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« Chevalier, Mult estes guariz », un chant de croisade du XIIe siècle

Sujet : chanson médiévale,  musique médiévale,  chant de Croisade, 2e croisade, vieux français. rotruenge, Louis VII, chevaliers
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : anonyme
Titre :  « Chevalier, mult estes guariz»
Interprète :  Early Music Consort of London
Album :
  Music of the Crusades (1971)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui, à la découverte d’une nouvelle chanson de croisades du moyen-âge central. Demeurée anonyme, elle compte parmi les plus anciennes qui nous soit parvenue. Sur les traces de Joseph Bédier et son ouvrage conjoint avec Pierre Aubry  ( Les chansons de croisade, 1909), sans toutefois le suivre totalement, nous vous en proposerons une traduction en français moderne et vous dirons aussi un mot des sources dans lesquelles la trouver et du contexte historique qui la vit naître.

Pour le reste, cette poésie très chrétienne et guerrière du XIIe siècle a été interprétée par un grand nombre de formations médiévales et nous avons choisi ici la version qu’en proposait le Early Music Consort of London en 1971, dans un album tout entier dédié aux musiques du temps de croisades.

La prise d’Edesse  et    l’appel à la 2e Croisade

Vers le milieu du XIIe siècle, et plus exactement en 1144, la forteresse d’Edesse (Rohais, l’actuelle cité de Şanlıurfa ou Urfa dans le sud de la Turquie) tombaient aux mains d’Imad ed-Din Zengi,  atabeg de Mossoul et d’Alep. Connu encore comme Zengui, l’homme fut aussi surnommé « le sanglant » par les chroniqueurs chrétiens d’alors (tout un programme). Très avancé sur les terres islamiques, le comté d’Edesse qui compte parmi les premiers états latin d’Orient était alors sous la régence de la reine  Mélisende de Jérusalem. Son héritier Baudouin III  n’a, en effet que 13 ans et est encore trop jeune pour gouverner.

partition_chanson_croisade_chevalier-mult-estes-guariz_XIIe-siecle_Moyen-age-sLe siège fut de courte durée et la cité céda en moins d’un mois : de la fin novembre 1144 à la fin décembre de la même année. Informé de sa chute de la main même de la régente, le souverain pontife Eugène III appellera bientôt à une seconde croisade en terre sainte, par l’intermédiaire de la bulle Quantum praedecessores. Alors âgé de 25 ans, Louis VII ne tarda pas à y répondre, mais, autour de lui, les seigneurs chrétiens d’Occident se montrèrent plutôt tièdes. Il faudra toute la ferveur, les prédications et les promesses de rédemption d’un Bernard de Clairvaux pour que le mouvement prenne véritablement de l’ampleur. Près de deux ans après l’appel, ce seront ainsi près de 35000 hommes d’armes qui répondront présents. En suivant les conclusions de Joseph Bédier et sans trop prendre de risques, la chanson du jour a nécessairement été écrite entre l’annonce par Louis VII de son intention de se croiser, le 25 décembre 1145 à l’assemblée de Bourges et son départ effectif pour la croisade, le 12 juin 1147.

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Sources historiques

Du point de vue des sources, on ne trouve cette chanson et sa notation musicale (sommaire) que dans un seul manuscrit datant de la deuxième moitié du XIIe siècle : le Codex Amplonianus 8° 32,  également référencé RS 1548a, conservé à Erfurt en Allemagne (Foreschungsbibilothek), Au vue de la langue usitée pour la retranscription de cette poésie, la copie est à l’évidence l’oeuvre d’un anglo-normand.

Pour le moment, il semble que ce manuscrit médiéval ne soit toujours pas disponible à la consultation en ligne. On ne peut donc qu’espérer qu’il le soit bientôt pour découvrir cette pièce dans son écrin d’époque. Dans l’attente et pour vous en faire une idée, nous reproduisons ci-dessus la version d’assez piètre résolution qu’on pouvait trouver dans un autre ouvrage de Pierre Aubry datant de 1905 : Les plus anciens monuments de la chanson française.  

« Chevalier, moult estes guariz » par le  Early Music Consort of London

Musique des croisades, par David Munrow et le Early Music Consort de Londres

Comme nous avons déjà dédié un long article à cet excellent ensemble médiéval et même à cet album, nous vous invitons à vous y reporter pour plus d’informations : voir musique du temps des croisades par le Early Music Consort de London.


« Chevalier, Mult estes guariz »
en vieux-français & sa traduction moderne

I
Chevalier, mult estes guariz,
Quant Deu a vus fait sa clamur
Des Turs e des Amoraviz,
Ki li unt fait tels deshenors.
Cher a tort unt ses fîeuz saiziz ;
Bien en devums aveir dolur,
Cher la fud Deu primes servi
E reconnu pur segnuur.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Chevaliers, vous êtes sous très bonne protection,
Quand c’est vers vous que Dieu s’est plaint
Des turques et des Amoravides,
Qui lui ont fait une si grand honte
En saisissant à tort ses fiefs.
Il est juste que nous en souffrions
Car c’est là que Dieu fut d’abord servi
Et reconnu pour seigneur.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

II
Pris est Rohais, ben le savez,
Dunt crestiens sunt esmaiez,
Les mustiers ars e désertez :
Deus ni est mais sacrifiez.
Chivalers, cher vus purpensez,
Vus ki d’armes estes preisez ;
A celui voz cors présentez
Ki pur vus fut en cruiz drecez.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Rohais est pris, bien le savez,
Dont les chrétiens sont en émoi
Les monastères  brûlent et sont désertés,
Dieu n’y est plus célébré* (sacrificare : célébrer une messe)
Chevaliers, songez-y bien,
Vous qui êtes prisés pour vos faits d’armes,
Offrez vos corps à celui
Qui pour vous fut dressé en croix.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

III.
Pernez essample a Lodevis,
Ki plus ad que vus nen avez :
Riches est e poesteïz,
Sur tuz altres reis curunez :
Déguerpit ad e vair e gris,
Chastels e viles e citez :
Il est turnez a icelui
Ki pur nus fut en croiz penez.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Prenez exemple sur Louis,
Qui possède bien plus que vous,
Il est riche et puissant,
Sur tout autre roi couronné :
Il a abandonné et vair et gris* (fourrures)
Châteaux et villes et cités,
Et il est revenu vers celui
Qui pour nous fut torturé en croix.
Celui  qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

IV.
Deus livrât sun cors a Judeus
Pur mètre nus fors de prisun ;
Plaies li firent en cinc lieus,
Que mort suffrit e passiun.
Or vus mande que Chaneleus
E la gent Sanguin le felun
Mult li unt fait des vilains jeus :
Or lur rendez lur guerredun !
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Dieu livra son corps à ceux de Judée
Pour nous mettre hors de sa prison
Ils lui firent des plaies en cinq endroits,
Tant qu’il souffrit mort et passion.
Maintenant, il vous commande que les païens 
Et les gens de Sanguin le félon
Qui lui ont fait tant de vilainies (mauvais tours):
En soient récompensés en retour.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

V.
Deus ad un turnei enpris
Entre Enfern e Pareïs,
Si mande trestuz ses amis
Ki lui volent guarantir
Qu’il ne li seient failliz….
Ki ore irat od Loovis.
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Dieu a engagé un tournoi
Entre Enfer et Paradis,
Et, oui, il mande tout ses amis,
Qui veulent le défendre;
Qu’ils ne lui fassent pas défaut.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

VI.
Char le fiz Deu al Creatur
Ad Rohais estre ad un jorn mis :
La serunt salf li pecceùr
…………………………………
Ki bien ferrunt e pur s’amur
Irunt en cel besoin servir
…………………………………
Pur la vengance Deu furnir.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Car s’aime en iert en pareïs
Od les angles nostre Segnor.

Car le fils de Dieu le créateur
A fixé le jour pour être à Rohais
Là seront sauvés les pêcheurs.
…………………………………………….
Qui, pour l’amour de lui, frapperont bien
et iront le servir en ce besoin
…………………………………
Pour accomplir la vengeance de Dieu
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.

VII.
Alum conquere Moïses,
Ki gist el munt de Sinaï ;
A Saragins nel laisum mais,
Ne la verge dunt il partid
La Roge mer tut ad un fais,
Quant le grant pople le seguit ;
E Pharaon revint après :
Il e li suon furent périt.
Ki ore irat od Loovis
Ja mar d’enfern avrat pouur,
Char s’aime en iert en parais
Od les angles nostre Segnor.

Allons conquérir Moïse,
Qui gît au Mont Sinaï
Ne le laissons plus aux Sarrasins,
Ni la verge qu’il utilisa pour séparer
La mer rouge d’un seul coup
Quand le grand peuple le suivit ;
Et Pharaon qui le poursuivait
vit périr lui et les siens.
Celui qui désormais ira avec Louis
Ne redoutera plus jamais l’enfer
Car son âme sera (mise) en Paradis
Avec les anges de notre seigneur.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

Edito 2019, une belle aventure médiévale

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionvec la nouvelle année, vient le temps des résolutions et c’est aussi le bon moment de faire un édito de rentrée pour présenter un peu mieux ce qui se cache derrière Moyenagepassion.

Avant toute chose, une petit bilan : après plus de 3  ans de posts réguliers, sous-tendus par des milliers d’heures de recherche, nous aurons bientôt publié 1000 articles exclusifs sur le moyen-âge, incluant des centaines de traductions originales de textes médiévaux, chansons, poésies, citations, en langues modernes (italien, espagnol, catalan, anglais) mais aussi et surtout en langues anciennes (vieux-français d’oïl, moyen-français, langue d’oc, galaïco-portugais).

Avec une audience qui s’est constituée progressivement (voir courbe  graphique dans l’illustration ci dessous), Moyenagepassion a vu passer, depuis  sa création, plus de 380 000 utilisateurs, pour près de 800 000 pages vues. Plus de la moitié de ces chiffres est représentée par l’année 2018, à quoi il faut ajouter de nombreux partages sur nos réseaux sociaux (lancés plus tardivement). De son côté, notre chaîne Youtube est un peu demeurée en retrait, faute de temps, mais totalise tout de même près de 250 000 vues.

Tous ces chiffres ne font qu’augmenter, aussi, pour introduire cet édito 2019, permettez-nous, une fois encore, de vous remercier chaleureusement de votre présence, de votre suivi et de vos partages.

Qu’est-ce que le Moyen-âge ?

« Le Moyen-âge est à la mode et je m’en félicite » disait Jacques le Goff. Depuis que le célèbre historien médiéviste a prononcé ces mots, il y a plus de quarante ans, cette tendance n’a fait que se confirmer : littérature, romans, films, séries télévisées ou jeux vidéos, (souvent plus inspirés de l’Heroic fantasy que de l’Histoire réaliste), auxquels il faut encore ajouter les centaines de municipalités, châteaux et autres monuments de notre patrimoine classé qui, chaque année, donnent des fêtes et proposent des animations toujours plus nombreuses, en l’honneur des temps médiévaux.

C’est un fait, la soif et l’intérêt de notre monde moderne pour cette longue période ne s’est toujours pas tarie. Sans comparer sa durée à celles de certaines périodes présentes dans la préhistoire ou de la protohistoire, il faut dire que le Moyen-âge « triche » un peu avec ces 1000 ans généreux (quelquefois plus), dont les historiens lui ont fait cadeau à la suite des lettrés renaissants, 1000 ans qui couvrent, dans les faits, des réalités multiples propices à bien des séductions. Entre le haut Moyen-âge de Charles le Chauve et celui qui s’éteint déjà sous le règne d’un François 1er, que de chemin parcouru, en effet, que d’évolutions, de révolutions, presque ; dans les techniques de production et de construction, dans les mouvements architecturaux, dans les phénomènes d’urbanisation, dans la naissance, la vie et la lente agonie de la féodalité, dans l’émergence edito_2019-_moyen-age_monde_medieval_definitions_symboleset la propagation des grandes universités, dans l’évolution de la musique et de ses codes, dans la transformation des langues de l’Europe occidentale, dans les changements radicaux de l’art de la guerre, dans le redécoupage des territoires et la fixation progressive des frontières de nos nations actuelles, dans les changements de mœurs aussi.

Bien qu’on l’ait énormément étudié depuis le XIXe siècle et même s’il continue de l’être assidûment par nombre d’universitaires tombé eux-même, sans s’en voiler, dans sa fascination, les pointillés et les zones d’ombre entre les certitudes, mais plus encore, sans doute, quelques visées idéologiques passées ou actuelles, ont laissé s’installer, voire s’enraciner, nombre d’idées toutes faites sur le monde médiéval, au point qu’il semble parfois qu’il s’en niche une sous chaque pierre. Par dessus ce Moyen-âge occidental dont les grands médiévistes nous expliquent que tout y était symbole, nous avons ainsi souvent empilé nos propres projections et, finalement aussi, notre propre univers de référence et nos propres « symboles ».

Projections, représentations & symboles
Moyen-âge des légendes, moyen-âge des peurs

Du côté d’un certain « Moyen-âge des légendes », littérature et faits se mêlent souvent joyeusement dans nos représentations : lyrique courtoise et féodalité, chevaliers, valeurs chevaleresques et princesses captives, châteaux merveilleux et batailles épiques et tant de choses encore. Cette période que nous sentons si proche, alors que nous l’étudions finalement si peu dans nos cycles scolaires, peut encore évoquer une époque rêvée qui nous renvoie la tenue de grandes fêtes champêtres, sorties tout droit d’un tableau de Bruegel : du rires, des joies et des ripailles, un certain sens de la distance et de la dérision et peut-être encore l’image de myriades de petites communautés à échelle humaine soudées autour des veillées, tandis que les brigands et les loups rodent au dehors. C’est un fait pourtant, bien que sans commune mesure avec les exodes rurales de l’après révolution industrielle, le moyen-âge central et tardif voit aussi un nombre d’hommes croissant, s’émanciper de la nature, pour venir grossir les nouveaux eldorado(s) urbains et leurs promesses.

Dans cette période de notre histoire qui nous apparaît comme très « horizontale », socialement, avec de fortes lignes de démarcation entre son petit peuple et ses élites seigneuriales, princières ou épiscopales se dessine aussi une étrange solidarité et interdépendance qui perdure, nonobstant quelques coups de canifs donnés au contrat, sous l’égide du schéma triangulaire des trois ordres : Laboratores « je te nourris, je confectionne tes armes et tes vêtements, je bâtis tes châteaux », Bellatores « je te protège », Oratores « je prie pour sauver ton âme ». Bien sûr, au sein de ces 1000 ans multiformes, le paysage social évoluera aussi considérablement et des classes intermédiaires nouvelles tireront leur épingle du jeu : certains artisans, mais surtout les marchands, et avec eux, les prêteurs, les lombards, dans un Moyen-âge central qui peut nous apparaître encore comme celui de l’opulence, des richesses et du commerce, celui des nombreuses foires et de l’ouverture de nouvelles routes vers l’ailleurs.

monde_medieval_ecologie_nature_enluminureDans ce monde, sans vapeur, machine ou pesticide, on pourra encore quelquefois voir projetée la vision rétrospective d’une forme de simplicité retrouvée et même, plus loin, celle d’une écologie réconciliée qu’un cher professeur d’Oxford, caché derrière sa pipe et sa plume, était venu renforcer, dans le courant du XXe. Et pris dans les filets de ce Moyen-âge de vélin, empreint d’écologie et de magie, qui succédait peut-être avec JRR Tolkien au moyen-âge romantique et gothique revisité à la façon du XIXe, on pourra être tenté d’y laisser croître quelques racines celtes ou quelques vieilles légendes nordiques d’avant la christianisation, en oubliant un peu que cette dernière avait couru depuis déjà bien longtemps chez les peuples d’Europe.

Dans sa vaste majorité, l’homme médiéval occidental, celui que l’on connait, qui nous est parvenu, à travers les textes, ne semble, en effet, déjà plus tellement enclin à quelques nostalgies païennes. Si son univers est demeuré holistique et n’est pas encore matérialiste, mécanique et tout à fait froid, la « magie » naturaliste a reculé, au fil de ses siècles, pour se couler dans le moule chrétien et monothéiste. Certes, quelques fées demeurent ci ou là et, jusque dans le courant du XIVe, l’ombre de Mélusine vient planer sous les frondaisons de Brocéliande, mais les premières traces factuelles et documentaires qui subsistent, jusqu’aux premiers écrits arthuriens nous montrent déjà le roi des Bretons portant la croix pendant les batailles. Les miracles du moyen-âge sont aux Saints, à la Vierge, au Christ ou à Dieu et jusqu’au bout de ses espoirs et de ses plus grandes peurs, l’homme de l’Europe médiévale demeure un chrétien, occupé de salut. Sur les traces de l’Empire romain finissant, jamais avant cela, le christianisme et son universalisme n’avaient connu si vaste laboratoire et si longue expérience.

Bien sûr, on ne se défait pas non plus des représentations les plus sombres à l’égard des temps médiévaux. Elles font encore les choux gras de bien des plaisanteries, quand médiéval et moyenâgeux viennent se confondre jusque dans nos coquilles de vocabulaire. Sous le trait d’une barbarie définitivement reléguée aux oubliettes par notre modernité, si douce et de si bon ton qu’elle n’en finit plus de se mentir sur ses propres exactions, ces projections prennent alors souvent les traits, de la caricature. Dans leur grand faim d’émotions et d’images fortes, leurs appétits vont au manichéisme, et elles n’ont souvent, elles aussi, de vérités que celles des cavernes platoniciennes : obscurantisme, peste, saleté, injustice, arbitraire du pouvoir, tortures, clergé gros, gras et cruel, elles recréent alors devant nous le visage d’un monde médiéval fait de cris, de peurs, de violence, de mort et d’ignorance crasse. C’est dans ce même monde que, par exemple, l’inquisition espagnole de la fin du XVe ou même encore les chasses aux sorcières du XVIIe n’en finiront pas de se réinviter, avec quelques siècles d’avance, sur toutes les terres d’Europe quand ce n’est pas, dans les esprits, sur toute la durée du moyen-âge. Et sous la pression de vieux préjugés, regonflés de nouvelles idéologies, on continuera d’instrumentaliser alors, sans le savoir, un moyen-âge devenu repoussoir à la façon dont la renaissance et plus tard les lumières l’avaient instrumentalisé. Faut-il que notre passé soit drapé à ce point de couleurs sombres, pour que notre présent en sorte plus lumineux ?

Et Moyenagepassion dans tout ça ?

A_lettrine_moyen_age_passionlors, au milieu de tout cet enchevêtrement d’archétypes, de projections, de guerres d’idées et de symboles, entre réalités et faits, rêves et fantasmagories, notre projet éditorial, celui de Moyenagepassion est certes un peu fou. En manière de clin d’œil, il pourrait sembler inspiré des visées encyclopédiques que portaient quelquefois sur leurs frêles épaules, d’ambitieux chroniqueurs médiévaux, mais il n’en a pourtant pas la nature systématique. A petit pas, jour après jour, notre projet d’archives se signe sous les dehors de l’aventure et de la musardise même si, dans cette entreprise forcément démesurée, nous ne voulons rien négliger de toutes les facettes du moyen-âge : de sa part certaine, historique et factuelle, de sa merveilleuse littérature qui nous demeure encore, par endroits, si obscure, de ses peurs, de ses joies, de ses forces, de ses croyances profondes, de ses guerres, de ses misères, jusqu’à sa part réinventée : ces temps médiévaux devenus ceux du médiévalisme à l’aulne de nos a priori, comme ceux revisités à la lumière de l’imagination ou des passions fertiles de nos contemporains entre reconstruction onirique assumée ou volonté plus rigoureuse de les faire renaître au plus près, dans de vibrantes reconstitutions historiques.

monde-medieval_moyen-age_enluminures_chevalierDans cette approche, nous n’en sommes pourtant pas aux conclusions et nous voulons toujours garder un peu de cette fraîcheur et de cet étonnement face à toutes ces « réalités ». Au bout du compte, il appartiendra à chacun de faire le tri. A force de moudre et à force de sens critique, nous fondons toutefois l’espoir de lever quelques coins de voile et de favoriser l’émergence de quelques vues plus nuancées.

Sous l’archive, bien sûr, une autre question de fond demeure. Sous le charme piquant et savoureux de l’évocation ou de l’invocation, quelles qu’en soient les formes, cet étrange « objet médiéval », support et réceptacle de tant de projections, serait-il devenu une forme d’échappatoire salutaire contre la grisaille de notre oppressante modernité ? Cette dernière a-t-elle encore des visions, des ambitions ou des valeurs à nous offrir en échange, pour faire le contrepoids ? Au delà de la légèreté et du peu de substance du concept de « Mode », c’est bien de nous, de nos aspirations et de nos rêves dont la fascination pour le moyen-âge nous parle, de nos véritables racines aussi, de celles qui ont façonné notre monde et qui lui ont donné du sens et peut-être encore de cette volonté que nous avons de nous inscrire dans une histoire qui fait sens.

Alors, approchez, approchez bonne gens ! Entrez avec nous dans ce Moyen-âge de tous les visages. Chacun pourra reconnaître le sien, celui qui se niche au plus profond de nous comme une réminiscence, quelque chose que l’on savait être mais que l’on avait oublié, celui qui court entre les lignes de nos plus beaux auteurs médiévaux et de leurs legs, celui qu’on trouvera au détour d’une rue animée, colorée et criarde, le temps d’une fête ou celui, encore, que les Historiens nous montrent du doigt.

Approchez, approchez ! Choisissez votre personnage pour le temps du voyage : serez-vous ce moine rieur à la franche descente et au joyeux coup de fourchette ou ce frère miséreux qui a tourné le dos au monde des illusions pour s’en aller prier pour un monde meilleur et le salut des âmes ? Serez-vous prince, seigneur, chevalier ou princesse ? Ce paysan goguenard qui moque le clerc venu quémander à sa porte ? Cette reine stratège qui impose à tous ses décisions et sa puissance ? Cette bergère qui se refuse au chevalier et à ses promesses de richesse, par amour pour son promis ? Soyez tout ce qu’il vous plaira et qui puisse vous rendre heureux le temps d’une incursion à nos côtés, au cœur du moyen-âge.

Une belle année 2019 à tous sur Moyenagepassion.com et encore merci de votre présence.

Frédéric F

Agenda du week end : la cité des Sables-d’Olonne célèbre son histoire médiévale

blason_armoirie_medievale_vendee_sable-d-olonneSujet : fêtes historiques, animations médiévales, marché artisanal, moyen-âge, sorties,  compagnies médiévales.
Evénement : Fantaisies Médiévales
Lieu : les Sables-d-Olonne,
Vendée, Pays-de-la-Loire
Dates : 22 et 23 décembre 2018

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passione samedi à Dimanche, la cité vendéenne des Sables-d’Olonne fêtera ses 800 ans d’histoire. L’événement, en réalité, le point culminant d’une année entière dédiée à cette célébration et ce mois de décembre a été choisi pour la clore, avec des fêtes qui mettront en exergue le Moyen-âge et notamment les débuts du XIIIe siècle.

Un peu d’Histoire médiévale

C’est en 1218 que le Seigneur et prince local concéda deux chartes aux moines de Sainte-Croix de Talmont afin que puisse être mise en oeuvre l’occupation du littoral. Il s’agissait aussi pour le noble d’y établir un nouveau port qui puisse avantageusement se substituer à celui situé à Talmont et qui posait quelques problèmes de viabilité. fetes_medievales_historique_sable-d-olonne_vendee_decembre_2018-moyen-age_festifSes efforts furent récompensés puisque, dès la fin du XIIIe, on trouvera la cité des Sables d’Olonne largement mentionnée dans les sources historiques.

Un peu moins de deux-cent ans plus tard, autour de la fin du XVe siècle, ce sera au tour de Louis XI d’en favoriser le développement. A l’occasion d’un voyage dans le Bas-Poitou et après avoir visité l’endroit en 1472, le roi de France décida de lui  accorder d’importantes franchises  et de le faire fortifier, en en faisant un port d’importance du point de vue tant stratégique qu’économique; d’un point de vue politique, la décision venait aussi trouver sa place dans une période de fortes tensions politiques entre la couronne et la Bretagne.

Animations et réjouissances
aux couleurs du Moyen-âge

Ainsi, ce week-end, pour célébrer son histoire médiévale, la cité recréera au coeur de La Chaume, l’un de ses plus anciens quartiers, un village médiéval avec son marché artisanal. On pourra également retrouver jongleurs et musiciens, comédiens et conteurs, ainsi que des spectacles équestres et un lot d’animations de circonstance au château Saint-Clair.

Compagnies médiévales présentes 

Compagnie Ethnomus – Compagnie Kanahi – Cie les Frères Jacks – Cie Jocus – Compagnie Gueule de Loup – Compagnie Taprobane

Retrouver le programme détaillé ici.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Passion des livres et du monde médiéval : la librairie du Roy Lire à Provins

librairie_moyen-age_monde_medieval_provins_lieu_interet_passion_livreSujet : lieux d’intérêt, librairie, livres, romans, livres d’Histoire, monde médiéval, libraire médiévale, médiéval fantastique
Période : Moyen Âge
Lieu : La librairie du Roi Lyre, 9, Rue de Jouy,
Provins, Seine-et-Marne, Île-de-France
Téléphone01.64.00.52.71.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passion l’heure des liseuses et des Hi-pads, les amoureux de lecture, ceux qui gardent toujours avec eux ou presque, un bouquin dans leur poche, ceux-là aiment souvent autant les mots que les objets qui les retiennent captifs dans leur petit univers clos, entre une première et une dernière de couverture, O livres et grimoires, gardiens muets des relations charnelles, secrètes ou dévorantes que nous entretenons avec les nourritures spirituelles, les histoires et le verbe, ceux qui ont gardé pour vous un amour indéfectible savent toute la magie que vous retenez en vos filets et ils connaissent aussi tout le plaisir qu’il y a à mettre un pied dans les temples qui vous sont dédiés et où l’on vous chérit.

L’amour des livres

Hors des bibliothèques, il y a, bien sûr, les grands palais généralistes où l’on vous trouve en quantité, un peu de tout, dans tous les genres et, par les inévitables lois du marché, surtout ce qui se vend le mieux. Les amateurs de livres peuvent parfois s’y perdre en d’heureuses errances, mais leurs couloirs demeurent souvent froids et dépourvus de cette âme qui fait le charme des espaces plus intimes. Je veux parler de ces endroits privilégiés où chaque coin d’étagère renferme, en des codes secrets, toute la passion et tout l’amour de celui qui se tient là, au milieu des ouvrages, placide et tranquille, mais souvent prompt, sur une simple question, à emporter le visiteur curieux vers les destinations les plus lointaines. Là encore, les amoureux des livres le passion_livre_monde_medieval_moyen-age_provins_librairiesavent bien,  il n’est rien, absolument rien de comparable, aux trésors d’échanges et aux richesses que l’on trouve dans une librairie à échelle humaine, quand elle s’est formée autour de l’intérêt et de la flamme réelle d’un être, qui, avant d’être un simple vendeur, était d’abord, lui aussi, un lecteur. Il faut de la passion pour faire un vrai libraire, sans doute à notre époque encore plus qu’à tout autre.

Dans ces lieux là, quelque soit le thème de prédilection, il règne une atmosphère particulière que le lecteur aguerri peut reconnaître et que chacun peut ressentir. Ici, le silence a des profondeurs pleines de mystères et de promesses. Ici, chaque menu détail semble être le fruit d’un agencement savant, et tout y est disposé patiemment, comme autant d’indices pour vous inviter à de nouvelles aventures. Et quand on en pousse la porte nous vient encore comme une jubilation mêlée d’humilité face à l’inconnu et face aux rayons chargés de tous ces livres ensommeillés, qui n’attendent que leur lecteur pour découvrir leurs multiples trésors. Ah toi !, mon insatiable soif de découvrir et de m’étonner encore, toi qui m’a poussé, là, au seuil de toutes les destinations, dans l’espoir d’infinis voyages, sur les ailes magiques de l’agencement des mots, permets, je t’en conjure, durant le temps anxieux de cette exploration que le tenant des lieux, l’authentique libraire, le passionné de livres, l’affamé comme moi de s’extasier toujours, me donne quelques clés et sache me guider sur les routes à prendre. Et comme dans le confort rassurant d’une maison amie, les ouvrages sourient déjà et m’invitent,  je sais qu’il le fera. 

La belle librairie du Roy Lire à Provins

Au cœur de Provins, il est un endroit qui, pour se trouver dans une cité médiévale de prédilection en relation à son sujet, se tient comme hors du temps et de l’espace, au rythme sûr et paisible du savoir et des livres. Dédiée tout entière au Moyen Âge, elle est ouverte depuis près de quinze ans déjà. Abritée sous ses magnifiques voûtes datant du XIIIe siècle, elle se tient en sous-sol dans la tranquillité et le mystère de ses pierres. Au Moyen Âge, l’endroit hébergeait un espace de vente pour une famille de marchands, du temps des grandes foires de Champagne. La cité était alors florissante et elle comptait parmi les plus grandes villes du Nord de la France, la deuxième après Paris en terme de superficie.

Plus de 5000 ouvrages autour du Moyen Âge

passion_livres_monde_medieval_moyen-age_provins_librairie_le-roy-lyreDu point du vue du fond, le monde médiéval reste donc de mise dans les sélections et on peut y trouver déjà près de 5000 ouvrages et références sur le sujet, nombre considérable qui devrait encore augmenter dans les temps à venir. Les ouvrages d’Histoire y tiennent une part importante mais on trouve aussi une grande variété de livres sur le Moyen Âge réaliste ou fantastique: : romans, policiers, BD, beaux ouvrages, artisanat, sciences et techniques et savoir-faire médiévaux mais encore des choses plus ésotériques. Une section consacrée consacrée à des ouvrages plus anciens ou même à des occasions devrait également bientôt voir le jour.

Une ouverture sur la ville et la Culture

C’est Max qui fait battre le cœur de la librairie de sa passion pour les livres et pour le monde médiéval. Il y a été longtemps employé, prenant le temps d’apprivoiser l’endroit, de faire sa connaissance, avant de le reprendre et de le faire totalement sien, il y a tout juste quelques mois. Homme de lettres, d’ouverture et d’esprit, il a repris à son compte la devise de Thomas d’Aquin : « il faut craindre l’homme d’un seul livre » et croyez qu’il en a lu bien plus d’un. Créatif, fourmillant d’idées de projets, il s’emploie déjà hardiment à faire découvrir l’endroit à un nombre croissant de curieux, d’amateurs ou de passionnés: l’ouvrir sur le monde, mais aussi mieux l’ancrer dans la cité et l’amener encore un peu plus loin que sa noble vocation touristique en relation au patrimoine de Provins, sur le terrain de l’éducation, la découverte ludique et la Culture.  A l’heure où le Moyen Âge est partout, gageons qu’il surpassera ce bel objectif servi par une passion véritable.

Amis, si vous passez du côté de Provins ou si vous comptez parmi les âmes de cette belle cité, bien après que cette dernière ait cessé, comme elle le fait chaque année, de vivre au rythme de ses grandes fêtes médiévales, vous y trouverez un endroit unique qui bat à l’unisson du Moyen Âge en toute saison. Avancez posément, poussez-en doucement la porte, les marches de pierres sont là. Tenez-vous prêts à entrer dans l’aventure.

Voir la page FB officielle de la librairie médiévale de Provins ici 

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.