Sujet : poésie satirique, politique, morale, littérature médiévale, ballade, français ancien, égalité, moyen-âge chrétien. Période : moyen-âge tardif Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « tous d’une pel revestus » « ballade sur l’égalité des hommes » Ouvrage : Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, Prosper Tarbé (1849)
Bonjour à tous,
oici une ballade poétique et morale comme Eustache Deschamps en a le secret. Partant de la référence biblique à Adam et Eve, l’auteur médiéval réaffirme ici l’égalité des hommes entre eux. Sous couvert d’adresser cette poésie à tous, il faut bien sûr lire, entre ses lignes, l’insistance qu’il met à rappeler cette vérité morale et politique aux rois, aux seigneurs et aux nobles, afin qu’ils se gardent de la condescendance comme du mépris.
On sait que le thème lui est cher et qu’il ne se prive jamais, au risque de déplaire, de rappeler aux puissants autant que leurs obligations, la vacuité de la vanité devant les richesses, les possessions ou les ambitions de conquêtes, devant les hommes, devant la mort, et encore et par dessus tout devant Dieu. Vilains ou nobles, tous vêtus de la même peau, nous dit ainsi, avec sagesse, Eustache le moraliste. Cette affirmation de l’égalité des hommes au delà de leur condition sociale, sera reprise dans des termes plus séculiers et consignée en lettres d’or, bien longtemps après lui, dans une célèbre déclaration, mais on le voit ici, un certain moyen-âge chrétien pouvait aboutir, par d’autres voies, aux mêmes conclusions.
Ballade de l’égalité des hommes (1382)
d’Eustache DESCHAMPS
Du point de vue langagier, le français ancien d’Eustache Deschamps appartient au français moyenou moyen français. C’est une langue qui s’affirme au moyen-âge tardif comme la langue officielle en se différenciant des autres formes de la langue d’oil ou des autres idiomes parlés sur les terres de France.
Même s’il lui reste, au XIVe siècle, encore un peu de chemin à faire pour conquérir l’ensemble du territoire, autant que pour se formaliser et donner naissance au français classique, cette langue demeure toutefois bien plus compréhensible pour nous que le vieux français des XIIe et XIIIe siècles. De fait, pour vous permettre de comprendre cette ballade d’Eustache Deschamps nous ne vous donnons ici que quelques indications et quelques clés de vocabulaire.
Traduttore, Traditore…
Concernant la méthode permettant d’arriver à nos indications, nous croisons le sens des mots ou expressions présentant des difficultés, à l’aide de plusieurs dictionnaires anciens. Même ainsi, il reste parfois difficile de percevoir toutes les nuances et les subtilités de certains termes usités mais cela permet, tout de même, de s’en faire une idée relativement correcte. Au sujet des dictionnaires de vieux français ou de français ancien, il en existe de très nombreux et de toutes tailles qui couvrent des périodes variables (sans forcément qu’ils soient tous très précis ou spécifiques sur ce point).
Quant aux difficultés que peuvent présenter certains vocables en usage chez Eustache Morel Deschamps, je dois avouer qu’un petit dictionnaire particulièrement bien fait s’est avéré extrêmement utile dans bien des cas. A toutes fins utiles. Il s’agit du Petit Dictionnaire de l’Ancien Français deHilaire Van Daele (1901). On en trouve des versions digitalisées en ligne. Si vous préférez acquérir le format papier, souvent plus pratique et plus rapide à manipuler, vous pouvez cliquer sur la photo ci-dessus ou sur le lien suivant: Petit Dictionnaire de l’Ancien Français
Enfans, enfans, de moy Adam venuz, Qui après Dieu suis père primerain Crée de lui, tous estes descenduz Naturellement de ma coste et d’Evain : Vo mère fut. Comment est l’un villain Et l’autre prant le nom de gentelesce* ? , (noblesse) De vous frères, dont vient tele noblesceî Je ne le sçay ; si ce n’est des vertus, Et les villains de tout vice qui blesce : Vous estes tous d’une pel* revestus. (peau)
Quant Dieu me fist de la boe où je fus, (boue) Homme, mortel, foible, pesant et vain, Eve de moy, il nous créa tous nuz: Mais l’espérit nous inspira à plain Perpétuel; puis eusmes soif et faim, Labeur, dolour, et enfans. en tristesce Pour noz péchiez enfantent à destresce Toutes femmes: vilment* estez conçus ; (grossièrement) Dont vient ce nom villain, qui les cuers blesce. Vous estes tous d’une pel revestuz.
Les roys puissans, les contes et les dus, Le gouverneur du peuple et souverain, Quant ils n’àissent de quoy, sont ils vestus? D’une orde* pel.— sont ils d’autres plus sain? (impure) Certes nennil* : mais souffrent soir et main* (non point) (matin) Froidure et chault, mort, maladie, aspresce* (rudesse, âpreté) Et naissent tous par une seule adresce, Sans excepter grans, pelis ne menus. Se bien pensez à vo povre fortresce : Vous estes tous d’une pel revestus.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Evénement :« Les Vieux Métiers d’Antan à Fontfroide et Rendez-vous aux Jardins » Dates : du Samedi 3 au lundi 5 juin 2017 Lieu : Abbaye de Fontfroide, Narbonne
Bonjour à tous,
uand il s’agit de célébrer l’Histoire, l’abbaye narbonnaise de Fontfroide nous a déjà largement démontré qu’elle n’était pas en reste. Nous vous donnions, il y a quelques jours, le programme de la 12e édition de son beau Festival Musique et Histoire 2017 et nous revenons aujourd’hui en sa compagnie pour vous parler d’une autre manifestation médiévale qu’elle organise en ce début de mois de juin, et durant le week-end à venir. Entre autre ambition, il est question, cette fois-ci, de vous inviter à la redécouverte des métiers en provenance du monde médiéval.
Initiation, démonstrations, réalisations :
plus de dix métiers d’antan à découvrir
Il s’agit là de la deuxième édition de cet événement mais, fort du succès de la première, trois jours complets seront, cette fois, dédiés au thème. Organisé par l’abbaye, l’événement bénéficie aussi du soutien de la ville de Narbonne, ainsi que des principaux acteurs de la presse locale.
Du samedi 3 au lundi 5 juin, Il y aura donc sur place plus de dix échoppes venues représenter des corps de métiers anciens variés. Installés dans la cour et les jardins de l’abbaye, en costumes d’époque, ces artisans effectueront sous vos yeux leurs plus belles réalisations et vous feront aussi découvrir des savoir-faire et des techniques que l’on aurait pu croire à jamais perdues, mais c’était sans compter sur leur passion pour le moyen-âge et son héritage.
En plus de la forge, la poterie, la calligraphie, le filage textile ou la cuisine médiévale, et pour n’en citer que quelques uns de plus, il y aura ce week end à Fontfroide des métiers que l’on a moins l’occasion de croiser dans ce type de manifestation : un atelier de frappe de monnaie, une herboristerie pour découvrir les bienfaits et les vertus des plantes. Les fondeurs – ces artisans spécialistes des métaux et souvent itinérants qui fabriquaient les cloches des églises – y seront aussi représentés et il y aura encore un atelier d’archerie pour apprendre, dans le menu détail, les secrets de la fabrication des arcs et des flèches. Dans le souci de vous ménager quelques surprises, nous ne voulons pas tout dévoiler ici, aussi cette liste n’est pas exhaustive et d’autres échoppes vous attendent sur place.
Autres animations et spectacles sur place
Pour faire bonne mesure et s’assurer que l’événement soit une réussite complète, les organisateurs de l’abbaye ont encore ajouté, c’est de circonstance, d’autres cordes à leur arc. Il y aura notamment, dans les temps forts de cette manifestation, de grands spectacles de fauconnerie et de rapaces en vol libre, donnés deux fois par jour, sur les trois jours que couvre l’événement.
Patrice Poitier maître fauconnier passionné
C’est le désormais réputé Patrice Potier qui sera en charge de cette partie des animations. Passionné de rapaces depuis plus de 30 ans, ce fauconnier met en place de véritables spectacles aériens mettant en scène jusqu’à dix rapaces, le tout dans le plus grand respect des oiseaux. L’artiste insiste, en effet, toujours sur le fait qu’il est avant tout « au service des oiseaux » et à en juger par la qualité, autant que le succès actuel de ses prestations, ces derniers le lui rendent bien.
Mini-ferme pour le ravissement des enfants
Pour le divertissement et le plus grand plaisir des plus petits et des enfants, une mini-ferme et son lot d’animaux domestiques sera installée sur place le samedi et le lundi.
Gourmets et envies gourmandes sur place
Pour ceux qui souhaiteront se restaurer sur place, l’auberge de l’abbaye « La Table de Fontfroide » proposera tout au long de l’événement un menu spécial moyen-âge. Du côté des petits creux ou des envies plus informelles, il y aura aussi dans la cour une échoppe spéciale baptisée « La cuisine des Convers », à la découverte des saveurs médiévales à déguster sur le pouce (crêpes au sarrasin, pois chiche à la catalane, poulet farci, etc…). Le caveau de l’abbaye sera également ouvert pour des dégustations de vins.
Voilà, mes amis, quelques informations sur cette belle manifestation médiévale à visiter cette fin de semaine, si vous vous tenez dans le sud des terres de France ou dans la région de Narbonne.
Sujet: chant polyphonique, chanson, musique médiévale, ancienne, chant profane, chanson festive, à boire. Période : Moyen Âge tardif (XVe) Auteur :Guillaume Dufay (1400-1474) Interprète ; Diabolus in Musica Titre : « Hé compaignons, resvelons nous » Album : Mille Bonjours(2007 – ALPHA Productions)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partageons un rondeau joyeux de Guillaume Dufay (Du Fay) composé autour de 1427. C’est un chant polyphonique festif issu du répertoire profane du maître de musique du XVe siècle auquel nous avions déjà dédié plusieurs articles dont un portrait et des éléments de biographie ici. On retrouve également ce chant dans le codex référencé MS Canonici 213 de la Bodleian library (Oxford) dont nous vous parlions dans ce même article, aussi nous vous y renvoyons, si vous souhaitez plus de détails sur ce manuscrit ancien.
Diabolus in Musica, musiques médiévales,
recherches historiques et sens du partage
Plus l’on se penche sur la musique médiévale et sur les artistes qui tentent par leur travail de recherche et d’interprétation de la faire revivre, et plus on découvre des formations de grande qualité. C’est le cas de celle d’aujourd’hui.
Formé en 1992 par Dominique et Pierre Touron et dirigé par Antoine Guerber, – qui, en plus d’être un talentueux directeur, est aussi ténor, harpiste, joueur de Guiterne (voir photo) et de divers tambours – l’ensemble Diabolus In Musica se dédie tout entier au répertoire médiéval, avec une prédilection pour les compositeurs français et pour le Moyen Âge central. Ils ont déjà consacré vingt albums à ce vaste sujet, recevant, au passage, la grande reconnaissance des milieux de la musique ancienne ou classique, à travers des prix et Awards variés.
Nous sommes avec cette formation sur un territoire que nous affectionnons tout particulièrement, entre ethnomusicologie et art vivant, c’est à dire entre l’humble ambition de restituer les compositions médiévales au plus près de leurs sonorités et de leur esprit, et celle d’émouvoir et d’initier le public moderne à la force et la beauté de la musique en provenance du Moyen Âge.
Agenda, concerts et actualité
Au niveau des concerts et des performances scéniques, on a pu retrouver l’ensemble Diabolus in Musica tour à tour sur des pièces de musiques sacrées ou profanes et même à l’occasion de représentations à la fusion de la musique et du théâtre. Ce fut notamment le cas d’un spectacle complet autour du Perceval et du Conte du Graal de Chrétien de Troyes.
Du côte de leur agenda, ils sont actuellement en tournée au Pays-bas et nous vous conseillons si vous voulez les suivre efficacement de le faire via leur page Facebook.
Enfin dernières mentions du côté de l’actualité de leur directeur, à la fin 2016, Antoine Guerber était appelé à collaborer au niveau musical, sur la bande son du film « L’Ami François d’Assise et ses frères » de Renaud Fély et Arnaud Louvet (consacré comme son titre l’indique à Saint-François d’Assise). Il est également régulièrement l’invité de programmes de Radio France autour des musiques anciennes, classiques ou médiévales.
Mille bonjours, l’album.
chansons de Guillaume Du Fay
L’album « Mille Bonjours » qui date de 2007 était dédié tout entier à des chansons de Guillaume Dufay. Il a été primé et a reçu le prix « Supersonic » du Magazine Luxembourgeois consacré à la Musique Classique Pizzicato.
Tristesse et deuils, louanges royales et princières, amour courtois et amant transi, mais encore joies et fêtes, l’ensemble Diabolus in Musica nous y invite à plus d’une heure quinzeen compagnie du compositeur médiéval. Dix-neuf pièces y sont présentées, qui explorent le répertoire profane de Dufay et suivent les contours de ses émotions et de son art, au fil de rondeaux, de ballades ou encore de bergerettes (ces poésies pastorales typiques du XVe) variés.
L’album est disponible à la vente en ligne sur Amazon. En voici le lien si vous souhaitez plus d’informations: Guillaume Du Fay: Mille Bonjours! Vous pouvez également cliquer sur l’image ci-dessus.
He Compaignons, les paroles de la chanson de Guillaume Du Fay en français moyen
He, compaignons, resvelons nous (1) Et ne soions plus en soussy : Tantost vendra le temps joly, Que nous aurons du bien trestous (2).
Laissons dire ces jauls jalous Ce qu’ils veulent je vous en pry.
He, compaignons …
Quant est de moy, je boy a vous, Huchon, Ernoul, Humblot, Henry, Jehan, Francois, Hugues, Thierry, Et Godefrin dira a tous:
He, compaignons …
(1) réveillons-nous (2) qui sera bon pour nous tous
En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : légendes arthuriennes, littérature médiévale, Période : moyen-âge central, XIIe Auteur : Chrétien de Troyes (1135-1185) Titre : le conte de Graal ou Perceval le Gallois Média : documentaire et trailer Réalisateur : Eric Rohmer
Bonjour à tous,
n 1964, bien avant la sortie de son film Perceval le Gallois, le cinéaste Eric Rohmer connaissait déjà bien son sujet. Il en faisait la démonstration en réalisant un documentaire de vingt minutes sur le roman de Chrétien de Troyes pour le compte de l’institut Pédagogique National et dans le cadre de la série « En profil dans le texte ».
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout le Perceval de Chrétien de Troyes et qui souhaiteraient en avoir une première approche, voila donc une excellente introduction. Peut-être vous donnera-t’elle l’envie d’aller au plus près d’un des textes fondateurs des légendes arthuriennes à la française. Comme nous l’expliquait Richard Trachsler dans une conférence sur le roman arthurien donnée à la grande Ecole des chartes, Chrétien de Troyes semble bien avoir été, et de loin, l’un des auteurs les plus populaires du corpus arthurien durant la période médiévale. De fait, on peut difficilement s’intéresser aux légendes arthuriennes en en faisant l’économie.
Ce documentaire d’Eric Rohmer a, en quelque sorte, une double valeur historique. La première renvoie, bien sûr, au moyen-âge central et aux prémices du roman arthurien à la française: les vers de Chrétien de Troyes feront date et marqueront à jamais le cycle de la légende du Graal. Pour ce qui est de la deuxième valeur historique de ce programme, elle concerne le septième art et nous témoigne de l’intérêt de longue date d’Eric Rohmer pour l’oeuvre de Chrétien de Troyes avant de la porter sur grand écran.
(Gravure supposée de Chrétien de Troyes, anonyme, XVIe siècle BnF)
Illustré par de nombreuses enluminures d’époque et quelques beaux extraits de l’oeuvre originale, nous suivons ici, pas à pas, le Perceval de Chrétien de Troyes. C’est le plus ingénu des chevaliers d’Arthur, mais aussi celui qui sera le plus proche d’atteindre le but ultime de la quête : le Saint Graal. On regrette presque que le programme n’ait pu être réalisé en couleurs pour apprécier à plein les enluminures, mais hormis cela, sa valeur pédagogique n’a pas pris une ride au moment d’approcher ce très célèbre conte du moyen-âge central.
Le Conte du Graal
« Et lui, qui ne savait son nom, le devine et répond qu’il s’appelait Perceval le Gallois. Il ne sait s’il dit vrai ou non, mais il disait vrai, bien qu’il n’en sût rien. » Chrétien de Troyes – Perceval le Gallois ou Le Conte de Graal
Ceux qui connaissent le Kaamelottd’Alexandre Astier ne pourront s’empêcher de sourire à la lecture de la citation en prose ci-dessus (« Provençal le Gaulois ! même pas foutu de connaître son nom). Il faut dire que le Perceval de Chrétien de Troyes semble personnifier l’ingénuité et la spontanéité qui l’accompagne. On se souviendra notamment de la première apparition de ce personnage dans le roman médiéval et de sa rencontre avec les chevaliers qu’il prend pour des anges et qu’il harangue de ses questions, au risque d’émousser la patience de certains d’entre eux, par son ignorance.
Le Conte du Graal Perceval, Chrétien de Troyes Manuscrit ancien, 12577 Bnf (1330)
Avec le roman de Perceval le Gallois, Chrétien de Troyesnous contera donc le voyage initiatique de ce jeune « valet » d’abord tenu loin du monde et qui sera finalement rattrapé par sa destinée, à la grande tristesse de sa mère qui avait tout fait pour le préserver de l’univers de la chevalerie, de crainte qu’il n’en périsse comme ses frères et son père avant lui. Finalement adoubé, Perceval se signalera par ses faits, mais il passera pourtant à côté des épreuves les plus importantes qui lui seront soumises sans les relever, même si ce sera pour mieux en tirer les leçons.
Le paradoxe d’une innocence nécessaire et nécessairement perdue
Cette parabole d’un Perceval, « récipient » vide ou récipiendaire » qui fait de son mieux pour s’emplir des valeurs de la chevalerie, les suivant même trop littéralement, pour finir par comprendre qu’il aurait dû savoir s’en affranchir et dépasser sa timidité pour rejoindre sa véritable destinée est à l’image même de la difficulté de la quête du Graal. L’erreur et l’errance sont nécessaires dans ce parcours qui conduit au dépassement de soi véritable et à la renaissance dans les valeurs chrétiennes qui deviennent ici, et plus que jamais, indissociables de celles de la chevalerie.
Paradoxalement, cette innocence qui semble presque être une des raisons, sinon une des conditions nécessaires pouvant expliquer le succès de Perceval, est à jamais perdue mais peut-être n’a-t-elle pas été sacrifiée en vain ? La leçon sera lourde pourtant qui résonnera comme une sentence imparable et une malédiction pour n’avoir pas poser les bonnes questions qui auraient pu sauver le roi et le royaume, autant que pour avoir laissé mourir sa mère. A peine nommé « Perceval le Gallois » le voilà déjà rebaptisé « Perceval l’infortuné ».
Le Conte du Graal Perceval, Chrétien de Troyes Manuscrit ancien, 12577 Bnf (1330)
« Perceval l’infortuné. Ah ! malheureux Perceval, comme il t’est mésavenu de n’avoir pas posé ces questions. (sur le Graal et sur la lance) C’eût été un tel bienfait pour le bon roi infirme qu’il eût retrouvé l’usage de ses jambes et eût été désormais capable de gouverner sa terre. Et quel service rendu à tous les autres ! Mais maintenant sache qu’il. en coûtera cher à autrui et à toi. Et c’est ton péché qui en est la cause, car tu as fait mourir ta mère de douleur. » Chrétien de Troyes – Perceval le Gallois ou Le Conte de Graal
Au final, le héros devra parvenir à trouver son propre chemin et sa propre vérité dans une allégorie du dépassement de soi qui passera par la transcendance. La quête du chevalier ne peut se faire sans Dieu. Dernier roman de Chrétien de Troyes, le conte de Graal restera inachevé et sans doute l’auteur médiéval a-t-il laissé ainsi involontairement ouvert le mystère de Perceval et de sa destinée, autant que celui du Graal, pour de longs siècles après lui. Le plus pur et le plus innocent des chevaliers de la table ronde était-il à jamais destiné à faillir ? Certains auteurs ont écrit leur propre suite, en le faisant triompher et en lui faisant trouver et, cette fois, saisir le Graal. Chrétien de Troyes n’en a pas eu le temps. L’aurait-il fait du reste?
Le Perceval d’Eric Rohmer sur grand écran
Il faudra pas moins de quatorze ans pour que la fascination d’Eric Rohmer pour l’oeuvre de Chrétien de Troyes et pour le personnage de Perceval le Gallois qu’il exprimait déjà dans ce documentaire, prenne forme sur grand écran.
Loin des tendances visuelles du cinéma d’alors, le réalisateur décidera de coller à l’approche graphique médiévale pour les décors de son film, utilisant des codes ambitieux qui ne seront pas décryptés par tous avec la même facilité. Les châteaux plus petits que les personnages, les décors plus théâtraux que cinématographiques, Eric Rohmerentendra situer son oeuvre dans un espace visuel reconstruit en référence aux miniatures médiévales, en prenant les codes du cinéma à contre-pied.
Nous partageons ici le trailer donné à l’époque pour présenter le film. On y reconnaîtra outre Fabrice Luchini qui décrochait là un premier rôle de taille, la présence de Arielle Dombasle en Blanchefleur et celle de André Dussollier en Gauvain.
Le choix de coller au plus près de l’oeuvre écrite avec des jeux d’acteurs qui, là aussi, s’inscriront dans un espace pas tout à fait vraiment théâtral mais pas sans doute pas non cinématographique, ne destinera pas le film au plus grand nombre, ni aux amateurs de format « standard ». Il recevra tout de même de nombreux éloges et trouvera ses détracteurs et son public. Le film obtiendra d’ailleurs le prix Méliès en 1979 et 2 nominations aux César en 1980 et il est indéniable que Eric Rohmer signera là une oeuvre totalement originale et au plus près du texte de Chrétien de Troyes et de son roman arthurien médiéval.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes