés de la ferme intention de recréer une église cathare, au sein même de la ville de Carcassonne. Dans un autre registre, nous avons encore pu croiser l’interview d’un philosophe passionné ayant fait une thèse très sérieuse sur le sujet et fin connaisseur de l’évangile de Saint-Paul. Pour lui, un peu de catharisme, pris comme une distanciation avec le matérialisme, serait rendu presque nécessaire dans notre monde moderne. A l’heure où les monastères catholiques continuent de se vider autant que les églises, il y aurait un donc « modernisme » du catharisme. Et on passe même parfois allègrement le cap de l’intérêt historique ou de « l’idéalisation » pour aller jusqu’à une certaine volonté « d’évangélisation » : en un mot, on voudrait faire vraiment renaître le catharisme de ses cendres et plus seulement sur des dépliants touristiques.
Du symbole culturel « provincialiste » au revival, il y a donc aujourd’hui une idéologie « pro-cathare » ou « pro-cathariste ». Mon propos n’est pas ici de polémiquer sur la liberté de culte, mais simplement de mentionner ces faits pour faire comprendre à quel point le thème est d’actualité dans certains esprits. Autant le dire, près de huit cents ans après les faits, ceux qui entendent faire de l’hérésie albigeoise un idéal religieux pour notre temps restent extrêmement marginaux et ils sont loin de l’Histoire actuelle tel qu’elle s’écrit dans les académies et les laboratoires de recherche. Pour toutes ces raisons et même si cela déborde ici de notre propos, le catharisme et ses représentations actuelles pourraient bien être devenus pour l’ethnologue ou pour le sociologue un sujet d’étude tout aussi passionnant que le catharisme d’hier ne l’est ou ne l’a été pour l’historien.
Du spécifique au générique: un sujet polémique
Si on pourrait admettre, à la rigueur, que l’événement de la croisade albigeoise et la violence auquel il a donné lieu, aient pu être pour un certain « inconscient collectif » le vecteur d’un traumatisme qui perdure, il semble tout de même, du point de vue de certains historiens qu’il fut quelque peu ré-attiser au prisme déformant des représentations modernes: aux idéaux identitaires d’un certain provincialisme ou régionalisme « militant », comme nous le disions plus haut, et encore d’une certaine littérature ou poésie qui ont souvent revisité le sujet du catharisme avec une bonne dose de « romantisme » ou « d’idéalisation », viennent encore s’ajouter aujourd’hui les enjeux d’une industrie touristique qui nourrit et c’est bien légitime sa propre mythologie, ce qui rend l’objet d’autant plus sensible à approcher.
Il faut l’admettre, l’Histoire du catharisme contient tous les ingrédients du drame puisqu’au delà de toute guerre de chiffres, victimes il y a eu. En gardant la tête froide pourtant, en plus d’être économique et régionaliste, le vent qui souffle dans le dos du catharisme pourrait bien aussi être favorisé par un certain anticléricalisme de principe, partiellement hérité du siècle des lumières et que le XXe siècle post soixante-huitard a largement repris à son compte. C’est un peu plus de la bande dessinée ou de la presse à sensation que de l’histoire, mais l’archétype est séduisant qui met en présence la figure des bonshommes et des bonnes femmes, sans armes et sans dents, hors de tous enjeux sociaux, économiques et politiques de leur temps, opposée à la force coercitive, rapace et sans pitié d’une Eglise catholique médiévale représentée comme une corporation ivre de pouvoir et d’ambition, exempte de toute spiritualité avec un monstre calculateur et sanguinaire à sa tête (en l’occurrence Innocent III). N’étant rattaché nous-même à aucune église, il n’est pas question ici de dédouaner ou de juger qui que ce soit. Disons que comme tout narratif simpliste, cet archétype a tendance à nous rendre intellectuellement méfiant ; il s’agit là d’approcher une réalité sociale complexe et quand l’histoire devient un peu trop les bons contre les méchants et se rapproche d’un western hollywoodien, il convient, toujours, de prendre deux pas de recul.
Historiographie, quand tu nous tiens…
Au delà des frontières du Languedoc, l’affaire est donc encore mise en exergue, pour ne pas dire instrumentalisée de bien des façons pour mettre en opposition: régionalisme et nationalisme, monarchisme et république, spiritualité et anticléricalisme, athéisme et religion, etc. N’étant pas non plus immunisés contre les idéologies de leur temps, les historiens eux-même (régionalistes ou non) n’y ont pas toujours échappé et les ont même souvent alimentés. Il y a d’ailleurs, jusqu’à récemment encore, une véritable guerre ouverte qui a pu prendre même parfois des contours totalement navrants, quand, à la faveur d’hypothèses mettant en doute l’authenticité de certains documents fondateurs de l’hérésie par l’église catholique, une partie des historiens du catharisme sont venus à en prendre fortement le contre-pied en dérangeant le vocabulaire de la seconde guerre mondiale pour venir traiter leurs confrères rien moins que de négationnistes ou de révisionnistes! Entre encenser le catharisme ou le dissoudre totalement, il y a sans doute un juste milieu, et gageons qu’avec le temps la vérité se fasse jour. Certains historiens sérieux ont d’ailleurs déjà mis quelques guillemets à leur certitudes au vue des nouvelles théories sur l’hérésie dont Jean-Louis Bigets’est fait en grande partie, la tête de file. Après ses travaux, la notion de pratique dissidente chrétienne n’est aujourd’hui plus tout à fait un gros mot et l’on admet que la dose d’exotisme du catharisme n’est peut-être pas à rechercher si loin que cela.
Pour conclure rapidement sur ces aspects, dont on ne peut faire l’économie en abordant la question du catharisme, l’historiographie doit encore ici venir au secours de l’Histoire pour nous permettre d’avoir une vision « claire » non de la sacro-sainte « vérité historique » sinon de l’histoire reconstruite par les interprétations des historiens. Il y aura décidément toujours de l’humain dans les sciences humaines. Fort heureusement, malgré les quelques emportements entre experts auxquels nous faisions llusion plus haut, nous sommes tout de même en présence de fins intellectuels et théoriciens qui ont à l’appui de leurs arguments des faits autant que leur bonne foi. Pour faire bonne mesure, je conseillerai donc la lecture à la fois d’un Jean-louis Biget comme d’un Michel Roquebertsur ses problématiques pour s’en faire une idée.
Quoiqu’il en soit, vous l’aurez compris, la croisade contre les albigeois est un sujet épineux qui divise et sur lequel se tenir à une certaine distance, hors des analyses lapidaires, archétypales ou partisanes, peut même encore aujourd’hui se présenter comme un exercice délicat, au milieu des échauffourées. N’ayant rien à y gagner et rien à y perdre, nous nous situons quant à nous sur une ligne dépassionnée avec l’unique préoccupation d’approcher le contexte social, culturel et historique du Languedoc médiéval autour de ces événements, ainsi que les forces en présence. en évitant, autant que faire se peut, de nous chausser de la loupe déformante des idéologies ou des vues de tous bords, qu’elles soient de coeur, de foi ou d’intention.
Lecture culturelle et lecture sociale du Languedoc médiéval
Au XIe siècle, c’est un fait acquis, le pays d’Oc est une province à part, avec sa propre langue, ses us et sa culture. De nombreux historiens se sont pourtant souvent sentis obligés de pondérer quelque peu l’importance de ce que l’on peut nommer aujourd’hui « un sentiment identitaire ou culturel provincial fort » pour mieux replacer cette notion dans son contexte médiéval et pour mieux comprendre la réalité des forces et des enjeux en présence autour de la croisade des albigeois. Ils l’ont fait, principalement, en réaction à certaines formes modernes de représentations ou de régionalisme qui, se tournant vers le Languedoc médiéval pouvaient être tentées, parfois, d’y projeter des valeurs qu’elles portaient ou auxquelles elles aspiraient et nous rejoignons là inévitablement les éléments approchés dans notre introduction. C’est, cela dit, une tendance fréquente contre laquelle les historiens nous mettent toujours en garde, et croyez-moi, j’ai beau ne pas être normand, je sais de quoi je parle.
Il s’agit donc ici de re-contextualiser pour mieux les délimiter les frontières entre un Languedoc historique quelquefois idéalisé au vue des représentations modernes, et un Languedoc historique dans sa réalité médiévale. L’analyse a le mérite de permettre de mieux replacer le catharisme dans son contexte social et culturel, autant que dans sa réalité historique.
Romantisme culturel contre réalités féodales: vers une analyse sociologique de classes
S’il ne faut pas préjuger de l’absence de barbarie de notre monde moderne, le monde médiéval et la féodalité n’offrent pas non plus l’image d’une société harmonieuse et idyllique où toutes les couches de la société se seraient retrouvées unies autour de valeurs culturelles partagées au coin du feu, dans une douce indolence et un bonheur sans faille, le tableau fusse-t-il complété par les doux chants d’amour courtois des troubadours d’alors. Pour le dire autrement, s’il y a indéniablement un socle culturel commun, des particularismes et des typicités sur les terres du sud de la France médiévale et dans le Languedoc des XIIe et XIIIe siècles, ces éléments ne suffisent pas à assurer une cohésion susceptible de transcender ou de gommer la force des réalités sociales et féodales.
Au niveau sociologique et même s’il existe certains particularismes d’une province à l’autre, l’organisation de la société féodale nous met, en effet, face à l’image d’une fracture entre les différentes classes. La classe militaire et noble qui tient le pouvoir y règne et domine celle des paysans: vilains comme serfs (ces derniers étant les plus nombreux en Languedoc). Cette classe de travailleurs de la terre forme la grande majorité du reste et se trouve fortement exploitée dans le cadre du système féodal. Dans les villes, qui sont en expansion à la faveur de l’essor commercial – et c’est le cas de Toulouse qui se développe fortement dans les courants des XI et XIIe siècle, au point de devenir l’une des plus grandes cités d’Europe – on trouve encore de petits artisans et des petites gens, aux côtés d’une classe intermédiaire plus fortunée qui tire son épingle du jeu et qui est représentée par la classe des marchands, des usuriers, et encore par certaines corporations d’artisans puissants tels que les tisserands. Cette classe intermédiaire forme une classe bourgeoise qui prend de l’importance et trouve des alliances auprès des nobles. Hors de son succès économique qui l’a déjà distanciée des classes populaires, elle cherche pourtant encore sa place et les moyens de son élévation entre les classes aristocratiques au pouvoir et les classes religieuses qui ne lui ouvrent pas encore leurs portes.
De son côté, la classe religieuse catholique d’alors recrute principalement ses chanoines et le personnel de son épiscopat dans les classes aristocratiques. Ce XIIe siècle est aussi le siècle d’or des cisterciens. L’ordre des moines blancs y forme une élite issue de l’aristocratie qui, par son origine, son organisation, son ingéniosité, et sans nul doute encore par le charisme de son fondateur, pèse fortement sur l’économie, sur le pouvoir politique et même sur l’église. En 1145, Bernard de Clairvaux tentera d’ailleurs, sans rencontrer de vif succès, de prêcher pour le retour des cathares dans le giron de l’église et on prêtera, par la suite, un grand rôle aux cisterciens auprès de Rome, dans toute l’affaire albigeoise et sa répression par la croisade.
Du côté des particularismes, dans ce contexte féodal du XIIe siècle, il faut souligner que Toulouse se dote d’une organisation originale puisque les comtes y ménagent un espace afin que la ville puisse élire ses propres représentants: les Capitouls. Issus pour la plupart des milieux aristocratiques locaux, ils défendront dans l’exercice de leurs décisions leurs propres intérêts de classe, mais il semble que l’intérêt général sera également pris en considération dans certains cas, ce qui représente un progrès, mais ne remet pas fondamentalement en cause le schéma social féodal global. Au quotidien de la vie médiévale, les classes sociales restent relativement cloisonnées et les réalités quotidiennes se passent sous le signe de cette appartenance. Cette dernière coexiste avec la réalité du rattachement au champ du social et du culturel par le fief, la ville ou le seigneur qui forme assurément au quotidien, un cercle d’identification bien moins abstrait que l’ensemble de la province et ce même si les grandes routes commerciales qui s’ouvrent alors et la multiplication des échanges, viennent raccourcir quelque peu les distances.
De son côté, la dissidence chrétienne albigeoise pénétrera plutôt les milieux urbains, riches et cultivés et l’élite de la province, autrement dit ses milieux bourgeois et une partie de sa noblesse. On ne trouvera pratiquement pas de paysans, ni même de petits artisans cathares, même si on trouvera une forme marginale de catharisme montagnard, (Emmanuel Leroy Ladurie; « Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 » et « Clergés communautés et familles des montagnes d’Europe », Serge Brunet.)
Avant comme après la croisade, il ne semble donc pas que le catharisme échappe à ces enjeux de classe et c’est dans cette lecture sociale qu’il faut l’inscrire. Au moment où s’organisera la résistance, et si l’on se fie à l’historien médiéviste Jacques Le Goff, la position de chacun sur l’échiquier social et confessionnel sera confirmer dans les faits. Dans ce schéma, le catharisme ne sera alors pas considéré comme partie-prenante d’une identité culturelle forte occitane:
« La participation à la résistance des couches inférieures de la société urbaine et rurale paraît avoir été faible. Petits artisans, manœuvres, paysans endettés à l’égard de la bourgeoisie souvent hérétique ou opprimés par des seigneurs alliés à ces hérétiques ont même, semble-t-il, assez bien accueilli les croisés, puis l’administration royale. » Jacques le Goff – Universalis – Croisade contre les albigeois.
Encore une fois, il ne s’agit pas de nier l’importance du liant que peut représenter l’identité culturelle, mais simplement de le remettre en perspective dans son contexte politique et social médiéval, autant que de remettre le catharisme à sa juste place dans ce même contexte. Tout ceci relève, cela dit, de l’évidence. Dans le bras de fer entre forces sociales et culturelles, les premières ont tout de même tendance, la plupart du temps, à supplanter les dernières et il n’y a guère de raisons que le Languedoc médiéval échappe à cette règle. De fait, il ne semble pas qu’il y ait alors sur le terrain, des forces culturelles transcendantes si puissantes qu’elles aient pu gommer les différences sociales et la réalité du monde médiéval, pas d’avantage qu’elles n’ont pu entraîner un consensus culturel ou social massif autour de la question du catharisme. Ce dernier reste alors un phénomène religieux de classe qui a rencontré un succès relatif dans le milieu intellectuel, élitiste et nanti ciblé. Tout cela n’exclut pas, bien sûr, qu’il y a ait pu y avoir des formes de solidarités occasionnelles aux points culminants de l’oppression des cathares, comprenons bien que les analyses sociologiques sont toujours tendancielles. Dans le même registre et à d’autres occasions, certaines villes se soulèveront d’ailleurs contre les croisés, ce sera notamment le cas de Toulouse lors de son occupation par Simon de Montfort.
La Languedoc médiéval politique : luttes intra-provinciales, alliances et mésalliances
Au niveau du contexte politique, à l’intérieur du pays d’Oc, les tensions d’une seigneurie à l’autre ne sont pas rares. Le XIIe siècle, qui est celui du développement du catharisme (et sans d’ailleurs, qu’il y ait corrélation), est, en effet, une période émaillée de conflits entre Toulouse et les comtés voisins, mais aussi avec ses propres vassaux et vicomtes. Les alliances s’y font et s’y défont dans un midi, qui est loin d’offrir l’image d’une région pacifiée et unie. Dans ce contexte, le comté de Toulouse peine même à se constituer comme une entité forte sous l’ambition des luttes intestines entre les provinces qui le composent, autant que sous la convoitise de celles qui l’entourent: revendications de titres diverses et variées, alliances et mésalliances, trêves et trahisons, le tout ponctué d’habituels tentatives de mariages stratégiques pour unir les lignées et tenter de consolider la paix. Les alliances des Trencavel avec les Aragonais compliquent grandement la situation et il faut lire l’article de Gérard Pradalié: les comtes de Toulouse et l’Aquitaine du IXe-XIIe siècles, pour mieux approcher les problématiques de la fragilité politique de ce Languedoc médiéval.
La situation n’ira pas sans créer des tensions entre les habitants et le pouvoir comtal et, à quelques reprises, dans le courant du XIe siècle, le comte de Toulouse se verra même contester sa légitimité par les habitants de la ville, et pire, au profit de la couronne royale de France. Nous sommes alors en 1188:
« Comme en 1164, les toulousains menacent de lâcher le comte non au profit de l’Aquitain, mais en faveur d’un pouvoir lointain et efficace et au prestige grandissant, celui des Capétiens. Depuis 1141 et 1159-64, les Aquitains sont en effet perçus comme une menace d’autant plus grande qu’elle s’accompagne désormais d’une accusation infamante et dangereuse d’Hérésie, d’où leur rejet. » Gérard Pradalié: les comtes de Toulouse et l’Aquitaine du IXe-XIIe siècles, sur Persée.
Pour revenir à « l’hérésie » dans ce contexte, on n’aura noté au passage dans cette citation, qu’elle se trouvait déjà instrumentalisée dans un conflit de titres et une guerre de conquête, plus d’un demi-siècle avant le déclenchement de la croisade, montrant bien comment, dans le monde médiéval, les sphères du politique et du religieux demeurent indissociables et n’ont de cesse de s’instrumentaliser mutuellement pour servir leurs propres fins.
Ajoutons que pour autant qu’ils aient leur originalité, ces états de tension n’ont, au fond, pas grand chose d’exceptionnel. Ils sont alors, peu ou prou, le lot de nombreuses provinces ou de seigneuries voisines sur une grande partie des terres de l’Europe médiévale, dans un contexte où les couronnes entendent bien, elles-aussi, se renforcer et sont de plus en plus partie-prenantes des conflits. Et d’ailleurs même si le roi de France, Philippe-Auguste, occupé à fouetter d’autres chats, ne s’investira pas alors lui-même dans la croisade des albigeois, ses descendants ne tarderont pas à intervenir directement en Languedoc pour se l’approprier.
L’instrumentalisation politique de l’Héresie de Toulouse à Trencavel
Sur le thème du catharisme dans le cadre de ces conflits politiques, on trouve encore une utilisation par le comte de Toulouse lui-même de « l’hérésie » pour justifier sa lutte territoriale et politique contre les Trencavel, comme nous l’apprennent les travaux d’Hélène Debax, historienne qui s’est notamment signalée en montrant, à partir d’un patient travail d’étude sur les documents d’époque, que le Languedoc était, au moyen-âge, à l’image des autres provinces de France, profondément régi par la féodalité, contre certaines idées qui avaient longtemps fait l’unanimité:
« Les Trencavel se trouvent pris pour un siècle dans les revirements de cette histoire conflictuelle. Les événements prennent, cependant, une tournure périlleuse à la fin du XIIe siècle lorsque le comte de Toulouse, Raymond V, cherchant à s’assurer, par l’arme spirituelle, le contrôle de territoire que la faiblesse structurelle de son pouvoir lui avait aliéné, dénonce l’hérésie, focalisant ses attaques – l’adjectif impropre « d’albigeois » en témoigne encore – contre les terres de Trencavel. » Hélène Débax. La féodalité languedocienne, XI-XIIe siècles. Chastang Pierre – Persée
Pour conclure sur ces luttes provinciales internes, dans le puissant comté de Toulouse où les comtes avaient longtemps régné sans être soumis à l’autorité royale, des faiblesses endémiques n’ont pas permis de constituer l’embryon d’un royaume fort qui aurait pu faire échec aux convoitises extérieures et les freiner, ni de contrer les événements qui allaient survenir et dont le catharisme fournirait, d’une certaine manière, le prétexte. Les efforts pour arriver à un équilibre qui atteint son point culminant en 1208 ne pourront pas se concrétiser plus avant. Un an après, la croisade s’abattra sur le sud. Le revirement soudain du comte de Toulouse et ses « manoeuvres » face au danger, restera vain et ne fera que retarder quelque temps les avancées de Simon de Monfort sur Toulouse. Un peu plus avant, les tentatives des Trencavel comme de Raymond VI pour s’assujettir finiront elles aussi par rester lettres mortes; l’église ayant dès lors perdu toute confiance en la capacité du comte et ses vicomtes, autant qu’en leur réelle volonté de lutter contre l’hérésie cathare.
L’instrumentalisation du catharisme à des fins politiques de tous bords avait pourtant commencé bien avant, même si l’ambition des nobles ou des rois sur le midi et leurs pressions sur leurs évêchés locaux ou sur l’église de Rome, n’auraient pu suffire à eux-seuls à faire déclencher la croisade par Innocent III. Il fallut bien qu’il y ait d’autres raisons profondes fussent-elles confessionnelles, doctrinales ou politiques, ou peut-être les trois à la fois, pour que Rome décide de s’en aller en guerre contre les albigeois.
Faits culturels, faits langagiers et place du catharisme dans le berceau occitan.
Pour revenir au catharisme comme « fait culturel » languedocien, au delà des faits culturels que le pays d’Oc produit alors, et on ne peut dire cela, sans penser au phénomène des troubadours et à la marque que leur art unique imprimera au delà des frontières de la province et sur les siècles à venir, il y a eu, de tout temps, une réalité à la formation des sentiments d’appartenance ou d’attachement à une « culture »: la langue commune. C’est une condition nécessaire et préalable, même si elle a toujours été insuffisante, la carte des conflits humains ayant, en effet, depuis longtemps démontré qu’elle ne pouvait être calquée sur les langages partagés. Mais il est vrai qu’alors le nord parle la langue d’Oil et les terres de Toulouse, d’Albi et du midi disent Oc pour oui. Au delà des variations dialectales qui définissent sans doute aussi le proche et le distant, le familier et l’étranger, à l’intérieur du berceau de l’Occitan parlé, une ligne de démarcation linguistique et culturelle existe donc et elle est bien réelle mais elle ne suffira pas, là non plus, à assurer une forte pénétration du catharisme puisque la zone couverte par la langue d’oc n’accueillera pas, tout entière, loin s’en faut, cette pratique religieuse.
Concernant l’expansion de cette dernière, il semble d’ailleurs que l’Histoire ait encore des difficultés à expliquer pourquoi, sans parler de ses possibles formes extérieures aux frontières de la France actuelle, elle se soit retrouvée circonscrite à une petite partie du midi sans conquérir l’ensemble du berceau de la langue d’Oc qui la débordait alors largement. Du côté de la province seigneuriale, elle ne se répandra pas d’avantage à l’ensemble des territoires alors sous obédience directe ou indirecte comtale et il suffit de mettre en apposition les deux cartes produites ci-dessous pour s’en rendre compte. Relativement cantonnée au comté de Toulouse et ses environs, elle ne passera pas certaines frontières toutes proches où elle se serait pourtant retrouver en terrain allié et, dans le même temps, elle prospérera entre une terre comtale et les terres d’un de ses vicomtes qui sont pourtant en conflit ouvert (Albi et Toulouse).
Limites ou lenteurs de propagation
On alléguera peut-être que les « évangélisateurs » cathares n’en eurent pas le temps, ce qui se tient dans l’absolu, mais n’est qu’à demi-satisfaisant, si l’on songe que le catharisme était déjà relativement bien installé dans la région depuis plus de cinquante ans quand la croisade intervint. C’est un délai qui pourrait sembler suffisant pour essaimer hors du rayon qu’il occupe alors en remontant le jeu des alliances nobiliaires. Au titre des hypothèses, il est possible que sa propagation ait suivi le fil de certaines lignées familiales ou cousinages pour se propager. Il est encore possible que les nobles s’ils en étaient sympathisants pour des raisons qui restent à élucider (puissance économique des classes bourgeoises cathares? conversion de certains membres de la lignée?), n’étaient pas eux-même convertis dans leur grande majorité, ce qui semble avéré. D’après Jean-Louis Biget, il semble hélas que des études précises sur ces questions généalogiques à grande échelle n’aient toujours pas été conduites à ce jour, ce qui pourrait sans doute nous éclairer un peu sur ces questions. Concernant ces classes supérieures et nobiliaires toujours, il faut se souvenir, comme nous le disions plus haut, que les aristocrates forment alors la base du pouvoir politique comme du pouvoir religieux: un fils militaire préparé à exercer le pouvoir politique et un autre religieux, c’est presque une règle systématisée au sein des mêmes lignées et des mêmes familles. La connexion du pouvoir politique au religieux passe aussi par cette proximité.
D’autres hypothèses plus contextuelles pourraient encore expliquer la relativement lente propagation du catharisme sur un espace culturel et linguistique, et même provincial au fond bien plus large que celui qu’il a fini par occuper. Compte tenu du fait que sa pratique s’adressait, tout de même, à une frange de l’élite intellectuelle et économique, et pas aux couches populaires, compte tenu encore du fait que cette élite était déjà acquise à la religion catholique depuis plusieurs centaines d’années, et ne se trouvait pas nécessairement en but avec l’église romaine, on peut imaginer que la conversion ait pu, sans doute, échopper sur quelques obstacles. Le refus des sacrements, la défiance (et le mot est faible) envers l’église établie et certains aspects doctrinaux ont du encore représenter de fortes contraintes pour procéder aux conversions des familles déjà constituées. Comme nous l’avons vu, cette classe bourgeoise est aussi une classe résolument urbaine qui n’émerge pas encore dans les campagnes; ces dernières n’offrant que peu de prise intellectuelle autant qu’économique au catharisme.
Bien entendu, la présence de précédents et la menace que faisait clairement peser l’hérésie sur les convertis a dû aussi jouer. En dehors de premiers bûchers isolés dans les débuts du XIIe siècle en Languedoc, on a bien vu comment les pouvoirs politiques ont utilisé très tôt l’hérésie, comme fer de lance, dans le courant de ce même siècle pour appeler les soutiens des pouvoirs religieux ou des pouvoirs royaux dans leurs diverses guerres de conquête. On peut donc supposer qu’une certaine stigmatisation s’était installée dans ces mêmes classes et que certaines résistances ou réserves prudentes à se laisser « évangéliser » aient pu encore se faire jour.
La réalité chiffrée du Catharisme
De la même façon, qu’il ne n’étend pas géographiquement à l’ensemble du midi et aux endroits où l’on parle la langue d’Oc, loin s’en faut, le catharisme ne se propagera pas, nous l’avons dit, de manière transversale, à toutes les classes sociales du Languedoc médiéval. C’est une question sur laquelle les historiens modernes semblent s’entendre. Les conclusions de Jean-Louis Biget avancent que la dissidence cathare touchait alors 5 à 6% de la population globale.
«L’examen attentif des sources révèle qu’elle ne touche pas plus de 5 % de la population de la région et peut-être moins. On ne saurait donc voir en elle un fait populaire et majoritaire, pas plus qu’un « fait national occitan ». » Jean-Louis Biget, Le poids du contexte, Editions Picard « Hérésie et inquisition dans le Midi de la France », 2007.
Michel Roquebertparlera, quant à lui, d’un maximum de 50% dans les classes concernées. A vue d’oeil, les deux données représentent tout de même des distorsions même si elles sont présentées différemment. Reste à savoir si elles se recoupent et pour le savoir il faudrait connaître le pourcentage représenté par les classes bourgeoises dans l’ensemble de la société d’alors compte tenu du fait, que c’est de ces classes dont il est question et non pas de la classe nobiliaire qui ne semble pas s’être massivement convertie.
Quoiqu’il en soit, dans les faits, une fraction de l’élite de nobles et des bourgeois des villes, cultivés et nantis, s’est laissée séduire par cette doctrine. Sans même parler de l’assassinat du légat du pape Pierre de Castelnau en 1208, par un écuyer de Raymond VI de Toulouse, par la tiédeur et le peu d’efficacité que ce dernier, comme son prédécesseur avaient montré dans les démarches pour ramener les cathares dans le giron confessionnel de l’église romaine avant même que cette dernière ne déclenche la guerre au catharisme, c’est bien en premier lieu le comte de Toulouse et ses vassaux, et non pas l’ensemble des populations qui se retrouvaient en porte à faux entre Rome et les croisés d’un côté, et les cathares de l’autre. Les attitudes et les revirements restent pourtant complexes et certaines positions peu claires. A la fin du XIIe siècle et avant même la croisade, on a même un peu de mal à comprendre pourquoi, si Raymond V se plaint de la propagation de l’hérésie d’Albi sur ses terres, il finit par montrer si peu d’ardeur à la combattre dans les faits. Il est alors question de prêche plus que d’expédition punitive. Joue-t-il simplement avec le feu dans sa lutte contre les Trencavel ? Dans les années qui suivront l’après-croisade, l’empathie seulement peut-elle expliquer d’accepter de tout perdre? Sans tomber dans le cynisme, c’est une vision idyllique qui ne convainc qu’à moitié.
Quoiqu’il en soit, au sortir de tout cela, le catharisme comme fait culturel et historique languedocien semble sans doute moins fort culturellement et symboliquement que ce qu’en ont fait certaines représentations modernes et, en tout cas, nous le cernons un peu mieux dans son contexte. Ce long détour étant fait nous pourrons prochainement avancer sur le siège de Montségur!
En vous souhaitant une excellente journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : reconstitution historique, château, Cathares, catharisme, siège, Montségur, Albigeois, Période : moyen-âge central Média : vidéo-documentaire, mondes 3D, Des racines et des ailes, France 3. Production : IZIgraph Patrimoine
Bonjour à tous,
ujourd’hui, à la faveur d’une belle reconstitution 3D que nous devons à la société IZIgraph Patrimoine, nous abordons l’histoire du château de Montségur assiégé en 1243-1244 lors de la croisade contre les cathares et, du même coup, nous en profitons pour ouvrir une série d’articles sur cette croisade contre les Albigeois.
Pour qui s’est déjà rendu sur place pour visiter les ruines de ce qui reste de Montségur, la hauteur à laquelle est bâtie la forteresse sur son piton rocheux (ou son pog en bon languedocien) ne peut que faire forte impression. Ses murailles ou ce qu’il en reste, qui sont en réalité les vestiges d’un château construit postérieurement à celui qui subit le terrible siège des années 1240, plafonnent, en effet, à près de 1 200 mètres d’altitude sur un dôme de calcaire qui, un peu à l’image des hauteurs du château de Foix, semble avoir été planté là, depuis des temps immémoriaux, dans l’attente qu’on y juche une forteresse.
Arrivé au pied de cet étonnant relief, on ne se surprend pas que ce mythique château de Montsegur, dernier bastion d’une communauté cathare alors encore significative en nombre ait pu donner tant de fil à retordre aux armées des croisés chrétiens qui, avec la bénédiction des papes et des rois avaient entrepris, au milieu du XIIIe siècle, de mettre fin à une hérésie, elle-même chrétienne. Au moment du siège de Montségur en 1243, une grande majorité des cathares a abjuré, a été décimée ou bannie des terres du Languedoc ou a même fui pour se réfugier vers la Catalogne ou vers l’Italie et la Lombardie notamment),
Une expédition à l’assaut de l’Histoire
n se gare en bas du piton rocheux et on grimpe à l’assaut de la forteresse de Montségur par un petit sentier étroit qui serpente entre la végétation et les arbres et qui semble n’en plus finir. Une fois arrivé en haut, on découvre bien vite qu’il ne reste plus que quelques ruines du château qui fut construit postérieurement au siège de Montségur, mais cela n’importe peu car nous sommes bien sur les terres du drame et les guides très dynamiques et enthousiastes qui vous attendent, au sommet de ce pog, ont tôt fait de vous transporter à travers ses heures les plus glorieuses et les plus sombres.
Se tenant au milieu de sa cour trapézoïdale, la surface laissée semble si petite que l’on peine même à imaginer qu’ici durant près de quarante ans vivaient en moyenne entre 500 et 800 personnes. D’après les sources archéologiques, un véritable village s’y tenait. On avance même que lors du siège de Montségur, quelques mille cathares, fuyant l’inquisition qui sévissait alors dans la plaine du Languedoc, y avaient trouvé refuge. En réalité, outre le fait que les notions d’espace sont quelques fois trompeuses et qu’il est difficile de se les représenter édifiées quand elles sont à nues, la cour du Castrum était loin d’être la seule occupée sur cette montagne. Les quelques murs encore debout ne sont que les vestiges du centre de la place forte. Les autres remparts ont été totalement détruits après coup, ainsi que les autres édifices qui se trouvaient sur les hauts de Montségur et cette excellente reconstitution 3D a le grand avantage de nous permettre de mieux se les représenter, tout en donnant quelques éléments sur le siège que connut le château entre 1243 et 1244.
ême si le treizième siècle avait vu les armées s’aguerrir de l’expérience des croisades successives en terre lointaine, par la nature même de son site, le pog de Montségur a donc été le théâtre d’un des plus longs sièges de l’histoire de la croisade contre les albigeois. Pas moins de dix mois furent, en effet, nécessaires pour faire tomber la forteresse où s’étaient réfugiés non pas les derniers, mais les « presque » derniers cathares.
Quand, en ce début d’année 1243, les quelques cinq mille hommes de l’armée du Sénéchal de Carcassonne Hugues des Arcis, accompagnés de l’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, se regroupent au pied du piton de calcaire en vue de l’assiéger, c’est, en réalité un château et un seigneur chrétien auxquels ils font face, même si ce lieu est devenu, depuis plus de dix ans déjà, un haut lieu du catharisme. Le seigneur auquel la forteresse appartient, un noble occitan du nom de Raymond de Péreille, a, en effet, concédé, en 1230, à l’évêque cathare Guilhabert de Castres de faire de Montségur la tête de pont et le siège de l’église cathare.
1230 Montségur haut lieu du catharisme
e traité de Meaux-Paris a été signé un an auparavant, consacrant la paix entre Paris et Toulouse et ce qui sera le premier pas vers l’annexion définitive de la région par la couronne française moins d’un demi-siècle plus tard. L’inquisition n’est alors pas encore créée, elle ne le sera qu’en 1233 par le pape Grégoire IX, désireux d’en terminer avec le catharisme tout en créant un cadre permettant d’établir des procédures et d’éviter, dit-on aussi, les abus des justices civiles.
Même si cette idée peut faire grincer des dents, certains historiens et juristes avancent en effet que la création de l’inquisition et l’instauration d’une démarche inquisitoriale représentèrent un « progrès » en terme de procédure par rapport à la situation précédente. Si on la compare avec les abus et les massacres auquel la croisade avait donné lieu – on se souvient du siège de Béziers et du passage par le fer de populations entières, sans aucune forme de procès – il ne fait pas tellement de doute que ce fut le cas. D’après les sources historiques, on sait aujourd’hui encore que les inquisiteurs trouvaient bien plus de satisfactions dans l’abjuration par les cathares de leur foi et dans leur retour dans le troupeau des brebis catholiques que dans leur crémation. Or, il semble que, de son côté, la justice civile en faisait moins de cas, étant de nature plus expéditive dans son application des lois, des consignes et des sentences. Pour illustrer cela, nous citons ici Jean Louis Biget, Historien spécialiste de ces questions:
« L’Inquisition substitue à la procédure accusatoire publique une procédure d’office totalement secrète, à huis clos et sans avocat. Malgré ses aspects arbitraires, elle offre autant de garanties que les justices traditionnelles, qui soumettent les accusés à une présomption de culpabilité et les obligent à subir l’épreuve, fort aléatoire, du fer rouge, ou d’autres de même style, pour prouver leur innocence. Les enquêtes fouillées et exhaustives des inquisiteurs laissent ses chances à l’accusé, s’il n’est pas coupable, et les faux témoins encourent la prison perpétuelle. L’Inquisition prononce cependant des châtiments sévères : la remise au bras séculier – c’est-à-dire le bûcher –, la prison, qu’elle instaure comme peine afflictive, le port de signes infamants – des croix, homologues à la rouelle des juifs. Elle recourt à des techniques modernes : elle se constitue une mémoire écrite, fortement structurée, avec des répertoires commodes, révolution analogue à celle de l’informatique. » jean-Louis Biget : Catharisme et Cathares en Languedoc
Du reste, comme l’église ne pouvait pas mettre en oeuvre les sentences d’ordre punitives, c’est bien sur la justice civile que les inquisiteurs allaient s’appuyer pour faire avaliser leurs décisions. Si cette dernière ne s’y était pas pliée, aucun bûcher n’aurait sans doute été allumé, ni aucun cathare emmuré mais l’Europe médiévale est politico-religieuse, comme les couronnes le sont, et il est alors difficile de tracer clairement les frontières entre les deux. Disant tout cela, on comprend bien qu’il n’est pas question ici de justifier quoique ce soit, mais simplement d’être réaliste sur les motivations et les forces en présence, au vue du contexte historique et politique du XIIIe siècle. Bien sûr, pour beaucoup, il aurait été plus simple que l’appel à la croisade n’ait pas été lancé, que l’inquisition n’ait pas été créée, que l’église en reste là avec le catharisme, mais la machine était lancée et il semble bien que rien n’aurait pu alors la faire reculer. Il ne s’agissait plus depuis longtemps pour Rome, de laisser courir l’hérésie cathare mais de l’éradiquer.
Un climat d’occupation
ur les terres languedociennes, une fois le traité de Meaux-Paris signé, en 1229 et une paix relative retrouvée entre la couronne royale et du comté de Toulouse en la défaveur de cette dernière, la croisade militaire était donc officiellement terminée. De nombreux seigneurs languedociens dépossédés de leurs terres et leurs fiefs, on installa dans leur château des seigneurs français et, sur le terrain, des officiers royaux, baillis et autres viguiers, qui se chargeaient d’encadrer la situation. Cette dernière fut rapidement vécue par les languedociens comme une occupation et c’est compréhensible, puisque techniquement c’en était une. Avant tout cela, la province était autonome et ne faisait pas partie de la couronne française. Le climat est d’autant plus délicat que les abus de la part de ces officiers royaux sont, dit-on, alors nombreux et vont graduellement achever d’exaspérer les populations.
De son côté, la victoire politique étant une chose, Grégoire IX entreprit de continuer la traque des cathares par ses propres représentants. Alléguant que les évêques étaient trop occupés pour conduire cette tâche, il confia l’inquisition à l’ordre mendiant des dominicains qui s’étaient signalés, un peu avant, dans le Languedoc par leur démarche de prêche et de prédications, moins fastueuse et plus dépouillée que celle des autres représentants de l’église d’alors. L‘ordre monastique était d’ailleurs né, en grande partie, de l’expérience et des tentatives de son fondateur, Dominique de Guzmán (Saint-Dominique) pour rallier les adeptes du catharisme à une foi chrétienne plus proche des origines. Quoiqu’il en soit, par cette inquisition, Rome acheva d’ajouter à l’humiliation des seigneurs du pays d’Oc et au climat de tension et de peur qu’avaient généré les croisades autant que l’intrusion des seigneurs et des gens du nord sur les terres languedociennes, en créant sur la durée un climat de persécution et de délation au sein des populations.
L’organisation de Montségur après 1230:
Eglise cathare et chevaliers faydits
our revenir à 1230, la trêve étant signée et l’inquisition pas encore créée, dans cet entre-deux peut-être le seigneur de Montségur a-t-il alors pensé que les conflits étaient derrière eux? Toujours est-il qu’il finira par céder à la requête de l’évêque cathare et ne reviendra pas dessus, à aucun moment, dans les années qui suivront. Montsegur deviendra donc le haut lieu officiel du catharisme. Les cathares aideront à financer la garnison permettant d’assurer la protection du château, et, peu de temps après, Raymond de Péreille confiera l’organisation de sa défense à un homme qui est son cousin et deviendra bientôt son gendre puisqu’il lui donnera sa fille en épousailles: Pierre-Roger de Mirepoix. Ce dernier jouera un rôle majeur dans la défense de Montségur lors du siège mais aussi dans le déclenchement de l’opération militaire d’envergure qui signera la destruction de la forteresse dans sa forme cathare. Au moment de l’attaque du château, cela dit, le site est déjà largement repéré, dénoncé et regardé de biais, depuis longtemps par l’Eglise romaine et on peut imaginer que face aux enjeux et aux forces en présence, Montségur allait bien devoir, tôt ou tard, tomber.
A l’image de la garnison qui se trouve alors sur place et des hommes dont il s’est entouré, Pierre-Roger de Mirepoix est un chevalier et seigneur languedocien « faydit ». Il s’est vu confisquer ses biens et ses possessions en 1209 par Simont de Monfort, soit le château de Mirepoix, pour son implication aux côtés des albigeois dans les conflits. Il le reprendra en 1223 pour le perdre à nouveau sur l’ordonnance royale de 1229. Dépossédé de tout par deux fois, si l’on admet que cette croisade fut en réalité une guerre de conquête tout à la fois géo-stratégique, politique, économique et religieuse et on ne peut guère faire autrement au vue de ses conséquences historiques concrètes sur le terrain, du point de vue languedocien, l’homme deviendra un résistant.
A propos du faidiment
Sans être soi-même cathare, il suffisait alors de s’en déclarer protecteur ou de ne pas vouloir participer volontairement à la croisade ordonnée par Rome pour tomber sous le coup du faidiment et de nombreux nobles languedociens étaient de fait tombés sous le coup de cette mesure. Elle n’était pas définitive et pour récupérer ses terres, il « suffisait » en passant par les instances de Rome ou en s’adressant directement au pape, d’abjurer si l’on était cathare et, dans tous les cas de figure, de rejoindre les rangs de la croisade pour lutter activement contre l’hérésie. Facile à dire mais sans doute plus difficile à faire au vue du contexte. Pourquoi?
Nous aborderons toutes ces questions dans l’article suivant. En attendant je vous souhaite une excellente journée.
Fred
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