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Cantigas de amigo, une chanson médiévale courtoise de Lourenço Jograr, troubadour du XIIIe siècle

poesies_chansons_medievales_troubadours_cancioneiro_de_ajudar_chansonnier_medieval_cantigas_amigo_galaïco-portugais_moyen-ageSujet : amour courtois, musique, poésie médiévale,  Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour.
Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Auteur : Lourenço Jograr (Jogral)
Interprète : Paulina Ceremuzynska
Titre:  Três moças cantavam d’amor
Album :  E moiro-me d’Amor  (2006)

Bonjour à tous,

I_lettrine_moyen_age_passion copial y a tant de beaux auteurs, artistes, poètes, trouvères et troubadours qui nous viennent du monde médiéval qu’il pourrait parfois sembler difficile de savoir par où commencer.  De notre côté, dans cette aventure, nous avons choisi de privilégier un voyage exploratoire qui ne suit pas nécessairement les sentiers balisés, ni les frontières des terres de la France d’alors. Notre objet est donc vaste mais nos pas restent libres de toute entrave.

Bien sûr, en matière de poésie et de littérature médiévale, il y a des classiques, des hiérarchies dans les auteurs, des influences réputées plus certaines que d’autres. En plongeant dans la discipline fascinante qu’est la codicologie, on peut même compter les codex et les manuscrits anciens pour mesurer la popularité de certains textes, ou projeter leur influence, même si cela reste un exercice délicat, comme nous le rappelait Richard Trachsler dans son excellente conférence sur le roman arthurien, donnée à l’Ecole de Chartes. Avec le temps et si poesies_chansons_medievales_troubadours_cancioneiro_de_ajuda_chansonnier_medieval_cantigas_amor_amigo_moyen-ageDieu nous prête vie, nous finirons bien par rattraper tous ces « classiques »,  mais encore une fois, nous n’en avons pas, jusque là, fait notre priorité systématique.

Ainsi, aujourd’hui, nous continuons  d’emprunter, à notre façon, les chemins de traverse, à la découverte de ce fascinant moyen-âge et ce faisant, nous partons à la rencontre des Cantigas de Amigo et des Cantigas de Amor, autrement dit ces chansons des troubadours de l’Espagne et du Portugal médiéval qui sont des pièces de lyrique courtoise toutes entières dédiées à l’ami (soit l’être aimé) ou à l’amour.

Nous voilà donc à l’abordage des rives du moyen-âge central pour vous parler d’un troubadour du XIIIe siècle: Lourenço Jograr (ou Xograr), que l’on pourrait traduire, s’il le fallait, par Laurent ou Laurencin le Jongleur. Et comme souvent, cet article nous fournit encore l’occasion de parler d’une artiste passionnée de musique médiévale. C’est une chanteuse et soliste contemporaine d’origine polonaise. Elle a pour nom Paulina Ceremuzynska et elle nous offre ici une très belle interprétation d’une chanson de ce Lourenço, mais avant de la découvrir disons quelques mots de ce dernier.

Lourenço Jograr ( Xograr ou Jogral )
Laurencin ou Laurent le Jongleur

Les informations concernant la biographie de  ce troubadour proviennent essentiellement de ses propres poésies ou des dits d’autres troubadours de son temps le concernant. Le fait qu’il ne soit désigné pratiquement que par son prénom complique encore son identification certaine dans les sources. Contemporain de la cancioneiro_colocci_brancuti_troubadour_poesie_musique_amour_courtois_médiévale_galaïco-portugaisedeuxième moitié du XIIIe siècle, il était, semble-t-il, d’origine portugaise, et a certainement fréquenté, au moins un temps, la cour d’Alphonse X de Castille.

Son oeuvre, à tout le moins celle qui nous est parvenue, n’est pas immense en taille. Elle comprend une dizaine de cantigas de amigo ou de amor réparties dans plusieurs manuscrits anciens (voir image ci-contre). On y  trouve encore quelques jeu-partis demeurés célèbres  entre lui et le chevalier et troubadour João Garcia de Guilhade  (Johan Garcia de Guilhade) au service duquel Lourenço a certainement été.

TRÊS MOÇAS CANTAVAM D’AMOR par Paulina CEREMUZYNSKA

Paulina Ceremuzynska & l’art des troubadours galaïco-portugais du XIIIe

Nous devons l’interprétation du jour à la chanteuse et artiste Paulina Ceremuzynska.  Avec une prédilection pour  les musiques anciennes et en particulier celles provenant de la période médiévale et du moyen-âge central, Paulina est diplômée en musicologie à l’université de Varsovie. Titulaire encore d’un master  en Interprétation de la musique médiévale, obtenu à Paulina_Ceremuzynska_chansons_musiques_poesies_anciennes_medievales_troubadours_cantigas_amigo_amor_moyen-age_XIIIel’Université Paris-Sorbonne, elle a étudié le chant et la direction artistique sous l’égide de prestigieux professeurs au nombre desquels on conte le célèbre contre-ténor et chanteur lyrique Richard Levitt.

En 2004, lors d’études et de recherches dans le cadre du Centre de recherches en sciences humaines de Saint-Jacques de Compostelle, elle s’attela à la transcription musicale et à l’interprétation du Parchemin Sharrer, document ancien comprenant des cantigas contemporaines du règne de Denis 1er du Portugal (1279-1325), monarque éclairé connu encore sous le nom du roi poète ou du roi troubadour. Outre ses célèbres réformes dans le milieu agraire, l’homme était un féru de littérature et de culture. Il fonda d’ailleurs l’université de Lisbonne et on lui attribue près de 140 cantigas.

A l’occasion de ses recherches historiques, musicales et médiévales, Paulina se forma aussi au galaïco-portugais et l’ensemble de ce travail donna lieu à un premier CD : Cantigas de Amor e Amigo dans lequel elle présentait des chansons du Roi Denis et du troubadour Martin Codax. Si cet album vous intéresse, vous le trouverez disponible à la vente en ligne sous ce lien : Cantigas de Amor E Amigo

Ce travail fut aussi, indubitablement, la confirmation pour l’artiste d’un vif intérêt, sinon d’une passion, pour la poésie des troubadours de cette période et de cette langue. Elle poursuivit d’ailleurs ses recherches dans la même direction, pour aboutir en 2006 à l’album  E moiro-me d’Amor qui se situait encore autour des musique_poesie_medievale_troubadour_jongleur_cantiga_de_amigo_Paulina_Ceremuzynska_moyen-age_XIIIe_siecletroubadours de langue galaïco-portugaise du moyen-âge central. Il s’agit là d’un travail de restitution dont l’ambition est de se situer au plus près de l’esprit médiéval des Cantigas de Amigo. Il s’articule autour d’une sélection de chansons prises dans le répertoire des  troubadours les plus prestigieux de l’école galicienne. C’est de cet album qu’est tirée sa sublime interprétation de la chanson de Lourenço Jograr que nous vous proposons aujourd’hui.

A noter encore concernant cette artiste qu’elle est la fondatrice et la directrice artistique de l’Ensemble Meendinho spécialisé dans les chants monophoniques médiévaux et les musiques anciennes. Pour la suivre,  voici l’adresse de sa page facebook.

Três moças cantavam d’amor :
le chant d’amour de trois damoiselles pour un troubadour ému

La chanson du jour met en scène trois jeunes filles en peine d’amour et l’une d’elles, qui se trouve être la belle du troubadour propose aux deux autres de chanter la chanson d’un « ami » (l’artiste lui-même donc). Et voilà donc notre troubadour devant la scène, touché, pour ne pas dire émoustillé, que sa chanson puisse avoir été choisie par l’élue de son cœur, y voyant là, à l’évidence, une belle preuve poesies_chansons_medievales_troubadours_cancioneiro_de_ajudar_chansonnier_medieval_cantigas_galaïco-portugais_moyen-aged’amour. Derrière l’émotion du poète, on pourra, bien sûr, argumenter à l’envie sur la nature « auto-élogieuse » du chant, il semble d’ailleurs que quelques troubadours de la même période que l’auteur, l’aient fait, pour le moquer un peu mais la nature épurée de cette chanson d’amour « en miroir » l’emporte tout de même au final.

Les paroles médiévales
et leur adaptation en français moderne

Nous vous proposons une adaptation française du cru ; elle est issue de la traduction espagnole et anglaise des paroles et de recherches personnelles sur la langue originale. Encore une fois, il s’agit de s’en faire une idée, il reste, quoiqu’il en soit, difficile de retraduire toute la richesse de ce texte dans son contexte:

Três moças cantavam d’amor,
mui fremosinhas pastores,
mui coitadas dos amores.
E diss’end’ũa, mia senhor:
– Dized’amigas comigo
o cantar do meu amigo.

Trois demoiselles chantaient d’amour
c’étaient de très belles bergères
Souffrant de peines amoureuses
Et l’une d’elles disait, qui est ma dame :
– Chantez, mes amies, avec moi,
le chant de mon ami. (bien-aimé)

Todas três cantavam mui bem,
come moças namoradas
e dos amores coitadas.
E diss’a por que perço o sem
Dized’amigas comigo
o cantar do meu amigo.

Toutes les trois chantaient fort bien
Comme des filles amoureuses
Et prises en détresse d’amour,
Et elle dit, ce qui me troubla les sens :
– Chantez, mes amies, avec moi,
le chant de mon bien-aimé. 

Que gram sabor eu havia
de as oir cantar entom!
E prougue-mi de coraçom
quanto mia senhor dizia:
– Dized’amigas comigo
o cantar do meu amigo.

Quel grand plaisir j’ai eu alors
de les entendre chanter!
Et comme cela a touché mon coeur
quand ma dame leur disait:
– Chantez, mes amies, avec moi,
le chant de mon bien-aimé. 

E se as eu mais oísse,
a que gram sabor estava!
E quam muito me pagava
de como mia senhor disse:
– Dized’amigas comigo
o cantar do meu amigo

Et, moi, plus je  les entendais,
Quelle grande joie c’était!
Et combien cela me plaisait
Comme ma dame disait :
– Chantez, mes amies, avec moi,
le chant de mon bien-aimé.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

PS : dans les sources utiles sur la poésie et les cantigas médiévales gallego-portugaises (amigo et amor) , il faut citer pour ceux d’entre vous qui parlent portugais ou anglais cet excellent site web attaché, indirectement, à la faculté de Lettres de Lisbonne :  Cantigas  medievais  galego-portuguesas.

Tels rit au main qui au soir pleure, une complainte médiévale de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, musique ancienne, chanson, complainte,  amour courtois. fortune.
Titre : Tels rit au main qui au soir pleure
Œuvre : le remède de Fortune.
Auteur Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif
Interprète : Ensemble Project Ars Nova
Album : Machaut : remède de Fortune (1994)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous retournons aujourd’hui au Moyen Âge tardif et à l’Ars Nova avec une complainte du grand maître de musique du XIVe siècle, Guillaume de Machaut.

La pièce «  Tels rit au main qui au soir pleure » est  tirée du Remède de fortune du Manuscrit ancien FR 1586, pièce d’amour courtois dans laquelle le compositeur nous conte la quête et les revers d’un poète pour conquérir la cœur de sa dame. Dans le cas du chant présent, il emprunte l’image de la roue de la fortune (la médiévale, bien sûr, pas la télévisuelle) pour décrire ses déboires amoureux. Amertume d’un sort qui frappe de manière inéluctable, sans qu’on sache comment, ni qu’on s’y attende vraiment, la roue tourne comme dans le chant « O fortuna » écrit un peu plus d’un siècle avant cette complainte de Guillaume Machaut et qui sert d’introduction à la Carmina Burana de Carl Orff,

Nous sommes pourtant bien dans la même conception de ce sort, cette « fortune » changeante, qui abaisse ou élève dans un mouvement sans fin et contre lequel l’homme ne peut rien, qu’il soit empereur, pape,  roi ou simple poète et amoureux transi :

O fortuna, extrait des chants de Benediktbeuern (Carmina Burana) 

 Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
statu malus,
vana salus,
semper dissolubilis
obumbrata
et velata
michi quoque niteris;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.
 Sort monstrueux
Et informe,
Toi la roue changeante,
Une mauvaise situation,
Une prospérité illusoire,
Fane toujours,
Dissimulée
Et voilée
Tu t’en prends aussi à moi
Maintenant par jeu,
Et j’offre mon dos nu
A tes intentions scélérates.

Tels rit au main qui au soir pleure par l’ensemble Project Ars Nova

L’ensemble Project Ars Nova : la passion des musiques médiévales des XIVe, XVe siècles

Fondé aux début des années 80, au sein même de l’école suisse Schola Cantorum Basiliensis  pour la recherche et pour les musiques anciennes dont nous avons déjà dit un mot ici (voir article sur l’Ensemble Syntagma), l’Ensemble Project Ars Nova ou plus laconiquement l’Ensemble PAN  réunissait  principalement de jeunes passionnés de musiques médiévales originaires des Etats-Unis.

Composé au départ de trois artistes,  Laurie Monahan (chant mezzo-soprano), Michael Collver (chant, vièle à roue, cornet) et Crawford Young (luth), il fut bientôt rejoint par deux artistes supplémentaires: Shira Kammen  (vièle, instruments à cordes et ensemble_pan_project_ars_nova_musique_poesie_medievale_guillaume_machaut_moyen-age_XIVe_sieclearchet, ) et John Fleagle (chant ténor et harpe médiévale).

De 1985 à 1991, l’ensemble produisit  huit albums autour de sa période musicale de prédilection et du répertoire médiéval de  l’Ars Nova.  Il fut actif jusqu’un peu avant les années 2000, date à laquelle on perd sa trace. A ce qu’il semble, ils ne se produisent donc plus en scène ou en studio et s’ils le font peut-être à quelques rares occasions, il n’existe, en tout cas, pour l’instant, aucun site web ou page facebook officielle pour le relayer.

Itinéraires artistiques

Du côté des itinéraires respectifs des cinq membres de l’ensemble, Laurie Monahan a co-fondé avec deux autres artistes, en 1995 et à Boston l’ensemble vocal Tapestry. Ce dernier, largement salué depuis par la critique, propose un répertoire qui mêle musiques médiévales et compositions traditionnelles avec des pièces plus contemporaines. Crawford Young, désormais reconnu comme un grand expert du Luth de la période du XVe siècle et devenu par ailleurs, dans le cours de années 80, enseignant à la  Schola Cantorum Basiliensis, a une part active dans un autre ensemble médiéval qu’il a crée en Suisse et dirige depuis 84 : L‘Ensemble Ferrara, 

Michael_Collver_musique_poesie_medievale_complainte_guillaume_machaut_remede_fortune_moyen-ageQuant à Michael Collver  qui prête sa voix  de contre-ténor à la pièce du jour, après des contributions variées dans de nombreux ensembles, dont le Boston camerata, et des albums qu’il a pu diriger dans le courant des années 2010, il est également toujours présent, à la fois sur le terrain vocal et instrumental. On le retrouve notamment, encore tout récemment dans la formation Blue Heron, de Boston.

L’artiste John Fleagle,  décédé en 1999, a laissé derrière lui un album salué par la critique et ayant pour titre World’s Bliss : Medieval Songs of Love and Death, réalisé en collaboration avec Shira Kammen. Quant à cette dernière, elle a participé, depuis son histoire commune avec le Project Ars Nova, à près de vingt albums et joué avec de nombreux ensembles de musique ancienne. Du point de vue de son actualité, on peut la retrouver aux côtés du newberry consort pour des concerts autour de la tradition séfardie.

Comme on le voit, à la triste exception de John Fleagle et pour des raisons de fait, plus que de cœur, la passion pour les musiques anciennes et médiévales n’a pas déserté les artistes de l’ensemble PAN et chacun continue de la faire vivre à sa manière, à travers son travail.

Remède de Fortune, l’album

Pour revenir à la pièce du jour, elle est tirée d’un album sorti en 94 et dédié entièrement au Remède de Fortune de Guillaume de Machaut. C’est une version épurée musicalement, et il faut avouer que l’interprétation vocale de Michael Collver, associé au son de la musique_medievale_ensemble_PAN_project_ars_nova_guillaume_de_machaut_remede_de_fortune_moyen-age_XIVevièle à roue est totalement  envoûtant.

Cet album est encore disponible à la vente en ligne en format CD ou en format MP3 dématérialisé, au lien suivant : Le Remède De Fortune par l’Ensemble Project Ars Nova.

Tels rit au main qui au soir pleure,
la complainte de Guillaume de Machaut

Tels rit au main qui au soir pleure
Et tels cuide qu’Amours labeure
Pour son bien, qu’elle li court seure
Et ma l’atourne;
Et tels cuide que joie aqueure
Pour li aidier, qu’elle demeure.
Car Fortune tout ce deveure,
Quant elle tourne,
Qui n’atent mie qu’il adjourne
Pour tourner; qu’elle ne sejourne,
Eins tourne, retourne et bestourne,
Tant qu’au desseur
Mest celui qui gist mas en l’ourne;
Le sormonté au bas retourne,
Et le plus joieus mat et mourne
Fait en po d’eure.

Car elle n’est ferme n’estable,
Juste, loyal, ne veritable;
Quant on la cuide charitable,
Elle est avere,
Dure, diverse, espouentable,
Traitre, poignant, decevable;
Et quant on la cuide amiable,
Lors est amere.
Car ja soit ce qu’amie appere,
Douce com miel, vraie com mere,
La pointure d’une vipere
Qu’est incurable
En riens a li ne se compere,
Car elle traïroit son pere
Et mettroit d’onneur en misere
Deraisonnable.

Fortune est par dessus les drois;
Ses estatus fait et ses lois
Seur empereurs, papes et rois,
Que nuls debat
N’i porroit mettre de ces trois
Tant fus fiers, orguilleus ou rois,
Car Fortune tous leurs desrois Freint et abat.
Bien est voirs qu’elle se debat
Pour eaus avancier, et combat,
Et leur preste honneur et estat
Ne sai quens mois.
Mais partout ou elle s’embat,
De ses gieus telement s’esbat
Qu’en veinquant dit: « Eschac et mat »
De fiere vois.

Einsi m’a fait, ce m’est avis,
Fortune que ci vous devis.
Car je soloie estre assevis
De toute joie,
Or m’a d’un seul tour si bas mis
Qu’en grief plour est mué mon ris,
Et que tous li biens est remis
Qu’avoir soloie.
Car la bele ou mes cuers s’ottroie,
Que tant aim que plus ne porroie,
Maintenant vëoir n’oseroie
En mi le vis.
Et se desir tant que la voie
Que mes dolens cuers s’en desvoie,
Pour ce ne say que faire doie,
Tant sui despris.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Guillaume Dufay, rondeau sur les revers de fortune par l’ensemble Obsidienne

musique_medievale_ancienne_guillaume_dufay_XV_moyen-age_tardifSujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, motet, rondeau, chants polyphoniques.
Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprète : ensemble Obsidienne.
Album :  le jardin des délices (2004)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici, pour aujourd’hui, une nouvelle pièce du maître de musique du moyen-âge tardif (d’aucuns diront des débuts de la renaissance), Guillaume Dufay, Elle est interprétée par l’Ensemble Obsidienne, sous la direction d’Emmanuel Bonnardot. 

Le Jardin des Délices, Obsidienne et le Manuscrit de Bayeux

Sorti en 2004, l’album le Jardin des Délices qui empruntait son titre au célèbre tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch, était dédié à des pièces tirées du manuscrit de Bayeux (lui-même daté des débuts du XVIe), ainsi qu’à des chansons et musiques de Guillaume Dufay et du compositeur franco-flamand Josqui Desprez. L’ensemble Obsidienne nous proposait donc ici de revisiter et de mettre à l’honneur le XVe siècle et on trouve dans ce Jardin des Délices un beau florilège de vingt-deux pièces, en provenance de cette période charnière entre le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance. Pour en faire le détail, cinq pièces sont de Guillaume Dufay, quatre de  Josquin Desprez, le reste sont des compositions, anonymes pour la plupart, issues du Manuscrit de Bayeux.

troubadours_modernes_musique_medievale_renaissanceEn 2016, l’album a fait l’objet d’une réédition, au sein d’un double album ayant pour titre « Chansons de la Renaissance » et comprenant également le CD  l’Amour de Moy  proposant des pièces de la même période, dont un grand nombre  encore issue du manuscrit ancien susnommé.

A propos de ce précieux héritage de la musique et des chansons normandes du XVe siècle qu’est le Manuscrit de Bayeux, (ou le MS Fr 9346) nous lui avions dédié un exposé détaillé dans un article précédent, aussi nous vous y renvoyons si vous souhaitez plus de détails : les richesses du manuscrit de Bayeux. Vous pouvez également le consulter directement en ligne sur le site de la BnF.

Concernant les œuvres de Guillaume Dufay et notamment la pièce que nous vous proposons aujourd’hui, on peut la trouver dans le manuscrit Canon. misc. 213 ou le Canonici 213 de la Bodleian Library d’Oxford dont nous avons également déjà parlé ici.

Par droit je puis bien complaindre et gemir, Les paroles du chant de Guillaume Dufay

C’est un  poète et compositeur bien désespéré que nous présente cette pièce du jour et ce rondeau puisque nous  le retrouvons, en effet, face à quelque revers de fortune et de fâcheuses inimitiés dont il se plaint ouvertement.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent* de liesse et de joye. (*exempt)
Un seul confort ou prendre ne scayroye*,(*saurais)
Ne scay comment me puisse maintenir.

Raison me nuist et me veut relenquir* (abandonner),
Espoir me fault, en quel lieu que je soye:
Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.

Dechassiés* suy, ne me scay ou tenir, (pourchassé)
Par Fortune*, qui si fort me gueroye; (le sort) 
Anemis sont ceus qu’amis je cuidoye*, (croyais)
Et ce porter me convient et souffrir.

Par droit je puis bien complaindre et gemir,
Qui sui esent de liesse et de joye.
Un seul confort ou prendre ne scayroye,
Ne scay comment me puisse maintenir.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

L’ensemble Syntagma à la découverte du compositeur médiéval Jehannot de Lescurel

musique_poesie_medievale_media_book_livre_disque_jehan_de_lescurel_moyen-age_XIIIe_XIVeSujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, Ars Nova, compositeur médiéval,  Roman de Fauvel, Manuscrit français MS 146
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe 
Auteur : 
Jehannot (ou Jehan) de Lescurel (ou L’escurel)
Ensemble: Syntagma et Alexandre Danilevsky
Album :
livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui à la fois un compositeur des XIIIe, XIVe siècles,  un ensemble musical ayant une prédilection pour les musiques anciennes, mais encore un livre-disque qu’ils ont édité autour de ce compositeur. En route donc pour un voyage au coeur de la musique médiévale actualisée par la vibrante passion d’artistes de notre temps !

Jehannot de Lescurel :
compositeur et poète des XIIIe, XIVe siècles

deco_medievaleCompositeur, chansonnier et poète, Jehannot de Lescurel n’a laissé pour trace que son oeuvre : trente-quatre pièces lyriques, annexées au célèbre et très satirique « Roman de Fauvel« , dans le manuscrit ancien, fr 146 de la BnF, daté du XIVe siècle. De la vie de cet artiste, pour l’instant, nous ne savons rien et les quelques hypothèses fantasques qui en avaient fait, au début du XXe siècle, un clerc à demi-criminel, pendu en 1304 à Paris pour « débauches, meurtres et vols » ont depuis été rejetées par les historiens, faute de documents pouvant l’attester; il semblerait en effet, qu’on se soit alors emballé un peu vite sur la foi d’une simple homonymie.

Malgré cette absence de biographie certifiée, du point de vue artistique, les musicologues avertis s’accordent à faire de Jehannot de Lescurel un des maîtres annonciateurs de la transition vers l’Ars Nova. On le décrit aussi comme à la synthèse de la tradition musicale des trouvères et celle des troubadours provençaux, même s’il n’est déjà plus lui-même un trouvère, mais bien un compositeur à part entière, comme le sera Guillaume de Machaut  autour de la même période.

Du point de vue de leur notation, ses compositions pourraient être parmi les premières de l’Histoire de la musique occidentale et médiévale à pouvoir être jouées « littéralement ». On se souvient que musique_poesie_medievale_manuscrit_ancien_francais_146_roman_fauvel_jehan_lescurel_XIVe_XIIIeles systèmes de notation musicales précédents cette période laissaient souvent un large et libre champ aux interprètes sur certains points, notamment la rythmique (voir article troubadours).

Du legs de Jehan de Lescurel, on ne dispose, pour l’instant, que d’une seule composition polyphonique même si les pièces retrouvées laissent supposer qu’il ait pu en produire bien plus. Elles sont donc toutes, à un exception près, monophoniques et se répartissent, dans des formes déjà clairement fixées, en virelais, ballades, rondeaux et Dits entés.  Du point de vue des thèmes de prédilection, les chansons et poésies du compositeur gravitent autour de l’amour courtois dans un style très épuré, qui, il faut bien le dire, tranche totalement avec le ton satirique et pamphlétaire du Roman de Fauvel du MS 146 auquel on les a trouvées jointes.

SONGÉ .I. SONGE : un livre-disque original tout entier dédié à l’art de Jehan Lescurel

Faire mieux connaître et surtout donner à entendre la musique et l’art de Jehannot Lescurel, voilà donc le pari relevé par l’Ensemble Syntagma, formation spécialisée dans les musiques anciennes et qui nous en livre, aujourd’hui, deco_medievaleune véritable étude.  L’oeuvre se présente comme un Livre-Disque et le CD y est donc accompagné d’une véritable présentation sur le compositeur du XIIIe siècle. En tout, ce sont plus de 80 pages de réflexions et d’impressions sur la poésie des XIIIe, XIVe et sur l’auteur du dit « Gracieux Temps », à destination des amateurs éclairés ou simplement curieux de musique et de poésie médiévale.

Pour la partie sonore, musicale et acoustique, treize pièces du compositeur médiéval sont présentées entre versions instrumentales et lectures. En voici d’ailleurs un extrait  donné par l’ensemble au Festival International de Wilz, au Luxembourg (2011).

Vous pouvez également consulter ce lien pour une présentation détaillée de ce média-book,

L’ensemble Syntagma à la redécouverte des musiques anciennes ou médiévales oubliées

L’ensemble Syntagma a été fondé en 1996 par le compositeur et instrumentiste Alexandre Danilevsky. Pianiste, luthiste, vielliste, cet artiste aux multiples talents est russe de naissance, mais vit en France depuis de nombreuses années. Après avoir étudié la composition à Saint-Petersbourg, sa passion pour la musique l’a conduit à se pencher sur la « early music » qu’il a étudiée en Suisse, à la Scola Cantorum Basilensis, institut de recherche et d’enseignement spécialisé dans les musiques anciennes. Pour lui, dusse-t-elle avoir été écrite il y a 800 ans, la musique est faite pour être jouée et sa place n’est pas dans les musées. De fait, il s’emploie désormais activement à faire vivre un répertoire qui va du moyen-âge à la renaissance, et c’est à cette fin qu’il a fondé l’ensemble Syntagma.

ensemble_syntagma_musique_ancienne_medievale_jehannot_de_Lescurel_moyen-age_central

Curieux de tout, créatif jusqu’au bout de l’âme, et entièrement dévoué à son art, Alexandre Danilevsky semble avoir une prédilection pour aller chercher dans les répertoires passés et, en l’occurrence pour ce qui nous intéresse, le moyen-âge, des oeuvres méconnues ou peu jouées, auxquelles il se plait à redonner vie. C’en est à un point qu’il caresse même l’idée de créer un jour « Un festival des premières » dans lequel on ne jouerait – pour la première fois donc – que des musiques anciennes méconnues. On en rêverait !

Pour comprendre ou réaliser l’importance que peut avoir pour lui son art, nous traduisons pour vous ces quelques lignes tirées d’un interview qu’il donnait, il y a quelque ensemble_syntagma_musique_ancienne_medievale_compositeur_Alexandre_Danilevskytemps, à Tobias Fischer du site Tokafi.com en réponse à la question : « Quel est votre point de vue sur la scène musicale actuelle ? Y a-t-il une crise ? »

« La Crise est un état permanent pour l’artiste en recherche. En triompher suppose un acte volontaire pour donner naissance à un travail artistique. Notre musique est la fondation du monde. Quand nous l’écrivons ou nous la jouons, le monde s’arrête, sinon pourquoi le ferions-nous? Le monde repose sur notre musique, c’est ce en quoi doit croire un compositeur, sans quoi ce qu’il fait n’a aucun sens. Aller contre la marée est notre destinée, notre destin, notre devoir ou appelez cela comme vous voulez ».
Alexandre Danilevsky, compositeur, directeur de l’ensemble Syntagma
Tokafi.com 15 questions to A Danivelsky

Avant d’en terminer, et pour témoigner de l’excellence du travail de  l’Ensemble Syntagma, ajoutons encore que la formation a déjà reçu deux Awards en 2008 et 2011 par la Medieval Music & Arts Foundation  pour ses productions et enregistrements.

Pour entrer en contact avec eux, nous vous conseillons leur page facebook : Ensemble Syntagma Vous pouvez également retrouver des extraits de leurs productions sur leur chaîne youtube officielle  early mysic ensemble Syntagma.


Amours que vous ai meffait, les paroles
de la chanson de Jehannot de Lescurel

manuscrit_ancien_FR_146_amours_meffait_jehannot_lescurel_compositeur_moyen-age_XIII_XIVeAmours, que vous ai meffait,
Qui amie non amée
Au dous plaisant m’avez fait ?
Lasse ! et point ne li agrée.
Et de quelle eure fui née,
Quant je n’ai loial ami ?
Amours douce et desirrée,
Enamourez le de mi.

J’ai grant paour que il n’ait
Aillieurs mise sa pensée ;
Quar tant est de dous atrait,
Sa guise si savouré[e],
Qu’aucune autre enamourée
L’a at[r]ait, ce croi, a mi.
Amours douce et desirrée,
Enamourés le de mi.

Ses regars m’a du cors trait
Mon cuer ; ainsi m’a navrée
Doucement ; très bien me plait.
Dex ! s’aussi m’avoit donnée
S’amour, plus beneurée
Ne seroit pour ce vous pri,
Amours douce et desirrée,
Enamourez le de mi.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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