Sujet : musique, rock médiéval, inspiration médiévale, occitan, musique rock, Occitanie, occitan, modernité, goliards, metal médiéval. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle, époque actuelle. Nouvel Album : Deus Vult (avril 2025) Interprète : Originem
Bonjour à tous,
l y a quelque temps déjà, nous avions reçu Jean Michel Wizenne, fondateur du collectif Rock Médiéval Originem, pour un entretien sans fard sur le Moyen Âge et son actualité. Depuis lors, ceux d’entre vous qui écument les festivals médiévaux ou les festivals métal ont peut-être pu découvrir ce groupe rock atypique, en habit de bure, qui décline des classiques médiévaux sur des rythmes endiablés, électrisés par des envolées de guitares solos.
Originem, Rock Métal Médiéval à la Française
Lancé en 2022, ce groupe d’inspiration médiévale renouvelle le genre loin des orchestrations lyriques habituelles et loin du folk ou de la World music planante façon Faün. Avec Originem, les sonorités médiévales s’emballent pour revenir aux sources du rock décapant. Au menu, un rock pur, sans concession, métal, punk même par endroits, bien loin du rock gentillet des yéyés.
Le groupe se produit désormais en trio. A la basse et à la batterie, Yves Gallego et Thomas Calegari s’assurent d’éveiller les foules. Des séquences de flutes légères viennent aussi ajouter quelques notes énergiques et rafraîchissantes à l’ensemble. De son côté, Jean Michel Wizenne, ajoute à ses solos de guitare et ses orchestrations sa passion de toujours pour le rock, son goût pour les musiques et les temps médiévaux mais aussi les réflexions que ne manquent pas de lui inspirer le monde actuel et ses dérives (revoir son entretien exclusif ici).
« Deus Vult« , Un nouvel album à Télécharger
Côté actualité, le collectif Rock Médiéval vient tout juste de gratifier ses fans d’un nouvel album. Sous le titre Deus Vult, la production est disponible en téléchargement depuis quelques semaines et propose cinq nouveaux titres.
Originem continue de puiser ses inspirations dans les textes latins et occitans du Moyen âge central à tardif et, notamment, dans l’univers des Goliards. Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, ces clercs errants non conformistes arpentaient les routes et les tavernes, plus soucieux de libation et de liberté que d’entrer dans les rangs (voir tous à la taverne avec la poésie goliardique).
Sur ce nouvel opus d’Originem, on retrouvera le célèbre In Taberna des Carmina Burana et du Codex buranus, dans une version passée à l’émeri. Le célébre Dies Irae y trouve aussi une nouvelle interprétation 1. S’y ajoute encore une réflexion sur la mort toute médiévale (le Abilhat D’Argela Roja). Enfin, une revisite de la chanson occitane Ai Vist Lo Lop, et une danse médiévale énergique viennent clore le tout.
Dans la veine du premier album, Deus Vult confirme la patte unique d’Originem et son style toujours aussi corrosif. La passion des musiques médiévales y entre en ébullition avec la fibre résolument Métal du collectif rock. Quant aux fondements philosophiques qui poussent le groupe vers l’avant, ils restent eux-aussi toujours en prise avec l’actualité et les temps qui viennent. Inspiré par le XIVe siècle, JM Wizenne y débusque des similitudes et des clés pour décrypter notre monde. Si la démarche vous intéresse, rapprochez-vous de la chaîne YouTube d’Originem, vous y trouverez des éclairages intéressants sur ces aspects.
L’album est dors et déjà disponible au format téléchargement sur le site officiel d’Originem. Vous pourrez également y retrouver les futures dates de festival du groupe.
Membre du groupe Originem :
Jean-Michel Wizenne (guitare, chant et composition) – Yves Gallego (guitare basse) – Thomas Calegari (batterie & percussions).
Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, monastère englouti. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre :Assí pód’ a Virgen so térra guardar… cantiga de Santa Maria 226 Interprète : Musica Antigua, Eduardo Paniagua Album : Merlin-Celtic Cantigas, Alfonso el Sabio (2006)
Bonjour à tous,
ous vous entraînons, une fois de plus, vers l’Espagne médiévale, pour y découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria d’Alphonse X : la cantiga 226. Comme on le verra, il s’agit d’un des récits de miracles les plus spectaculaires du célèbre corpus de chants à la vierge.
Dans cet article, vous trouverez une étude détaillée de la Cantiga de Santa Maria 226 avec sa partition ancienne et ses sources manuscrites, une traduction en français actuel, mais aussi une belle version en musique. Avant d’avancer sur tout cela, disons quelques mots des cantigas qu’Alphonse X dédia à la la vierge.
Qui a écrit les Cantigas de Santa Maria ?
Dans le courant du XIIIe siècle, le souverain de Castille aurait compilé, écrit et mis en musique lui-même, des récits de miracles variés dont un grand nombre semble provenir de lieux de pèlerinage ou d’histoires qui couraient sur les routes de la chrétienté médiévales et même au delà.
Même s’il est communément admis qu’Alphonse X en a composé une partie, les érudits et historiens sont encore divisés sur la paternité de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria au souverain de Castille. Ce dernier est, par ailleurs, à l’origine d’un certain nombre d’autres chansons dont l’attribution est certaine (voir Manselina sur la piste de Maria la Balteira). On est donc certain qu’il composait et s’adonnait à la poésie.
Du point de vue du corpus, l’œuvre d’Alphonse X regroupe plus de 400 chants mariaux. La grande majorité d’entre eux sont des récits de miracles (plus de 350). Dans les manuscrits les plus complets, ils sont rythmés par des chants de louanges qui reviennent à intervalles réguliers (un peu plus de 60). Aujourd’hui, ces chants à Marie venus d’Espagne, demeurent un témoignage vibrant du culte marial du Moyen Âge central, de la langue galaïco-portugaise et de la musique de cette période.
Aux sources manuscrites des Cantigas
Les Cantigas de Santa Maria et leur notation musicale ont traversé le temps grâce à quelques manuscrits superbement conservés. On en compte quatre, tous datés de la dernière partie du XIIIe siècle :
Le Manuscrit de Tolède (To) : sous la référence ms 10069, il s’agit du manuscrit le plus daté ou de la première compilation. On y trouve quelques 120 pièces et il est conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid.
Le Codice Rico (T) : sous la référence T.j.1, ce superbe codex présente un peu moins de 200 cantigas de Santa Maria (195) avec leur partition et de nombreuses enluminures. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial (Espagne).
Le Manuscrit de Florence (F) : ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque National de Florence sous la référence Banco Rari 20, présente un peu plus de 100 cantigas de Santa Maria dont quelques variantes et inédites.
Le Codice de los Musicos ou Codice princeps (E) : sous la référence ms B.I.2 (ou j.b.2 ), ce codice est le plus complet de tous les manuscrits. Il présente 406 cantigas avec miniatures et partitions d’époque et se trouve également conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial.
Dans cet article, nous vous présentons les sources manuscrites de la Cantiga de Santa Maria 226 dans le Codice de los Musicos (partition et texte) ainsi que dans le Manuscrit de Florence (texte, enluminures mais partition non achevée).
La Cantigas de Santa Maria 226 ou le miracle du monastère englouti
Le récit de la Cantiga de Santa Maria 226 nous invite du côté de l’Angleterre. A quelque temps de Pâques, ce chant marial nous propose un miracle pour le moins spectaculaire, sinon le plus spectaculaire, de tout le corpus des cantigas d’Alphonse X. Il a pour thème cette période particulière du calendrier chrétien qu’est la résurrection et l’illustre d’une manière plutôt étonnante.
L’histoire de la cantiga 226 en quelques mots
Enluminure : le jour de la messe de Pâques
Un jour de Pâques alors que les frères dévots d’un grand monastère donnaient une messe pour célébrer dignement le jour saint, la terre s’ouvrit et le monastère fut totalement englouti sous elle. Tremblements de terre, effondrement de terrain, phénomène surnaturel ? La Cantiga de Santa Maria 226 semble plutôt suggérer que Dieu le voulut ainsi pour démontrer aux yeux des croyants son grand pouvoir et celui de Marie.
Enluminure : le monastère se trouve englouti
Plus aucune trace du monastère du dehors, la terre s’était refermée sur lui. Cependant, à l’intérieur, la vie continua sans encombre. Les moines ne manquaient de rien et les lieux étaient parfaitement conservés. Les vignes restaient prospères, les moulins fonctionnaient et même le soleil continuait d’y briller. Ainsi donc, nous dit le poète, la sainte pourvoyait aux frères en toute chose et nul ne devint fou, ni ne tomba malade. Les moines furent même assurés qu’ils n’étaient pas morts et que tout allait bien.
Un an plus tard, à l’occasion d’une nouvelle messe de Pâques, les frères retournèrent en leur église pour y célébrer, de nouveau, la résurrection – non pas seulement celle de Dieu, mais aussi, symboliquement, celle de leur lieu de culte. La Sainte fit, en effet, ressurgir le monastère à la lumière et sur la terre. Alors, venus de loin, tous purent contempler le miracle et l’étendue du pouvoir de Marie et la louer.
Une légende bretonne à l’origine de ce Miracle ?
Il est probable que certaines légendes bretonnes aient inspiré Alphonse X pour ce miracle à la nature particulièrement épique ou mythique, selon les points de vue. Certains érudits l’avancent en tout cas. On peut penser à certains récits de cités submergées par les flots comme, par exemple, celui de la cité d’Ys et sa cathédrale engloutie.
Ys, la légende de la cité engloutie
Enluminure : le monastère sauvé à Pâques
On la connait plusieurs variantes de cette légende bretonne. Dans une version sans doute déjà christianisée, son histoire met en scène une princesse du nom de Dahut. S’étant adonnée à de nombreuses pratiques impies (meurtre de ses amants, sacrifices, rites magiques, …1), un jour de grande tempête, la jeune femme aurait fini par se laisser séduire par le diable lui étant apparu sous la forme d’un beau chevalier.
Enluminure : louanges à Sainte Marie
Ys était alors une ville côtière protégée de la colère des flots par une puissante digue. Hélas ! sous l’influence du Malin dont elle s’était entichée, Dahut aurait dérobé les clefs des remparts à son père, le roi Gradlon, et ouvert en grand les portes de la cité. Ys aurait alors été engloutie sous les flots. Le roi aurait réussi à en réchapper mais pas la jeune princesse emportée par les flots et le gros temps. Gradlon se serait établi ailleurs pour y noyer son chagrin. Cependant, certains jours, on pourrait encore entendre tinter les cloches de la cathédrale engloutie de la cité d’Ys.
Une fois de plus, il existe de nombreuses variantes de ce type de légendes dans la matière de Bretagne. Certaines mentionnent des tremblements de terre. Faut-il voir dans le miracle de la Cantiga 226 une parabole partie d’une idée similaire pour démontrer que Dieu et la Sainte peuvent, à volonté, submerger ou faire ressurgir des lieux entiers et leurs dévots avec ? Ici, la date de Pâques viendrait encore renforcer la nécessité de la dévotion, en ajoutant le moment de la résurrection et son symbole.
Autres sources latines et françaises
Il nous reste difficile d’affirmer si cette légende est à l’origine de l’inspiration d’Alphonse X. C’est plus une simple piste qu’une véritable hypothèse. En matière de sources latines ou vernaculaires, on trouve encore la trace de ce miracle dans un certain nombre de manuscrits médiévaux français.
On citera notamment un miracle marial du ms Français 818 (daté lui aussi du XIIIe siècle). Ce récit reprend, très directement le thème du monastère englouti : Del mostier nostre dame que terre transgloti o molt de pueple.2
Cantigas celtes & cantigas de Bretagne, Musica Antigua & Eduardo Paniagua
En matière musicale, on peut retrouver cette cantiga et son interprétation dans l’album Merlin y otras cantigas celtas d’Eduardo Paniagua et sa formation Musica Antigua.
En 2006, le talentueux musicien espagnol proposait un regroupement thématique des Cantigas de Santa Maria ayant des origines celtes ou Bretonnes.
Soutenu par une solide orchestration, cet album propose sur une durée d’un peu plus de 54 minutes, une sélection de dix chants mariaux donc quatre en version instrumentale. Le légendaire Merlin s’y fait même un place avec la Cantiga de Santa Maria 108. Pour information, nous avions déjà étudié ici la Cantiga de Santa Maria 23 issue de cette même production.
Cet album de Musica Antigua est encore édité mais il faut fouiller un peu pour le débusquer. Avec un peu de chance votre disquaire préféré pourra vous le procurer. Dans le cas contraire, vous pouvez aussi le trouver en ligne sur les plateformes de streaming légales ou même à la vente sous forme CD sur certains sites. Voici un lien utile à cet effet: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua.
La cantiga 226 en musique
Musiciens & artistes présents sur cet album
Jaime Muñoz (instruments à vents, flûte, cornemuse, chalémie, choeur), Josep María Ribelles (harpe), Ana Alcaide (vièle, nyckelharpa), David Mayoral (percussions), Cesar Carazo (chant), Isabel Urzaiz (chant), Carlos Beceiro (vielle à roue, saz), Xurxo Nuñez (tambour médiéval, percussions, bodhram), Eduardo Paniagua (choeur, flute ténor, cloches et percussions, direction musicale).
La Cantiga de Santa Maria 226 & sa traduction en français actuel
Esta é do mõesteiro d’ Ingratérra que s’ afondou e a cabo dun ano saiu a cima assí como x’ ant’ estava, e non se perdeu null’ hóme nen enfermou.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar o séu, com’ encima dela ou no mar.
Cette cantiga nous parle d’un monastère d’Angleterre qui avait disparu sous terre et qui, un an après , a ressurgi à la surface tel qu’il était précédemment et aucun homme n’était tombé malade, ni n’était mort.
Ainsi, la vierge peut protéger ses biens (les siens, ses affaires) Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer
E dest’ un miragre per quant’ aprendí vos contarei óra grande, que oí que Santa María fez, e creed’ a mi que maior deste non vos pósso contar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
A ce sujet, j’eu connaissance d’un très grand miracle Que je vous conterai à présent, Et que fit Sainte Marie et, croyez-moi, Je ne pourrais vous conter un miracle plus grand que celui ci. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Ena Gran Bretanna foi ũa sazôn que un mõesteiro de religïôn grand’ houv’ i de monges, que de coraçôn servían a Virgen bẽeita sen par. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
En Grande Bretagne, il y eut une fois, Un grand monastère de grande piété (?) dont les moines, avec cœur, Servaient la vierge bénite et sans égale. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E Santa María, u todo ben jaz, mostrava alí de miragres assaz e tiínna o lógo guardad’ e en paz; mais quis Déus por ela gran cousa mostrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Et Sainte Marie, en qui réside toute bonté, Faisait en ce lieu assez de miracles. Et le gardait sous sa protection et en paix. Mais Dieu voulut montrer par elle , une chose plus admirable encore. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Que día de Pasqua u Déus resorgiu, começand’ a missa os monges, s’ abriu a térr’ e o mõesteiro se somiu, que nulla ren del non podéran achar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Ainsi au jour de Pâques où Dieu ressuscita Alors que les moines commençaient la messe, La terre s’ouvrit et le monastère s’y enfonça Au point qu’il n’en resta plus une seule trace. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E lóg’ assí todo so térra entrou que nĩũa ren de fóra non ficou; mais Santa María alá o guardou que niũa ren non pode del minguar,
Suite à cela, il entra complétement sous terre De sorte qu’on ne voyait plus rien de lui, du dehors Mais Sainte Marie la garda ainsi Pour qu’il ne manque de rien. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
eigreja nen claustra neno dormidor neno cabídoo neno refertor nena cozinna e neno parlador nen enfermería u cuidavan sãar,
Ni l’église, ni l’enceinte, ni le dortoir, Ni la salle capitulaire, ni le réfectoire, Ni la cuisine, ni le cloître Ni l’infirmerie où ils allaient se soigner. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
adega e vinnas con todo o séu, hórtas e moínnos, com’ aprendí éu, guardou ben a Virgen, e demais lles déu todo quant’ eles soubéron demandar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Les caves et vignobles avec tous leurs biens Les vergers et les moulins, comme on me l’a appris, La Vierge protégea tout parfaitement, et leur donna en plus Tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
E assí viían alá dentr’ o sól como sobre térra; e toda sa pról fazer-lles fazía, e triste nen fól non foi nïún deles, nen sól enfermar
En plus de tout cela, de l’intérieur, ils voyaient le soleil Comme s’ils avaient été sur la terre ; et elle leur accordait tout Pour leur bien-être (avantage). Et aucun d’entre eux ne fut triste, Ni ne sombra dans la folie, Ni ne tomba malade.
per ren non leixou mentre foron alá, nen ar que morressen come os dacá morrían de fóra, ca poder end’ há de fazer tod’ esto e mais, sen dultar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
En rien, elle ne les abandonna tandis qu’ils étaient là-bas, Elle ne leur dit pas non plus qu’ils étaient morts, Pas plus que n’étaient morts ceux du dehors, car elle a le pouvoir De faire tout cela et même plus, sans aucun doute. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Un grand’ an’ enteiro assí os tẽer foi Santa María; mais pois foi fazer que dalí saíssen polo gran poder que lle déu séu Fillo pola muit’ honrrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Une année entière, Sainte Marie les tint ainsi, Et ensuite, elle fit en sorte Qu’ils sortent de là par le grand pouvoir Que son fils lui accorda pour l’honorer. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
Ca día de Pasqua, en que resorgir Déus quis, foron todos a missa oír; entôn fez a Virgen o logar saír todo sobre térra como x’ ant’ estar
Au jour de Pâques (suivant) quand Dieu voulut ressusciter Ils allèrent tous entendre la messe Et c’est alors que la Vierge fit émerger de nouveau le lieu Au dessus de la terre, à l’emplacement où il se trouvait précédemment.
soía, que sól non ên menguava ren. E a gente toda foi alá porên, e o convento lles contou o gran ben que lles fez a Virgen; e todos loar
Et il ne manquait rien. Et tous les gens furent alors jusqu’à l’endroit, Et ceux du couvent leur contèrent Combien la vierge avait été bonne avec eux et tous la louèrent. Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…
a foron porên como Madre de Déus que mantên e guarda aos que son séus. Porên a loemos sempr’, amigos méus, ca esta nos céos nos fará entrar. Assí pód’ a Virgen so térra guardar…
Ils louèrent à la mère de Dieu Qui maintient et protègent ceux qui sont les siens. Pour cela, mes amis, louons la toujours, Car elle nous fera entrer au ciel. Ainsi, la vierge peut protéger les siens Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer.
Sujet : miroir des princes, devoir politique, bonne renommée, bon gouvernement, Aristote, morale politique, Best Seller médiéval. Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle) Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012), Manuscrit médiéval Français NAF 18145, BnF.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration du Secretum Secretorum ou Livre des Secrets du Pseudo-Aristote. Cet ouvrage de nature politique et encyclopédique connut un très large succès du Moyen Âge central au début de la Renaissance.
Apparu originellement dans le monde arabe du Xe siècle, sous le titre Sirr al-Asrar, le Secretum Secretorum fut traduit en latin au début du XIIe siècle. On en connait encore de nombreuses éditions sous cette forme. Dans les siècles suivants, il sera diffusé dans de nombreuses autres langues, ce qui en fait un véritable best seller de l’Europe médiévale 1.
L’origine du Secretum Secretorum
Les versions originales du Secretum Secretorum le présentaient comme la transcription de missives réelles du philosophe Aristote à l’empereur Alexandre le Grand. D’après les notes de l’ouvrage, une traduction du grec vers l’arabe datant du IXe siècle en aurait été l’origine.
Avec l’avènement des méthodes historiques modernes et en l’absence de preuves documentaires susceptibles de confirmer son authenticité grecque, le Livre des Secrets fut finalement attribué à un auteur dénommé Pseudo-Aristote. Les érudits pensent aujourd’hui que son auteur a pu être un auteur arabe contemporain du Xe siècle et non un copiste du IXe siècle comme l’indiquait la version originale.
L’importance de la bonne renommée dans la conduite du pouvoir
L’extrait du jour nous entraînera, une fois de plus, du côté de la morale politique et des Miroirs des princes (dans le courant du Moyen Âge central, ces précis de morale et d’éducation à l’usage des puissants sont assez appréciés). Quelle doit être l’intention ou la motivation ultime du Prince et du gouvernant dans l’exercice du pouvoir ? Le Pseudo-Aristote mettra ici l’accent sur l’importance de la recherche de « bonne renommée » comme guide dans l’action politique.
On croisera cette importance de la bonne renommée dans l’exercice du bon gouvernement chez bien des auteurs politiques et moraux du Moyen Âge. De la Perse de Saadi 2 à l’Espagne médiévale de Don Juan Manuel 3 , la notion voyage à l’image du Secretum Secretorum. Chez les auteurs médiévaux et poètes français du Moyen Âge tardif, les références ne manquent pas non plus. On peut en citer une, édifiante, issue d’une célèbre ballade d’Eustache Deschamps :
« Il vaudroit mieulx l’omme de faim perir, Tant soit puissans, que mal renom avoir ; Renoms mauvais fait tout homme haïr Et sanz cause dommaige recevoir Souventefoiz, mais l’en puet percevoir Que bons renoms et sa suite est amée En tout païs, pour ce vous fait sçavoir : Plus que fin or vault bonne renommée. »
Soif d’argent, de conquête et de pouvoir, avidité, hubris, recherche de reconnaissance, coquetterie, flagornerie, ne pèsent rien au regard de la recherche de bonne renommée. Pire même, toutes ces mauvaises raisons de gouverner entraîneront inéluctablement le prince vers l’abîme. Cette importance pour le souverain d’user de sa bonne renommée comme gouvernail, en s’élevant dans la vertu et face à la postérité revient plus d’une fois dans le Livre des secrets.
Le chapitre du jour dans le Manuscrit Nouvelle Aquisition Française 18145 de la BnF
De l’entencion finable que le roy doit avoir4 extrait du Secretum Secretorum
« Le commencement de sagesse et d’entendement est d’avoir bonne renommée par laquelle sont les royaumes et les grans seignories acquises et gouvernées. Et se tu aquiers ou que tu desires royaumes ou seignouries, se n’est pour avoir bonne renommée, tu n’acquerras ja a la fin autre chose, ne autre oeuvre. Et saches que envie engendre mensonge laquelle est racine et matiere de tous vices. Mensonge engendre mal parler. Mal parler engendre hayne. Hayne engendre villenie. Villenie engendre rancune. Rancune engendre contrariété. Contrariété engendre injustice. Injustice engendre bataille. Bataille engendre et ront toute loy, destruit citéz et qui est contraire a nature et destruit le corps de l’omme.
Pense donques, chier filz, et met tout ton desir que tu puisses avoir bonne renommée car par icelui desir, tu tireras a toy la verite de toutes choses, laquelle verite est racine de toute choses qui sont a louer et matiere de tous biens. Car elle est contraire a mensonge, laquelle est racine et matiere de tous vices comme dit est.
Et saches que vérité engendre desir de justice. Desir de justice engendre bonne foy. Bonne foy engendre largesse. Largesse engendre familiarité. Familiarité engendre amistié. Amistié engendre conseil et ayde. Par ces choses qui sont convenables a raison et nature fut tout le monde ordonnéz et les loys faictes. Si appert que desir de bonne renommee est pardurable vie et honnorable5. »
Dans la morale politique médiévale, le prince comme même l’honnête homme (le prudhomme) doit penser à la survivance de son œuvre et de son nom, bien après la mort. A des siècles du Sirr Al-Asrar, cette idée est toujours dans l’air en matière d’attente politique. On juge encore les qualités ou les vertus d’un gouvernant à l’aulne de sa moralité mais aussi de sa capacité à s’élever au dessus de ses propres ambitions immédiates ou personnelles pour servir le temps long.
La boussole de la bonne renommée continue-t-elle d’avoir son importance dans le monde politique du carriérisme, des mandats à court terme, de la technocratie et des intérêts de partis ? Cela reste, sans doute, une question d’hommes.
Cela n’engage que nous mais en regardant vers le pays de France et son actualité, entre manœuvres politiciennes et collusions variées, faux-pas et polémiques internationales diverses, le souci de bonne renommée et de legs à la postérité semblent avoir évacué définitivement l’ordre du jour. Si l’homme providentiel existe, il demeure encore bien caché et n’est surement pas à la gouvernance.
Découvrir d’autres extraits du Secretum Secretorum ou Secret des Secrets :
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NOTES
NB : Sur l’image d’en-tête, ainsi que sur l’illustration, vous trouverez une enluminure du Manuscrit Naf 18145 qui représente l’Honneur.
On connait des versions médiévales du Secretum Secretorum en Français vernaculaire, en Anglais, en Castillan, en Catalan, en Arargonais, en Portugais, en Italien, en Gallois, en Islandais et même encore en Russe, en Croatien, et en Tchèque ↩︎
Sujet : musique médiévale, amour courtois, chanson, Ars Nova, trouvère, compositeur médiéval, manuscrit français 146. Période : Moyen Âge, fin XIIIe, début XIVe s Titre : « Comment que, pour l’éloignance« Auteur : Jehannot de Lescurel ou Jehan) de Lescurel Ensemble : Syntagma et Alexandre Danilevsky Album :Lescurel : Songé .i. songe (2015)
Bonjour à tous,
otre voyage médiéval du jour nous conduit à la fin du Moyen Âge central, pour y découvrir une nouvelle chanson du trouvère Jehan de Lescurel ou Jehannot de Lescurel.
La vie de ce poète et compositeur de la fin du XIIIe et des débuts du XIVe siècle nous est assez peu connue mais il nous a légué une belle œuvre musicale et poétique, trempée d’amour courtois. Elle se compose d’un peu plus de trente pièces annotées musicalement. On les trouve notamment regroupées dans le manuscrit médiéval Français 146 de la BnF, aux côtés d’autres œuvres datées de la fin du XIIIe et de cette période.
L’amour de Loin de Jehan de Lescurel
La chanson médiévale que nous vous proposons de découvrir est dans la lignée du répertoire de Jehan de Lescurel. Elle appartient donc, pleinement, au registre de la lyrique courtoise.
Jehan de Lescurel nous conte sa douleur de l’éloignement mais plus encore l’amour entier et les beaux sentiments que lui inspire sa belle. Bien que physiquement loin d’elle, sa seule évocation suffit à le conforter et à confirmer son amour.
Si la peine est évoquée dans cette jolie pièce courtoise, l’ensemble reste léger et le compositeur médiéval y mêle adroitement tristesse et joie.
Sources manuscrites médiévales
Comme mentionné plus haut, l’œuvre de Jehannot de Lescurel peut être retrouvée dans le manuscrit médiéval Français 146. Cet ouvrage enluminé contient également le Roman de Fauvel de Gervais du Bus, ainsi que la Chronique métrique de Geoffroy de Paris. Ce manuscrit, daté des débuts du XIVe siècle, se trouve actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF. Il peut également être consulté en ligne sur gallica.fr.
Pour la transcription de la chanson du jour en graphie moderne, nous avons repris celle de l’ouvrage « Chansons ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel » (Librairie P. Jannet, Paris, 1855), du chartiste et historien de l’art Anatole de Montaiglon.
L’Ensemble Syntagma & Jehan de Lescurel
Les chansons de Jehan de Lescurel ont été reprises par plusieurs formations de la scène musicale médiévale. Pour la version du jour, nous avons choisi de revenir à la version de l’Ensemble Syntagma. Elle est extraite du livre album « Lescurel : Songé .i. songe – Chansons & Dit enté, Gracieux temps » dont nous vous avons déjà touché un mot (voir article).
Une belle version en musique signée de l’Ensemble Syntagma
Lescurel : Songé .i. songe, le livre album
En plus de l’interprétation talentueuse de Syntagma sous la direction d’Alexandre Danilevsky, ce bel enregistrement de 64 minutes propose un livret très complet pour accompagner le CD. On trouvera aussi sur cette production le Dit Enté de Jehan de Lescurel. C’est assez rare et exclusif pour être souligné.
Pour débusquer cet album, tentez votre chance chez votre disquaire préféré. En ligne, il semble, pour l’instant, épuiser et en attente de réédition. On peut également retrouver certaines pièces de cette production sur la chaîne Youtube de l’ensemble Syntagma.
« Lescurel : Songé .I. Songe », le livre album de Syntagma sous la direction de Alexandre Danilevski
Comment que, pour l’éloignance de Jehan de Lescurel en langue d’Oïl
Comment que, pour l’éloignance, Du très dous pays, où maint Celle qu’aim sanz decevance, Ai souffert meschief maint, L’espoir qu’ai, qu’encore m’aint La doucette simple et coie, Fait que mon cuer li remaint Et que mon cors vit en joie.
Par ramembrer sa semblance Me sens d’amer si ataint Que mon cuer d’autre plaisance N’a, ne de grief se plaint. Le desir que me remaint, — Dex, si qu’à lesir la voie — Fait que mon cuer li remaint Et que mon cors vit en joie.
Souvent sens grief et pesance Que mon cuer que liés soit faint, Par ce c’on ait connoissance De quel mal le vis ai taint, Ne qui la belle est, qui craint, Pour qui Amours, où que soie, Fait que mon cuer li remaint Et que mon cors vit en joie.
Traduction en français actuel
Bien que par l’éloignement Du très doux pays où se trouve Celle que j’aime sans détour (tromperie) J’ai souffert maints déboires (infortune) L’espoir que j’ai qu’elle m’aime encore, La douce simple et tranquille, Fait que mon cœur lui est acquis Et que mon corps vit en joie.
En me souvenant de son visage, Je me sens si profondément amoureux Que mon cœur ne cherche d’autres plaisirs, Et ne se plaint de rien. Le désir que j’en conserve (qu’il m’en reste) — Dieu, de sorte que s’il m’est permis de la voir — Fait que mon cœur lui demeure Et que mon corps vit en joie.
Je ressens souvent peine et accablement Quand mon cœur feint d’être en joie Car personne ne sait vraiment Quel est ce mal qui assombrit (teint) mon visage Ni qui est la belle qui m’inspire tant de crainte, Et pour qui, Amours, où que je me trouve Fait que mon cœur lui demeure Et que mon corps vit en joie.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.